Excitations sexuelles des parents d’élèves de maternelle : le sale fait divers devient une affaire exemplaire

Bonjour

C’était un fait divers ligérien. C’est en passe de devenir une affaire nationale. C’était un bien sale fait divers. Cela pourrait devenir une belle affaire. Aux frontières des affaires fantasmées du genre, de la politique et de la justice.

Nous avons rapporté sur ce blog, en trois textes,  l’essentiel des faits qui agitent depuis le 29 mars la commune de Joué-lès-Tours (Indre-et-Loire).  (Voir ici). Des faits fidèlement rapportés par La Nouvelle République. Pour l’essentiel des accusations aussi invraisemblables que gravissimes véhiculés par une vidéo salissant la Toile. Une vidéo de dix minutes, mise en ligne sur le site du collectif des Journées de retrait de l’école (JRE).

Parties de parties

Mme Dalila Hassan, qui se présente comme « responsable de la JRE 37 300 », y livre un récit accusateur : un garçon «  a expliqué que la maîtresse avait baissé son pantalon, qu’il y avait aussi (…) une petite fille à qui on a baissé le pantalon et (…) que la maîtresse a demandé à la petite fille de toucher ses parties génitales et au petit garçon de toucher les parties génitales de la petite fille et ensuite de se faire des bisous ». Elle dit se faire l’écho des craintes d’une mère tchétchène. A la fin de la vidéo, un slogan : « Vaincre ou mourir. »

Ecole de la République

C’est le week-end, en Touraine comme sur la Toile. En deux jours 54 000 personnes visionnent la vidéo. YouTube la retire le 31 mars, elle réapparaît le 9 avril. Dix mille autres internautes la regardent. Le nom de l’enseignante n’y est pas livré en pâture, bien sûr. On ne donne que celui de son école. Une école de la République.

La trame fantasmatique est connue : dans le sillage de l’action de  Farida Belghoul il s’agit de s’opposer à l’ » « abomination » de la « théorie du genre ». L’abomination n’est pas où l’on croit. Elle est chez les accusateurs qui ne voient qu’initiation à la masturbation en maternelle, utilisation itérative de sex-toys en peluche/ Le tout via les formidables « réseaux sociaux », en contournant les médias menteurs.

La passion de la ZEP

L’affaire allait s’étouffer, s’enkyster. Or voici que deux semaines plus tard  Le Monde (daté 12-13 avril) la réveille – une colonne à la Une (1). Le Monde raconte la souffrance de l’enseignante, blessée. Soutenue par les collègues, la hiérarchie administrative et les syndicats. Mais blessée.  « Les accusations sont tellement graves mais elles sont aussi tellement abracadabrantes que j’ai du mal à me dire que c’est bien moi qui suis visée, alors que je connais ce quartier depuis vingt ans, que j’ai choisi d’enseigner ici parce qu’il y a un travail passionnant à faire en ZEP, en équipe, avec les familles, les enfants… » raconte-t-elle au Monde (Mattea Battaglia).

Après quelques moulinets de JRE  et l’appel à des traducteurs la mère tchétchène n’a pas porté plainte. Elle semble dépassée par les évènements. Le Réseau éducation sans frontières a parrainé les enfants les plus âgés de la famille, il y a trois ans, quand leur demande d’asile a été rejetée. « Le père avait participé à la lutte armée contre la Russie, ils avaient fui les représailles pour arriver un peu perdus ici. Des collègues se sont cotisés pour le timbre fiscal de leur carte de séjour. Après, les liens se sont distendus » disent les responsables.

Le coup du tract

Le Monde rappelle aussique la veille de la vidéo un tract non signé, sans mention d’imprimeur, mais portant le logo de la liste du candidat UMP Frédéric Augis, a été distribué dans des boîtes aux lettres de La Rabière un « quartier sensible » de la ville. Et ce à la veille du second tour des municipales. « Philippe Le Breton [maire PS affichant la laïcité au fronton de la mairie, qui briguait un quatrième mandat] et sa majorité socialiste ont déjà bouleversé les valeurs de la famille en permettant le mariage pour tous, peut-on y lire. Depuis la rentrée, ils imposent l’enseignement de la théorie du genre (…). Je dis stop ! »

Grâce démocratique

Le 30 mars, l’UMP s’est imposée de peu face au PS favori : 206 voix sur 14 468 suffrages exprimés. Des recours en annulation ont été introduits devant le tribunal administratif d’Orléans. Le nouveau maire Frédéric Augis a refusé de répondre aux questions du Monde. Voilà qui est bien dommage. Pourquoi se refuser à la presse nationale ? Il aurait pu redire ce qu’il a déclaré à La Nouvelle République (datée du 10 avril). M. Augis avait dit haut et fort qu’il porterait plainte conte les auteurs anonymes du tract qui visait son adversaire. Un moment de grâce démocratique dans le Jardin de la Touraine.

Aveu

La grâce était bien là. On allait connaître la vérité vraie. Le 10 avril le maire reconnaissait, devant la presse  avoir, le 14 mars, adressé une lettre à une Jocondienne. Une lettre dans laquelle il écrivait :« Vous le savez comme moi, malgré les dénégations de la gauche de Philippe Le Breton, la théorie du genre est présente dans les écoles jocondiennes. » Une contre-vérité dénoncée par l’Education nationale.

La bonne réputation

Explications de M. Augis  : « J’ai envoyé cette lettre à titre personnel, car j’avais entendu une cinquantaine de personnes me parler de cette rumeur, il fallait les rassurer. » Dénoncer une rumeur en la confirmant ? Comprenne qui pourra. Mieux encore le nouveau maire n’exclut plus l’existence d’un tract venant de son propre camp. Sans qu’il soit informé de son existence. Des amis trop zélés?  Et l’institutrice qui aurait fait se dévêtir deux de ses petits élèves ? M. le maire a « entièrement confiance en elle ».   « Elle est de bonne réputation. Je suis contre toute stigmatisation. »

Pères jésuites

Et la plainte  annoncée ? M. Augis a réfléchi. « Je n’ai pas porté plainte car je n’ai pas subi un préjudice personnel » a-t-il bientôt expliqué. Joué-lès-Tours découvre son nouveau maire. Nul ne sait encore s’il a suivi l’enseignement des pères jésuites.

A demain

(1) Le Monde associe heureusement au reportage de Mattea Battaglia un point de vue de  de Jacob Rogozinski intitulé  « Contre la théorie du complot / La dédiabolisation du FN ouvre un espace à une nouvelle extrême droite qui colporte des rumeurs sur les juifs, l’islam ou les études de genre. Comment la combattre ? »

L’auteur, 60 ans, est philosophe. Après avoir été directeur de programme au Collège international de philosophie, il a enseigné au département de philosophie de l’université Paris-VIII et est actuellement professeur à la faculté de philosophie de l’université de Strasbourg. Proche d’abord de Jacques Derrida, il a développé dans ses œuvres une réflexion sur le mal et la terreur révolutionnaire qui s’inspire également de la phénoménologie d’Edmund Husserl. Il est notamment l’auteur du  » Moi et la chair : introduction à l’ego-analyse  » (Cerf, 2006)

 

 

Rebondissement politique dans l’affaire des excitations sexuelles de parents d’élèves du Jardin de la France

Bonjour

Sous le « genre », la politique. On se souvient de cette affaire peu ragoûtante de pseudo-théorie du genre (« Excitations sexuelles de parents d’élèves dans une école maternelle du Jardin de la France »). Une sale rumeur, l’affolement des parents. Le recours pervers à la délation moderne via les « réseaux sociaux ». Des accusations proférées contre une enseignante et une école maternelle. Une vive émotion collective à la veille des élections municipales.

Deux jours plus tard, le maire perdait

Cela se passait il y a quelques jours à Joué-lès-Tours, riante commune d’Indre-et-Loire. Cela se passait plus précisément  à l’avant-veille des élections municipales. Le maire socialiste (Philippe Le Breton) avait alors, non sans courage, pris la défense des enseignants et combattu la rumeur. Deux jours plus tard le maire perdait les élections. Contre toute attente, et pour 206 voix ( sur 14 468 suffrages exprimés). C’est aussi ce maire qui, en 2010, avait jugé républicain d’ajouter le beau mot de laïcité au fronton de sa mairie comme on peut le voir ici.

Dans la presse officielle l’affaire était restée cantonnée aux informations de La Nouvelle République et à un commentaire éclairé (signé François Bluteau). Dans son édition datée de ce 2 avril Le Monde s’intéresse au sujet. En ces termes (Mattéa Battaglia, intertitres ajoutés) :

«  La polémique sur le  » genre  » vient de monter d’un cran. Alors que la militante Farida Belghoul appelait, lundi 31 mars, à une nouvelle  » journée de retrait de l’école  » (JRE), la direction académique d’Indre-et-Loire a déposé plainte pour dénonciation calomnieuse à l’encontre de la représentante d’un collectif local des JRE, emboîtant le pas d’une enseignante et de la directrice d’une école maternelle de Joué-lès-Tours (Indre-et-Loire).

Maman tchétchène

En cause, une vidéo postée le 29 mars sur le site Internet des JRE, où Dalila Hassan, se présentant comme  » responsable de la JRE 37 300 « , prend pour cible le groupe scolaire Blotterie, dans la banlieue sud de Tours. Ici, pas d’expérimentation des ABCD de l’égalité, le dispositif de lutte contre les inégalités accusé d’être le  » cheval de Troie  » de la  » théorie du genre « .

Durant dix minutes, la jeune femme s’indigne d’un  » attentat à la pudeur «  qui, accuse-t-elle, aurait été perpétré par une institutrice contre un garçonnet de 3 ans et l’une de ses camarades. Elle dit se faire l’écho des craintes d’une maman tchétchène. L’enfant  » a expliqué que la maîtresse avait baissé son pantalon, qu’il y avait aussi (…) une petite fille à qui on a baissé le pantalon et (…) que la maîtresse a demandé à la petite fille de toucher ses parties génitales et au petit garçon de toucher les parties génitales de la petite fille et ensuite de se faire des bisous « . Elle signale avoir alerté Farida Belghoul des faits. En clôture de la vidéo, un slogan :  » Vaincre ou mourir. « 

53 000 visions de la vidéo

C’était déjà en diffusant, sur les réseaux sociaux, rumeurs et accusations, que le  » mouvement  » lancé par l’ex-militante de la Marche des Beurs, proche de l’idéologue Alain Soral, s’était fait connaître en janvier. Les SMS dont avaient été bombardées certaines familles – essentiellement musulmanes – faisaient état, entre autres, d’une  » éducation sexuelle prévue en maternelle avec démonstration et apprentissage de la masturbation « . Postée sur Facebook et déjà visionnée plus de 53 000 fois, la vidéo de Dalila Hassan a suscité de nombreuses réactions, souvent scandalisées, parfois menaçantes, quelquefois aussi dubitatives.

 » La peur est devenue irrationnelle « , témoigne Paul Agard, enseignant en élémentaire à la Blotterie, par ailleurs secrétaire départemental du SNUipp-FSU.  » On ne sait pas d’où la rumeur est partie, qui a contacté qui… On ignore qui sont précisément ces représentants des JRE, combien ils sont, qui est derrière eux… Mais leurs accusations semblent impossibles à croire, ici ! «  Elles ont pourtant conduit 60 à 80 personnes à se rassembler devant les portes de l’école de Joué-lès-Tours, vendredi 28 mars vers 17 h 30, pour demander des comptes à l’équipe pédagogique (…) »

Le tract accusant le maire sortant

Aujourd’hui l’affaire rebondit et prend une nouvelle ampleur. Après la rumeur, le tract. Un tract politique accusant nommément  le maire sortant, Philippe Le Breton, de faire appliquer la théorie du genre dans cette école. Un tract incitant à voter pour le maire (UMP) qui vient d’être élu, Frédéric Augis.

La Nouvelle République (voir ici) précise que le document «  ressemble trait pour trait à ceux de la campagne du candidat UMP à la mairie de Joué-lès-Tours ». Il porte notamment le logo de la liste « Une nouvelle ambition pour Joué » et utilise la même typographie que les autres tracts du candidat UMP.  On peut y lire : « Philippe Le Breton et sa majorité socialiste ont déjà bouleversé les valeurs de la famille en permettant le mariage pour tous. Depuis la rentrée, ils imposent l’enseignement de la théorie du genre dans l’école Blotterie, demain dans l’école Rotière et celle de la Mignonne ». Pas de mention d’imprimeur.

Que fera le procureur de la République ?

Ce tract aurait été diffusé dans certaines boîtes à lettres dans la nuit du jeudi au vendredi qui précédaient les élections. Interrogé hier, Frédéric Augis a démenti toute implication dans la diffusion de ce tract. « Je ne sais pas d’où il sort, affirme-t-il. Il s’agit d’une usurpation. Je ne peux que déplorer de tels agissements ». Le futur maire de Joué-lès-Tours envisage de porter plainte. Pour l’heure on attend avec intérêt les décisions que prendra, ou pas, le procureur de la République d’Indre-et-Loire.

A demain

Excitations sexuelles de parents d’élèves d’une école maternelle au Jardin de la France

Bonjour

Il est des faits divers salissants. C’est le cas de celui que vient de traiter La Nouvelle République du Centre- Ouest. Un traitement réalisé avec des gants qui font honneur à notre profession – comme on peut le voir ici (1).

Cela se passe en France, région Centre, département d’Indre-et-Loire, commune de Joué-lès-Tours, quartier de la Blotterie. Une école maternelle, ses élèves, leurs parents, les enseignants. Depuis quelques jours des parents d’élèves accusent des enseignants. Des accusations graves émanant de l’association « Journée de retrait de l’école » (JRE). Et plus précisément sa responsable locale, comme on ne peut plus le voir ici.

Education sexuelle

« Depuis vendredi, l’affaire s’est répandue sur les réseaux sociaux : selon la section de Joué de l’association JRE, une enseignante de l’école maternelle de la Blotterie à Joué aurait, dans le cadre de l’ABC sur la théorie des genres et de séances d’éducation sexuelle, demandé à un petit garçon et une petite fille de se mettre à nu et de se toucher mutuellement les parties génitales » résume La Nouvelle République. Aucune expérimentation ABC sur l’égalité ne se pratique dans l’académie Orléans-Tours.

Le quotidien régional explique que la diffusion de cette « information » a ému un certain nombre de parents, qui ont manifesté  le vendredi 28 mars aux abords de l’école. Il nous dit aussi que la présidente nationale de JRE, Farida Belghoul, est venue sur place. Il nous dit encore qu’une délégation de parents a été reçue par l’inspecteur primaire en charge du secteur.

Main courante

Le 31 mars au matin, certains parents appelaient au retrait des enfants de l’école. Une main courante, en attendant une plainte, a été déposée auprès de la police. L’émotion est également grave  au sein de l’Education nationale et de la mairie de Joué-lès-Tours.

« Cette attitude est gravissime et je condamne fermement et sans ambiguïté les propos proférés par cette association, a déclaré Antoine Destrés, directeur administratif d’académie de l’Éducation nationale Une plainte a été déposée pour dénonciation calomnieuse. J’apporte mon plein soutien à l’enseignante mise en cause ainsi qu’à l’ensemble de l’équipe de l’école. Je serai le 31 mars au matin  à la porte de l’école pour marquer ce soutien. Mais au-delà de cette réaction immédiate, il nous faut réfléchir à une action pédagogique auprès des parents d’écoliers et de collégiens pour éviter qu’à l’avenir ce genre d’affaire se reproduise.»

Ne pas contaminer

Le syndicat Sud Solidaires est monté au créneau pour dénoncer une manipulation de JRE conduisant à un « lynchage public d’enseignants », dans le cadre d’une « attaque contre l’école et la laïcité ». « De telles accusations sont proprement scandaleuses, accuse Philippe Le Breton maire socialiste de Joué-lès-Tours avant le second tour des élections. C’est une manipulation pure et simple : la police et la justice permettront de l’établir. » Aujourd’hui M. Le Breton n’est plus maire. 206 voix d’écart au terme d’une triangulaire dans laquelle le candidat Front national a réuni 1698 voix, soit 11,74% des suffrages exprimés. Le lendemain du vote 20% des élèves de la classe manquaient à l’appel.

Il est des faites divers salissants car potentiellement contaminants. Des faits divers à traiter sans contaminer.

A demain

(1) Extraits du commentaire accompagnant cet article, commentaire signé François Bluteau :

« Il y a des circonstances où le travail de journaliste ne peut se cantonner à donner la parole aux uns puis aux autres avec un souci d’équilibre. Il lui faut rappeler certains éléments qui permettent de renifler l’odeur nauséabonde de la manipulation.

1. On sait depuis Outreau que la parole des enfants, si elle doit être écoutée, doit être entendue avec d’infinies précautions. Les questions des adultes peuvent induire les réponses des enfants. La section locale de l’association Journée de retrait des écoles n’a pas eu ce scrupule : elle a pris pour argent comptant les dires d’un garçon de trois ans recueillis par sa mère qui elle-même ne parle pas français.
2. L’association JRE a déjà par le passé récent tenté de mobiliser les familles musulmanes en proférant des contre-vérités : sur la soi-disant théorie des genres qui n’existe pas, en affirmant que l’apprentissage de la masturbation allait faire partie des enseignements de l’école. Sa fondatrice, Farida Belghoul, se répand dans la blogosphère d’extrême droite. (…)

3. Les faits tels qu’ils sont rapportés paraissent totalement invraisemblables (…)  L’enquête dira certainement qu’il s’agit bien d’une manipulation dans le but de saper des principes fondamentaux de la République : l’égalité entre les sexes et la laïcité. L’enquête le dira dans six mois ou dans un an, une éternité pour la blogosphère, qui ne connaît souvent que l’immédiateté. Entre-temps, le mal sera fait. Mentez, mentez encore et toujours, il en restera bien quelque chose : Voltaire, au secours !