Chasser le conflit d’intérêts : un spécialiste des antibiotiques épinglé par Le Canard Enchaîné

Bonjour

C’est une chasse médiatique ouverte tous les jours de l’année. Aujourd’hui 20 février 2019 le trophée est exposé en page 3 du Canard Enchaîné (Isabelle Barré). Soit le cas du Pr Antoine Andremont qui se présente ainsi sur le Huffpost :

« Antoine Andremont est l’un des principaux experts internationaux dans le domaine de l’étude de la résistance des bactéries aux antibiotiques. Professeur à la faculté de médecine de l’université Paris-Diderot, il dirige le laboratoire de bactériologie de l’hôpital Bichat-Claude Bernard. Il effectue des missions régulières pour l’OMS et a créé la start-up Da Voleterra pour développer des innovations contre les bactéries résistantes. »

 Ou encore, sur le site de vetagro.sup.fr :

« Après une formation clinique de base en pédiatrie, complétée par une formation à la recherche aux Etats-Unis et un séjour en milieu tropical dans le cadre du volontariat pour le Service National Actif, j’ai opté pour la bactériologie médicale en France depuis 1979. Dans cette spécialité, j’ai occupé jusqu’en 1996 le poste d’adjoint au Laboratoire de Microbiologie Médicale de l’Institut Gustave-Roussy (Villejuif), qui est le plus important centre français de recherche et de traitement en cancérologie.

 « Depuis 1996 je dirige le Laboratoire de Bactériologie du Groupe Hospitalier Bichat-Claude Bernard qui est un CHU de 1300 lits à forte composante infectieuse, chirurgicale et cardiologique. Sur le plan universitaire, j’ai été Professeur à la Faculté de Pharmacie de Chatenay-Malabry (Université Paris XI) de 1988 à 1996 puis à la Faculté de Médecine Xavier-Bichat (Université Paris VII) depuis lors. Ma recherche s’effectue au sein de l’UMR 1137 INSERM, (IAME) dirigée par E. Denamur. Mon activité actuelle intègre les composantes hospitalières, universitaires et de recherche centrées sur le rôle des flores commensales dans l’évolution de la résistance bactérienne et la survenue des infections nosocomiales et les moyens de la combattre. J’assure un rôle d’expert judiciaire auprès de la Cour d’Appel de Paris et de la Cour de Cassation dans le domaine des infections microbiennes et de l’hygiène. »

 L’hebdomadaire satitique ajoute que cet expert a aussi été retenu, en tant que tel, par le ministère de la Recherchedans le cadre d’un « programme prioritaire » ayant pour objectif la lutte contre la résistance aux antibiotiques (40 millions d’euros). Quoi de plus logique quand on sait que la France ne figure pas en bonne position (euphémisme) à l’échelle mondiale : avec 125 000 infections par an et 5 500 décès prématurés, elle est le 6ème pays européen le plus touché – après l’Italie, la Grèce, la Roumanie, le Portugal et Chypre.

Demain, sur le pré

Là où le bât blesse, « le hic » pour l’hebdomadaire satirique, c’est la « boîte privée Da Volterra » fondée par cet expert et qui « espère bien faire fortune sur le marché … de l’antibiorésistance ». « Da Volterra » , spécialisée dans le champ a priori porteur du microbiote et qui, fin 2017, a obtenu 20 millions d’euros auprès de la Banque européenne d’investissement pour développer son « produit phare » DAV132 qui a terminé deux essais cliniques de phase I.  Il s’agit ici de prévenir les maladies nosocomiales et de lutter contre l’antibiorésistance.

Le DAV132 est « un produit à base d’absorbant délivré uniquement dans la partie basse de l’intestin grêle. Co-administré avec des antibiotiques, n’importe lesquels, il permet d’éviter les effets néfastes de ces derniers sur la flore intestinale » expliquait en 2017 à La Tribune (Jean-Yves Paillé) Florence Séjourné, présidente de Da Volterra. « Pour éviter l’émergence de la résistance aux antibiotiques , le DAV132 agit comme un filtre », précisait-elle.  En s’associant à des laboratoires pharmaceutiques, Da Volterra espérait lancer le produit en 2019-2020 en Europe. Et aux Etats-Unis.

Y-at-il là un cas flagrant de conflit d’intérêts ? Le Canard le pense. Le Pr Andremont pense le contraire. Mon lien avec la société Da Volterra a été porté à la connaissance [du ministère] lorsque je l’ai rejoint en 2017 » a-t-il expliqué au volatile, ajoutant posséder aussi des « don de souscription d’actions » de la société. Mais Le Canard de citer un confrère (anonyme) de notre expert : « Je ne connais pas de situation de conflit d’intérêt aussi claire. C’est l’un des experts qui a conseillé au ministère de mettre en place ce plan, lequel fait monter le sujet de l’antibiorésistance, ce qui ne peut que bénéficier à Volterra et à son cours de Bourse ».

Où l’on en vient à regretter que ce confrère n’ose pas s’exprimer à visage découvert. Avant d’en découdre sur le pré.

A demain

@jynau

Le flacon de Keytruda® ne vaut plus que 1314 €. Les troublants regrets de MSD-France  

Bonjour

Il faudra bien un jour prochain, rapprocher le prix et la morale. Chiffrer l’espérance de vie. Dire ce qu’il peut ou non en être de la solidarité citoyenne. Et pouvoir connaître les comptes des géants de Big Pharma.

C’était, hier, un scoop des Echos : un accord avait été trouvé, le 23 novembre entre la filiale française du géant pharmaceutique américain MSD et le gouvernement français – accord sur le prix  du plus qu’onéreux médicament anticancéreux Keytruda®. Semi- scoop car le montant du prix n’a pas été révélé. Scoop plus qu’opportun : une conférence de presse était organisée ce 28 novembre 2017 – conférence de presse qui se tenait (on ne se refait pas) Hôtel de Sers – Salon du Marquis, 41 Avenue Pierre 1er de Serbie, 75008 Paris.

Cela donne notamment ceci – destiné à la presse  :

« Innovation de rupture de MSD dans le cancer du poumon : Keytruda® (pembrolizumab), 1ère et seule immunothérapie mise à disposition des patients en  1ère ligne de traitement Environ 6000 patients français vont désormais pouvoir bénéficier de Keytruda® avec une médiane de survie globale plus que doublée. Keytruda® bouleverse la prise en charge en monothérapie en 1ère et 2ème lignes des patients atteints d’un cancer du poumon dans une approche de médecine de précision. »

Survie doublée

Depuis Courbevoie, MSD se félicite d’avoir trouvé un accord avec le Comité Economique des Produits de Santé (entendre le gouvernement français) permettant la prise en charge de son traitement d’immunothérapie Keytruda®  en 1ère ligne en monothérapie pour les patients souffrant de cancer bronchique non à petites cellules métastatique (CBNPC). Après des années d’attente, tout, désormais, doit aller très vite :

« Dès publication de ces éléments, les patients éligibles au traitement pourront donc bénéficier de Keytruda®. (…) Keytruda® constitue une innovation de rupture sans précédent dans l’histoire de la prise en charge de ce cancer. ‘’Pour les patients ayant un cancer du poumon au stade métastatique, la forme la plus grave, les plus susceptibles de répondre à l’immunothérapie et encore naïfs de tout traitement, Keytruda® double la survie par rapport à la chimiothérapie, avec une tolérance et une qualité de vie bien meilleures que la chimiothérapie classique. C’est une innovation majeure, qui va bouleverser la prise en charge d’un grand nombre de patients atteints de cancer du poumon. Depuis la présentation scientifique des résultats cliniques et l’obtention de l’AMM, depuis plus d’un an donc, nous attendions de pouvoir traiter nos patients avec cette immunothérapie. Dans le cancer du poumon – qui reste un des cancers les plus fréquents et les plus graves, il n’y avait pas eu d’innovation de cette ampleur depuis des années’’ a déclaré le Pr Christos Chouaid, pneumologue en oncologie thoracique au CHI de Créteil.

Réjouissance et regrets

L’argent ? Nous y voilà : « Dans un double esprit de responsabilité clinique et économique, MSD a proposé une baisse de tarif de 17 % de Keytruda®  (…) Keytruda® va baisser alors que la Commission de la Transparence a reconnu l’apport thérapeutique de Keytruda® en monothérapie avec l’octroi d’une ASMR de niveau III dans le CBNPC 1ère ligne (AMM en janvier 2017) et qu’il s’agit du seul médicament bénéficiant d’une telle reconnaissance de progrès thérapeutique dans cette indication. Le nouveau tarif du flacon de 50mg de Keytruda sera de 1314,305€ HT [contre 1583,50 € HT] et sera applicable à l’ensemble des indications de Keytruda prises en charge : CBNPC 1ère ligne et 2e ligne ainsi que le mélanome métastatique.

« L’accord négocié avec le Comité pour Keytruda® , incluant une baisse de prix et en complément du ciblage des patients, permet de répondre à l’enjeu de soutenabilité des dépenses de santé liées aux innovations de rupture (sic). Notre approche responsable s’inscrit dans la continuité de celle que nous avions déjà adoptée pour permettre l’accès universel à Zepatier®, notre traitement contre l’hépatite C », a déclaré Cyril Schiever, président de MSD France.

Applaudir ? M. Schiever a étrangement ajouté ceci : « Si nous nous réjouissons de l’accord trouvé pour Keytruda®, nous regrettons que dans le cas de cette extension d’indication thérapeutique, le cadre réglementaire français n’ait pas offert la possibilité d’un accès précoce des patients à cette innovation de rupture. Rappelons que jusque-là, avant Keytruda® , la médiane de survie des patients souffrant de cancer bronchique non à petites cellules métastatique était d’environ un an. Nous appelons de nos vœux une évolution de la réglementation pour qu’à l’avenir, les patients puissent bénéficier de ce type de traitement multi-indications dans les meilleurs délais. Nous espérons que le travail accompli ces derniers mois avec les autorités permettra d’accélérer l’accès à Keytruda® pour les patients dans les indications à venir ».

Les extensions d’indication dans le lymphome de Hodgkin (AMM en mai 2017) et dans le cancer de la vessie en 2ème ligne (AMM en août 2017) sont en cours d’évaluation par la HAS. Les spécialistes apprécieront.

A demain

Les «Paradis pharmaceutiques» ou l’inquiétante délocalisation des expérimentations cliniques 

 

Bonjour

Dans l’ombre de la mondialisation, les délocalisations. Nous avons appris il y a peu la première implantation, chez un patient du Kazakhstan du cœur artificiel mis au point par Carmat. Soit la poursuite dans la capitale de l’ancienne république soviétique, d’un essai commencé en France où il avait généré quelques polémiques. Carmat a, depuis, annoncé, avoir obtenu le feu vert pour implanter son dispositif à l’Institut de la Médecine Clinique et Expérimentale (IKEM) de Prague, en République tchèque. Elle a aussi annoncé avoir fait des demandes similaires « dans quatre autres pays », sans toutefois préciser lesquels.

Si quelques indiscrétions sont parfois ici ou là glissées, la direction générale de Carmat se refuse à préciser les raisons précises pour lesquelles elle préfère désormais l’étranger à la France. Interrogée par le quotidien économique La Tribune, la société cotée en bourse reconnaît que les essais cliniques pourraient ainsi être « potentiellement » terminés plus vite en étant moins coûteux, tout en assurant que « ce n’est pas le but ».

« Si les modalités d’expérimentation du cœur artificiel interrogent, c’est que, à l’échelle mondiale, une dynamique de délocalisation des essais cliniques vers des pays dits à moindre coût est actuellement à l’œuvre. Initié depuis plusieurs années maintenant, ce mouvement concerne particulièrement la Chine, l’Inde, la Russie et les pays de l’ex-Union soviétique, explique Mathieu Noury, sociologue, conseiller à la recherche, (Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue) dans un papier original et documenté disponible sur le site The Conversation.

John Le Carré et la souplesse chinoise

M. Noury traite de ce phénomène (généralement encore ignoré des médias généralistes) dans un chapitre de son livre (« La nanosanté, la médecine à l’heure des nanotechnologies») 1 qui vient d’être publié aux Éditions Liber. « Désormais, un même essai clinique se déroule bien souvent dans plusieurs zones géographiques, explique-t-il. Le cas du Crlx101, une nouvelle approche pour combattre le cancer mise au point par la compagnie américaine de nanopharmaceutique Cerulean, en témoigne. L’étude de phase 1 a été réalisée aux États-Unis, et l’étude de phase 2, en Russie et en Ukraine, comme indiqué sur le site du gouvernement américain consacré aux essais cliniques. Il n’est plus rare de voir une phase d’essai réalisée dans plus de cinq pays à la fois, sur différents continents. »

Dans ce domaine la Chine et la Russie seraient, selon lui, les pays qui les pays qui connaîtraient le plus fort taux de développement, suivis de l’Argentine, de la République tchèque, de la Hongrie et du Mexique. « En raison de la souplesse de sa législation sur les cellules souches, la Chine est particulièrement engagée dans des essais en médecine régénératrice, ajoute l’auteur. C’est également le cas de plusieurs autres pays comme l’Inde, Taïwan ou la Pologne.

Rien n’est simple dans ce domaine et les arguments ne manquent pas pour déjouer les indignations réflexes – comme au temps de »The Constant Gardener » (« La constance du jardinier ») de John Le Carré. Les promoteurs peuvent ainsi faire valoir la diversité ethnique – permettant une généralisation plus grande des résultats cliniques. « Dans ces pays, les essais cliniques sont souvent le seul moyen d’avoir accès à des soins de santé pour les couches sociales les plus pauvres, ajoute M. Noury. Les essais sont considérés comme faisant partie intégrante des soins de santé depuis que, dans les années 1990, les États ont massivement adopté des politiques réformatrices d’inspiration néolibérale et privatisé le système de santé, en réduisant considérablement l’accès. »

Le rêve des Lumières

C’est ici oublier que si le traitement expérimenté a un quelconque effet positif sur l’état du patient, ce dernier n’aura plus accès au produit qu’il a contribué à développer une fois les tests cliniques terminés. Ce n’est pas là la seule perversité. « Un autre facteur expliquant l’attractivité de ces pays est la sous-médicalisation des patients qui y sont recrutés, ajoute M. Noury. N’ayant pas eu ou ayant peu d’accès à d’autres formes de traitements, ces sujets ne présentent pas de risques d’interférences entre médicaments lors des essais. Cela augmente les chances d’obtenir des résultats démontrant une efficacité positive du produit et de voir les autorités sanitaires américaines, canadiennes ou françaises en valider la mise sur le marché. »

Tout cela sans compter les économies réalisées via ces délocalisations, qu’il s’agisse des investissement dans les tests cliniques ou des délais plus courts pour parvenir à des résultats probants. Emergent ainsi de véritables « paradis pharmaceutiques » comme il existe toujours, envers et contre tout, d’éternels paradis fiscaux. :

Jusqu’où ira cette dynamique de délocalisation des essais cliniques ? « Ce phénomène pose, a minima, la question du respect des normes scientifiques, juridiques et éthiques des essais cliniques et des règles encadrant la recherche biomédicale » estime M. Noury. On peut aussi aller plus loin : combien de temps nous faudra-t-il avant de comprendre que les dispositions bioéthiques que l’on imaginait universelles n’étaient qu’occidentales ? Et combien de temps avant que l’on saisisse qu’elles sont désormais battues en brèche au sein même de cet occident des Lumières qui les avait rêvées ?

A demain

1 A noter aussi l’ouvrage de l’anthropologue américaine Adriana Petryna  «  When Experiments Travel « ( « Quand les expérimentations voyagent » encore non traduit en français – que font les éditeurs ?)