Contre le cancer l’Etat ne peut pas tout faire

Procation délibérée? La présidente de l’Institut national du cancer tient publiquement de bien étranges propos. C’était hier, dans le Journal du Dimanche. Rapide éclairage sur l’affaire.

L’entretien est annoncé à la Une de la livraison dominicale du 29 janvier. Un appel discret en oreille. « Santé. Cinq cents nouvelles molécules pour vaincre le cancer ». Renvoi en 18. Quatre colonnes pleine page ;  une photo sur trois. Celle du Pr Agnès Buzyn « dans son bureau à Boulogne-Billancourt, jeudi ». Sans la légende nul ne saurait que nous sommes jeudi et dans le bureau de la présidente de l’Institut national du cancer (INCa). Le Pr Buzyn préside l’INCa depuis mai 2011. Spécialiste d’hématologie et ancienne responsable de l’unité de soins intensifs d’hématologie et de greffe de moelle à l’Hôpital Necker-Enfants malades elle avait tout d’abord été nommée présidente du conseil d’administration de l’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire en septembre 2008. A l’INCa elle a pris la succession de Dominique Maraninchi parti sous d’autres cieux, plus tourmentés dit-on : ceux de la direction générale de l’Afassps.

Que nous dit donc Mme Buzyn ? L’entretien est un genre journalistique bien convenu, parfaitement codifié et (souvent) passablement ennuyeux. Cela se vérifie un peu plus encore quand il est relu et corrigé par celui/celle que le journaliste interroge. Celui-ci ne semble pas sortir du cadre des entretiens des hauts responsables. Il trouve son actualité dans la prochaine Journée mondiale de lutte contre le cancer. Et de fait le propos est emprunte à la métaphore habituellement guerrière et triomphaliste.

C’est la révolution génétique qui va s’ouvrir sur des traitements personnalisés. Déjà 17 médicaments disponibles et 500 dans les tuyaux. Les taux de guérisons augmentent. La présidente est plus que prudente sur la dernière étude en date concernant les cas de leucémies diagnostiqués chez certains enfants vivant à proximité des centrales nucléaires. Elle pourrait être nettement plus incisive, dire que la science ne peut en rien évoquer une relation directe de cause à effet. Elle ne le fait pas. « Mais je veux rassurer les  Français : le risque, s’il existe, est extrêmement faible » dit-elle.

On ne l’interroge pas, et c’est grand dommage, sur l’autre grande affaire sociétale et sanitaire du moment : celle des prothèses mammaires. Une affaire qui a débuté par des rumeurs de corrélation entre cancers et port de prothèses de confection française et de marque PIP. Une affaire qui s’est développée avec la démonstration que cette corrélation ne pouvait être mise en évidence et les conclusions des experts réunis sous l’égide de l’INCa. Ces derniers soulignaient que rien ne justifiait de recommander l’explantation systématique de ces implants. Recommandation pourtant aussitôt formulée par le gouvernement. On aimerait savoir ici quelle analyse fait la présidente de l’INCa de cette articulation entre évaluation et gestion d’un risque qui n’est pas établi.

Et puis une dernière question sur ce paradoxe qui veut que malgré les progrès de la recherche le nombre des cas de cancers en France (365 000 en 2011) ne cesse de grimper. Mme Buzyn invoque le vieillissement de la population et l’intensification du dépistage. « D’autres facteurs de risque entre en jeu, à commencer par le tabac, responsable de 20% des décès par cancer, ajoute-t-elle. En la matière on n’a fait aucun progrès majeur dans la prévention ces dernières années. Pour nous le tabagisme des jeunes et des femmes et un drame. En dix ans le taux de cancer du poumon chez la femme a été multiplié par quatre. Or c’est l’un des cancers les plus mortels. »

Et cette fin, d’anthologie, ou presque : « Nous, on fait notre travail. Mais les citoyens ne peuvent pas tout attendre des pouvoirs publics et du plan cancer ! Ils doivent prendre leur santé en main. Ce décalage de perception me surprend : on a des craintes un peu fantasmatiques sur les facteurs de risques environnementaux mais on accepte de prendre pour soi-même un risque connu et majeur. »

Surprise ? Faudrait-il donc être surpris du fait que les citoyens (qui comme les salariés de l’INCa font également et majoritairement leur travail) acceptent de prendre – pour eux-mêmes – un risque connu mais refusent un risque qu’on leur impose et ce d’autant qu’il est mal connu ? Le fantasmatique se nourrit pour l’essentiel du non dit sinon du mensonge. Et on pourrait penser qu’il est pourrait précisément être du travail de l’INCa de s’exprimer plus clairement sur ce qu’il en est réellement des risques environnementaux inhérents aux très faibles doses. Et non seulement de s’exprimer solennellement sur ce qu’il en est du cancérogène majeur qu’est le tabac mais aussi de consacrer une partie de son budget (68 millions d’euros en 2008) à lutter contre ce fléau à la fois fiscalement rentable et gouffre sanitaire. Comment justifier que la recherche en cancérologie (raison d’être de l’INCa) ne porte pas sur les mécanismes (économiques, sociologiques et politiques notamment) qui permettrait de réduire l’ampleur de ce premier poste de mortalité prématurée pouvant être prévenue ?

Sans doute est-ce bien au citoyen de prendre sa santé en main (l’image n’est certes pas des plus heureuses). Il n’est pas non plus interdit d’imaginer que les responsables des organismes publics à vocation sanitaire (et donc financés par la collectivité) n’accusent pas les citoyens de ne pas toujours y parvenir. A commencer par ceux qui sont tombés dans le (ont cédé au ?) piège de l’addiction tendu par l’Etat (tous gouvernements confondus) avec le soutien actif des multinationales du tabac.

Fut un temps, en France où quelques mandarins atypiques d’obédiences diverses (Got, Dubois, Hirsch, Tubiana, Grémy notamment) étaient à la manœuvre tant dans les médias d’information générale (Le Monde notamment) que dans les cabinets ministériels (ceux en charge de la santé au premier chef). Soucieux de santé publique ils étaient durablement partis en guerre contre les multiples incitations à la consommation du tabac et des boissons alcooliques. On les appelait, au choix les sages ou les ayatollahs. Sans moyen ou presque, osant tutoyer les responsables politiques et les candidats aux élections présidentielles ils gagnèrent quelques rudes batailles. Avec le temps ils lassèrent. Puis vint l’heure de leur retraite.  

Puis on créa ce groupement d’intérêt public qu’est l’INCa. C’était il y a sept ans. Et qu’apprend-on aujourd’hui, par la voix de sa présidente, et dans Le Journal du Dimanche ? Que le nombre des cancers augmente, que l’on fume de plus en plus en France et cet Institut fait son travail.                 

 

 

Prothèses mammaires: évaluation scientifique et/ou choix politique

 L’affaire des prothèses mammaires s’étoffe. Et se transforme en un exercice inédit de santé publique

C’est décidemment bien une affaire sanitaire d’un nouveau type que celle des prothèses mammaires.  Rarement on aura pu observer comme ici l’intimité des rouages de la fameuse et contemporaine articulation entre l’évaluation scientifique d’un possible risque sanitaire et la gestion politique de ce dernier ; sauf peut-être, mais c’était à un tout autre rythme,  dans l’affaire multiforme dite de la vache folle.

De ce point de vue nous sommes ici  dans un passionnant cas d’école, un exercice de santé publique à la fois hors norme; un exercice qui ne pourra désormais que se poursuivre, faire l’objet d’analyses et de commentaire, d’évaluations et d’enseignements.  

Pour l’heure restons centrés sur le vendredi 23 novembre. Au terme d’une semaine marquée par une bien savante distillation médiatique des décisions à venir les autorités sanitaires ministérielles ont  rendu  officiellement publiques leurs décisions. Cette annonce a été faite précisément  dans le même temps qu’était rendue publique l’évaluation scientifique qui avait été demandée par les responsables politiques. Seule sont restés dans les médias, répétés en boucle, les choix ministériels concernant les femmes concernées ; les femmes porteuses de prothèses pour lesquelles l’explantation est désormais officiellement recommandée et prise en charge par la collectivité (pour une somme prévue, dit-on, d’environ soixante millions d’euros).

Voici le résumé des deux principaux documents disponibles. Leur lecture pourra apparaître ardue. Elle est capitale pour ceux qui entendent comprendre.

L’évaluation du risque.

Elle prend la forme de l’avis du groupe d’experts réunis sous l’égide de l’INCa  et plus précisément celle des « Propositions de conduite à tenir pour les femmes porteuses de prothèses mammaires PIP : avis argumenté du groupe d’experts ». Cet avis est daté du 22 décembre et les experts présents étaient vingt-cinq. Ils représentaient les  disciplines médicales concernées  (anatomopathologistes, chirurgiens plasticiens, radiologues, oncologues, hématologues, médecin de santé publique) et étaient assistés par un représentant de l’Afssaps et un autre de l’InVS.    

Que nous disent-ils ? Il faut ici être exhaustif puisque les auteurs mettent en garde : «  Cet avis doit être diffusé dans sa totalité sans ajout ni modification. »

  « 1. Par rapport au risque de cancer :

Pour les lymphomes anaplasiques à grandes cellules :

 Le lymphome anaplasique à grandes cellules est une pathologie extrêmement rare. Le groupe retient, sur la base des données disponibles, qu’il existerait un sur-risque chez les femmes porteuses d’un implant mammaire quels que soient la marque et le contenu de l’implant (sérum physiologique ou gel de silicone).  Il n’existe pas de donnée à ce jour pour conclure à un sur-risque des lymphomes anaplasiques à grandes cellules spécifique à la prothèse PIP en comparaison aux autres implants.

Pour les cancers du sein (adénocarcinomes) :

Le cancer du sein est une pathologie fréquente. Le groupe retient que les données disponibles aujourd’hui permettent de conclure à l’absence de sur-risque d’adénocarcinome mammaire chez les femmes porteuses d’implants en comparaison avec la population générale. Il n’existe pas de donnée à ce jour pour conclure à un sur-risque d’adénocarcinome mammaire spécifique à la prothèse PIP en comparaison aux autres implants.

2. Avis concernant la décision d’explantation

Le groupe de travail retient que les éléments justifiant une explantation sont la présence de signes cliniques et/ou radiologiques évocateurs d’une altération de l’implant et/ou la demande de la patiente. Il n’existe pas d’argument à ce jour justifiant une explantation en urgence.

Chez une femme asymptomatique (absence de signe clinique et/ou radiologique), les risques liés à la non explantation à visée préventive sont : risque de rupture, risque d’imagerie faussement rassurante (faux négatif), risque d’une réintervention plus compliquée (préjudice esthétique, augmentation du risque de complications post opératoires), et la toxicité potentielle, à ce jour mal connue, de ce gel non conforme des prothèses PIP.

Les risques liés à une explantation sont : risque lié à une réintervention (anesthésique et lié au geste), et risque lié à un résultat morphologique différent. Le groupe rappelle qu’en l’absence de sur-risque démontré de cancer chez les femmes porteuses de prothèses PIP par rapport aux autres implants, l’avis concernant l’explantation est lié au risque de rupture de l’implant et à ceux de la non-conformité du gel.

Devant l’absence d’éléments nouveaux concernant le gel non conforme ou de données cliniques nouvelles sur des complications spécifiques, les experts considèrent ne pas disposer de preuves suffisantes pour proposer le retrait systématique de ces implants à titre préventif. Ils rappellent néanmoins le risque de rupture prématurée et les incertitudes concernant les complications liées au caractère irritant de ce gel. Le groupe d’experts précise qu’il est nécessaire de mettre en place une étude épidémiologique prospective sur les implants rompus avec documentation des données cliniques, radiologiques et histopathologiques.

 3. Surveillance des femmes porteuses d’une prothèse PIP

En l’absence de tout symptôme :

Concernant le risque de cancer du sein, il n’y a pas lieu de modifier chez une femme porteuse d’implants les modalités actuellement recommandées de dépistage et de surveillance de cette pathologie. Du fait du risque accru de rupture des prothèses PIP, le groupe maintient le suivi tel que recommandé par l’Afssaps, à savoir « un examen clinique et une échographie tous les six mois, en ciblant pour chacun de ces examens les seins et les zones ganglionnaires axillaires ». Le groupe retient qu’une IRM mammaire n’est pas indiquée en première intention.

 • En cas de signes cliniques et/ou radiologiques anormaux :

Une consultation spécialisée est préconisée pour une prise en charge.

4. Modalités à suivre en cas d’explantation

Avant toute explantation, quel que soit son motif, un bilan d’imagerie (incluant une mammographie et échographie mammaire et axillaire) récent doit être disponible.

Dans tous les cas d’explantation :

En présence d’un épanchement périprothétique anormal (sur son aspect ou son abondance), il est nécessaire de réaliser une aspiration du liquide pour analyse cytologique. Il est nécessaire de réaliser une biopsie systématique de la capsule et du tissu périprothétique.

La capsulectomie la plus large doit être réalisée lorsqu’elle est raisonnablement possible, à l’appréciation du chirurgien. Le groupe préconise une analyse histologique systématique des pièces de capsulectomie.  En cas d’anomalie du creux axillaire, une analyse histologique ou cytologique est souhaitable. Le groupe précise qu’un curage axillaire n’est pas indiqué. Les biopsies et les pièces opératoires seront fixées dans le formol pour permettre des investigations complémentaires.

Une congélation des prélèvements doit être réalisée en cas de lésion périprothétique suspecte. En cas de diagnostic ou de suspicion de lymphome après analyse anatomo-cytopathologique, un envoi au réseau LYMPHOPATH est nécessaire. La pose immédiate d’un nouvel implant est envisageable si les conditions locales le permettent. Dans le cas contraire, elle peut alors être proposée à distance de l’explantation. Elle est discutée avec la patiente avant tout geste opératoire.

5. Surveillance après explantation

 En cas d’explantation, il n’y a pas de suivi spécifique préconisé compte tenu de l’absence de sur-risque de cancer lié aux prothèses PIP démontré à ce jour.

Les recommandations habituelles de dépistage du cancer du sein ou de surveillance sont applicables en fonction du niveau de risque de la femme et indépendamment de l’antécédent d’implant. »

 La décision gouvernementale

 Elle prend la forme résumée d’un communiqué de presse daté du 23 décembre et intitulé « Actualisation des recommandations pour les femmes porteuses de prothèses mammaires Poly Implant Prothèse (PIP) ». Reproduisons le ici dans sa totalité sans ajout ni modification : 

 « Xavier BERTRAND, Ministre du travail, de l’emploi et de la santé, et Nora BERRA, Secrétaire d’Etat chargée de la Santé, actualisent les recommandations de prise en charge des femmes porteuses de prothèses PIP.

 A titre préventif et sans caractère d’urgence, ils souhaitent que l’explantation des prothèses, même sans signe clinique de détérioration de l’implant, soit proposée aux femmes concernées.

Cette proposition pourra intervenir lors de la consultation de leur chirurgien, déjà recommandée.

Les ministres chargés de la santé ont saisi le 7 décembre les agences sanitaires (Institut national du cancer, Institut de veille sanitaire, Afssaps), afin de recueillir leur expertise, en lien avec les sociétés savantes, sur les signalements d’effets indésirables chez les femmes porteuses de prothèses PIP.

 L’avis rendu le 22 décembre indique qu’il n y a pas à ce jour de risque accru de cancer chez les femmes porteuses de prothèses de marque PIP en comparaison aux autres prothèses. Néanmoins les risques bien établis liés à ces prothèses sont les ruptures et le pouvoir irritant du gel pouvant conduire à des réactions inflammatoires, rendant difficile l’explantation. Les ministres chargés de la santé ont donc décidé :

 1. de renforcer les recommandations émises par l’Afssaps :

       · Les femmes porteuses d’une prothèse mammaire doivent vérifier la marque de cette prothèse sur la carte qui leur a été remise. En l’absence de carte, elles doivent contacter leur chirurgien, ou à défaut, l’établissement où a été pratiquée l’intervention.

  • · Les patientes porteuses de prothèses PIP doivent consulter leur chirurgien. A cette occasion, une explantation préventive même sans signe clinique de détérioration de l’implant leur sera proposée. Si elles ne souhaitent pas d’explantation, elles doivent bénéficier d’un suivi par échographie mammaire et axillaire tous les 6 mois.
  • · Toute rupture, toute suspicion de rupture ou de suintement d’une prothèse doit conduire à son explantation ainsi qu’à celle de la seconde prothèse
  • · Avant toute explantation, quel que soit son motif, un bilan d’imagerie (incluant une mammographie et échographie mammaire et axillaire) récent doit être disponible.

 2. d’adapter l’organisation qui doit permettre à toute femme qui le souhaite d’avoir recours à une explantation préventive. Ainsi les ministres demandent aux Agences Régionales de Santé (ARS) de mettre en place, dès début janvier, un numéro de téléphone à destination des patientes porteuses d’implants mammaires PIP qui auraient des difficultés d’accès à un professionnel pour leur proposer une liste d’établissements pouvant les recevoir.

 3. de mettre en place une étude épidémiologique prospective sur prothèses rompues. Les établissements de soins et les professionnels de santé concernés sont informés en parallèle de cette décision et des nouvelles recommandations.

 Les frais liés à cette explantation éventuelle, incluant l’hospitalisation, sont pris en charge par l’assurance maladie. S’agissant de femmes relevant d’une chirurgie reconstructrice post cancer du sein, la pose d’une nouvelle prothèse est également remboursée. Les ministres rappellent qu’il est demandé aux chirurgiens plasticiens libéraux de ne pas pratiquer de dépassements d’honoraires pour effectuer ces actes, comme le Conseil de l’Ordre l’a déjà recommandé.

Le comité de suivi, qui se réunira le 5 janvier 2012, au ministère de la santé fera un nouvel état des lieux de la situation et examinera plus en détail les procédures et dispositifs d’application de cette décision afin de répondre au mieux aux préoccupations des femmes concernées et de faciliter l’organisation de toutes les demandes d’explantation.

Pour toutes informations complémentaires, un numéro vert national 0800 636 636 est disponible. Ouverture du lundi au samedi de 9h00/19h00. »

Ainsi donc cette articulation entre évaluation et gestion nous est ainsi ouvertement accessible à l’examen. On découvre de manière précise et détaillée la différence d’appréciation entre le regard des experts  spécialistes et le choix des responsables politiques. Il y a là une bien belle opportunité pour tous ceux, professeur(e)s et élèves,  que la santé publique et ses arcanes passionnent, notamment dans ses croisement avec le journalisme et donc avec la perception que le plus grand nombre peut en avoir.

 Affaire(s) à suivre sans doute. Dans l’attente les amateurs de rhétorique apprécieront comme il convient, à la loupe, la clef de voûte présente dans ce passage essentiel du communiqué de presse ministériel :

« L’avis rendu le 22 décembre indique qu’il n y a pas à ce jour de risque accru de cancer chez les femmes porteuses de prothèses de marque PIP en comparaison aux autres prothèses. Néanmoins les risques bien établis liés à ces prothèses sont les ruptures et le pouvoir irritant du gel pouvant conduire à des réactions inflammatoires, rendant difficile l’explantation. »

Selon les dictionnaires néanmoins est rangé au rayon des conjonctions ou des adverbes. Le terme vient, clairement, de néant et de moins. Il marque une opposition. Le rédacteur aurait tout aussi bien pu choisir cependantmais, pourtant ou toutefois. Sans doute a-t-on pensé, en haut lieu ministériel, dans les étages de l’avenue de Ségur, que néanmoins sonnait mieux, plus juste, plus chic. Question : en langue anglaise le choix se bornerait-il  à nevertheless , however et  yet ?  

 

 

 

Cancers et prothèses mammaires, une affaire d’un nouveau type

 « Affaire » ou « scandale » ? Les autorités sanitaires françaises sont profondément embarrassées par ce dossier hors du commun. Y aura-t-il des « responsables », sinon des « coupables » ? En toute hypothèse une mesure semble s’imposer : organiser au plus vite la traçabilité de ces implants.  

 A quoi tiennent donc l’activité et la dynamique journalistiques ? Pour une large part, nous venons de le voir, à l’insolite. Et pour une part au moins égale à l’émotion –  celle qui parfois parcourt les foules,  quelque qu’en soit la nature profonde.  De ce point de vue toutes les affaires qui concernent l’intégrité des corps humains (aujourd’hui les crises sanitaires) tiennent régulièrement le haut du pavé. A fortiori –et c’est presque toujours le cas- quand elles se structurent en feuilleton et qu’il faut trouver –avant la justice, si possible- un coupable nommément désigné qui tiendra le rôle –assez peu enviable, dit-on – du bouc émissaire.   

La dernière affaire en date nous fait quitter les univers du médicament (Médiator) et des hypothétiques polluants environnementaux (bisphénols) pour le monde des prothèses et autres dispositifs médicaux implantables, en l’occurence les implants mammaires. Mais à la différence des affaires similaires passées (concernant des pacemakers ou des prothèses de hanches) celle-ci  se complique d’une dimension nouvelle : l’émergence des premiers cas d’affections de nature cancéreuse chez des femmes porteuses de tels dispositifs. On estime (faute, précisément, de pouvoir être affirmatif) à environ 500.000 le nombre de femmes chez lesquelles de tels dispositifs ont été implantés ; toujours pour des raisons esthétiques-  après ou non chirurgie thérapeutique mutilatrice. Et l’on recense huit (ou neuf) cas de cancers dont cinq cas de cancers du sein (de type adénocarcinome) et deux lymphomes. Sur son Blog notre confrère Jean-Daniel Flaysakier (spécialiste des questions médicales à France Télévisions) analyse plusieurs aspects de cette question concernant les lymphomes.

Pour notre part nous venons,  sur Slate.fr, de rapporter les principales données de ce dossier ; un dossier bien embarrassant pour les autorités sanitaires. Ces dernières semblent être dans une impasse paradoxale pour ne pas écrire schizophrénique. D’une part elles sont contraintes de donner en temps et en heure à la presse les informations dont elles disposent ; faute de quoi elles seraient accusées de cacher la vérité. De l’autre elles ne peuvent pas ne pas redire à chaque échéance que rien ne permet d’affirmer que ces cas de cancers trouvent leur origine dans la présence d’une prothèse fabriquée par une firme (Poly Implant Prothese ou PIP) par ailleurs accusée de malfaçon par l’autorité de sécurité sanitaire en charge de sa surveillance (l’Afssaps).  

Dans un tel contexte la raison voudrait que la puissance publique cherche (et trouve) dans le (riche) vivier des épidémiologistes français quelques experts traducteurs de talent capables d’expliquer au plus grand nombre ce qui distingue le simple effet du hasard du lien de causalité. Mais la raison tarde, l’émotion grandit et la presse s’en fait immanquablement l’écho, amplifiant du même coup le phénomène. Prophétie auto-réalisatrice? Les associations revendiquent. Les malades avérées estiment être des victimes et les femmes qui ne sont pas malades redoutent de le devenir.

Le parquet de Marseille (siège de la société PIP) aurait en quelque ssemaines reçu plus de 2.000 plaintes de porteuses de prothèses mammaires; il a ouvert une information judiciaire pour «blessures et homicide involontaire» et les avocats spécialisés travaillent la question. «Nous n’avons pas d’a priori sur le lien de cause à effet. Nous savons que ce sont des prothèses frelatées», a précisé le Pr Dominique Maraninchi, aujourd’hui directeur général de l’Afssaps (Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé), ancien responsable de l’Institut national du cancer (Inca). Le Pr Maraninchi a rappelé qu’en France «une femme sur dix a, a eu ou aura un cancer du sein».

Selon l’Afssaps, les implants tenus pour frauduleux auraient, dans 80% des cas, été posés à des fins esthétiques et dans 20% des cas pour reconstruction. Un « comité de suivi » recense actuellement tous les cas de cancers survenus chez les femmes potentiellement concernées et l’Inca émettra dans quelques jours une série de recommandations aux professionnels de santé sur la meilleure conduite à tenir, notamment au plan chirurgical (retrait ou pas). Un numéro vert (0800 636 636) a été mis en place et plus de 5.000 appels auraient été reçus en deux semaines. 

La direction générale de la santé a demandé à tous les chirurgiens et médecins concernés de contacter leurs patientes porteuses qui ont de prothèses PIP, ce qui ne semble pas avoir été toujours effectué. L’association PPP  (de défense des porteuses de prothèses de la marque PIP) et l’association du Mouvement de défense des femmes porteuses d’implants et de prothèses (MDFPIP), réclament  la prise en charge du remplacement des prothèses posées pour raisons esthétiques.

A ce stade on voit mal comment la situation pourrait se débloquer, et retomber l’émotion des femmes (et de leurs proches) estimant être les plus directement concernées. C’est dans ce contexte qu’un site d’information pour les professionnels de santé (www.santelog.com)  précise que des sénateurs américains viennent de déposer au Congrès un nouveau projet de loi pour la Sécurité des patients ; un projet exigeant des fabricants d’implants de communiquer aux pouvoirs publics l’ensemble de leurs données afin d’assurer une traçabilité de toutes les prothèses et donc de pouvoir suivre les éventuels effets indésirables sur le long terme.

 Ce site ajoute que la France et les Etats-Unis font partie des pays qui ne disposent pas encore de tels registres alors que d’autres (la Suède, la Nouvelle-Zélande, l’Australie, l’Angleterre, l’Allemagne, la Finlande, la Slovaquie, le Danemark et le Canada) s’en sont dotés ce qui est de nature à constituer un outil précieux de veille sanitaire. En l’espèce cet outil permettrait d’avoir des données identificatrices concernant les 30 000 femmes porteuses d’une prothèse PIP. On pourrait aussi imaginer alors croiser ces données avec celles issues des registres des cancers où des données de la Cnam. Et en savoir (et en dire) plus, d’un point de vue statistique et épidémiologique, sur ce dossier.

Sur le fond le sujet avait été abordé en 2003 dans le cadre du Parlement européen. Sans véritable suites concrètes, les décisions en la matière incombant aux Etats membres. Au vu du développement actuel de l’affaire des prothèses mammaires on peut raisonnablement  penser que ce nouvel angle devrait, sous peu, alimenter de nouveaux débats sinon de nouvelles polémiques. Le thème principal en est déjà connu : pourquoi avoir laissé en jachère ce pan essentiel de la veille sanitaire ? Avec son corollaire : la recherche, par des moyens multiples, des principaux responsables.