La question se pose après les nombreux échos médiatiques rencontrés ces derniers jours par les publications préliminaires des équipes du Dr Lanza (dégénérescence rétinienne) et du Pr Baulieu (maladie d’Alzheimer)
Il y a l’affaire et il y a la première. Le scandale et la justice saisie ; le triomphe et le Nobel en vue. Le revers et l’avers de la même médaille médicale passée au feu des lumières médiatiques. L’une des versions du bien et du mal. Ce serait beau comme l’antique et le religieux si la réalité n’était pas – un tout petit peu – plus complexe.
On n’épuisera certes pas ici ce sujet foisonnant et qui confère au journalisme médical l’une de ses spécificités et toute sa richesse potentielle. Il y a sept ans nous avons vécu en accéléré et de manière hautement condensée ce double phénomène avec l’affaire Hwang Woo-suk : du nom d’un biologiste coréen fétu de clonage chez les mammifères, porté au pinacle par ses pairs américains (puis par la presse internationale d’information générale) avant d’être mis au cachot pour ne pas avoir respecté quelques principes sacrés de la recherche en biologie.
Mais pour une affaire sublime et tragique, combien de sujets de seconde zone. Un large pan de l’espace médiatique dévolu aux choses du corps est pris aujourd’hui par l’affaire des prothèses mammaires ; un sujet bien atypique, bien croustillant (ou du moins traité comme tel) qui nous réserve encore bien des rebondissements. Un sujet qui n’a guère fait d’ombre à deux annonces formatées pour faire un bruit certain.
L’affaire Lanza
La première a été lancée par l’auguste et célèbre Lancet. L’hebdomadaire médical londonien a, il y a quelques jours et pour des raisons mal élucidées, levé bien avant l’heure l’embargo concernant une publication concernant des greffes de cellules souches embryonnaires humaines chez des personnes souffrants de maladies dégénératives de la rétine. Lever un embargo confère toujours une certaine notoriété à l’objet concerné. Un média (généralement d’information générale souhaitant faire un coup) a choisi de le briser, violant ainsi des règles non écrites pour prendre l’avantage sur ses concurrents ? C’est donc que l’affaire est d’importance se disent ces derniers. Et la machinerie de se mettre en branle dans le désordre. Bourdonnements assurés sur Toile et sur papier.
De quoi s’agit-il ici ? De la publication des premiers résultats très préliminaires obtenus par la société américaine Advanced Cell Technology (ACT) sur deux patientes atteintes de maladies caractérisées par une dégénérescence rétinienne. Chez ces deux patientes des cellules souches embryonnaires d’origine humaine avaient été greffées au sein du tissu rétinien. L’une d’elles, âgée d’environ 70 ans, souffre de la forme dite sèche de la dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA) ; il s’agit là de la forme la plus fréquente d’une maladie qui constitue la principale cause de cécité chez les personnes ayant dépassé les cinquante ans. La seconde patiente est atteinte de la maladie de Stargardt, affection héréditaire de l’œil qui se manifeste dans l’enfance et mène à une perte de la vision centrale.
Ces greffes ont, disent les auteurs de ce travail, été plutôt bien supportées par les deux femmes. C’était très précisément l’objectif de cet essai clinique dit de phase I. Mais les auteurs ajoutent que leur vue s’est très modestement et de manière pour une large part subjective améliorée. Faut-il d’ailleurs parler ici d’amélioration ? Sans ce dernier point les médias n’auraient sans aucun doute fait écho à ce travail. Mais avec une amélioration de la vue (même modeste, même très modeste) tous les titres sont possibles. On pourra toujours, ensuite, préciser (comme le font d’ailleurs les auteurs dans leur publication) qu’ « un suivi continu et de nouvelles études sont nécessaires » avant d’ajoute que la prochaine étape d’ACT consistera à traiter des patients atteints de formes précoces de la maladie. Il y aura aussi le lancement d’un essai en Europe, sur un patient atteint de la maladie de Stargardt, et ce au Moorfields Eye Hospital de Londres.
A peine l’embargo du Lancet était-il levé que l’information circulait sur les sites spécialisés dans les investissements boursiers. Il est vrai qu’il s’agit là d’un marché potentiel d’une ampleur considérable. Il est vrai aussi que le Dr Robert Lanza, le patron presque charismatique d’ACT est un familier de ces rouages et ne craint nullement de faire des Unes sans lendemains.
L’affaire Baulieu
Retour en France. Plus précisément sur la rive gauche de la Seine dans l’un des plus beaux sites d’un Paris qui, dans ce quartier, en compte tant : quai Conti. La presse spécialisée était convoquée séance tenante à l’Académie des sciences où Etienne-Emile Baulieu professeur honoraire au Collège de France tenait à faire part de sa dernière découverte ouvrant (peut-être) la voie à un possible traitement contre la maladie incurable d’Alzheimer. Passé depuis longtemps maître dans l’art subtil des relations avec la presse le Pr Baulieu, 85 ans, a une nouvelle fois bénéficié d’une grosse et uniforme couverture médiatique hexagonale.
Elle reproduit généralement in extenso ou presque cette dépêche de l’Agence France Presse (AFP – 24/01/2012 – 19:03:02) :
« PARIS – La découverte qu’une protéine, la FKBP52, faisait défaut dans le cerveau des malades d’Alzheimer, fait naître l’espoir d’un médicament contre ce fléau moderne qui touche près d’un quart des personnes de plus de 90 ans, selon un chercheur français. Une équipe française de l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale) dirigée par le Pr Etienne-Emile Baulieu –le découvreur de la pilule abortive RU486, aujourd’hui âgé de 85 ans– a mis en évidence une baisse de 75% de cette protéine dans les cerveaux de personnes décédées d’Alzheimer ou bien de démences séniles de même type.
Cette protéine découverte en 1982 par le même laboratoire de l’Inserm à l’occasion d’autres recherches est présente en temps normal de manière « abondante » dans le cerveau, a expliqué le Pr Baulieu lors de la présentation de ces travaux, objet d’une publication dans le Journal of Alzheimer’s Disease. Cette maladie neurodégénérative qui entraîne la perte progressive des fonctions mentales, notamment de la mémoire, est pour l’instant incurable.
On estime que de 10% à 30% des personnes de plus de 85 ans sont atteints par cette maladie dont le coût mondial a été évalué 604 milliards de dollars (World Alzheimer Report 2010). On sait depuis les travaux du médecin allemand Aloïs Alzheimer (1864-1915) que la maladie se caractérise par la formation de plaques amyloïdes entre les neurones et aussi par des amas anormaux de « protéines tau » qui forment des sortes de « buissons » dans le cerveau.
Or les expériences conduites par l’Inserm quelques heures après la mort sur des cerveaux de personnes décédées d’Alzheimer, ou de pathologies comparables dites « tauopathies », mettent en évidence une « corrélation » et « interaction » entre la protéine FKBP52 et la protéine tau, souligne le Pr Baulieu. Du coup, l’espoir est qu’en agissant sur la première (la FKBP52), on fasse disparaître la forme pathologique de la seconde (tau) ou bien qu’on en bloque l’apparition. « Ce que nous avons identifié avec la FKBP52 c’est une arme pour réguler et modifier la protéine tau qui est notre cible », a indiqué le Pr Baulieu.
Avant de concevoir un médicament, un premier débouché serait « de mesurer cette protéine chez les gens pour savoir s’ils ont un risque d’attraper la maladie », selon le Pr Baulieu. Ensuite, il faudrait « simuler la protéine FKBP52 par des moyens pharmacologiques pour réguler tau et s’attaquer à la forme pathologique de cette protéine », explique le Pr Baulieu. « Optimiste » de nature, le Pr Baulieu « croit qu’en trois ou quatre ans on aura des résultats importants et concrets » avec la mise au point de candidats médicaments permettant de réguler la protéine tau. « Cela peut aller beaucoup plus vite que les gens ne disent », estime le scientifique.
Pour le biochimiste Bernard Roques, membre de l’Académie des sciences et professeur à l’Université Paris Descartes, cette découverte est « simple mais essentielle ». « Ce qui est intéressant, c’est avoir discerné la différence très notable dans la densité de ces protéines entre cerveau pathologique et cerveau normal », explique le chercheur. Mais, selon lui, la mise au point d’un médicament qui ne pourra être qu’une « petite molécule » n’est pas pour demain et pourrait prendre « dix ans ».
ot/jca/nou/jeb »
La voix du Huffington Post français
Le Pr Baulieu avait préalablement démontré que les meilleurs services sont tout bien pesé ceux que l’on assure soi-même. Il avait ainsi choisi la veille d’inaugurer avec ce travail le blog qu’il tient sur le tout jeune site français du Huffington Post . Et il terminait ainsi son billet inaugural :
« (…) Pour ce programme l’argent public est très rare, celui des laboratoires pharmaceutiques ne va que vers des molécules qu’ils peuvent créer pour protéger leurs droits de propriété et leurs revenus alors que ni notre FKBP52 naturel et endogène ni ses modulateurs ne les ont intéressés. Ne restent que les ressources de la philanthropie, les dons des particuliers et des entreprises. Je rends hommage à ceux qui m’ont aidé et ont permis ce travail. J’appelle les futurs donateurs à aider ces recherches qui peuvent s’avérer cruciales pour le jour où eux même prendront de l’âge. Soyez égoïstes en étant généreux (lien vers l’appel aux dons sur le site de l’Institut Baulieu) Le site de l’institut Baulieu
L’annonce officielle de ce travail aura lieu mardi 24 janvier à 11h à l’Académie des Sciences (…). »
Question : Qui dans quatre, dix, vingt ans (ou bien plus) fera le suivi des annonces prometteuses, millésimées 2012, du Dr Lanza et du Pr Baulieu ?
Proposition : Dans l’attente ( et comme y invite Antoine Flahault dans son blog jouxtant celui-ci ) méditer sur le travail du New England Journal of Medicine qui – à l’occasion du deux centième anniversaire de sa fondation – relate ce que furent quelques-unes des vraies grandes premières médicales de ces 200 dernières années.