Bonjour
C’est, en quelques mots, un résumé de notre époque. Les « forces de l’ordre » ont, dans la matinée du 30 novembre 2018, procédé à l’évacuation de la maternité du Blanc (Indre). Cette maternité était occupée depuis une huitaine de jours pour protester contre une décision de fermeture prise par l’État. Les accouchements y étaient suspendus depuis juin, la maternité ayant été jugée « dangereuse » par Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé.
« L’évacuation a débuté vers 4 h 30. Nous étions 70 personnes sur place, dont une dizaine d’enfants », a expliqué à La Nouvelle République une des occupantes, Laure Courgeau, évoquant « la résistance sans violences mais le corps mou ». Après les forces de l’ordre, la direction managériale de l’hôpital : elle a fait vider les locaux de leur mobilier avant d’en condamner l’accès. Une fois la maternité évacuée, les manifestants se sont dirigés vers l’Hôtel des Impôts (14, rue Jules-Ferry) qu’ils ont occupé à son tour. « L’État ferme la maternité. Nous, on ferme l’Etat. Nos impôts n’ont pas la même valeur que ceux des autres puisque nous ne pouvons plus accoucher à moins de soixante kilomètres de chez nous », a résumé Laure Courgeau au quotidien régional. Contactée à plusieurs reprises, la préfecture de l’Indre (Châteauroux) n’a pas fait de commentaire.
« Nous avons droit à un gros déploiement de forces de l’ordre comme réponse de l’État, a commenté Wilfried Robin, adjoint au maire du Blanc et occupant de la maternité. C’est scandaleux alors que nous sommes pacifiques et non violents et que nous avons pris soin de maintenir les locaux en l’état ». Il y a deux semaines, Agnès Buzyn avait invoqué les « très mauvaises pratiques » mises au jour dans un « audit » très contesté dans sa méthode même. Aujourd’hui le collectif d’habitants à l’initiative de l’occupation souhaite, comme les élus locaux et les habitants, rencontrer la ministre de la Santé. « On veut un vrai dialogue avec l’État. Tout ce qu’on a eu jusqu’à présent, ce sont les CRS. »
Déserts en série
Quelle sera, demain, la « pression médiatique » qui permettra d’établir ce « vrai dialogue » avec l’Etat ? Un sujet traité par Arrêt sur Images : (Daniel Schneidermann )
« Apparemment l’expulsion s’est passée sans violence. Aussi ne fait-elle pas l’ouverture des journaux radio du matin. Avec quelques incidents, quelques belles photos, on en aurait parlé davantage. Mais Le Blanc (Indre), c’est loin de tout. L’expulsion par la gendarmerie de femmes qui occupent leur maternité menacée de fermeture, ça ne mobilise pas les medias parisiens. Surtout si elle se déroule sans violences. Pourquoi en parler ici, sur un site consacré aux medias ? Parce que les medias nationaux s’en fichent. Il y a un suivisme des sujets que tout le monde traite en même temps. Il y a aussi un suivi des sujets que personne ne traite. Les medias n’en parlent que lorsque soixante maires locaux démissionnent, accrochent les portraits de Macron aux grilles, ou que les habitantes manifestent, déguisées en servantes écarlates.
Le processus de fermeture va donc se poursuivre dans l’indifférence générale. Malgré les visites, le week-end dernier, de Benoit Hamon et de Philippe Poutou. Malgré le soutien de Jean-Luc Mélenchon. Malgré, surtout, la mobilisation inhabituelle du quotidien régional La Nouvelle République du Centre Ouest (dite la Nounou, à en croire la rumeur locale), qui non seulement suit l’affaire au jour le jour, mais s’est engagée, en fustigeant le « jacobinisme » du ministère de la Santé. »
« Contrairement à ce qu’on pourrait croire, la fermeture de cette maternité de treize lits (taux d’occupation 46%) ne serait donc pas une question d’argent, ni de rationalisation des coûts, poursuit Arrêt sur Images. Ce serait une question de sécurité. La ministre de la Santé l’a dit. Le « référent LREM de l’Indre », sans doute très compétent sur la question, l’a répété. Tous deux se fondent sur un audit, publié dans son intégralité par la Nounou. L’impression que l’on retire de cet audit, c’est celle d’une spirale. La désertification de la région du Blanc rend impossible l’organisation de gardes de nuit d’obstétrique. Du coup, on va fermer la maternité du Blanc, ce qui accélérera la désertification de la région du Blanc. Et conduira, un jour, après un autre audit, à fermer l’hôpital tout entier. Et peut-être, un jour, à fermer la ville entière. »
Et Daniel Schneidermann, en usant de la première personne du singulier, de conclure sur la complexité des rapports entre le journalisme et la santé publique:
« Moins spécialiste de l’obstétrique que « le référent LREM de l’Indre », je ne saurais me prononcer sur le fond de cet audit, qui relève plusieurs manquements à des procédures de sécurité. Je note juste qu’aucun media (à ma connaissance) n’a tenté de savoir si cet audit était fiable, ou bien était un audit – alibi (par exemple en faisant réagir le personnel de la maternité). Au terme d’une rapide web-enquête matinale, je suis donc incapable de dire si la fermeture est justifiée. Le désert médical peut cacher un désert journalistique. »
Au cours des deux dernières décennies, Le Blanc a vécu avec l’arrêt d’une section électrotechnique au lycée de la ville et la fermeture de l’antenne locale de Pôle emploi. Puis l’Hôtel des Impôts a diminué ses horaires d’ouverture et la sous-préfecture ne compte plus qu’une poignée de salariés. Hier l’Etat a fait évacuer la maternité par les forces de l’ordre locales. Et la direction de l’hôpital en a condamné l’accès. Avant que Paris, demain, ne fasse murer l’entrée de ce centre hospitalier ?
A demain
@jynau