Un mois plus tard le bouc émissaire est médiatiquement cerné. Il tient parfaitement son rôle. Ira-t-il jusqu’à nous en dire plus ?
Souvenons-nous. A échéance assez rapprochée la question du bouc émissaire se pose dans le champ du sanitaire. Sa définition antique renvoie ici très précisément à sa fonction moderne. Les oiseaux migrateurs ont fait l’affaire dans la crise de la grippe aviaire. On les accusait d’être les vecteurs du H5N1, virus incestueux né pour parie du porc. Contagion (le film) évoquait pour sa part un virus issu du porc et de la chauve-souris passé dans l’espèce humaine à cause de d’une femme volage par ailleurs voyageuse aérienne. Quant à la dernière grippe pandémique (H1N1) en date, on accusa tour à tour les porcs et le Mexique avant (en France tout particulièrement) de dénoncer les excès préventifs des pouvoirs publics qui crurent bien faire en déployant ici la panoplie élaborée un peu plus tôt contre le H5N1. La peur ? Un parfait aiguillon comme une mauvaise conseillère.
Dans la crise de la vache folle on a pu, le moment venu, accuser les farines anglaises de viandes et d’os contaminées par un prion pathologique. Mais derrière ces produits industriels de recyclage le réquisitoire principal visait les monstres humains (non identifiés) qui avaient transformé nos doux herbivores d’élevage en carnassiers bientôt fous et contagieux par voie alimentaire. Ce fut là, à un siècle de distance la béatification de Rudolf Steiner (1865-1921) l’anthroposophe biodynamique et prophétique. Il n’est jamais trop tard pour trouver sa vraie voie.
L’affaire du Médiator vit, sous d’autres formes, les mêmes processus à l’œuvre. Et il en va de même avec ces crises sanitaires en gestation durable qui trouvent leur origine dans de très faibles doses associées à de longues durées d’exposition. Lignes à tension très haute ; usage compulsif des téléphones mobiles et antennes assurant les indispensables relais.
Il faut ici compter avec un credo moderne, rarement formulé, largement véhiculé et intériorisé : le fait que la démarche scientifique ne permette pas de mettre le risque en évidence ne signifie en aucun cas que le risque n’existe pas. Dans ce monde on peut (on doit) lancer les alertes bien avant que 1 + 1 fassent 2. Et les alertes lancées imposent à des échéances variables l’application coûte que coûte du principe de la précaution sacralisée inscrit dans le marbre de notre Constitution républicaine. C’est l’un des stigmates de notre époque.
A sa manière l’affaire/scandale des prothèses mammaires vient pianoter sur cette large gamme. Un effroi contagieux sans raison cancéreuses démontrée. Et pas de lanceur d’alerte clairement identifiés comme dans l’affaire du Médiator. Ou du moins quelques co-auteurs qui viennent affirmer avoir œuvré dans l’ombre. Mais personne en haut lieu ne se souvient d’eux. Et eux-mêmes hésitent à se hausser du col, redoutant qu’on les accuse bientôt de ne pas avoir à temps crié plus fort.
Pas de lanceur d’alerte mais un responsable-coupable clairement désigné et qui accepte le rôle qui est d’ores et déjà le sien. Mieux il se défend et attaque. Dans un échange téléphonique diffusé le 17 janvier par la chaîne M6 Jean-Claude Mas, fondateur de la société PIP avait dit sa vérité sur l’affaire. Admettant volontiers avoir fraudé il nie la toxicité des produits qu’il commercialisait. Il a aussi et surtout dénoncé la recommandation gouvernementale d’explantation et mis en cause Xavier Bertrand, ministre de la Santé. « (…) M. Bertrand n’est pas, que je sache, un scientifique (…) » a-t-il déclaré. Il a ensuite récidivé sur RTL : « Ce monsieur a décidé de rembourser les patientes alors qu’il n’y avait aucune raison médicale de le faire. Pourquoi aller payer à des patientes des explantations alors qu’il y a un risque chirurgical qui est réel ? Cette décision, c’est criminel. »
C’est Nora Berra, secrétaire d’Etat chargée de la Santé qui s’est portée volontaire pour relever le gant devant la presse. Elle y a qualifié de « scandaleux » et ignobles » les propos de M. Mas « C’est l’expression assumée d’un mépris inouï des femmes, a-t-elle déclaré à l’AFP. Il assume avec arrogance le fait qu’il utilisait du gel industriel non-homologué dans un objectif assumé de chiffre d’affaires, de rentabilité, en niant qu’il a fait courir des risques à ces femmes. Aujourd’hui il s’invente expert. Donc il sait mieux que les experts de l’Institut national du cancer les conséquences de ses gels frelatés. Soyons sérieux, là il y a un amalgame complet de sa part. »
Mme Berra reconnaît que les experts qui ont été réunis par l’INCa ont conclu qu’il n’ya avait pas là un risque accru de cancer mais qu’il y avait bien un risque établi s’agissant des ruptures et s’agissant du pouvoir irritant du gel sur les tissus mammaires. « Les conséquences ne sont pas anodines et c’est bien les experts qui nous ont interpellés sur ces risques » a-t-elle souligné. Elle n’a pas rappelé qu’un dispositif de surveillance des femmes concernées avaient été mis en place depuis avril 2010 ; ni que les mêmes experts avaient, il y un mois, conclu : «Devant l’absence d’éléments nouveaux concernant le gel non conforme ou de données cliniques nouvelles sur des complications spécifiques [nous considérons] ne pas disposer de preuves suffisantes pour proposer le retrait systématique de ces implants à titre préventif ». L’OMS, on le sait depuis peu, est sur cette ligne. Mais le gouvernement français en a décidé autrement, déclenchant une émotion considérable bien au-delà des frontières.
Comment tout ceci va-t-il évoluer ? Un mois après le début de l’affaire on dispose d’assez d’éléments pour bosser un portrait-robot psychologique de M. Mas. Et le profil largement atypique laisse déjà espérer que l’homme livrera bientôt ses mémoires ; à moins qu’un journaliste plus rapide signe l’une ces biographies non autorisées qui font généralement le bonheur des éditeurs ; petite musique ou pas.
Ces quinze derniers jours quelques limiers non dénués de finesse nous beaucoup appris sur M. Mas, 72 ans. Initialement présenté comme un ancien boucher il fut, tour à tour, entrepreneur cynique, professeur Nimbus, opportuniste, mégalomane, très bon vivant et pris en flagrant délit d’alcoolémie routière sous d’autres cieux. Tout ça pour finir prince déchu de la prothèse. Quelque chose comme un cocktail grivoiserie-grivèlerie. Lors de sa garde à vue il aurait déclaré être « connu et reconnu par les chirurgiens les plus prestigieux du monde » avant de se murer dans un silence qui ne peut être qu’ombrageux.
Que nous cache-t-il donc cet homme né le 24 mai 1939 à Tarbes où il eut le malheur de ne pas goûter le jeu de rugby, ce qui peut vous mener loin. La Dépêche du Midi, régionale de l’étape et l’Express, ont, avec d’autres, retrouvé sa trace. Des parents ayant acquis une petite affaire d’épicerie en gros, institution locale. Une Renault 4 CV et un fils unique à taches de rousseur « souvent rudoyé par les bandes de petits durs ». Poil de Carotte et la guerre des boutons en pays tarbais. Pension en altitude (Bagnères-de-Bigorre). Lever avant l’aube et toilette à l’eau froide. Cela vous forme un homme avec bac scientifique pour seul diplôme.
Ne pas être rugbyman vous fait vite passer pour un efféminé, ce qui peut ne pas déplaire aux filles. Certains se souviennent encore que quand le casino de Bagnères organisait des concours de danse Jean-Claude était sollicité. Séducteur et beau parleur il avait trouvé sa voie, loin du pré. Deux années de service militaire en Algérie, retour à l’épicerie puis montée à Paris. Un peu d’assurance précède la visite médicale pour le géant Bristol-Myers qui lui confie le département du Var. Dix ans. C’est aussi le temps du courtage en vins et cognacs, spiritueux et appareils de stérilisation des instruments de dentisterie. Jusqu’à la rencontre avec la MAP, une société créée par le Dr Henri Arion, pionnier des faux seins.
Puis un beau jour la MAP devint PIP. Le reste de l’histoire est connue. A l’exception de quelques détails, comme les éléments financiers et les rapports entretenus avec les clients chirurgiens esthétiques et les organismes de contrôle. La suite est en marche et ne saurait raisonnablement tarder.