Commotions cérébrales : faut-il imaginer voir un jour le génial Neymar jouer casqué ?

Bonjour

Faut-il imaginer Neymar heureux ? Les gazettes ne parlent que de lui. L’Equipe célèbre un roi à Paris, Le Figaro évoque la démesure et Le Monde voit dans ce joueur le méchant reflet de la flambée des prix dans le football. Du pain, des millions d’euros et des jeux.

C’est aussi de football dont il est question dans le Journal de l’American Medical Association , de football américain, d’autopsies et de lésions. Une publication reprise et développée par Medscape France Vincent Bargoin) qui apporte de nouvelles preuves des conséquences neurologiques et psychiatriques à long terme des commotions cérébrales observées dans certains sports. Un travail remarquable : il a été mené à partir  d’une banque de tissus cérébraux constituée à partir de dons à la science faits par 202 joueurs de football américains décédés.

A l’autopsie, 177 de ces sujets présentaient une encéphalopathie traumatique chronique (ETC), taupathie liée à des commotions cérébrales répétées, et que l’on sait associée aux maladies neurodégénératives, souligne Medscape.  On note en outre une sorte de relation dose-effet puisque chez les 111 joueurs professionnels de la National Football League américaine, 110 présentaient des lésions cérébrales. Le diagnostic post-mortem d’encéphalopathie traumatique chronique repose sur la présence d’agrégats fibrillaires de protéine Tau phosphorylée au niveau des neurones et des astrocytes, en particulier autour des petits vaisseaux. La dementia pugilistica était connue depuis longtemps chez les boxeurs, mais le premier cas chez un joueur professionnel de football américain a été décrit en 2005. »

« Protocole commotion »

Medscape ajoute que si le football américain est « connu pour sa spectaculaire brutalité », une autre enquête, publiée en février dans Neurology, établit que les simples têtes au « football tout court » sont elles-aussi facteur de commotion cérébrale. Dans un éditorial  du JAMA le Dr Gil Rabinovici (California University, San Francisco) incite à la prévention.

« Les auteurs observent l’ECT non seulement chez des joueurs professionnels, mais également chez des personnes qui ont joué à l’université, ou même au collège, ce qui suggère que les niveaux d’exposition les plus faibles pourraient être suffisants pour provoquer des lésions cérébrales, écrit-il. En termes de santé publique, cet aspect est plus préoccupant que les observations chez des joueurs professionnels ».

Et ce d’autant plus qu’il faudrait également prendre en compte les « sub-commotions », impacts à la tête d’une moins grande intensité mais qui pourraient également augmenter les risques d’encéphalopathie traumatique chronique. Pour l’heure la Fédération Française de Rugby semble avoir entendu une partie du message américain avec la mise en place de la procédure de « protocole commotion » ; une procédure, toutefois, qui ne prévient pas la commotion elle-même. En viendra-t-on à imposer les casques à l’ensemble des joueurs de rugby ? Faut-il imaginer Neymar casqué ?

A demain

 

Géants du sucre: hier, ils remplissaient le pot à confiture de mensonges. Et maintenant ?

 

Bonjour

Mieux vaut (le savoir) tard que jamais. Ici c’est une affaire d’un demi-siècle. On vient de les exhumer au grand jour de la Toile : des documents inédits et compromettants dévoilés par quelques grand titres de la presse américaine (et relayés par Slate.fr ainsi que par le Huffington Post). C’est un scandale qui peut aisément être résumé : les industriels du sucre ont, dès les années 1960,  cherché à se servir de médecins et scientifiques pour masquer l’une des caractéristiques pathogènes de la substance qui a fait et continue de faire sa fortune. Et, pour ce faire,  elle a mis en avant le danger des graisses et du cholestérol. Il faut ici rappeler que l’épidémie des maladies cardiovasculaires prenait son envol aux États-Unis – et que la controverse sur la responsabilité relative des sucres ajoutés versus celui des graisses alimentaires nourrissait bien des débats.

L’agence Associated Press explique ainsi qu’au début des années 1960, la Sugar Association a lancé ce qu’elle appelait le «Projet 226»,  Il s’agissait de financer (pour près de 50.000 dollars d’aujourd’hui) une étude qui fut publiée deux ans plus tard dans le toujours prestigieux New England Journal of Medicine. Une étude qui allait minimiser le rôle du sucre dans la genèse des affections cardiovasculaires  tout en mettant l’accent sur celui du gras.  En 1964, trois scientifiques de Harvard auraient ainsi reçu  6 500 dollars chacun pour faire évoluer leurs conclusions.

Aujourd’hui, Coca-Cola

Le New York Times explique pour sa part que ces documents internes à l’industrie du sucre ont été «récemment découverts par un chercheur de l’université de Californie à San Francisco» . Ils viennent de faire  l’objet d’une publication dans le JAMA Internal Medicine. Selon Stanton Glantz, l’un des coauteurs de la publication, l’industrie du sucre a ainsi «pu faire dérailler la discussion à propos du sucre pendant des décennies». Selon les auteurs, cette influence a touché jusqu’à la Food and Drug Administration (FDA) qui estimait encore, en 1976, que le sucre était sans danger pour la santé. Et qui voulait ignorer son puissant potentiel addictif.

Dans un éditorial publié par la revue, la chercheuse Marion Nestle (Department of Nutrition and Food Studies, New York University) démontre à quel point  cette découverte est susceptible d’éclairer notre présent. Selon elle de telles pratiques perdurent. A commencer par la façon dont le géant dont Coca-Cola finance de nombreuses fondations et organisations.

Avec ou sans sucre ?

«Laissez-moi vous assurer que c’est plutôt ce que nous avions en tête et que nous attendons avec impatience sa parution dans la revue», écrivait, il y a un demi-siècle un responsable de la Sugar Association à un des chercheurs que cette dernière finançait. Dans un communiqué qu’il vient de publier ce cartel des sucres reconnaît qu’il aurait alors dû exercer une «plus grande transparence» dans son financement d’activités de recherche. Mais  il attaque à son tour les auteurs en les accusant d’une forme soft de manipulation des données historiques.

En France les journalistes d’investigation ne s’intéressent pas (encore) à de tels sujets. On peut le regretter. Célébrité assurée. Il serait ainsi sans doute éclairant de connaître les conditions exactes  qui ont permis la transformation des « classes du goût » (humanistes, laïques et républicaines initiées par Jacques Puisais) pour en faire des « Semaines du goût » 1.

L’actualité est toute trouvée : « la 27e Semaine du goût se tient du 10 au 16 octobre 2016. Et cette année, elle fait peau neuve autour d’une thématique: mieux manger pour vivre mieux ». Vivre mieux ? Avec ou sans sucre ?

A demain

1 « Sucre à l’école : les racines du scandale » (Journalisme et santé publique, 6 février 2014)

Douleurs : les prescripteurs d’antalgiques sont aussi des manipulateurs historiques

Bonjour

En dépit du Brexit et d’Angleterre-Islande (1-2),  nous évoquions hier le passionnant éditorial sur l’évolution, ces vingt dernières années, de l’effet placebo. Un éditorial bien dérangeant, signé, dans la dernière livraison de la Revue Médicale Suisse 1 par les Drs Marc Suter et Anne-Françoise Allaz (Centre d’antalgie, Service d’anesthésiologie CHUV, Lausanne).

Dans la deuxième partie de leur texte ces auteurs traitent d’un autre sujet thérapeutique également original, hors norme, concernant la prise en charge de la douleur et au-delà. Ici encore on se penche sur le temps, sur la durée, sur l’histoire : l’impact des effets des interventions thérapeutiques passées sur celles à venir. Où l’on parle de conditionnementle psychologique, pas l’emballage.

Histoire des traitements

Les auteurs suisses citent un travail allemand publié il y a trois ans dans le JAMA : “The effect of treatment history on therapeutic outcome: an experimental approach”. Ils rappellent ce que l’on a pu démontrer en matière d’effet médicamenteux : des expériences antérieures positives augmentent l’effet du médicament administré  – tandis que des expériences négatives le diminuent. Il y a, en d’autres termes, une influence historique des thérapeutiques. Ce qui vaut aussi pour l’efficacité des placebos.

Passé un certain âge chacun, prescripteur et patient, garde en mémoire que face à la douleur rebelle plusieurs approches sont bien souvent tentées. « Il a maintenant été montré que l’historique de traitement influence l’efficacité d’un traitement subséquent, différent des précédents, dans un modèle expérimental comprenant des mesures d’imagerie cérébrale, expliquent les spécialistes suisses.  L’historique de traitement négatif est associé à l’imagerie d’une douleur mal ou non traitée. »

Croire et faire croire

Voici l’affaire : l’expérience est effectuée à l’aide de « manipulations d’intensité de stimulation » faisant croire à un groupe de patients qu’ils avaient eu un traitement actif (histoire positive) et faisant croire à un deuxième groupe qu’ils avaient une crème inerte (histoire négative).

Résultats : le second groupe a moins répondu à l’effet du soi-disant deuxième traitement. Et l’étude en parallèle par imagerie fonctionnelle du cerveau montre que l’historique négatif est bel et bien associé à l’imagerie d’une douleur mal ou non traitée. Que peut-on en conclure, hormis le fait que l’on mesure l’emprise que le manipulateur peut avoir sur autrui ?

Avenir thérapeutique

« En pratique clinique, nous faisons face à beaucoup d’échecs lors de la prise en charge des patients douloureux chroniques, notamment ceux qui nous consultent suite à l’insuccès d’essais successifs de traitements, soulignent les spécialistes de Lausanne. On se prend à espérer qu’identifier d’emblée le traitement efficace chez un patient particulier dans la liste des options reconnues comme bénéfiques pourrait éviter des échecs répétés. Ces derniers risquent en effet de nuire au traitement efficace lorsqu’il sera finalement administré. Une explication claire, des objectifs attendus réalistes ainsi que la gestion des effets secondaires des traitements diminueraient également les échecs. »

Ce sont là, précisent-ils, des travaux émergents quant à  l’influence de l’historique des traitements. Il y a là, concluent les Dr Suter et Allaz, « une motivation supplémentaire à essayer de prédire de manière plus exacte le profil des patients répondeurs à une certaine prise en charge, afin de pouvoir la proposer en première instance ».

On peut le dire autrement : Brexit ou pas c’est aussi une nouvelle fenêtre, une nouvelle perspective  thérapeutique ouverte sur l’avenir.

A demain

1 « De la variabilité de l’effet placebo », Rev Med Suisse 2016;1211-1212. Sur abonnement.

Cigarette électronique : Marisol Touraine taclée sévère par les vapoteurs. Affligeant spectacle des sénateurs

Bonjour

Santé publique : que retenir du premier tour de chauffe sénatorial sur la loi de modernisation du système de santé ? La fin des cabines à bronzer (contre l’avis du gouvernement…). Pour le reste les exhaustifs iront sur le site du Sénat. Et on lira le communiqué de presse désenchanté de l’Association Indépendante des Utilisateurs de Cigarette Electronique (Aiduce). Un communiqué de presse repris sur le site des buralistes. Extraits prisés :

« L’Histoire en retiendra, tout comme l’ensemble de la presse, que la seule santé qui ait sérieusement fait monter au créneau nombre de nos sénateurs, à l’occasion de débats portant sur un fléau tuant plus de 78.000 personnes par an en France, aura été celle du chiffre d’affaires des buralistes ! Ceux-ci auront ainsi été cités 53 fois dans le compte rendu de cette journée consacrée au débat sur un projet de loi de « santé ».

Ravages fantasmés

Une fois de plus, la cigarette électronique, dont la dangerosité n’a jamais été établie, s’est trouvée au milieu de débats portant sur des questions de santé, tandis que le fléau de la véritable cigarette n’était que peu évoqué. Une fois de plus ont été dénoncés des ravages fantasmés de la nicotine – qui comme chacun sait se pare de vertus quand on l’emballe dans des patchs ou des gommes – alors que la morbidité du tabac est liée à sa combustion (monoxyde de carbone, goudrons, produits cancérogènes), ou encore l’insoutenable péril que ferait peser sur nos existences le « geste » de vapoter / fumer / « séduire ». Certes, ce péril fantaisiste ne repose sur aucune étude, mais notre Ministre de la Santé l’a rêvé et c’est donc notamment sur cette spéculation qu’elle a ce mercredi encore étayé son discours pour tenter une nouvelle fois d’entraver le développement de la cigarette électronique (…).  

Certains représentants de notre peuple, rendons-leur cet hommage, ont malgré tout cru bon de faire état des bénéfices de la cigarette électronique en termes de réduction des risques ou d’avancer les récents résultats obtenus par le Public Health England, c’est-à-dire par les autorités de santé du Royaume-Uni, et la possibilité que la mystérieuse invention puisse malgré tout sauver des vies.

Imagination ministérielle

Notre décidément imaginative ministre de la Santé dénonça alors les résultats de cette étude du PHE comme dictés par les industriels du tabac et de la vape (dans un joyeux mélange). Nous sommes persuadés que ses homologues outre-Manche sauront apprécier les graves accusations que ces propos sous-tendent, et le cas que le gouvernement de l’Hexagone fait du sérieux de leurs travaux, de la probité de l’Independant Scientific Comitee on Drugs, ou de Mr Karl Fagerström lui-même. Que la ministre de Santé d’un pays où le taux de tabagisme dépasse les 30 % couvre de suspicion les travaux d’un autre chez lequel ce taux a chuté jusqu’à près de 18 % devrait nous interpeler. (…).

A l’inverse, Mme Touraine sut faire grand cas de l’étude du JAMA et de ses conclusions hâtives et discutées, qui démontrent en substance que des jeunes qui mangent du poulet ont plus chances de manger un jour du bœuf que les jeunes végétariens, et qui confond l’essai et l’usage. Fort curieusement, Madame Touraine choisit également d’ignorer l’étude « Paris sans tabac », pourtant plus large et commandées par ses services, menée auprès des Parisiens plutôt que des Californiens et montrant qu’en France comme en Angleterre, le vapotage faisait baisser le tabagisme chez les jeunes.

Les pairs amis

Encore une fois le choix des études avancées dans les débats fut orienté, leur contenu filtré, les avis des pairs omis, et les scientifiques donnant une autre vérité ignorés ou diffamés. L’aveuglement volontaire doit-il bien guider la politique de santé publique de la République?

En résumé, les véritables préoccupations de santé se seront surtout manifestées ce jour-là pour alerter sur les risques que pourrait éventuellement soulever la cigarette… électronique. Peut-être pas aujourd’hui mais… dans cent ans ! (Quand la science du moment ne vous permet pas d’argumenter selon vos besoins, il vous reste toujours la science-fiction. Malheureusement, n’est pas Jules Verne qui veut). En attendant ce très hypothétique futur, aucune promotion efficace d’une cigarette électronique permettant de réduire les risques liés au tabagisme n’aura été retenue. »

Situation française ubuesque

L’Aiduce n’est pas seule à ressentir une forme de désespérance désenchantée devant cette obstination des pouvoirs publics et de la ministre de la Santé à refuser les enseignements venus d’outre Manche et d’outre Atlantique. La situation deviendra bientôt radicalement ubuesque dans un pays qui bat les records quant à la proportion de fumeurs, qui a annoncé (en février 2014) le lancement d’un « Programme national de réduction du tabagisme » et qui fonde l’essentiel de son action sur un « paquet neutre » (dont l’efficacité reste à prouver) et qui refuse les trois leviers essentiels que sont l’augmentation drastique du prix du tabac, la facilitation de l’usage de la cigarette électronique et la prise en charge intégrale de la sortie médicale de cette addiction majeure.

« Nous poursuivrons malgré tout, et par toutes voies nos, démarches pour faire reconnaître la justesse de nos analyses sur une invention susceptible d’améliorer de façon drastique la santé de nos concitoyens » conclut l’Aiduce. C’est une bien étrange époque qui voit une association militer bénévolement pour la santé publique et, faute d’être entendue,  ne pas parvenir ne serait-ce qu’à  être écoutée par la ministre en charge de ce portefeuille. C’est plus que jamais une époque à désespérer de la politique. Avec tous les risques que cela comporte.

A demain

Cigarette électronique : la Grande Bretagne engage une lutte anti-tabagique historique

Bonjour

 C’est un événement de santé publique doublé d’un document britannique officiel: « E-cigarettes: an evidence update A report commissioned by Public Health England » (1). On en trouve également une synthèse au titre éloquent « E-cigarettes: a new foundation for evidence-based policy and practice ».

Une version journalistique est fournie d’autre part via The Guardian (James Meikle)comme on peut en prendre connaissance ici. Et l’Agence France Presse y consacre une dépêche. Quelque soit le traitement médiatique qui est en est fait, il s’agit bien d’un nouveau et important tournant dans l’histoire de la lutte contre le tabagisme, dans la révolution des volutes. Aucun hasard s’il apparaît au royaume du pragmatisme. Un pays où l’on ne choisit pas le paquet neutre contre la cigarette électronique. Un pays où tout ne passe pas par la loi et son marbre.

Réalité en face

 Des experts reconnus dans le champ de la lutte contre le tabagisme de santé publique recommandent ainsi, dans ce rapport  publié le mercredi 19 août, d’avoir recours autant que nécessaire, au levier que constitue la cigarette électronique – et donner aux médecins généralistes la possibilité de la prescrire pour lutter contre l’addiction au tabac. Ne plus la conseiller du bout des lèvres mais regarder la réalité en face et tout faire pour ne plus consommer-inhaler fumées et goudrons.

 Les cigarettes électroniques peuvent «changer la donne pour la santé publique», assure le Pr Ann McNeill, du King’s College de Londres, coauteure de cette étude qui a été commandée par les autorités sanitaires anglaises (Public Health England ou PHE). Elle fait officiellement valoir que  les cigarettes électroniques sont à 95% moins dangereuses que les cigarettes traditionnelles. Pr Kevin Fenton, un responsable de PHE : « Pour certaines personnes qui trouvent difficile d’arrêter de fumer en utilisant les méthodes traditionnelles, les cigarettes électroniques peuvent représenter une nouvelle solution ». Nous sommes aux antipodes, ici, des atermoiements des autorités sanitaires françaises et de la ministre de la Santé.

La menace et l’outil

Les médecins britanniques ne sont actuellement pas autorisés à prescrire de cigarette électronique, mais les experts à l’origine de cette étude espèrent que l’Agence britannique de contrôle sanitaire – la Medicines & Healthcare products Regulatory Agency (MHRA) leur en donnera bientôt la possibilité. La MHRAet d’ailleurs devenue compétente pour la e-cigarette (« the competent authority for regulating e-cigarettes ») et l’on peut découvrir sur son site des informations claires sur le sujet qui tranchent avec la confusion qui prévaut souvent en France.

Le gouvernement britannique commence à publier les projets de décret d’applications visant à transposer, pour mai 2016, la nouvelle Directive tabac européenne. La Grande Bretagne a décidé, elle aussi, de passer au paquet neutre ce qui ne lui interdit nullement de faire de la cigarette électronique un outil et non une menace.

Besoins médicaux

« Pour le moment, il n’y a pas de produits sous licence pouvant être utilisés pour des besoins médicaux et c’est une des raisons pour laquelle nous soutenons la MHRA pour qu’elle s’assure que des cigarettes électroniques sûres et encadrées puissent être proposées pour des besoins médicaux » précise le Pr Fenton.

Il ajoute: «Une fois que cela aura été agréé, et que nous aurons les produits dans les tuyaux, ils pourront être intégrés à l’arsenal des outils disponibles pour aider les patients à arrêter de fumer. Les cigarettes électroniques ne sont pas complètement dénuées de risque, mais en comparaison avec le tabac, les preuves dont nous disposons montrent qu’elles ne comportent qu’une fraction de sa dangerosité. »

C’est là une évidence qu’il faudra sans doute encore longtemps répéter.

Atermoiements français

On estime, en Grande Bretagne, à environ 2,6 millions le nombre de personnes qui vapotent et à environ 80.000 le nombre de celles qui meurent prématurément de leur addiction au tabac. En dépit de quelques approches parcellaires (comme une étude que vient de publier le Journal of the American Medical Association ), les experts soulignent également qu’il n’y pas de preuve démontrant que les e-cigarettes incitent les vapoteurs non fumeurs à se tourner vers le tabagisme classique.

Que font en France, sur un tel sujet, la ministre de la Santé et l’ensemble des responsables de la santé publique ? Pourquoi tout miser sur le paquet neutre? L’avenir, pragmatique, de la lutte anti-tabagique se joue aujourd’hui de l’autre côté de la Manche.

A demain

(1) Les auteurs sont McNeill A, Brose LS, Calder R, Hitchman SC (Institute of Psychiatry, Psychology & Neuroscience, National Addiction Centre, King’s College London UK Centre for Tobacco & Alcohol Studies) et  de Hajek P, McRobbie H (Wolfson Institute of Preventive Medicine, Barts and The London School of Medicine and Dentistry Queen Mary, University of London UK Centre for Tobacco & Alcohol Studies).

Dépistage génétique systématique du cancer du sein : une polémique en gestation

Bonjour

Où conduit le mariage de la génétique et de la médecine cancérologique ? A des polémiques récurrentes, symptômes des difficultés à intégrer les avancées de l’une ont bien du mal à être intégrée par la seconde. Une polémique en gestation est la dernière démonstration de cette règle non écrite.

Espérances de vie

Il y a quelques jours nous évoquions, sur ce blog, une publication du JAMA – que l’on trouvera en intégralité ici. Au terme d’une très vaste étude (190 000 femmes, treize ans de suivi) les auteurs concluaient  en substance que l’espérance de vie est la même chez les femmes souffrant d’un cancer du sein ayant bénéficié des traitements habituellement pratiqués (ablation chirurgicale de la tumeur suivie ou non  d’une radiothérapie) et chez celles qui ont opté pour une double mastectomie. Ce travail a été mené par Dr Allison W. Kurian  (faculté de médecine, Université de Stanford).

Angelina Jolie

Ce travail s’inscrivait  dans les suites  de l’affaire Angelina Jolie, les auteurs californiens cherchant notamment à comprendre pourquoi un nombre grandissant de femmes souffrant de cancer mammaire optaient aujourd’hui pour l’ablation de leurs deux seins. On se souvient qu’en mai 2013, dans une tribune publiée par  le New York Times, l’actrice Angelina Jolie révélait avoir accepté qu’on lui pratique une double mastectomie. Elle précisait qu’elle fait le choix de cette opération car elle était porteuse d’une mutation génétique spécifique qui faisait qu’elle était exposée à un risque élevé  de développer un cancer du sein et un cancer de l’ovaire. Elle avait pris cette décision alors qu’elle était âgée de 37 ans. Sa mère était morte à l’âge de 56 ans d’un cancer.

Taureau par les cornes

Un an plus tard des spécialistes français d’oncogénétique observaient les effets positifs du témoignage, fortement médiatisé, de l’actrice américaine. « L’intervention d’Angelina Jolie a eu un effet globalement tout à fait extraordinaire et positif, expliquait le Dr Odile Cohen-Haguenauer, spécialiste d’oncogénétique à l’hôpital Saint Louis (Paris). Elle a été déterminante pour créer un vrai mouvement chez les femmes les plus à risque qui n’étaient jamais allées consulter. Si les hommes et les femmes du commun ont pu être choqués, beaucoup de personnes réellement concernées par des cas d’antécédents familiaux de cancer du sein, se sont “débloquées”, ont “pris le taureau par les cornes” et se sont dirigées vers les consultations d’oncogénétique auxquelles elles n’osaient pas aller par déni ou par terreur. » 

Blanches non-hispaniques

Les conclusions de l’étude californienne mettaient en lumière un phénomène qui pourrait être amplifié par le témoignage de l’actrice : outre Atlantique la pratique de la mastectomie bilatérale a dépassé le champ des indications génétiques initiales.  Les auteurs observent aussi que l’extension de cette pratique ne concerne pas de manière égale toutes les femmes souffrant d’un cancer du sein.  « Les femmes qui ont subi une mastectomie bilatérale sont plus susceptibles d’être blanches non-hispaniques, d’avoir une assurance privée, de vivre dans des quartiers de statut socioéconomique élevé, et d’être  traitées dans des cliniques privées » soulignent les auteurs.

Complications

La situation se complique un peu plus encore avec la publication (toujours dans le JAMA) d’un article de la généticienne américaine Mary-Claire King – généticienne dont les travaux viennent d’être récompensés par le prestigieux prix Lasker. C’est elle notamment qui est à l’origine de l’identification, dans les années 1990, du gène BRCA1, dont une des mutations augmente fortement le risque de cancer du sein. Aujourd’hui les tests génétiques de recherche de prédispositions  ne sont proposés (et intégralement pris en charge en France) qu’aux   femmes  ayant des antécédents familiaux lourds, avec plusieurs membres de la famille atteints de cancer du sein ou des ovaires.

 Systématiquement après 30 ans

La généticienne  King estime que cette approche est inefficace, la moitié environ des femmes porteuses des mutations de prédisposition n’ayant  aucun antécédent familial (voir le compte-rendu fait par  The New York Times)  Elle recommande de ce fait que toutes les femmes âgées de plus de 30 ans bénéficient d’un test génétique de dépistage des mutations génétiques prédisposant au cancer du sein et de l’ovaire. King estime qu’aux Etats-Unis, ce dépistage systématique permettrait d’identifier entre 250.000 et 400.000 femmes porteuses de mutations pathologiques  BRCA1 ou BRCA2. Avec, ensuite, l’alternative entre le statu quo ou les gestes chirurgicaux (mastectomies et/ou ovariectomies) à visée préventive.

 Vives réactions

Aucune étude ne prouvait jusqu’ici la dangerosité des mutations des gènes BRCA1 et BRCA2 chez les femmes sans antécédents familiaux. Ce qui ne semble plus être exact selon un article co-signé par King et publié tout récemment dans les PNAS. La proposition de dépistage génétique systématique a provoqué de vives réactions aux Etats-Unis. « Nous sommes loin, très loin d’une telle recommandation » a déclaré Fran Visco, président de la  National Breast Cancer Coalition.

 Prises en charge ou pas

De nombreux experts américains estiment que de sérieuses études complémentaires doivent encore être menées avant de conclure. Ils soulignent aussi l’impact économique majeur d’une telle entreprise dans un pays où le dépistage génétique (et ses éventuelles conséquences chirurgicales) ne sont pas pris en charge par la collectivité. On observera que ce n’est pas le cas en France (prise en charge intégrale) où la question du dépistage systématique n’a pas encore été soulevée. Ce qui ne saurait tarder.

 

A demain

Françaises jeunes – fumeuses actives – devant vivre avec un cœur infarci

Bonjour

Ce matin l’actualité est paradoxale. Plus ou moins heureuse. Elle concerne le cœur des  fumeuses. L’information qui nous occupe figure dans une communication savante faite hier 28 janvier rue Bonaparte à Paris, sous les ors de l’Académie nationale de médecine – une Académie qui résiste aux sirènes contemporaines de la parité. Communication passionnante signée de spécialistes réputés. Il y était question de l’infarctus du myocarde en France (1).

Progrès majeurs

Communication pleine d’espoir témoignant des progrès considérables qu’ont permis ces quinze dernières années  des mesures éclairées de politique de santé associées à l’application généralisée (par les médecins urgentistes et les cardiologues) de la plupart des recommandations proposées par les sociétés savantes. Communication redoutable en ce qu’elle met en lumière l’un des dégâts, croissant et méconnu,  dû à la consommation de tabac. Résumons.

Mortalité en baisse

Les maladies cardiovasculaires restent une cause majeure de mortalité. A commencer par l’infarctus du myocarde Quatre enquêtes nationales (réalisées entre 1995 et 2010) permettent d’observer  une diminution de la gravité des infarctus les plus dangereux (ceux dits « avec sus-décalage du segment ST »), ceux qui surviennent chez des personnes les plus jeunes. Le recours de plus en plus fréquent à des traitements performants (angioplastie coronaire et médicaments de prévention secondaire) a permis de faire reculer la mortalité (à un mois) de 13,7 % à 4,4 %.

Voile au tableau

Toutefois un voile au tableau. La répartition des sexes des malades varie peu mais, au sein de la population féminine, la proportion de femmes de moins de soixante ans double. Elle est passée en quinze ans de 11,8 % à 25,5 %. Et les cardiologues constatent « une augmentation très importante de la proportion de fumeuses actives, dans le groupe des femmes jeunes ». Elles étaient 37% en 1995. Elles étaient 73 % en 2010. Et aujourd’hui ? Et demain ?.

«  Le tableau optimiste doit cependant être nuancé par deux constatations principales, soulignent les auteurs de cette communication. Il y a d’abord l’augmentation de certains facteurs de risque directement liés à notre mode de vie, l’obésité et le diabète, dont on peut craindre des conséquences graves à moyen terme sur l’incidence de l’infarctus et sur son pronostic à long terme. Il y a surtout la croissance inquiétante de la population de femmes jeunes touchées par les formes graves d’infarctus. »

Les cardiologues français se veulent scientifiques donc prudents . Précautionneux ? Il est fort possible, disent-ils, que d’autres facteurs de risque puissent aussi intervenir, liés aux modifications importantes du mode de vie des femmes dans la société française au cours des dernières décennies. C’est fort possible en effet. Mais il y a, avant tout, le tabac et la physiopathologie est là pour dire ce qu’il en est tant dans le champ du cancer que dans celui du cardiovasculaire.

Cœurs de femme

« Il conviendra sans doute de mettre en œuvre des mesures spécifiques dirigées vers cette population précise » soulignent les auteurs de la communication de la rue Bonaparte. Pourquoi user du futur et du « sans doute » ? La population est précisément connue. Les mesures spécifiques le sont également. A commencer par des mesures drastiques d’informations-préventions concernant les moins de dix-huit ans qui consomment massivement un tabac qu’ils n’ont pas le droit d’acheter. A suivre par des mesures politiques et économiques de prise en charge du sevrage, comme c’est le cas au Royaume Uni.

Constat de police

En France les femmes jeunes et actives fument. Leur cœur ne le supporte pas. La collectivité devrait-elle l’accepter ? C’est une affaire majeure de santé publique. C’est une affaire éminemment politique. Les responsables politiques français de la santé auraient déjà dû être alertés sur ce sujet depuis 2012 et une publication savante dans une revue médicale réputée. Nous verrons ici ce qu’il peut en être quand le constat de police est dressé rue Bonaparte à Paris, à quelques minutes du ministère de la Santé.

(A demain)

(1) « L’infarctus du myocarde en France métropolitaine de 1995 à 2010 : évolution de la typologie des patients, de la prise en charge et du pronostic à court terme ».

Nicolas Danchin et Etienne Puymirat (Hôpital Européen-Georges Pompidou,  Université Paris Descartes, Paris), Pierre Carli (Hôpital Necker, Université Paris Descartes), Jean Ferrières (Hôpital Rangueil et Université de Toulouse) et Tabassome Simon (Hôpital Saint-Antoine et Université Pierre et Marie Curie, Paris).

Les cœurs Carmat® battront-ils encore, après la mort ?

On a beau réfléchir avec le cerveau, nos grandes affaires sont des affaires de cœur. Cette pompe n’a plus rien à voir avec la mort, certes, mais son battement à toujours quelque chose de rassurant. Ou pas.  Notamment quand l’heure vient où il faut prendre certaines décisions. Comme ci-dessous.  

Conférence de rédaction au sous-sol de la rue Sainte-Anne, siège de Slate.fr. Jeunes talents et vieux briscards. La conversation roule. Médecine. Sharon, Schumacher, les nouveau-nés de Chambéry.  Puis un esprit rédactionnel toujours affûté nous interpelle : « Ton cœur Carmat®, battra-t-il encore après la mort ? ». A question précise, réponse embarrassée. Genre politique. Rappel des grands principes. Retour rapide sur la séparation il y a un demi-siècle de l’Eglise-cœur et de l’Etat-cerveau. Et assurance que l’on reviendra un jour prochain sur le sujet.

On quitte la rue Sainte-Anne et sa civilisation japonaise. Troublé. Irrité de n’y avoir point songé le premier. Questions à quelques confrères médecins. Embarras contagieux.

Puis, fatalité, de précieuses  informations collatérales apportées par le site Medscape depuis Rochester et le temple de la Mayo Clinic. On n’y parle pas de  Carmat®, bien sûr. Mais on s’en rapproche. Question (jamais posée dans les médias français) : à partir de quand le maintien en fonction d’un défibrillateur (DAI) ou d’un pacemaker (PM) traitant la bradycardie, peut-il être assimilé à de l’acharnement thérapeutique ?

« Désactivations » et « rétractations »

Questions jamais posée non plus dans les instances professionnelles ou au sein de nos instances dirigeantes. « Difficile question, dont ni les cardiologues implanteurs, ni les autorités de santé, ni les patients eux-mêmes, ne se sont encore pleinement saisis » assure Vincent Bargoin (1). Or, avec quelques 110 000 DAI implantés chaque année aux Etats-Unis, on ne peut plus parler de question marginale. Dans le Journal de l’American Medical Association – Internal Medicine, une équipe de la Mayo Clinic (Rochester, Etats-Unis), publie quelques chiffres éloquents (2).

On y apprend que sur une période de près de quatre ans (novembre 2008 – septembre 2012), durant laquelle 4496 PM ou DAI ont été implantés à la Mayo Clinic, 159 demandes de désactivation de l’appareil ont été enregistrées. Dans 150 cas, la désactivation a effectivement été opérée. On note, parmi les neuf cas restant, deux refus des médecins chez des patients dépendants de leur PM, et une rétractation d’un patient. Chez les 150 patients dont l’appareil a été désactivé (79 ans, 67% d’hommes),  57% avaient formulé leurs volontés quant à leur fin de vie. Mais la désactivation de l’appareil n’était explicitement mentionnée que dans un seul cas.

Le pire

« On note par ailleurs que 23 patients sont décédés dans les 24 heures suivant la désactivation. Dans ce cas, la demande a probablement été formulée après des chocs de l’appareil, écrit notre confrère. Enfin, le plus surprenant, peut-être : les auteurs soulignent que dans une majorité de cas (55%), c’est une infirmière qui a été chargée de la désactivation et non pas le chef d’équipe. » Est-ce bien surprenant ou n’est-ce pas plutôt profondément choquant ? On pourrait ajouter scandaleux ou, plus précisément, indigne.

« Ces chiffres n’ont évidemment qu’une valeur indicative – on peut seulement les supposer plutôt favorables, la Mayo Clinic n’étant pas ce qui se fait de pire aux Etats-Unis et dans le monde, euphémise Vincent Bargouin.
Les questions qu’ils soulèvent sont développées dans un éditorial, cosigné par Sunita Puri, médecin en soins palliatifs (Palo-Alto), et Katy Butler, journaliste indépendante, très engagée sur la question (3).

Médecine à la Ford

 Pour les spécialistes américains le diagnostic tient en un mot : la « fragmentation » des soins. Fragmentations dans le temps, dans l’espace et entre spécialités. Cette parcellisation des tâches, cette médecine à la Ford,  permet aux cardiologues implanteurs d’ignorer les préoccupations de leurs collègues des soins intensifs. D’ailleurs ces derniers  pas toujours les compétences pour intervenir sur des appareils qu’ils n’ont pas implantés. Ce n’est pas le moindre des charmes de la modernité médicale américaine : travaillant à la chaîne on ne s’embarrasse guère d’une déontologie rangée au sous-sol de l’Overlook hospital. On imagine qu’il n’en va pas de même dans les centres hospitaliers français.
Chocs terminaux

« Alors que le débranchement d’appareils externes tels que les respirateurs, est et reste une question débattue publiquement, le cas des appareils implantés, « invisibles », tels que les DAI, semble susciter beaucoup plus de réticences, poursuit Vincent Bargoin. Les éditorialistes pointent ainsi une première apparition de la question des chocs délivrés par les DAI en phase terminale, en 2007 – dans une revue spécialisée en soins intensifs mais destinée aux infirmières, d’ailleurs – puis un très timide consensus de la Heart Rythm Society américaine en 2010, qui ne mentionne la désactivation d’un appareil implanté, à la demande du patient, que comme une possibilité éthique. »

« Les recommandations cliniques en cardiologie ne suggèrent pas encore une responsabilité éthique dans l’information des patients sur la possibilité d’une désactivation sans douleur de l’appareil quand, de l’avis du patient, les inconvénients excèdent les bénéfices », estiment les éditorialistes. Selon eux c’est en fait dès l’implantation que l’information ad hoc devrait être délivrée. Or certains cardiologues se sentent mal préparés pour parler avec les patients de la préparation d’une bonne mort, ou au moins d’une mort sans souffrance inutile

« Le consentement éclairé devrait aller au-delà d’une check-list portant sur des risques chirurgicaux mineurs, pour inclure, formulée en langage simple, la notion d’une désactivation possible lorsque les attentes du patient se tournent vers la qualité de vie, et non plus vers la durée de vie », soulignent-ils, en ajoutant que « des patients suffisamment malades pour se voir implantés un PM ou un DAI , sont généralement aussi suffisamment malades pour accepter de telles discussions ». Ces éditorialistes ont sans aucun doute raison.
Mourir implanté mais sans souffrir

Et s’agissant des médecins, ces deux éditorialistes reconnaissent parfaitement la difficulté du discours. « Il n’est pas facile de communiquer sur un espoir réaliste, tout en discourant sur un futur qui renvoie aux limites de l’existence et de la médecine, notent-ils. Certains cardiologues se sentent mal préparés pour parler avec les patients de la préparation d’une bonne mort, ou au moins d’une mort sans souffrance inutile ».

Qu’en est-il en France?

Une sage observation  pour finir : « on ne peut attendre des cardiologues qu’ils sachent implanter ou prescrire un DAI sans formation ; de la même manière, on ne peut attendre d’eux qu’ils sachent mener une discussion sur la fin de vie sans formation adéquate ». C’est ainsi. Pour ne plus être le siège des passions le cœur des passions le cœur ne saurait être réduit à une pompe biologique plus ou moins sophistiquée. Le cœur Carmat® vaudra, nous disent les marchands environ 150 000 euros. Soit environ le même prix qu’un cœur vivant encore battant. Qui, le moment venu, les débranchera ? L’implanteur ou l’infirmière ? Seront-ils réutilisés ? La transparence doit-elle ou non être faites sur le sujet ?

(1) Vincent Bargoin a couvert pendant une douzaine d’années l’actualité médicale au sein de la rédaction du Quotidien du Médecin. Sa formation de biologiste (Université d’Orsay) l’a conduit à s’intéresser plus particulièrement à l’émergence de la biologie moléculaire et de la génétique en médecine dans les années 90. Depuis 2005, Vincent participe à l’équipe éditoriale de theheart.org, édition française, et assure la fonction de rédacteur en chef adjoint depuis 2011.

(2) Buchhalter LC, Ottenberg AL, Webster TL et coll. Features and Outcomes of Patients Who Underwent Cardiac Device Deactivation. JAMA Intern Med.  doi:10.1001/jamainternmed.2013.11564.

(3) Butler K, Puri S. Deathbed Shock : Causes and Cures. JAMA Intern Med. doi:10.1001/jamainternmed.2013.11125.

 

Tour de France : dopage (sanguin), mode(s) d’emploi

L’affaire va rebondir. Au plus tard le 24 juillet avec les révélations de la commission d’enquête sénatoriale. Pour l’heure des chercheurs norvégiens lèvent le voile sur les coulisses. Microdoses d’EPO,  transfusions autologues, injection intraveineuse de fer  … et des filets aux mailles (toujours) bien trop larges. 

 Voilà une publication scientifique que l’on trouvera (ou pas) particulièrement opportune. D’abord parce qu’ellecoïncide avec, sur le Tour de France, de très curieuses prouesses musculaires et cardiovasculaires. Ensuite parce qu’elle précède de peu les révélations de la commission d’enquête sénatoriale sur le dopage. Initialement annoncée pour le 18 juillet (le jour de la prestigieuse étape comportant deux fois l’ascension de l’Alpe d’Huez), la longue liste des coureurs contrôlés rétroactivement positifs à des substances dopantes interdites lors de l’épreuve de 1998 ne sera connue que le 24 juillet -«pour calmer le jeu» nous a indiqué le sénateur (PS, Creuse) Jean-Jacques Lozach.

Les lumières de Bergen (Norvège)

Le site médical Medscape met aujourd’hui en lumière les résultats des travaux originaux qui viennent d’être publiés dans la revue spécialisée«Transfusion and Apheresis Science». Ces travaux, menés par Daniel Limi Cacic et Tor Hervig (département d’immunologie et de transfusion sanguine, centre hospitalier universitaire de Bergen, Norvège) associés à Jerard Seghatchian (International Consultancy in Blood Components/Apheresis Technology, Londres), font le point sur la pratique des manipulations sanguines visant à améliorer de manière frauduleuse les performances sportives. Ils font aussi le point sur les difficultés rencontrées pour en établir la réalité et les risques médicaux qui y sont associés.

Ces manipulations ont toutes pour objet de modifier l’hématocrite: on désigne ainsi un pourcentage correspondant au volume qu’occupent les globules rouges dans le sang circulant. Sa valeur normale varie selon l’âge et le sexe. Chez l’homme, la valeur normale est comprise entre 40 et 52% mais chez les sportifs mieux vaut ne pas dépasser les 50%. Les manipulations sanguines à visée dopante cherchent de diverses manières à augmenter les capacités de transport de l’oxygène des poumons aux muscles via les globules rouges du sang. Elles ont donc pour conséquence d’augmenter l’hématocrite de l’athlète. Confondre le fraudeur impose non pas d’établir que l’hématocrite est anormalement élevé mais bien d’en établir la cause, artificielle.

Où en est votre hématocrite ?

Plusieurs fédérations sportives avaient, il y a près de vingt ans, fixé un seuil limite pour l’hématocrite et le taux d’hémoglobine. Un athlète dépassant les limites supérieures n’était pas accusé de dopage, mais«suspendu transitoirement pour raisons de santé». Ces seuils ont été revus plusieurs fois. Ils sont actuellement, pour l’hématocrite et l’hémoglobine, de 0,50 et 17 g/100 ml chez les hommes, et 0,47 et 16 g/ 100 ml chez les femmes.

Les manipulations du sang dans une optique de dopage recouvrent essentiellement deux méthodes: les transfusions sanguines, et l’injection de molécules stimulant la production de globules rouges (ou érythropoïèse) par l’organisme (érythropoïèse) par l’organisme, au premier rang desquelles l’érythropoïétine (EPO).

«Historiquement, les deux méthodes se sont développées séparément. S’agissant des transfusions, le premier signalement d’un effet positif sur la performance remonte à 1947, rappelle Vincent Bargoin sur Medscape. Il s’agissait alors de transfusions de globules rouges compatibles, l’effet observé étant une diminution de la fréquence cardiaque en situation de manque d’oxygène.»

Une croix sur les transfusions

Parallèlement à la lutte contre les stimulants et les stéroïdes, la lutte antidopage a dû en outre porter sur un autre dopage sanguin (pratiqué au minimum depuis les années 1970) qui consiste à prélever, puis à réinjecter le sang d’un athlète pour augmenter son taux d’oxyhémoglobine. Les transfusions ont été interdites par le Comité International Olympique (CIO) en 1986.

«Mais il y a eu d’autres tentatives pour augmenter le taux d’hémoglobine des sportifs, notamment avec l’érythropoïétine (EPO), qui a été ajoutée en 1990 à la liste des substances interdites par le CIOrappelle le laboratoire suisse d’analyse du dopage de Lausanne. Longtemps inefficace faute de contrôles fiables, le dépistage de l’EPO a été introduit pour la première fois aux JO de 2000». C’est ainsi qu’en pratique l’EPO a pu être aisément utilisée durant près de 20 ans à des fins de dopage. Il y a vingt-cinq ans, lors du lancement pharmaceutique commercial (1) en Suisse de cette molécule, nous avions, pour Le Monde, posé la question de son usage possible à des fins de dopage. L’hypothèse avait alors aussitôt été balayée Bert Van Deun, un des responsables de la multinationale Johnson and Johnson et de sa filiale Ortho-Cilag qui annonçait la fabrication du médicament en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis et sa commercialisation à l’échelon mondial.

Le cycliste et le cheval

En réalité, la molécule était déjà produite depuis le début des années 1980 en quantité substantielle par les techniques des manipulations génétiques. Cette érythropoïétine «recombinante» était testée chez les malades anémiques en hémodialyse au moment où elle était détournée et expérimentée à d’autres fins chez l’animal et –notamment— dans les circuits du cyclisme professionnel.(2)

Les auteurs de la publication de Transfusion and Apheresis Science soulignent que les premières tentatives de suivi longitudinal des paramètres hématologiques chez les pratiquants de différents sports d’endurance avaient (au cours des années 1990 et au début des années 2000) fourni de solides soupçons quant à de larges entreprises de manipulations sanguines à des fins de dopage:

«Les récentes révélations sur ce sujet dans les médias prouvent aussi que le dopage sanguin n’a rien d’un mythe mais que c’est un fait, bien réel. Les agents stimulant l’érythropoïèse et les transfusions sanguines autologues [avec le propre sang, conservé, du transfusé] sont utilisés en synergie et ont des effets importants sur la livraison d’oxygène et sa consommation maximale par les muscles. Ces deux méthodes de manipulation du sang et des hématocrites élevés représentent un danger potentiel pour la santé. Ceci n’a toutefois pas encore été pleinement documenté d’un point de vue cardiovasculaire et ce en dépit d’un certain nombre de morts suspectes parmi les cyclistes professionnels. Un test fiable de détection de l’érythropoïétine humaine recombinante a été mis en place en 2000, mais il est probablement contourné par des administrations de microdoses.»

Aucun test de détection directe

Le recours aux microdoses réduit de manière considérable la fenêtre de détection possible de la présence anormale d’EPO. Quant aux transfusions autologues, il n’existe aucun test direct de détection.

Pour l’heure, l’association transfusion-EPO est une technique bien codifiée comme le prouvent des témoignages d’athlètes et à l’analyse de leurs agendas. En basse saison, on administre de l’EPO à l’athlète volontaire. Un mois plus tard, son sang est prélevé, stocké grâce à des agents cryoprotecteurs puis réinjecté avant l’épreuve choisie pour la réalisation de la performance maximale.

On estime que ce type de protocole permet d’améliorer la captation et le transport de l’oxygène dans un rapport de 5 à 10%. Une étude publiée en 1987 dans le Journal de l’American Medical Association fait état d’un gain d’environ une minute sur un 10.000 mètres chez six athlètes masculin, «traités» par 400 ml de globules rouges autologues avant l’épreuve. Tous les détails avaient été publiés dans la prestigieuse revue médicale américaine.

Des IV de fer

«Avec l’EPO, les effets sont du même ordre —des augmentations comprises entre 7 et 9% de la VO2 max ont été rapportées— et se prolongent au moins trois semaines après la dernière injection. Les auteurs notent que des micro-doses d’EPO, évidemment beaucoup plus difficiles à détecter, donnent des résultats équivalents, pour peu qu’on les associe à des injections intraveineuses de fer», précise Medscape. Seuls des analyses très diversifiées (taux d’hémoglobine, hématocrite, dosage du récepteur soluble de la transferrine, pourcentage de réticulocytes, niveau de ferritine etc.) effectuée de manière dynamique et pratiquées de manière régulière sur de longues périodes permettraient de faire la part entre ceux qui trichent délibérément et les autres.

Il faut certes désormais compter avec le «Passeport biologique de l’athlète» (PBA) recommandé par l’Agence mondiale antidopage. Il s’agit d’une approche indirecte permettant un suivi au long cours des paramètres biologiques sanguins. Depuis 2009, des sportifs peuvent être exclus sur la base des données de leur PBA, du moins si l’interprétation de ces données fait l’unanimité d’un comité d’experts. Ce PBA ne permet toutefois pas à lui seul d’établir toute la vérité qu’il s’agisse de transfusions autologue ou d’injections répétées d’érythropoïétine.

Retrouver le paradis du fair-play

«En dépit des progrès accomplis dans la lutte contre le dopage, il est possible que les niveaux d’excrétion des substances utilisées puissent aujourd’hui être masqués. Des outils diagnostiques nettement plus sensibles et des travaux spécifiques de recherche et développement sont nécessaires», écrivent les chercheurs. Seuls de tels travaux, associés à des modifications de comportement des athlètes professionnels permettraient d’atteindre l’objectif du «fair-play».

La mise en œuvre de nouveaux critères biologiques de surveillance a d’ailleurs conduit à une nouvelle lecture des pratiques en vigueur et l’Agence mondiale antidopage recommande de suivre un certain nombre de ces paramètres dans le «passeport» de chaque athlète. Depuis 2009, des sportifs peuvent être exclus sur la base des données de leur PBA, du moins si l’interprétation de ces données fait l’unanimité d’un comité d’experts.

«Un certain nombre de modèles statistiques dérivés du PBA, et un peu moins spécifiques, ont permis d’aboutir à des résultats épidémiologiques étonnants, souligne Medscape. Par exemple, lors des championnats mondiaux de ski nordique de 2001, 50% des athlètes qui avaient remporté une médaille présentaient un profil sanguin hautement anormal. Des 4èmes aux 10èmes places, cette proportion restait de 33%. Parmi les compétiteurs ayant fini les épreuves, elle n’était que de 3%. Dans les données de la période fin 1990-2007, la chute de l’hémoglobine constatée en 2002-2003 chez les skieurs de fond, alors même que le test EPO était généralisé, et que la Fédération internationale de ski annonçait le renforcement de son programme anti-dopage. Ou encore: à la fin des années 1990, le taux d’analyses anormales était deux fois plus élevé en Flandres que le taux moyen de tous les laboratoires mondiaux accrédités par l’Agence mondiale anti-dopage. »

Pour les auteurs norvégiens, aucun doute n’est permis: les données de la littérature indiquent que le dopage sanguin est un phénomène d’une ampleur considérable. Mieux: le savoir-faire en matière de dopage dépasse de beaucoup les stratégies permettant actuellement une détection fiable. Leurs conclusions sont pleinement compatibles avec les dernières déclarations faites au Monde par Lance Armstrong: dans le cyclisme, il n’y a pas de victoire sans dopage. Et ailleurs?

 (1) Cette hormone est aujourd’hui utilisée en médecine dans différentes situations, chez les malades anémiés en insuffisance rénale chronique, dans certaines maladies sanguines ou cancéreuses ainsi que dans des programmes chirurgicaux programmés comportant  un risque majeur de perte de sang. Elle est notamment commercialisée sous le nom d’Eprex par la multinationale pharmaceutique Janssen-Cilag.

(2) Une lecture passionnante pour ceux qui veulent mieux comprendre avec l’aide de la sociologie : « L’épreuve du dopage » édité par les Presses Universitaires de France.

Une première version de ce billet a été publiée sur Slate.fr