Bonjour
On ne rit plus. « Dérembourser les médicaments homéopathiques ? C’est menacer directement un millier d’emploi ! ». Tel était, hier, le message délivré, sur RTL et depuis Lyon, par la patronne des Laboratoires Boiron. Message à l’adresse des auditeurs de-la-première-radio-de-France, mais aussi à celle d’Agnès Buzyn, du gouvernement et du président de la République.
On n’entendait guère, jusqu’ici, cette industrie dans les médias. Il y a un an, elle était encore soutenue, de fait, par Agnès Buzyn, ancienne hospitalo-universitaire 1. Puis, soudain, les vents ont tourné. Sa cote a baissé. Les attaques redoublées et médiatisée des rationalistes, la résurgence d’un front « anti », la montée en puissance des Académies de médecine et de pharmacie ont bouleversé la donne. Homéopathie nouvelle sidérurgie ?
Avant de bouter la bouter hors de la Faculté, tout s’est cristallisé sur la question du remboursement : en finir avec ce statut dérogatoire. Repousser dans l’ombre cette pratique née à la fin du XVIIIe siècle avec Samuel Hahnemann et ses trois préceptes: celui des «similitudes» (soigner le mal par le mal) et ceux des «hautes dilutions» et de leur «dynamisation». Tourner une page ouverte il y a trente-cinq ans, avec la publication au Journal Officiel d’un arrêté daté du 12 septembre 1984 signé par Georgina Dufoix. Alors ministre des Affaires sociales et de la Solidarité nationale du gouvernement de Laurent Fabius, elle obtenait de faire rembourser à 65% nombre de spécialités homéopathiques n’ayant jamais fait la preuve de leur efficacité.
Avril 2019 : la Haute Autorité de Santé (HAS) se prononcera avant l’été sur la question sans fond de « l’efficacité » des spécialités homéopathiques. Evaluation des risques en somme. Puis il faudra gérer les risques et c’est bien le politique qui devra trancher. Et après bien des atermoiements Agnès Buzyn s’est médiatiquement engagée : en l’absence d’efficacité ces spécialités seront déremboursées.
C’était compter sans la résilience de la partie adverse. On assiste ainsi au début d’une vaste contre-attaque réunissant dix-huit acteurs du secteur (fabricants, syndicats, organisations professionnelles), comme le révèle Le Parisien (Florence Méréo). Le quotidien y donne la parole à Valérie Poinsot, directrice générale de Boiron, « leader français et mondial de l’homéopathie ». Un site internet (MonHomeoMonChoix.fr) avec une pétition en ligne et un numéro gratuit permettra de recueillir les signatures des partisans. Des affiches sont distribuées aux médecins, pharmaciens, sages-femmes avec notamment un slogan- menace : « et si on respectait le choix des Français», qui seraient 56% à avoir déjà utilisé ce procédé thérapeutique.
Trente-cinq kilogrammes de documents
Valérie Poinsot explique avoir envoyé à la HAS un dossier de 35 kg de documents prenant la défense de l’homéopathie.
« Nous sommes habitués à ce genre de pratique et de pression. Ce n’est pas leur première fois ! Moi, je vois là des Académies en total décalage avec la réalité du soin et avec les praticiens qui exercent au quotidien. Nous avons d’un côté, un professionnel sur deux qui considère comme bénéfique l’effet de l’homéopathie sur ses patients. Et de l’autre, des académiciens, qui ne sont pas au chevet du malade, mais qui se prononcent contre. »
« Ce n’est pas l’évaluation par la HAS qui nous gêne, mais la non-prise en compte de notre spécificité. La HAS évalue le service médical rendu d’un médicament par rapport à une indication et à une posologie. Or, l’homéopathie n’a pas une indication thérapeutique, mais plusieurs, en fonction de la maladie. Prenez Nux Vomica, un de nos produits phare : on peut l’utiliser pour faciliter la digestion. Mais avec une dilution différente, il est aussi utile contre la migraine ou les troubles du sommeil. Les critères doivent tenir compte de cela, sinon l’étude sera biaisée. »
Et la directrice générale de Boiron de faire de la politique expliquant qu’une partie de ceux qui consomment ses produits « ont un faible pouvoir d’achat ». « Le remboursement à hauteur de 30 % permet aussi aux mutuelles de compléter la prise en charge. Cela ne sera plus le cas s’il y a déremboursement, dit-elle encore au Parisien. Et surtout parce que dérembourser est un non-sens sur le plan de la santé publique. Les études (NDLR : financées par le laboratoire) montrent que les patients sous homéopathie consomment moins d’antibiotiques et d’anti-inflammatoires sans être moins bien soignés ». Campagne ou lobbying ? « Appelez cela comme vous voulez : pour les dix-huit acteurs de cette campagne, il s’agit de se mobiliser pour donner la parole aux Français. Ils sont les premiers concernés et ceux que l’on a le moins entendus ! »
Politiquement explosif
Libération (Eric Favereau) a interrogé le Pr Bernard Bégaud, pharmacologue à l’université de Bordeaux qui « travaille depuis plus de trente ans sur l’utilisation des médicaments, leur intérêt et leurs risques ». « L’emballement actuel contre l’homéopathie ? Il surprend ce spécialiste.
« Il y a régulièrement des vagues de critiques, mais j’ai rarement assisté à des flots de prises de position incessantes venant d’associations aussi variées, savantes ou pas savantes. Et je m’interroge sur les raisons qui poussent tant de personnes éminentes à se mobiliser sur quelque chose qui n’est quand même franchement pas majeur. Pour moi, nous sommes encore une fois dans un combat entre la règle et la raison. Chaque fois que la règle s’impose à la raison, nous allons au-devant de problèmes.
« On ne peut pas dire que ceux qui réclament le déremboursement ont tort. Ils se situent dans la règle et il n’y a sans doute pas d’études convaincantes. Donc, on applique le règlement commun : on dérembourse. Mais en écho, la raison interroge : est-ce là une décision essentielle, concernant la politique des médicaments en France ? Quand je vois les prises de position sans appel de nombre de sociétés savantes, j’aimerais les entendre prendre position, par exemple, sur le mésusage des médicaments (par excès et par défaut) dont le coût pour la collectivité française est estimé à 10 milliards d’euros par an, ce qui est quand même considérablement plus que les quelque 100 millions d’euros de l’homéopathie. Surtout quand on pense aux conséquences graves et massives de ce mésusage pour les Français. Mais là, c’est plutôt un lourd silence qui prévaut (…)
« Je suis pragmatique, je respecte la règle, mais je suis pour la raison. Il y a plus de 10 millions de gens qui achètent de l’homéopathie. Que vont-ils faire si le remboursement s’arrête ? Vont-ils continuer ? Vont-ils aller vers d’autres pratiques médicales parallèles, pour certaines inquiétantes ? Ou vers des médicaments classiques mais remboursés, et là n’y a-t-il pas un risque ? Il faudra se poser ces questions. Et si on dérembourse, on ne pourra plus éviter un grand débat sur l’ensemble des médicaments. »
Où l’on voit, Grand Débat ou pas, que le déremboursement des médicament homéopathiques est, d’ores et déjà, un dossier politiquement explosif.
A demain
@jynau
1 « La guerre de l’homéopathie touche peut-être bientôt à sa fin. Après de longs atermoiements, Agnès Buzyn devrait prochainement décider du déremboursement des médicaments homéopathiques. » Slate.fr, 4 avril 2019