Baclofène: son efficacité et les conflits d’intérêts exacerbent de nouvelles passions médicales

Bonjour

Baclofène, c’est une huile sans cesse versée sur un feu toujours ravivé. On imaginait que les dernières publications scientifiques, présentées début septembre à Berlin, seraient de nature à calmer le jeu. Il y eut aussi la remarquable émission télévisée (France 5, 20 septembre) Un documentaire fait d’intelligence et de respect (Marie Agostini) suivi d’un débat mené sous une bienveillante férule (Marina Carrère d’Encausse).

Las. La guerre de tranchée n’a pas cessé pour autant. Aujourd’hui 5 octobre nouveau pilonnage, massif, en provenance de L’Obs : « Baclofène : deux études très positives et deux autres conçues pour échouer »

Il est signé du Dr Renaud de Beaurepaire, psychiatre, chef de service à l’hôpital Paul Guiraud (Villejuif), de Samuel Blaise, président de l’association Olivier Ameisen, de Yves Brasey, vice-président de l’association Baclofène, du Dr Bernard Granger, professeur de psychiatrie, université Paris Descartes et de Sylvie Imbert, présidente de l’association Baclofène.

Qui veut sa peau ?

Le chapô dit tout ou presque du contenu : « Sur quatre études, deux montrent que le baclofène est efficace dans le traitement de l’alcoolo-dépendance et deux ne montrent aucun bénéfice. Mais pour ces deux dernières, les protocoles sont dès le départ mal conçus. Qui veut la peau du baclofène ? »

« L’instillation du doute est une technique industrielle bien connue pour déconsidérer des données scientifiques incontestables. Avec cette série des quatre études, on a l’impression que l’histoire est en train de se répéter, que le même objectif est atteint : le baclofène est un traitement qui donne des résultats variables selon les études, c’est un traitement controversé. On occulte volontairement la question de la dose. Et on demande des études complémentaires.

«Comme si l’important était de remettre à plus tard la reconnaissance du baclofène dans le traitement de l’alcoolisme. Les malades peuvent bien mourir, c’est accessoire. Qui a intérêt à ce que les choses se passent ainsi? L’analyse des commentaires de certains collègues, ou de sociétés savantes, ainsi que les conditions d’apparition du baclofène comme traitement de l’alcoolisme suggèrent des pistes de réponse.

Le charabia de la SFA 

Les auteurs estiment que le dernier discrédit en date le plus exemplaire du baclofène est le « Communiqué de presse concernant les études baclofène » publié par la Société Française d’Alcoologie (SFA) le 19 septembre 2016. Il signé par le président de la SFA, le Pr Mickael Naassila (Inserm, Groupe de recherche sur l’alcool et les pharmacodépendances, université de Picardie).

« (…) Autrement dit, un charabia qui noie le poisson et nie l’évidence : le baclofène est efficace dans les études où il peut être prescrit à doses suffisantes (le traitement doit être adapté à chaque patient, qui répond à une dose donnée, faible ou forte, qui est la sienne) et pas dans celles ou les doses maximales sont trop faibles. Et le communiqué de conclure : « il reste encore beaucoup à faire… », c’est-à-dire que la SFA attend des études complémentaires. »

« On instille le doute, on repousse à plus tard… Toute la stratégie des industriels qui veulent discréditer des données scientifiques incontestables est là. Un membre de la SFA, l’alcoologue suisse Jean-Bernard Daeppen, dans une interview au journal Le Matin dimanche (le 25/09/16), va d’ailleurs plus loin : « Ce que démontrent ces études est plutôt le peu d’efficacité du Baclofène ». Comment expliquer de telles déclarations toujours hostiles malgré des essais qui confirment l’efficacité du baclofène dans l’addiction à l’alcool ? »

Feu sur le laboratoire Lundbeck !

Les auteurs de L’Obs vont alors plus loin, beaucoup plus loin. Ils estiment que les réponses à leur question sont de plusieurs ordres et « sont en rapport avec des liens d’intérêts, la mentalité du microcosme de la SFA et l’absence d’une pratique médicale centrée sur le patient ».

« La SFA en tant que société savante et ses dirigeants, dont le Pr Daeppen cité ci-dessus, ont des liens d’intérêts massifs et privilégiés avec le laboratoire Lundbeck. Ce laboratoire possède un produit appelé nalmefène ((Selincro ®), d’une famille thérapeutique et d’un mode d’action différents de ceux du baclofène. Le nalmefène a été développé alors que le baclofène faisait irruption dans le paysage pharmacologique de l’alcoolo-dépendance. Il a été commercialisé en septembre 2014 en France.

 « Il faut ajouter que ce produit a peu d’efficacité et que certains pays ont refusé de l’admettre dans leur pharmacopée, comme encore dernièrement l’Australie, dont les autorités sanitaires considèrent que « son efficacité clinique ne peut être déterminée ». L’enjeu commercial pour Lundbeck est donc considérable et le laboratoire a tout intérêt à doper les ventes du nalmefène, bien qu’il en connaisse la faible efficacité. Cela passe d’une part à travers des actions pseudo scientifiques à visée commerciales via les prises de position des leaders d’opinion, et nécessite d’autre part de dénigrer le baclofène, qui menace ses parts de marché.

 Transparence et bienveillance

« La SFA reçoit des financements du laboratoire Lundbeck depuis des années car dans le cadre du lancement du nalmefène ce laboratoire a financé la SFA par des subventions directes, en participant aussi de façon substantielle au financement des journées annuelles de la SFA et en finançant aussi en partie la mise au point de recommandations édictées par la SFA parues quelques trois mois après la commercialisation du nalmefène, dont ces recommandations disent évidemment grand bien, malgré toutes les critiques dont ce produit a fait l’objet de la part d’évaluateurs indépendants.

 « Les dirigeants de la SFA ont des liens multiples avec Lundbeck comme cela peut se vérifier sur le site transparence.sante.gouv.fr. On y trouve des pages entières d’avantages et de conventions en faveur du président de la SFA, de ses prédécesseurs, les Prs H.-J. Aubin et F. Paille. Sur les vingt-trois membres de son bureau et de son conseil d’administration, seuls trois n’ont aucun lien d’intérêt avec Lundbeck. Il faut ajouter que les liens avec d’autres laboratoires sont quasi inexistants. »

Mandarins établis

Bienveillants, les auteurs de la tribune de L’Obs « se refusent à penser que des liens d’intérêt aient pu motiver telle ou telle réaction publique, tel ou tel article à prétention scientifique ». Ils « n’osent pas imaginer que des médecins pour certains universitaires puissent s’abandonner à de telles pratiques déshonorantes ». Ces auteurs « préfèrent se convaincre que seule l’ignorance de la juste prescription du baclofène dans le traitement de l’alcoolo-dépendance est à l’origine de leur fâcheuse méprise ».

Ils citent, pour finir, le Pr Didier Sicard, ancien président du Comité consultatif national d’éthique. Dans son introduction à la journée consacrée au baclofène organisée à l’hôpital Cochin le 17 septembre dernier, il évoqua l’hypothèse d’un « establishment qui s’est senti blessé ». Establishment est-il le nouveau patronyme de l’antique mandarinat ?

A demain

Allergies : les Suisses veulent faire la peau à leurs chats domestiques

Bonjour

La Suisse n’est plus ce qu’elle fut. On connaissait la nostalgie des citoyens de la Confédération éloignés trop longtemps de leurs alpages et de leurs banques. On avait appris à faire avec une image écornée de ce doux pays assez peu sensibles aux malheurs de ses voisins étrangers. On découvre aujourd’hui une population qui nourrit majoritairement une forte poussée allergique vis-à-vis de ses chats. Pas les sauvages, les domestiques, les matous que le coucou ne fait plus, depuis longtemps, sursauter. Les greffiers des alpages. Des chats éminemment civilisés. Des chats perchés à la Marcel Aymé.

Coucous

Tout cela a vécu. Les pendules du coucou se sont inversées. De Genève à Lausanne, de Zurich à Bâle l’heure est à la décroissance et au contrôle des naissances. « Un foyer, un chat et basta ! » Tout vient d’être raconté dans Le Matin Dimanche. Jusqu’aux professionnels zurichois  de la protection animale (la Zürcher Tierschutz) : les félins domestiques seraient trop nombreux sur le territoire helvète : 1,48 million pour 8,1 millions d’habitants, soit 430 chats par kilomètre carré. Ce qui semble, là-bas, bien au-delà du quota ;

« En comparaison, il y a 10 à 15 renards pour la même superficie. Il faut agir pour stabiliser, voire diminuer cette population afin de préserver la faune », explique la biologiste Claudia Kistler, co-auteure de l’étude zurichoise, qui préconise la castration et/ou la destruction. Rien de plus terrible ici que les amis des bêtes. C’est que le chat n’est pas roi à la SPA : il est accusé de menacer la Nature. Selon l’association de Zurich, il tue les oiseaux, les musaraignes, les orvets, les batraciens, les libellules…

Lézards (verts)

« Le lézard vert a disparu des zones villes du Bas-Valais et a fortement régressé à Genève, en grande partie par sa faute », estime François Turrian, directeur romand d’ASPO/BirdLife Suisse qui couve les oiseaux. Oiseaux qui goûtent le lézard vert de la Confédération. Et dans la partie francophone du canton du Valais, le Parti bourgeois démocratique a même inscrit la fin programmée de la surpopulation de chats dans son programme politique.

Ici ou là des voix amies s’élèvent. « Franchement, je ne vois pas comment une telle mesure peut être appliquée. Que ferait-on des chats surnuméraires ? » s’interroge le biologiste français Georges Chapouthier. Il est hautement vraisemblable que ceux qui veulent leur peau on déjà des éléments de réponse. La politique du chat unique n’est que la suite logique de celle de la stérilisation des chats errants, déjà mise en place par la SPA suisse depuis dix-huit ans. Une mesure drastique mais qui n’a pas porté ses fruits. La reproduction a toujours été la grande affaire des chats ; nuits de pleine lune ou pas.

Humains

L’affaire a ému au-delà des frontières – jusqu’à aufeminin.com : « Face à de telles mesures, nous sommes en droit de nous demander : la Suisse n’en fait-elle pas un peu trop ? Son obsession des quotas qui concernaient dernièrement le nombre d’immigrés sur le territoire, n’irait-elle pas un peu trop loin ? » « Ce sentiment de surpopulation est infondé, commente l’éthologue britannique  Dennis C. Turner, professeur à l’université de Zurich.  Rome compte 2 000 chats au kilomètre carré, et il y en a environ 2 350 dans un village de pêcheurs japonais. Ne venez pas me dire que la Suisse souffre d’une surpopulation de chats »

D’autres voient dans la montée de l’allergie helvète au chat domestique l’expression symptomatique de difficultés politiques et démographique du pays. « Les pratiques à l’égard des animaux résonnent toujours avec les politiques envers les humains » analyse l’historien Damien Baldin.

Chat-émissaire

Certains humains ne l’entendent pas de cette oreille. Heins Lienhard, président de la Protection suisse des animaux : « Les prédation naturelles ont un impact minimal. La première cause de ces espèces, c’est l’homme : la chimie dans l’agriculture, la diminution de l’espace naturel au profit du construit par exemple. » A cette aune, nos amis suisses viennent de créer une nouvelle espèce. Une monstruosité qui sent le soufre et attire les allumettes : le chat-émissaire.

A demain