Bonjour
Nous entrons aujourd’hui 21 janvier 2014 dans le vif de la nouvelle controverse française sur l’interruption médicale de grossesse (mémoire-blog). Rappel de la volonté du gouvernement et des députés socialistes : une femme enceinte doit pouvoir avorter si elle « ne veut pas poursuivre une grossesse » et non plus parce que « son état la place dans une situation de détresse ».
Voix triple
Mme Najat Vallaud-Belkacem a expliqué que cette disposition était « obsolète » et que sa suppression était « bienvenue ». On le verra ici sur le site de 20 minutes qui reprend l’AFP. La voix de Mme Vallaud Belkacem est d’importance et porte triplement : elle est femme, ministre des Droits de la femme et actuelle porte-parole du gouvernement Ayrault. Mme Vallaud-Belkacem a trente-six ans et beaucoup de mémoire politique. « Simone Veil avait accepté cette disposition à reculons en 1975, a rappelé la ministre aux députés. Cinq ans plus tard, le Conseil d’Etat avait déjà considéré que la référence à la situation de détresse n’est pas une condition. Il s’agit donc de mettre le droit en conformité avec la pratique. » Il ne semble pas que Simone Veil se soit récemment exprimée sur ce sujet. Le fera-t-elle ?
Ombres espagnoles
Mme Vallaut-Belkacem n’a pas, comme La Croix d’hier, rappelé la décision du Conseil constitutionnel de juin 2001. Devant alors se prononcer sur l’allongement du délai pendant lequel une IVG peut être pratiquée (de dix à douze semaines de grossesse) le Conseil constitutionnel avait rappelé qu’en la matière la loi devait respecter un équilibre entre « la liberté de la femme » et « le respect de l’être humain dès le commencement de la vie ». Et La Croix d’expliquer qu’aux yeux du Conseil, cet équilibre reposait notamment sur la référence à une situation de détresse, et cela pour « exclure toute fraude à la loi ». Conseil Constitutionnel opposé au Conseil d’Etat ? Serait-ce la première fois ?
Dans l’espace démocratique qu’est l’Assemblée nationale Mme Vallaud-Belkacem a curieusement ajouté : « La loi de 1975 n’est pas à débattre, pas à négocier. Nous n’accepterons aucun recul. » Dans une allusion à l’Espagne, Mme Vallaud-Belkacem a mis en garde : « les évolutions dans certains pays voisins nous montrent que nous ne sommes pas à l’abri d’un retour en arrière de quarante ans ».
Cliver pour cliver ?
Mme Vallaut-Belkacem, toujours elle (Le Talk Orange/Le Figaro.fr) : » On n’est pas là pour cliver pour cliver. On est là pour faire progresser chacun, chacune ». Progresser, on connaît, toutes et tous. Cliver ? Pour Littré c’est un terme de lapidaire: « Tailler une pierre dans le sens de ses couches de cristallisation ». C’est aussi « Diviser un corps cristallisé suivant les lames ou couches planes dont il est composé ». De l’allemand klieben, du suédois klyfwa, de l’anglais to cleave (fendre).
Pierre Larousse, Emile Littré
La détresse devenue obsolète ? La détresse, tout le monde connaît, même les hommes. C’est un serrement de cœur. C’est « l’angoisse causée par un besoin, par un danger, par une souffrance » nous dit Littré qui ne se trompe jamais. Mais l’obsolescence ? Voilà bien un mot d’une autre essence. Pour Larousse c’est le « fait d’être périmé ». C’est encore la « dépréciation d’un matériel ou d’un équipement avant son usure matérielle ».
Littré y voyait déjà un « néologisme de quelques grammairiens » : « qui est hors d’usage, en parlant d’un mot, d’une locution ». Se disait aussi en histoire naturelle, pour signifier peu apparent, presque effacé. Exemples : sillon obsolète, strie obsolète. Néologisme né du latin obsoletus, de obsolere, tomber en désuétude, de ob, et solere, avoir coutume. Littré, encore lui, conseille ici d’aller voir à souloir.
Démoniaque détresse
On en vient presque à se dire que le trop précieux obsolète l’est devenu. Quant à la détresse, sans doute ne suffira-t-il pas d’un trait de plume des député(e)s pour la voir s’effacer. Mais ceci est une autre histoire. Pour l’heure on observera que l’affaire voulue par le gouvernement enflamme la Toile. Elle y réveille les vieux et sales démons. Comme commentaire pêché sur Atlantico.fr
« Si la situation de détresse des femmes réclamant une IVG est une notion obsolète, et que la grossesse n’est pas une maladie, je ne vois vraiment pas pourquoi se serait remboursé par la sécu. S’il n’y a plus détresse, une IVG est donc du même niveau que la chirurgie esthétique => pas de remboursement. »
Commenter ? On dira que la détresse humaine peut, décidément, prendre bien des formes. Et pas toujours les plus ragoûtantes.
A demain