Quand le ministre de la Santé doit-il crier au loup ? Une nouvelle fois les autorités françaises semblent surévaluer médiatiquement une affaire somme toute mineure en termes de santé publique. Rien de bien grave, dira-t-on. Et on aura raison. Sauf à prendre le risque de fatiguer l’opinion et de griller de bien précieuses cartouches. Gouverner c’est – aussi- ne pas crier au loup quand la menace n’a ni la taille ni la couleur requises
N.B. Ce billet est suivi de huit questions pratiques qui pourraient être soumises aux élèves de l’EHESP (comme à ceux qui, dans les écoles de journalisme n’excluent pas de se spécialiser dans le secteur de la « santé ») :
En cette veille de rentrées des classes le week-end a été marqué par quelles sirènes sanitaires et médiatiques. On a relayé sur les ondes l’appel du cabinet de la ministre de la Santé. Depuis quelques jours les médias américains faisaient état de quelques cas d’infections virales dans le Parc national de Yosemite, site californien très couru par celles et ceux, généralement citadins, qui veulent vivre quelques instants au contact immédiat des splendeurs naturelles. Plus inquiètes de la flambée d’infections par le West Nile virus les Centers for Disease Control and Prevention (CDC) avaient fait le point le 29 août. Rien de véritablement alarmant pour les vieux routiers de la veille épidémiologique. Les CDC prenaient soin de donner en référence leur site on ne peut plus pédagogique consacré aux infections humaines causées par les hantavirus .
L’information était actualisée par Reuters le 1er septembre :
« Dix mille personnes ayant séjourné cet été dans le village de tentes du parc national de Yosemite, en Californie, pourraient avoir été exposés à un virus mortel véhiculé par les rongeurs, ont averti les CDC. Dans une note diffusée vendredi, le CDC souligne que deux personnes sont mortes après avoir contracté le syndrome pulmonaire à hantavirus (SPH) et que quatre autres personnes ont été infectées mais ont survécu. D’autres cas suspects sont à l’étude.
Le CDC soupçonne la plupart des victimes d’avoir été infectées par le virus après avoir séjourné dans l’une des 91 cabines de tente « Signature » du « Curry Village », une aire de camping très visitée située au coeur du parc national. « Les personnes ayant séjourné dans les tentes entre le 10 juin et le 24 août peuvent courir le risque de développer le SPH dans les six semaines », ajoute le CDC.
Les autorités du parc ont dit avoir joint environ 3.000 groupes de visiteurs en leur conseillant de contacter un médecin au plus vite s’ils développent les symptômes du SPH. Le virus se manifeste d’abord par des symptômes proches de ceux d’une grippe – maux de tête, fièvre, toux – mais peut déboucher sur de graves difficultés respiratoires et provoquer le décès du patient.
Il n’existe pas de traitement pour l’hantavirus, mais un diagnostic et une prise en charge rapides augmentent les chances de survie. Le virus est véhiculé par les excréments, l’urine et la salive des rongeurs, qui sèchent et se mélangent à la poussière inhalée par les humains, en particulier dans les espaces confinés. Les hommes peuvent également être infectés en ingérant de la nourriture contaminée ou par les morsures des rongeurs.
(Dan Whitcomb, Ronnie Cohen; Jean-Stéphane Brosse pour le service français) »
Depuis Los Angeles
Puis la même information était reprise, depuis Los Angeles, dans Le Monde (daté de demain 4 septembre) sous la signature de Claudine Mulard :
« Signe de l’inquiétude du public, la fréquentation aurait baissé à l’entrée du parc national de Yosemite en Californie, en plein week-end férié de Labor Day (la grande fête américaine du travail). Les services de santé américains ont lancé une alerte sans précédent, le 31 août : jusqu’à 10 000 visiteurs de Yosemite pourraient avoir été en contact avec un virus mortel lors de leur séjour estival dans le « Curry Village », un site de camping populaire équipé de tentes cabines en toile.
Déjà six cas de ce syndrome pulmonaire à hantavirus (SPH), transmis par les excréments, l’urine ou la salive de rongeurs infectés, ont été détectés chez des touristes ayant séjourné en juin dans ce camping. Deux des malades infectés (des Californiens d’une trentaine d’années) sont mort.
« Nous recevons beaucoup d’appel, et de partout… », reconnaît Adam, un ranger du parc qui répond au numéro d’urgence à la disposition du public, affirmant aussitôt que le risque de contamination « vise seulement une zone spécifique du parc », à savoir les 91 « Signature Series Curry Cabins », dont les numéros commencent dans les 900, lesquelles sont fermées depuis le 24 août.
Selon le National Park Service gérant Yosemite, entre le 10 juin et le 24 août, quelque 3 000 personnes ont réservé une tente dans ce camping d’où l’infection est partie. Elles étaient toutes accompagnées de plusieurs membres de leur famille ou d’amis. Le nombre d’individus potentiellement exposés à la contamination est ainsi estimé à 10 000 campeurs. Tous ces visiteurs ont été prévenus par courrier, ou vont l’être, du risque encouru et des mesures à prendre.
« La transmission a lieu par l’inhalation de poussières contaminées », confirme le ranger, précisant que le virus « ne se transmet pas de personne à personne » et que les responsables du parc procèdent actuellement « à une désinfection systématique des lieux et à une dératisation ».
Le SPH est une maladie rare, avec seulement 587 cas diagnostiqués aux Etats-Unis de 1993 (année où il a été identifié) à 2011, dont une soixantaine en Californie, mais avec une pathologie particulièrement dangereuse, un tiers des cas s’avérant mortels.
En Californie, environ 14 % des souris sylvestres, ou deer mice, sont porteuses du virus. La contamination a lieu principalement par le contact ou l’inhalation de particules infectées, et le temps d’incubation est d’une à six semaines. Les premiers symptômes ressemblent à ceux d’une grippe, avec fièvres, frissons, maux de tête, douleurs musculaires, nausées et vomissements. Les autorités américaines recommandent à tous les visiteurs concernés de consulter un médecin dans les plus brefs délais s’ils ressentent un de ces symptômes.
C’est la première alerte de santé de cette envergure enregistrée par un parc californien, d’autant plus mal venue qu’elle intervient à la clôture de la saison estivale, dans un contexte économique déjà difficile pour le tourisme. Les rangers de Yosemite qui répondent au numéro d’urgence font tout pour rassurer leurs interlocuteurs, surtout lorsqu’ils se présentent comme de simples touristes.
Ce discours tranquillisant n’est pas du goût de Camille Chu, 39 ans, qui raconte au quotidien Los Angeles Times comment elle et son mari, qui avaient réservé une des tentes désormais fermées, sont arrivés fin août sans avoir été prévenus du risque de contamination virale. « Les gens ont le droit de savoir. Je suis furieuse. Ils devraient faire preuve d’un excès de précaution, mais ce n’est pas le cas. »
Rassurer, tranquilliser tout en lançant l’alerte et donc en affolant peu ou prou la population. L’équation paradoxale n’est pas nouvelle.
Les cinquante-trois familles
En France elle a pris un tour bien particulier avec la diffusion généralisée d’un communiqué de presse. L’information était aussitôt reprise par de très nombreux médias expliquant à leur tour que cinquante trois familles de touristes français avaient séjourné dans le désormais célèbre camping Curry Village du Parc Yosemite. Le ministère précisait avoir reçu des autorités sanitaires américaines la liste des 53 familles ayant séjourné dans certaines des maisons de toiles (tents cabins) du Curry Village entre le 10 juin et le 21 août 2012.
Il expliquait aussi qu’il contactait les 53 familles concernées « pour s’assurer que les personnes sont en mesure de reconnaître, le cas échéant, les premiers symptômes de la maladie et leur rappeler les mesures à suivre ».
Deux des ressortissants français « présentent des symptômes qui ont conduit à un prélèvement diagnostic dont les résultats sont en attente », précisait le communiqué du ministère de la Santé. Le ministère de la Santé ajoutait que le hantavirus n’est pas transmissible par l’homme, que la contamination se fait en respirant le virus présent dans la poussière de bois ou la terre contaminées par des déjections de rongeurs infectés, que le délai d’incubation de la maladie s’étend de une à six semaines après l’exposition, que les symptômes sont ceux d’une grippe musculaire. Et que les personnes présentant ces symptômes doivent consulter rapidement leur médecin traitant en lui indiquant leur séjour au parc national américain.
Pas de panique au Samu de Paris
« Un numéro vert (0 800 636 636) sera opérationnel dès 20H00 pour toutes les personnes ayant visité le Curry Village et souhaitant de plus amples informations », indiquait encore le communiqué. Interrogé par l’AFP, le Samu de Paris précisait qu’une procédure avait été mise en place pour faire face à d’éventuelles contaminations. Le Dr Michel Nahon, praticien hospitalier au Samu assurait le dimanche 2 septembre qu’il n’y avait aucune panique. « On a deux types d’appel: les gens qui ont mal compris et sont allés aux Etats-Unis, mais pas dans le parc ou pas dans le camping Curry village, où la contamination s’est produite. Et ceux qui y sont allés et ont des symptômes tels que courbatures, fièvres, et qui se trouvent encore dans la période d’incubation possible, indiquait-il. Beaucoup téléphonent par excès, mais il vaut mieux dans le doute appeler pour rien plutôt que ne pas appeler. » Le docteur Nahon rappelait ceci sur le site du Samu de Paris. Et la Direction générale de la santé apportait d’autres précisions sur la forme clinique américaine, pulmonaire, différente de la fièvre hémorragique avec syndrome rénal observée en France.
« Si on a séjourné dans le parc et qu’il n’y a pas de symptômes, on ne fait rien. S’il y a des symptômes après séjour au camping, « ça peut être différentes choses, mais on considère la personne comme cas possible, explique le Dr Nahon. Après interrogatoire médical, pour confirmer notamment si on est toujours dans la période d’incubation, on les orientera vers l’hôpital pour deux choses: éventuellement, en fonction de ce que diront les infectiologues, faire une analyse de sang pour isoler le virus, et surtout faire un traitement préventif des complications, afin de limiter les risques vitaux. L’accès précoce aux soins modifie le pronostic. »
Fallait-il déclencher une telle alerte ? Peut-être. Peut-être pas. Peut-on, face à une telle alerte américaine déclencher une surveillance épidémiologique (et une information des personnes potentiellement concernées) sans centraliser l’information ? Sans aucun doute. Quitte à centraliser l’information et à disposer des relais médiatiques assurés pourquoi ne pas en profiter pour élargir le champ de la vulgarisation ? Et, par exemple, s’intéresser à la prévention en France. Un sujet sur lequel l’Institut national de veille sanitaire (InVS) a, par chance, beaucoup travaillé.
En France les infections à hantavirus sont surtout présentes dans le Nord-Est du pays, les réservoirs étant les campagnols roussâtres et les mulots à collier. Un travail effectué il y a une dizaine d’années avait retrouvé des clusters importants dans les Ardennes et l’Oise. Les expositions à risque retrouvées étaient l’activité professionnelle (bâtiment, secteur forestier et agriculture), la manipulation de bois (35 %), le jardinage (29 %) et les loisirs en extérieur (14 %). « La prévention des infections à hantavirus passe par des mesures individuelles contre les rongeurs et l’exposition à des aérosols de poussières contaminées, soulignaient alors les auteurs. Des moyens d’information des professionnels de santé et du grand public dans les zones à risque sont nécessaires pour favoriser ces mesures. » On notera ici l’existence de cette remarquable synthèse préventive diffusée par l’InVS à la presse en 2003. Une synthèse à laquelle aucune ligne n’aurait été à changer si on avait jugé utile de ne pas se borner aux 53 familles du Yosemite Park.
Questions qui pourraient être soumises (notamment) aux élèves de l’EHESP :
1 Existe-t-il à votre connaissance une procédure réglementaire codifiée et hiérarchisées concernant la publication de communiqués de presse ministériels lançant une alerte nationale de nature sanitaire et infectieuse ? Si oui quelle est-elle ? Si non pourquoi ? Que proposez-vous sur ce thème ?
2 Les médias sont-ils contraints d’assurer la diffusion de tels communiqués ? Détaillez et précisez.
3 En l’occurrence cette alerte ministérielle vous semble-t-elle justifiée ? Vous semble-t-elle adaptée ? Quels étaient les objectifs (directs et indirects) visés ? Existait-il selon vous d’autres possibilités?
4 Quels sont, selon vous, les bénéfices (et les risques) des alertes sanitaires lancées par voie de communiqués de presse ?
5 Des touristes français infectés par un hantavirus au parc Yosemite (ou leurs proches) pourraient-ils engager une action en justice ? Contre qui ? Sur quelles bases ?
6 Une évaluation de l’opération d’alerte lancée par le ministère de la Santé vous semble-t-elle ici nécessaire ? Pourquoi ? Qui pourrait en être chargé ?
7 La puissance publique aurait-elle dû, selon vous, profiter de cette alerte ponctuelle pour rappeler auprès du grand public les principaux gestes préventifs et les personnes prioritairement exposées en France ?
8 Que feriez-vous si, le même cas de figure infectieux se produisant en France, vous étiez en tant que membre du service de presse du ministre de la santé confronté à la situation suivante telle qu’elle est rapportée par l’AFP (auriez-vous fait dermer ce parc? Pourquoi ? :
« Etats-Unis – Los Angeles – Le dangereux virus de Yosemite se contracte et se propage difficilement et ne mérite pas la fermeture du parc de Californie, malgré les deux morts enregistrées ces dernières semaines et l’alerte des autorités sanitaires, a déclaré un porte-parole lundi, jour férié aux Etats-Unis.
Au moins six personnes – parmi lesquelles deux sont mortes – ont été touchées par le syndrome pulmonaire à hantavirus (SPH), une maladie rare mais grave propagée par la souris sylvestre (Peromyscus maniculatus), un rongeur de la Sierra Nevada, où se trouve le Parc national de Yosemite.
« Le SPH s’attrape en respirant des particules provenant des selles et de l’urine du rongeur », a expliqué à l’AFP le porte-parole du parc Kari Cobb. « C’est une maladie extrêmement rare et la contracter est inhabituel. »
« Tant que les individus restent dans une zone bien ventilée et sont vigilants face aux signes annonçant la présence de rongeurs, ils devraient être en sécurité », a-t-il ajouté. « Il n’est pas nécessaire de fermer le parc, ni de porter un masque pour visiter la région. »
M. Cobbs a indiqué que, bien que des annulations aient été enregistrées, en cette fin de semaine le parc a totalisé le même nombre de visites que l’an dernier à la même période, sans préciser les chiffres. En moyenne, le parc accueille 7.500 touristes en fin de semaine, a-t-il ajouté.
Vendredi, le Centre de contrôle et de prévention des maladies des Etats-Unis (CDC) a alerté que quelque 10.000 personnes couraient le risque de contracter le virus.
De son côté, le parc a notifié aux quelque 3.000 personnes dans le monde entier qui ont été logées dans des tentes appelées « Signature Tent Cabins », dans la région de Curry Village -où a été détecté le virus-, entre le 10 juin et le 24 août, qu’elles couraient le risque de développer la maladie dans les six prochaines semaines.
« Nous avons reçu de nombreux touristes internationaux et chacun d’entre eux a été informé sur la découverte du SPH », a dit M. Cobbs, ajoutant que les 91 tentes avaient été fermées.
Le taux de mortalité de la maladie est de 36%, a indiqué jeudi dernier le CDC.
« Le SPH provoque rapidement des difficultés respiratoires qui demandent de l’oxygène et/ou une intubation. On ne dispose pas de traitement spécifique pour le virus, mais s’il est détecté à temps et que l’on administre des soins palliatifs, les chances de survie se trouvent augmentées », a indiqué l’agence.
Le Ministère de la Santé français a informé dimanche que 53 touristes français ayant logé dans les tentes sont actuellement examinés.
La chaîne de télévision locale ABC a interviewé le microbiologiste californien George Cosentino, selon lequel le parc aurait dû avertir avant les visiteurs sur le danger, quand bien même le risque de transmission est très bas.
« Si l’on ne peut pas se débarrasser du virus complètement, un moyen de sécurité alternatif est d’éduquer les visiteurs pour que, en cas de maladie, ils aillent à l’hôpital immédiatement », a déclaré le scientifique auprès de la chaîne. « Cela ne garantit pas la surv, mais augmente les chances de survie. »
La semaine dernière, un Californien et un résident de Pennsylvannie sont morts et quatre autres personnes sont tombées malades. Ces dernières sont en train de se remettre.
lm/rs/bbc/jr »