Un homme déjà condamné à Colmar pour avoir sciemment transmis le VIH par voie sexuelle vient d’être écroué à Lyon pour des agissements similaires. Mais encore ?
C’est en France une triste première médicale et judiciaire. Une première pour l’heure sans grand écho. Un homme de 38 ans, condamné par le passé à six ans de prison pour avoir sciemment transmis le sida à des partenaires, a été mis en examen et écroué à la maison d’arrêt d’Aix-Luynes (Bouches-du-Rhône) pour des faits similaires. L’information est dite « de source policière ». Cette source ajoute que l’homme a été mis en cause pour cinq nouveaux faits. Une information judiciaire pour « administration de substances nuisibles » a été ouverte.
« Il a eu des rapports sexuels non protégés sans parler de sa séropositivité, et malheureusement une victime parmi les cinq a été contaminée », a précisé une source policière à l’Agence France Presse, confirmant ainsi une information préalablement diffusée par le quotidien régional La Provence. En pratique c’est une plainte d’une de ses ex-compagnes qui a alerté les policiers de Miramas (Bouches-du-Rhône). « Elle a été informée par quelqu’un de la maladie de cet homme et elle a fait des recherches sur internet où elle a découvert qu’il avait déjà fait de la prison ferme », a ajouté la même source.
L’homme – un chauffeur de bus, qui s’était installé à Istres à sa sortie de prison en 2008 – a expliqué aux enquêteurs « faire un blocage psychologique » et « avoir peur que sa partenaire le laisse tomber ». Ce même homme avait été condamné – en janvier 2005 – par la cour d’appel de Colmar à six ans de prison ferme pour avoir contaminé par le VIH deux de ses partenaires. L’une des deux se serait suicidée, précise l’AFP.
Ou l’on ouvre à nouveau le dossier médico-judiciaire de contamination non accidentelle par le VIH lors de relation sexuelle, sujet que nous avions abordé en octobre dernier sur ce blog à l’occasion d’un précédent procès qui se tenait à Paris. L’homme avait alors été condamné à neuf ans de prison pour avoir transmis le virus du sida à son ancienne compagne. Au moment des faits il se savait séropositif vis-à-vis du VIH depuis quatre ans.
Auparavant la cour d’appel de Fort-de-France avait condamné en 2007 à dix ans d’emprisonnement un homme ayant contaminé cinq mineures. D’autres condamnations avaient suivi à Aix-en-Provence en 2009 (trois ans), à Rennes en 2010 (six mois) ou encore à Strasbourg en mars 2011 (trois ans). Après l’émergence de cette nouvelle maladie, la découverte de ses modes de transmission et la mise au point des marqueurs sérologiques (1) de l’infection le milieu associatif spécialisé s’était longtemps déclaré « réservé » (sinon franchement hostile) à l’égard d’une pénalisation de telles contaminations.
L’un des principaux arguments avancés tenait alors au fait que condamner (stigmatiser) nuirait au nécessaire dépistage volontaire de cette infection. Les responsables de ce milieu associatif sont aujourd’hui silencieux. Est-ce parce qu’ils estiment que les arguments d’hier ont perdu de leur pertinence ? Parce que cette problématique de santé publique s’est banalisée et, partant, qu’elle ne passionne plus les médias et donc – ce qu’il est convenu de nommer – l’opinion publique ?
L’administration de substances nuisibles est en France passible de 15 ans de réclusion criminelle, voire de 20 ans si elle est commise avec préméditation.
Le jeune site médical basé à Genève et destiné au grand public www.planetesante.ch rappelle fort opportunément sur ce thème que la plupart des pays européens (dont la Suisse mais à l’exception des Pays-Bas) « condamnent sévèrement ce comportement ». Précisément, qu’en est-il en Suisse (2) ? « Les tribunaux s’appuient sur deux dispositions du Code pénal suisse. La première (Article 122), protège l’intégrité corporelle, et réprime donc les lésions corporelles graves. Celui qui en est reconnu coupable encourt une peine privative de liberté pour dix ans au plus, ou d’une peine pécuniaire de 180 jours-amende au moins, peut-on lire. En l’occurrence, on considère qu’il s’agit d’une infraction intentionnelle, qui peut mettre en danger la vie d’autrui. Elle suppose donc un comportement dangereux et des lésions corporelles graves. »
L’autre disposition invoquée par les tribunaux est la propagation d’une maladie de l’homme (Article 231). Selon cet article, celui qui aura, intentionnellement, propagé une maladie de l’homme dangereuse et transmissible sera puni d’une peine privative de liberté de cinq ans au plus ou d’une peine pécuniaire de 30 jours-amende au moins. Ces peines peuvent être modulées selon que la personne a agi «par bassesse de caractère», ou par négligence.
Qu’en est-il lorsque le ou la partenaire accepte le risque, autrement dit consent à un rapport sexuel non-protégé, en connaissance de cause? Pour la plupart des tribunaux cantonaux, cela ne rend pas le comportement de la personne séropositive non-punissable, mais peut amener à une diminution des indemnités pour tort moral allouées à la victime, en considérant qu’elle a dans une certaine mesure contribué à son dommage, pour n’avoir pas refusé des rapports non protégés.
Une question nullement négligeable est celle de savoir si l’efficacité des traitements antirétroviraux (étable depuis maintenant près de dix ans) font ou non évoluer la jurisprudence. « La sévérité des tribunaux pourrait s’atténuer avec le temps, puisque les traitements antirétroviraux ont changé la donne. En effet, les données statistiques et épidémiologiques récentes montrent qu’il n’y a pas de transmission lorsque l’infection est contrôlée, peut-on lire sur www.planetesante.ch. Qu’entend-on par là? On entend une personne séropositive qui suit un traitement antirétroviral de manière conséquente, chez qui la charge virale n’est pas détectable dans le sang depuis six mois, même avec des méthodes ultrasensibles, et qui n’est pas porteuse d’une autre maladie sexuellement transmissible. Les tribunaux genevois ont déjà ouvert la voie en prononçant l’acquittement de plusieurs personnes dans cette situation. Un autre fait pourrait peser progressivement dans la balance, c’est la baisse considérable du taux de mortalité des personnes porteuses du VIH, qui a rejoint celui des patients traités avec succès contre le cancer. »
Cette évolution du droit face aux évolutions de la médecine n’est pas le moins intéressant des thèmes de santé publique et de bioéthique inhérents au sida. On pourrait regretter que le journalisme français d’information générale (qui se passionna et s’entredéchira durablement à propos de différents sujets associés à cette maladie) n’y accorde plus guère d’attention (3). La triste et première médicale que nous évoquions plus haut pourrait peut-être y contribuer.
(1) Une relecture de cette période est depuis peu proposée dans l’ouvrage « SIDA 2.0. Regards croisés sur 30 ans d’une épidémie » de Didier Lestrade et Gilles Pialoux (Editions Fleuve noir). Une relecture partielle, précieuse et inattendue. Elle vient témoigner à sa façon que sur ce sujet les braises des passions d’hier ne sont nullement éteintes ; du moins chez certains des historiques français de ce qui demeurera restera la grande affaire de santé publique de notre époque. Une affaire qui reste à écrire par des historiens.
(2) Sur ce thème on peut fort utilement se reporter à l’ouvrage de l’avocate Antonella Cereghetti Médecin et droit médical, Editions Médecine & Hygiène. (Genève)
(3) « Au lieu de donner l’amour il a donné la mort »
Ajoutons cette dépêche de l’AFP datée du 16 février:
« Un éducateur spécialisé, reconnu coupable d’avoir sciemment transmis le virus du sida à deux partenaires, a été condamné jeudi par le tribunal correctionnel de Draguignan à deux ans de prison, dont un an avec sursis et mise à l’épreuve pendant trois ans. Cet homme de 39 ans, originaire d’Avignon (Vaucluse), était poursuivi pour « administration de substances nuisibles suivie de mutilation ou infirmité permanente ». Le tribunal a accompagné la peine, qui se déroulera sous bracelet électronique, d’une obligation de soins psycho-thérapeutique. Il a également accordé une provision de 30.000 et 50.000 euros à chacune des deux victimes.
La procureure de la République Catherine Doustaly avait requis trois ans de prison « avec un sursis partiel ou total ». « C’est un comportement suicidaire pour lui mais criminel pour les autres, réitéré sur plusieurs années », a-t-elle dénoncé.
Les faits remontent entre 2003 et 2006, période au cours de laquelle Christophe Veyron, alors infirmier à Brignoles (Var), a eu des relations « sentimentales » avec des rapports sexuels non protégés avec deux partenaires de Carpentras et de Perne-les-Fontaines (Vaucluse).
L’un et l’autre ont toujours affirmé que Veyron les avait rassurés, leur affirmant qu’il était « clean ». A l’un d’eux, il avait même produit un résultat d’analyses négatif qui s’avérera avoir été falsifié. L’enquête conduite par les gendarmes a mis en évidence le fait que Veyron, qui a toujours refusé d’effectuer des tests de dépistage, se savait contaminé par un ancien partenaire. Ce qu’il a nié à la barre. Selon le psychiatre, il était dans « un déni face au réel de sa maladie ».
Pour son avocat Me Michel Roubaud, qui a plaidé la relaxe, « l’élément intentionnel est impossible à caractériser ».
« Au lieu de donner l’amour, il a donné la mort, une mort qu’on ne voit pas mais une mort latente », a plaidé en partie civile Me Isabelle Colombani, rappelant que ses clients « portaient la mort en eux » ».