Médias et e-cigarette : pourquoi ne pas dire clairement qu’elle favorise l’arrêt du tabac ?

Bonjour

Quel est l’intérêt médiatique de produire du doute dans le public ?

Communiqué de #SOVAPE : « Coup sur coup, deux études de suivi de cohortes publiées cette semaine montrent que le vapotage favorise l’arrêt du tabac. La première menée en France par l’Inserm, publiée dans le JAMA Internal Medicine 1 , montre que l’apparition de la vape en 2010 s’accompagne d’un bond de l’arrêt du tabac chez les fumeurs qui ont choisi ce nouveau produit. Ils ont eu près de 1,7 fois plus de chance d’arrêter de fumer que ceux qui ont opté pour d’autres méthodes. Seconde étude : celle des chercheurs de la Harvard School à Boston, publiée dans Nicotine & Tobacco Research 2. Le suivi de la cohorte PATH de fumeurs américains ayant opté pour la vape entre 2013 et 2015 montre que les vapoteurs au quotidien ont eu 77% plus de succès après deux ans d’arrêt de la cigarette que les fumeurs optant pour d’autres méthodes. »

Commentaire : « En 2010, les ex-fumeurs qui avaient accès à des produits encore rudimentaires étaient plus nombreux à rechuter que ceux qui avaient opté pour d’autres méthodes, mais en 2013, c’est l’inverse, ils avaient plus de chance de succès (HR 0.84) que les autres. Cette évolution est très probablement liée à une évolution majeure du matériel survenue à partir de 2012, l’explosion du nombre de boutiques spécialisées et de la scène d’entraide des vapoteurs. Ces deux études montrent que l’apparition du vapotage a encouragé des fumeurs, au profil plus dur (plus de cigarettes fumées par jour, plus de problèmes psychiques, plus de rechutes précédentes, etc.), à tenter l’arrêt de la cigarette, et que l’évolution technique de la vape a permis à un plus grand nombre d’entre eux de sortir du tabac fumé. »

Tout pourrait donc aller pour le mieux au sein de la Révolution des Volutes. Ce serait compter sans les pincettes de nombreux médias généralistes qui ne parviennent pas à accepter la place prise par la cigarette électronique dans le paysage de la réduction des risques tabagiques. Ainsi ces quelques mots : « L’association SOVAPE appelle à la vigilance quant au traitement de l’information sur le vapotage. Il est en effet malheureux que l’évolution survenue entre 2010 et 2013 démontrée par les données de l’Inserm soit occultée, et que soit passée sous silence l’étude similaire dans son objet publiée dans Nicotine & Tobacco Research. »

L’association évoque notamment ici les traitements effectués  par L’Obs : « Les vapoteurs fument moins de cigarettes mais rechutent plus » ou par 20 minutes  « Les vapoteurs fument moins mais rechutent plus ».  Jusqu’à l’Inserm qui, selon elle, induit la même interprétation dans son communiqué (interrogatif) destiné à la presse :

« La cigarette électronique efficace pour réduire le tabagisme à long terme ? Cette étude porte sur 5400 fumeurs et 2025 ex-fumeurs de la cohorte Constances (2012-2016 ; arrêt du tabac à partir de 2010, année de mise en vente de la cigarette électronique en France). (…) En conclusion, la cigarette électronique permet aux fumeurs de réduire leur niveau de tabagisme ou d’arrêter de fumer, mais cet arrêt ne semble pas toujours durable, il est donc nécessaire de surveiller de près les personnes qui vapotent et conseiller l’arrêt complet du tabac pour limiter le risque de rechute. »

Tromperie sur la présentation

Il faut aussi tenir compte du traitement fait par Le Quotidien du Médecin (Coline Garré): « Utile dans le sevrage, la cigarette électronique présenterait plus de risques de rechute à long terme »  qui cite Ramchandar Gomajee, chercheur à l’Inserm et premier auteur de la publication du JAMA Internal Medicine.

Pour #SOVAPE, présenter les choses comme le fait Le Quotidien est trompeur par rapport à la façon dont les choses ont évolué. « Ce taux de rechute concerne une époque révolue, les dispositifs sur le marché étaient des  »cigalike » peu performants, les commerces spécialisés et les conseils avisés inexistants, sans mentionner l’essor considérable des groupes d’entraide autogérés qui a suivi. Une étude d’épidémiologie sans connaissance des réalités de terrain, notamment des usagers, est susceptible de conduire à de mauvaises interprétations des données. »

« M. Gomajee semble ne pas tenir compte que – selon son étude – les utilisateurs de vape étaient des fumeurs à profils plus durs avec un niveau nettement plus élevé en paquets/années de 16,9 contre 12,9 pour les autres ex-fumeurs, ainsi que des symptômes dépressifs plus prononcés (12,6 versus 10,9), observe Nathalie Dunand, présidente de #SOVAPE. Des indicateurs généralement considérés comme des indices de dépendance plus forte, comme signalé dans la publication. Le commentaire de M. Gomajee rapporté par Le Quotidien semble entrer en contradiction avec les résultats de son étude.

« Répétons-le: dans l’étude de l’Inserm à partir de 2013, les vapoteurs ont moins rechuté que les autres ex-fumeurs. Ceci correspond à un tournant de la technologie avec l’apparition de l’Ego, l’explosion des boutiques spécialisées et le moment où le mouvement d’entraide s’est développé, comme par exemple le Forum  E-cigarette. Brice Lepoutre, son fondateur, sera d’ailleurs au Sommet de la vape le 14 octobre à Paris pour parler de son expérience avec plus de 90.000 participants. »

Pour finir #SOVAPE pose une question :  « Quel est l’intérêt de produire du doute dans le public plutôt que des connaissances ? » C’est une assez bonne question.

A demain @jynau

1 Gomajee R, El-Khoury F, Goldberg M, et al. Association Between Electronic Cigarette Use and Smoking Reduction in France. JAMA Intern Med. Published online July 15, 2019. doi:10.1001/jamainternmed.2019.1483 https://jamanetwork.com/journals/jamainternalmedicine/fullarticle/2737916

2 Sara Kalkhoran, Yuchiao Chang, Nancy A Rigotti, Electronic Cigarette Use and Cigarette Abstinence Over Two Years among U.S. Smokers in the Population Assessment of Tobacco and Health Study, Nicotine & Tobacco Research,

Aliments « ultra-transformés » : le cœur de ceux qui en mangent est-il oui on non en danger ?

Bonjour

Nouvel épisode de la grande série « alimentation, communication et grande confusion ». Dans un article du British Medical Journal,1 des chercheurs français (Inserm, Inra, Université Paris 13, Cnam) « rapportent un risque accru de maladies cardiovasculaires chez les consommateurs d’aliments ultra-transformés ». Vaste travail. Conclusions potentiellement inquiétantes. Mais « cette étude observationnelle ne permet pas à elle seule de conclure à un lien de cause à effet ». Pourquoi dès lors ce long communiqué de presse (de l’Inserm) sinon pour aguicher les médias ?

La série continue : on se souvient de l’épisode précédent  avec les aliments « bio » et le cancer. Publication du JAMA 2 qui avait donné lieu à un communiqué de presse criticable (de l’INRA) , une manchette plus que déplacée (« L’alimentation bio réduit significativement les risques de cancer’’ Le Monde), quelques syllogismes journalistiques, une mise au point académique suivie d’une autre, bienvenue, de notre collègue blogueur Hervé Maisonneuve.

Dans les deux cas l’étude NutriNet-Santé  et le même contexte sociéto-médical. Durant les dernières décennies, les habitudes alimentaires se sont modifiées dans le sens d’une augmentation de la consommation d’aliments ultra-transformés 3. Ils contribuent aujourd’hui à plus de la moitié des apports énergétiques dans de nombreux pays occidentaux. Ils se caractérisent souvent par une qualité nutritionnelle plus faible, mais aussi par la présence d’additifs alimentaires, de composés néoformés et de composés provenant des emballages et autres matériaux de contact. Et dans le même temps on voit un engouement croissant pour le « bio » qui, souvent, n’en a que le nom (lire sur ce thème la remarquable pétition hébergée par Libération). Argumentaire, aujourd’hui, de l’Inserm :

« Des études récentes ont montré des associations entre la consommation d’aliments ultra-transformés et un risque accru de dyslipidémies, de surpoids, d’obésité, et d’hypertension artérielle. Les chercheurs de l’équipe EREN ont également déjà observé des associations entre la consommation d’aliments ultra-transformés et les risques de cancer, de mortalité, de symptômes dépressifs, et de troubles fonctionnels digestifs mais aucune étude épidémiologique n’avait, à ce jour, investigué les relations entre la consommation de ces aliments et le risque de maladies cardiovasculaires. C’est désormais chose faite grâce à ce travail réalisé dans le cadre de la cohorte NutriNet-Santé, par l’Equipe de Recherche en Epidémiologie Nutritionnelle, plus spécifiquement par le Dr Bernard Srour (Epidémiologiste, doctorant), sous la direction du Dr Mathilde Touvier (Directrice de Recherche Inserm, directrice de l’équipe),  en collaboration avec l’Université de Sao Paulo au Brésil. »

« Au cours du suivi, la consommation d’aliments ultra-transformés s’est révélée être associée à un risque plus élevé de maladies cardiovasculaires (n = 1 409 cas sur les 105 159 participants), et en particulier de maladies coronariennes (n=665 cas) et de maladies cérébro-vasculaires (n=829 cas). Une augmentation absolue de 10% de la part d’aliments ultra-transformés dans le régime (par exemple, en comparant deux individus consommant respectivement 15% et 25% de leurs aliments sous forme ultra-transformée) était associée à une augmentation de 12% de risque de maladies cardiovasculaires au global (13% pour les maladies coronariennes et 11% pour les maladies cérébro-vasculaires). »

Pour autant, donc, « cette étude observationnelle ne permet pas à elle seule de conclure à un lien de cause à effet ». Qui plus est, « les résultats obtenus montrent également que la moins bonne qualité nutritionnelle globale des aliments ultra-transformés ne serait pas le seul facteur impliqué dans cette relation ». Dès lors verra-t-on titrer « Les aliments ultra-transformés augmentent significativement les risques de souffrir du cœur et des vaisseaux cérébraux» ?

A demain

1 Ultra-processed food intake and risk of cardiovascular disease: a prospective cohort study (NutriNet-Santé). Bernard Srour, Léopold Fezeu, Emmanuelle Kesse-Guyot, Benjamin Allès, Caroline Méjean, Roland Andrianasolo, Eloi Chazelas, Mélanie Deschasaux, Serge Hercberg, Pilar Galan, Carlos Monteiro, Chantal Julia et Mathilde Touvier. British Medical Journal, BMJ : http://dx.doi.org/10.1136/bmj.l1451

2 The frequency of organic food consumption is inversely associated with cancer risk: results from the NutriNet-Santé prospective Cohort. Julia Baudry, Karen E. Assmann, Mathilde Touvier, Benjamin Allès, Louise Seconda, Paule Latino-Martel, Khaled Ezzedine, Pilar Galan, Serge Hercberg, Denis Lairon & Emmanuelle Kesse-Guyot. JAMA Internal Medicine. 22 octobre 2018

3 « Aliments ultra-transformés : de quoi parle-t-on ? » Anthony Fardet (Université Clermont Auvergne) The Conversation, 29 mai 2019.

Vertus du «bio» : quand l’Académie nationale de médecine fait la leçon aux journalistes 

Bonjour

Parfois, depuis la rue Bonaparte, l’institution lance des missiles. Ainsi : « Rôle de l’alimentation « bio » sur le cancer, l’Académie nationale de médecine alerte sur l’interprétation trop rapide des résultats épidémiologiques ». Où l’on voit la vieille Académie dénoncer à sa manière le traitement journalistique d’une information scientifique et médicale.

Tout avait commencé en octobre par un communiqué  du service de presse de l’INRA : « Moins de cancers chez les consommateurs d’aliments bio ? ». « Prenons le pari : c’est un communiqué de presse qui sera amplement repris, écrivions-nous alors.  Comment pourrait-il en être autrement avec ce pitch : ‘’ Une diminution de 25% du risque de cancer a été observée chez les consommateurs « réguliers » d’aliments bio, par rapport aux personnes qui en consomment moins souvent. C’est ce que révèle une étude épidémiologique 1 menée par une équipe de l’Inra, Inserm, Université Paris 13, CNAM, grâce à l’analyse d’un échantillon de 68 946 participants de la cohorte NutriNet-Santé’’. »

 L’affaire fut aussitôt relayée par les militants de Générations Futures qui remplaça le point d’interrogation initial par un autre, d’exclamation. « Une nouvelle étude INSERM/INRA montre que les consommateurs réguliers de bio ont un risque moindre de 25 % de développer un cancer par rapport aux non-consommateurs de produits bio ! ».

Forêts pavées de biais

Puis reprise par Le Monde (Stéphane Foucart, Pascale Santi) : « L’alimentation bio réduit de 25 % les risques de cancer. Selon une étude menée sur 70 000 personnes, la présence de résidus de pesticides dans l’alimentation conventionnelle explique ce résultat. » Quelques jours plus tard notre collègue Stéphane Foucart revenait sur le sujet dans les colonnes du Monde, sans nullement redouter de s’aventurer dans une forêt pavée de biais, dans les brouillards des chemins mêlés des corrélations et des causalités.

 En écho : « Prudence, prudence, prudence avec ces annonces, écrivait Hervé Maisonneuve sur son blog spécialisé. Je vous suggère d’écouter tranquillement John P. A. Ioannidis (Stanford University School of Medicine) qui explique que la plupart des recherches en nutrition sont biaisées, voire fausses. Il faut des spins dans les communiqués de presse pour faire le buzz… ». 

Aujourd’hui (cinq mois plus tard) l’Académie nationale de médecine donne de la voix : « La presse et les médias ont largement relayé les travaux d’une équipe française reconnue, publiée en octobre 2018 dans une revue internationale, avec la conclusion que la consommation d’une alimentation organique 2  en d’autres termes « bio » réduisait le risque d’incidence de certains cancers. Pour cela les auteurs ont comparé le nombre de cancers observé chez des personnes affirmant consommer une alimentation « bio » et ceux qui n’en consommaient pas. »

Rédacteurs de communiqués de presse

« Cette étude est intéressante et les auteurs ont réalisé un important travail » ajoutent les académiciens diplomates.Avant de dégainer : « Cependant il existe un certain nombre de biais méthodologiques qui ne permettent pas de soutenir les conclusions des auteurs ». Et de rappeler qu’ils avaient déjà exposé 3 la complexité des méthodes épidémiologiques et les critères de qualité qui les sous-tendent dans un rapport publié en 2011. 

« En effet les deux groupes de personnes évaluées diffèrent non seulement par le fait que les uns consomment une alimentation « bio », mais également par d’autres facteurs : le sexe, l’âge de la première grossesse, facteur déterminant pour le risque de cancer du sein, la consommation de fruits et légumes, le niveau socio-économique, l’activité physique… tous facteurs susceptibles d’expliquer à eux seuls une différence.

 « De plus les sujets inclus dans l’étude devaient dire s’ils consommaient une alimentation « bio » de temps en temps, sans précision ni sur la quantité ni sur la durée de cette consommation. Enfin la survenue de cancers n’était appréciée que sur une période de 4,5 ans ce qui est très court pour la genèse d’un cancer par exposition à des produits.

Ainsi même si cette étude met en évidence un « signal » entre alimentation « bio » et la moindre survenue d’un cancer, l’Académie nationale de médecine considère qu’à ce jour, au vu de cette seule étude, le lien de causalité entre alimentation « bio » et cancer ne peut être affirmé et invite à la prudence dans l’interprétation trop rapide de ces résultats. Il reste aux académiciens à remonter l’échelle des causalités –  à s’intéresser à la confection des « communiqués de presse » et à leurs auteurs ; des communiqués élégamment confectionnés ; des communiqués qui, bien souvent – « spins et buzz » – expliquent finalement la manière dont « la presse et les médias » relatent les avancées de la science.

A demain

@jynau

 1 The frequency of organic food consumption is inversely associated with cancer risk: results from the NutriNet-Santé prospective Cohort. JAMA Internal Medicine. 22 octobre 2018 (Julia Baudry, Karen E. Assmann, Mathilde Touvier, Benjamin Allès, Louise Seconda, Paule Latino-Martel, Khaled Ezzedine, Pilar Galan, Serge Hercberg, Denis Lairon & Emmanuelle Kesse-Guyot).

2 « Organic food consumption » = alimentation “bio” : sans utilisation d’engrais synthétiques, pesticides,  modifications génétiques, et médicaments vétérinaires pour les animaux.

3 Rapport ANM 2011 http://www.academie-medecine.fr/wp-content/uploads/2014/01/RapportEpidemiologieANM_FlahaultSpira_04nov2011.pdf

 

Cancers versus «aliments bio»: le syllogisme à haut risque de Stéphane Foucart (Le Monde)

Bonjour

On sait, notamment grâce à George Orwell et Simon Leys, comment le militantisme aveugle peut pervertir les plus beaux esprits. Nous rapportions il y a peu l’étonnante affaire de la couverture médiatique grand public d’une publication scientifique 1 de chercheurs français consacrée à l’ « alimentation bio » dans ses hypothétiques rapports avec les prévalences de certaines affections cancéreuses chez l’homme. Une affaire en gestation dans le  communiqué de presse de l’Institut national de la recherche agronomique (Inra) : « Moins de cancers chez les consommateurs d’aliments bio ? ».

«  Une diminution de 25% du risque de cancer a été observée chez les consommateurs « réguliers » d’aliments bio, par rapport aux personnes qui en consomment moins souvent. C’est ce que révèle une étude épidémiologique menée par une équipe de l’Inra, Inserm, Université Paris 13, CNAM, grâce à l’analyse d’un échantillon de 68 946 participants de la cohorte NutriNet-Santé. (…)»

L’affaire fut aussitôt relayée par les militants écologistes de Générations Futures qui remplacèrent, bonne guerre, le point d’interrogation par un autre, d’exclamation. « Une nouvelle étude INSERM/INRA montre que les consommateurs réguliers de bio ont un risque moindre de 25 % de développer un cancer par rapport aux non-consommateurs de produits bio ! ».  Puis  Le Monde (Stéphane Foucart, Pascale Santi) et sa manchette 2 amplifièrent la caisse de résonance : « L’alimentation bio réduit de 25 % les risques de cancer. »

Aujourd’hui notre confrère Stéphane Foucart revient, toujours dans Le Monde, sur le sujet. Comme pour  justifier  son traitement. Intitulé :« En matière de santé publique, le rigorisme scientifique est une posture dangereuse »( sic).

Passions militantes

Présentation du quotidien vespéral : « Sur certaines questions, la preuve parfaite ne pourra jamais être obtenue, estime Stéphane Foucart, journaliste au « Monde », qui revient dans sa chronique sur l’étude parue dans « JAMA Internal Medicine » établissant un lien entre alimentation bio et cancer. Extraits signifiants :

« Rarement étude épidémiologique aura reçu une telle attention. Chacun à sa manière, la majorité des grands médias internationaux a rendu compte de ses résultats, publiés le 22 octobre dans JAMA Internal Medicine (…)  Quelques voix, y compris scientifiques, se sont élevées pour relativiser ces conclusions. L’écho donné à ces travaux aurait été excessif : l’échantillon de l’étude serait biaisé, il faudrait attendre d’avoir confirmation du résultat, il ne faut pas affoler les gens, la cigarette et l’alcool sont plus dangereux, une autre étude, britannique celle-ci et publiée en 2014, n’a pas montré de liens entre alimentation bio et cancer en général…

« Les scientifiques qui interviennent ainsi dans le débat public le font souvent avec les meilleures intentions. Avec, comme étendard, l’exigence de rigueur. Celle-ci est bien sûr louable. Mais, en matière de la santé publique, le rigorisme scientifique est une posture dangereuse. Sur ces questions complexes, la preuve parfaite ne sera jamais obtenue. Il est simplement impossible de mesurer avec un haut niveau de confiance, sur une longue durée, les habitudes alimentaires et les expositions à un grand nombre de contaminants d’une large population d’individus. Des biais, des limites expérimentales, des facteurs non contrôlés : il y en aura toujours. »

Question de l’auteur : Un biais ignoré pourrait-il être cause ? « C’est possible » se répond-il. Avant de se donner des raisons d’en douter. Et de se résumer : « à défaut d’une preuve formelle de causalité, qu’aucune étude épidémiologique ne fournira jamais, nous voici donc devant un faisceau d’indices concordants ». Et de jeter un œil sur un passé qu’il n’a pas directement connu : « à regarder rétrospectivement les grands scandales sanitaires ou environnementaux, on observe que, presque toujours, signaux d’alerte et éléments de preuve étaient disponibles de longue date, mais qu’ils sont demeurés ignorés sous le confortable prétexte de l’exigence de rigueur, toujours libellée sous ce slogan : ’ Il faut faire plus de recherches’’. »

Mauvaise foi

Certes. Mais à l’inverse combien de signaux d’alerte et d’éléments de preuves sans grands scandales sanitaires ? Aucune mauvaise foi, sans doute, ici. Et beaucoup de travail. Pour autant tous les méchants ingrédients du syllogisme qui, souvent, est le corollaire des passions sous-jacentes du militant raisonné.

Ainsi la santé publique, science molle, ne saurait justifier le rigorisme qui fait la noblesse des disciplines du haut du pavé. Il suffirait, en somme, de se fier à son instinct, à ses postulats, à ses croyances pour que l’évidence prenne les couleurs de la science. Une affaire qui n’est pas sans rappeler celle des « bébés sans bras » 3.

Où il nous faut bien revenir à une vérité première transdisciplinaire, celle qui veut qu’en dépit des apparences ni l’association ni la corrélation ne sont synonymes de causalité. Et à cette malheureuse évidence, trop souvent présente, qui fait que bien des entorses à la science sont nécessaires pour acquérir une audience massive, sinon de qualité.

« Prudence, prudence, prudence avec ces annonces, écrit Hervé Maisonneuve sur son blog spécialisé. Je vous suggère d’écouter tranquillement John P. A. Ioannidis (Stanford University School of Medicine) qui explique que la plupart des recherches en nutrition sont biaisées, voire fausses. Il faut des spins dans les communiqués de presse pour faire le buzz… ». Et c’est ainsi, qu’ici, le buzz se fit.

A demain

@jynau

1 The frequency of organic food consumption is inversely associated with cancer risk: results from the NutriNet-Santé prospective Cohort. JAMA Internal Medicine. 22 octobre 2018 (Julia Baudry, Karen E. Assmann, Mathilde Touvier, Benjamin Allès, Louise Seconda, Paule Latino-Martel, Khaled Ezzedine, Pilar Galan, Serge Hercberg, Denis Lairon & Emmanuelle Kesse-Guyot).

2 Foucart S, Santi P. L’alimentation bio réduit significativement les risques de cancer. Le Monde du 23 octobre 2018.

3 Les «bébés nés sans bras», un scandale politique pour un mystère scientifique Slate.fr 24 octobre 2018

 

 

« Tabac chauffé » sans danger pour la santé : mais de qui Philip Morris se moque-t-il ?  

Bonjour

Ancien de Colgate Palmolive, Frédéric de Wilde est aujourd’hui le président de Philip Morris International Europe. Le site des buralistes français nous apprend qu’il a accordé un entretien à Losange, leur « magazine 100% »  ; entretien éclairant en ce qu’il donne de nouvelles précisions sur la grande nouveauté de sa firme : le « tabac fumé » (marque Iqos) que son groupe vient de lancer sur certains marchés-tests en France 1.

Frédéric de Wilde : « En dehors de la Chine et des États-Unis, environ trois cigarettes sur dix vendues sont fabriquées par le groupe Philip Morris International. Il y a environ 1,1 milliard de fumeurs actuellement sur notre planète. L’Organisation mondiale de la Santé estime que ce nombre évoluera peu jusqu’en 2025. Notre groupe se devait donc d’offrir une alternative à nos consommateurs adultes, avec des produits potentiellement moins nocifs. »

Pleinement nocifs

Ainsi donc Philip Morris reconnaît publiquement qu’il commercialise, à haute dose, des produits pleinement nocifs. Question des buralistes : « quid de la validité scientifique du ‘’risques potentiellement réduits’’ » ? Frédéric de Wilde :

« PMI conduit des recherches approfondies sur Iqos pour en vérifier le potentiel de réduction du risque de maladies liées au tabagisme par comparaison avec la fumée de cigarette. Notre recherche est très avancée et s’inspire des normes et des pratiques adoptées depuis longtemps dans l’industrie pharmaceutique comme des recommandations et orientations de la Food and Drug Administration aux États-Unis pour les produits de tabac à risque modifié. Les données à ce jour pointent clairement en direction d’une réduction des risques par comparaison avec la fumée. »

« La vapeur d’Iqos contient, en moyenne 90 à 95 % de niveaux inférieurs, de constituants nocifs et potentiellement nocifs – à l’exclusion de la nicotine – par rapport à la fumée provenant d’une cigarette de référence conçue à des fins de recherche scientifique ; comme mesuré selon les modèles de laboratoire, la vapeur générée par Iqos est significativement moins toxique que la fumée de cigarette ; les fumeurs qui ont complètement adopté Iqos, dans deux études cliniques sur une semaine et deux études sur trois mois, ont réduit leur exposition à 15 constituants nocifs. Les niveaux d’exposition mesurés ont approché ceux observés chez les personnes qui ont cessé de fumer pendant la durée des études ».

Tour de bras

Nocif ou pas Philip Morris implante Iqos à tour de bras. Outre le Japon l’objet est commercialisé dans quatorze pays européens : Danemark, Allemagne, Grèce, Italie, Lituanie, Monaco, Pays-Bas, Pologne, Portugal, Roumanie, Espagne, Suisse, Royaume-Uni – et la France depuis le mai 2017.

 Ancien de Colgate Palmolive, Frédéric de Wilde ne nous dit pas tout sur le sujet. A commencer par ce qui se passe en Suisse. Il faut ici consulter vapolitique.blogspot.fr : « Philip Morris avoue la pyrolyse de l’Iqos mais tente de faire retirer l’étude lausannoise » (Philippe Poirson).   Où il est question de la pyrolyse, cette décomposition chimique d’un composé organique dû à une augmentation importante de sa température et qui génère d’autres produits qu’il ne contenait pas.

« La fumée dégagée par l’Iqos contient des éléments provenant de pyrolyse et de dégradation thermochimique qui sont les mêmes composés nocifs que dans la fumée de cigarette de tabac conventionnelle », souligne une étude conduite par une équipe de recherche lausannoise publiée dans JAMA Internal Medicine le 22 mai dernier.

« Nous n’avons jamais affirmé que l’Iqos est dépourvu de processus pyrolytiques, bien connus pour augmenter avec l’augmentation de la température, et qui sont responsables de la plupart des composés nocifs ou potentiellement nocifs (HPHC) restant trouvés dans l’aérosol de l’Iqos. Cependant, aucune combustion ne se produit dans l’Iqos » peut-on lire dans la réponse publiée le 30 mai sur le site de Philip Morris. Puis, début juin, Jean-Daniel Tissot, doyen de la faculté de biologie et médecine de l’Université de Lausanne, a reçu un courrier de Philip Morris exigeant le retrait de l’étude…

Silence de la nouvelle ministre

« En d’autres termes, réduire les cigarettes classiques allumées à un processus de combustion complète serait abusif, estime Philippe Poirson. Or ce sont les résidus de combustion incomplète et pyrolyse qui forment les composés les plus nocifs du tabagisme, point bien connu des spécialistes sérieux sur la question. (…) la génération de monoxyde de carbone (CO) en est un élément clef. Sa présence atteste de combustion incomplète ou de pyrolyse. Le processus de dégradation des composés en absence d’oxygène produit du CO en place du CO2 dégagé en combustion complète. L’étude lausannoise confirme la présence de CO dans la fumée produite par l’Iqos. De son côté, les cadres scientifiques de Philip Morris en contestent le taux mesuré mais pas sa présence. Difficile dans ces conditions d’accorder crédit aux médias présentant l’Iqos comme produit « smokeless » sans fumée. »

En France, face aux allégations d’une moindre nocivité les autorités sanitaires font comme si rien n’existait. La nouvelle ministre de la Santé fait comme celle qui l’a précédée. Aucune réponse fournie aux fumeurs qui s’interrogeront. Comme avec la cigarette électronique, aucune étude, aucun conseil qui s’inscrirait dans une politique citoyenne du moindre risque.

A demain

1 « IQOS, le « tabac chauffé à moindre nocivité » arrive en France. Silence des autorités » Journalisme et santé publique, 14 avril 2017

Intelligence politique : l’épidémie de démence montre de premiers signes de décroissance

 

Bonjour

Le pire n’est (peut-être) pas écrit. On commence, ici ou là, à engranger les premiers signes laissant espérer que la croissance des taux de démences et de maladies neurodégénératives  donne des signes encourageants d’essoufflement.  Des signes certes faibles mais convergents et encourageants dont les responsables politiques devraient s’emparer pour intensifier les recherches et amplifier ce phénomène.

Le dernier symptôme en date est une étude qui vient d’être publiée dans JAMA Internal Medicine : “A Comparison of the Prevalence of Dementia in the United States in 2000 and 2012”. Menée auprès de plus de 21 000 personnes de plus de 65 ans aux Etats-Unis, elle démontre que la proportion des démences (effondrement des fonctions cognitives avec perte massive  d’autonomie) est passée de 11,6% en 2000 à 8,8% en 2012. La BBC relève que des conclusions similaires ont aussi été observées en Europe comme en témoigne une étude parue il y a peu dans The Lancet Neurology :  Dementia in western Europe: epidemiological evidence and implications for policy making.

Intellect et hygiène de vie

« Nos résultats s’ajoutent à un nombre croissant de preuves démontrant que la diminution du risque de démence est un phénomène réel – et que la croissance future attendue des taux démence pourrait ne pas être aussi forte que pronostiqué » explique le Pr  Kenneth Langa (Veterans Affairs Center for Clinical Management Research, Ann Arbor, Michigan) responsable de l’étude américaine.

C’est là un sujet majeur de santé publique. Et c’est aussi une affaire éminemment politique et économique. Car s’il est clair que les neurosciences peinent à comprendre les causes premières de maladie d’Alzheimer et des autres maladies neurodégénératives les possibilités de prévention existent. Et leur mise en œuvre est pleinement du ressort des politiques publiques – à commencer par le développement précoce et constant des politiques d’éducation et de stimulation des fonctions intellectuelles – ainsi, plus généralement, que celle « d’hygiène de vie ».

Laïc et catholique

De ce point de vue les premiers symptômes chiffrés pourraient être la traduction des progrès en matière d’éducation accomplis durant les dernières décennies. A l’inverse ces éléments positifs sont menacés par l’augmentation des taux de diabète (de type 2), d’obésité et d’hypertension artérielle – autant de pathologies qui, loin d’être des fatalités individuelles, sont (comme l’éducation ou la lutte contre l’esclavage du tabagisme) également pleinement du ressort des politiques publiques.

Il y a là un facteur d’espérance et un levier d’action dont les responsables politiques ne semblent pas avoir pris conscience. Les turbulences et passions actuellement observées en France à l’occasion des « Primaires de la Droite et du Centre » en témoignent à l’envi. Chômage… temps de travail… réduction de la dette… amitiés franco-russes … et totale impasse sur la décadence de la vieillesse qui pourrait ne plus être une fatalité. Qui sera le premier à s’emparer du sujet ?  Qui, radicalement laïc ou raisonnablement catholique, expliquera que le pire n’est (peut-être) pas totalement écrit ?

A demain