Le Palais de l’Elysée n’utilise pas un mot français. Veut-il parler de bleus à l’âme, de cafard, de bluette, d’énorme déprime, de stress post-traumatique ? De profonde neurasthénie, d’insondable mélancolie? Voire de nostalgie ? Que dira le bulletin médical ? Des précisions s’imposent.
Aujourd’hui nous sommes tous à l’heure de Paris. Regards fixé sur les ambulances de l’Elysée. Et aujourd’hui plus que jamais l’heure est au blues. Au « gros coup de blues ». Une entité sans existence psychiatrique officielle. Comment ne pas se répéter ? Dans les dépêches d’agence on trouve des variantes. L’« énorme déprime » par exemple. Où les conséquences de l’infortune d’une femme (Bernard Pivot, nouveau président de l’Académie Goncourt, 20 heures de France 2, dimanche 12 janvier 2014). L’infortune ? C’est daté mais crédible. Le blues ? Pourquoi pas ? Mais de quoi est-il donc le nom, ce terme anglais appliqué à la Première Dame de France ? Existe-il un blues français ? Sommes-nous bel et bien, avec elle, in the doldrums ?
Cafard (toujours sale)
Blues sonne nettement mieux que le sale cafard hexagonal. Traduirait-on que l’on parlerait de bleus à l’âme. Le blues, on connaît la musique. C’est le moral à zéro, les sables mouvant de la neurasthénie. Dans le meilleur des cas c’est la mélancolie. Mais coup de blues ? La victime est aux antipodes du coup de foudre. C’est le coup de canif dans le contrat, le coup de grisou dans les replis de l’âme, le coup de torchon psychique. C’est, ici, le dernier coup de théâtre d’une pièce tweetée qui n’en manque pas. Mais c’est aussi un pari : coup de tonnerre ou coup d’épée dans l’eau. Feydeau ou Racine. Le coup tordu qui précède celui du balai.
Du sérieux
Mais qui a parlé de « coup de blues » ? Avec ce blues, c’est du sérieux , comme le résumait, il y a quelques heures, Le Monde :
« L’Elysée confirme les informations du Parisien selon lesquelles Valérie Trierweiler est hospitalisée. La compagne de François Hollande a été admise à l’hôpital vendredi après-midi pour un « gros coup de blues » après la révélation dans le magazine Closer d’une liaison entre le chef de l’Etat et la comédienne Julie Gayet. Valérie Trierweiler, 48 ans, journaliste et mère de trois enfants, devrait quitter l’hôpital lundi, a précisé son cabinet.
L’hebdomadaire avait annoncé, peu après 23 heures jeudi 9 janvier sur son site, une édition spéciale pour le lendemain « révélant dans un dossier spécial de sept pages les photos de la relation ». « L’amour secret du président », annonce la « une ». Officiellement, le chef de l’Etat a pour compagne la journaliste Valérie Trierweiler après avoir longtemps vécu avec Ségolène Royal, avec qui il a quatre enfants. »
Stress post-traumatique
Déjà on appelle des psychologues au chevet du non-dit. Des urgentistes, voire des analystes. On ouvrira la Bible- DSM5. Un extrait offert par l’Association canadienne pour la santé mentale :
« Les moments pénibles font partie de la vie. Nous devons tous affronter des périodes difficiles telles que le deuil d’un être cher ou des conflits d’ordre personnel ou professionnel sans pour autant cesser de vivre. Il arrive parfois qu’une personne subisse une expérience à la fois si inattendue et si éprouvante qu’elle continue d’en subir les séquelles longtemps après l’événement. Les personnes dans cet état subissent souvent des rappels d’images (flashbacks) et des cauchemars où elles revivent les situations d’effroi qui sont à l’origine de leur traumatisme. Elles peuvent même devenir émotivement désensibilisées. Si cet état persiste plus d’un mois, on parle alors de trouble de stress post-traumatique. »
De vagal à bluette
Chacun sait donc ce qu’il en est de l’explication à cette hospitalisation en urgence. Où sommes-nous donc, ici ? C’est assez simple : dans le grand flou des diagnostics médicaux qui masquent l’indicible. L’affaire n’est certes pas nouvelle. Sauf rebondissement dramatique (annoncé par bulletin médical officiel) elle sera à ranger aux côtés du malaise vagal du président précédent (Slate.fr, 2 août 2009).
Il faudrait toujours se méfier de l’Anglais. On nous dit que blues viendrait de l’abréviation de l’expression blue devils (diables bleus) que le français laïc désigne par idées noires.
Le temps venu des vapoteuses
En réalité il faut creuser : blue (et donc blues) serait le fruit du vieux français et signifierait « l’histoire personnelle » (il reste dans la langue française actuelle le terme bluette, qui est, pour tous les bluesmen, la signification du blues, une chanson à la première personne du singulier). La bluette est « une petite œuvre légère sans prétention et empreinte de sentimentalisme » (voir ce mot).
Littré (qui ne se trompe jamais) cite ici Bernard Palissy :
« Après, je prenois une phiole pleine d’eau claire et voyois aussi des bluettes ou estincelles semblables à celles du cristal, [Palissy, 48] »
Psychologies féminines. Au rang des mots disparus on d’intéressera aussi à vaporeuse 1. C’était au temps où les grandes dames pouvaient avoir leurs vapeurs. Juste avant celles des machines. Ces machines ont presque toutes disparu. Nous sommes au temps des vapoteuses.
1 « La philosophie des vapeurs » suivi d’une « Dissertation sur les vapeurs et les pertes de sang ». Edition présentée et annotée par Sabine Arnaud. Paris : Editions Mercure de France. Collection « Le temps retrouvé ». ISBN 978-2-71 52-2864-1. Nous avons fait une recension de cet ouvrage dans la Revue médicale suisse On la trouvera ici.