Historiens angoissés de l’instant, les journalistes n’ont de cesse de prévoir leur avenir. Ainsi l’Agence France Presse (AFP) diffuse-t-elle à échéances régulières, sur son fil, les dates des manifestations à venir et des anniversaires à célébrer. Dans la torpeur du mois d’août les permanents des salles de rédaction programment déjà la célébration du 20 mai 2013 : ce sera alors, dit l’AFP, « le trentième anniversaire de l’annonce par le Pr Luc Montagnier de l’isolation (sic) du virus de l’immunodéficience humaine ».
Des esprits pointilleux feront remarquer que l’isolement du pathogène et l’annonce faite au monde concernaient une entité virale que l’on allait apprendre, de ce côté-ci de l’Atlantique – à connaître sous le nom de LAV (pour Lymphadenopathy Associated Virus. L’annonce se fit dans Science où Max Essex et Robert Gallo annonçaient quant à eux la découverte et l’implication d’un tout autre pathogène comme cause probable d’une maladie qui n’était pas encore pandémique. On connaît la suite qui ne déboucha que plus tard sur le consensuel et coûteux VIH.
Luc Montagnier. Nous avons tenté pour notre part notamment dans ce blog de suivre l’évolution pour le moins atypique de celui qui, au titre de sa découverte de 1983, reçu le prix Nobel de médecine 2008. Il a depuis un certain temps déjà disparu sinon de la scène médiatique, du moins de la scène vitrifiée des honneurs. Le fil de l’AFP en témoigne pleinement qui ne nous parle plus de lui en majesté ou en « sachant ». Il y occupe désormais (et semble-t-il avec une certaine délectation) le rôle des explorateurs aux frontières du vivant pathologique et –partant- des incompris. De temps à autre une balise provocatrice, un mystérieux sourire, une affirmation sans preuves, une proposition sans lendemain, une association que l’on voudrait corrélation. Du délice pur sucre pour les tenants de la théorie des complots.
Dans la prairie des incertitudes
La Faculté se moque : elle est sacrément gênée de voir l’un des siens gambader, à son âge et en toge, dans la prairie des incertitudes et des convictions interrogatives. Mais comment se moquer dru d’un confrère toujours oint par le miel du politique ? Et quels politiques !
Le 10 avril2012 Luc Montagnier est dans l’agenda de Nicolas Sarkozy. Celui qui encore président de la République vient d’estimer que la proposition de supprimer l’exercice privé de la médecine à l’hôpital public relevait d’un « combat d’un autre âge » et de mettre en garde contre une fuite des « grands patrons » des hôpitaux à l’étranger. C’est à paraître dans Femmes Actuelles (édition du16 avril).
Au Palais de l’Elysée
« Il n’est pas absurde qu’après quinze ans d’études, et tout en consacrant l’essentiel de leur activité au service public, ces médecins valorisent leurs compétences, estime alors le président et candidat de l’UMP. Le jour où les grands patrons iront à l’étranger ce sera un problème. Le professeur Montagnier était trop âgé pour nous, il continue pourtant à donner des cours à l’université américaine d’Harvard. » La sortie présidentielle faisait suite à un manifeste, publié le 20 mars dans le quotidien Libération, et où 200 praticiens hospitaliers ont réclamé la suppression de l’exercice privé à l’hôpital public en dénonçant ses « dérives ». Parmi ces signataires figuraient le professeur Axel Kahn, alors candidat socialiste (contre François Fillon) aux futures législatives à Paris.
Le 15 mai dernier Luc Montagnier est à nouveau à l’Elysée avec dix prix Nobel français invités par François Hollande à assister à la passation des pouvoirs entre lui et Nicolas Sarkozy dans la Salle des Fêtes du Palais. « Leur place a été réservée dans la travée de gauche de la vaste salle où a été aménagée un large allée centrale, les invités étant massés de chaque côté, racontera l’AFP. Le Pr Luc Montagnier était présent. »
Au Sanctuaire de Lourdes
Le 8 juin Luc Montagnier est de retour sur le fil de l’AFP. Et longuement :
« L’eau de la source des Sanctuaires de Lourdes et le lieu même des pèlerinages pourraient être à l’origine des guérisons constatées dans la cité où la Vierge serait apparue à Bernadette, ont envisagé des scientifiques réunis en colloque, dont le prix Nobel Luc Montagnier. « Je cherche des raisons rationnelles… », a noté le Pr Montagnier, co-découvreur du virus du sida, qui a exposé ses théories sur l’influence sur la santé des ondes électromagnétiques de très basse fréquence de l’eau, en général. « Je ne peux pas expliquer les miracles », a déclaré pour sa part la rhumatologue américaine Esther Sternberg en affirmant qu’un lieu comme les Sanctuaires (prière, chants…) créait des « émotions » et que celles-ci avaient sans doute « un rôle sur la santé, la guérison des malades ».
Le Pr Montagnier a voulu porter « un message de science à côté de celui de la foi », a-t-il prévenu devant les participants de ce colloque organisé par le Bureau des constatations médicales de Lourdes sur le thème de la guérison « sous l’angle de la raison et de la science, en lien avec l’influence de la foi et de la prière sur la santé humaine ». Il a rappelé les « perturbations » (maladies neuro-dégénératives, cancer…) que pouvaient provoquer dans le corps humain les ondes électromagnétiques, ainsi que ses propres expériences sur la structure de l’eau et son rôle dans les pathologies humaines.
Il a ainsi laissé entendre que l’eau de la source de la grotte de Lourdes, le lieu où auraient eu lieu les apparitions, pourrait influer sur la santé des patients, tout en soulignant que les analyses de cette eau n’ont fait apparaître aucune propriété particulière. Pour le Pr Sternberg, si le stress peut provoquer la maladie, le fait d’être « immergé dans une atmosphère de compassion, comme à Lourdes, peut avoir un effet sur les émotions, et donc sur le cerveau ». Il se produit « un changement dans le cerveau qui permet au corps et au système immunitaire de guérir », a-t-elle expliqué.
« Dans un endroit pareil, on arrive déjà avec l’espoir qu’on va se sentir mieux » et cela réduit le stress, a encore noté la rhumatologue. L’Eglise ne reconnaît les guérisons qu’au compte-goutte : plus de 7.000 cas de guérisons inexpliquées ont été enregistrés à Lourdes depuis 1884 mais moins de 1% d’entre elles, une soixantaine, ont bénéficié d’une reconnaissance officielle. »
Dans Le Monde des Religions
Luc Montagnier est également présent cet été dans la livraison datée Juillet-Août du célèbre Monde des Religions. www.lemondedesreligions.fr Prévoyant pour leurs congés payés plages séculaires ou cimes éternelles les rédacteurs de ce mensuel ont choisi un marronnier pèlerin : « Les chemins de la guérison ; la foi aide-t-elle à guérir ? » Quarante pages remplies de « prière, méditation, force de l’esprit, miracles, magnétisme, guérisseurs, exorcisme, développement personnel .. ». Le tout offert pour 6,90 euros.
On retrouve le prix Nobel 2008 page 23. C’est un petit encadré au titre malicieusement interrogatif (L’eau bénie par les ondes ?) ornant un papier intitulé : Lourdes, les coulisses du miracle. L’encadré est signé Jocelyn Morisson et il ne nous apprend rien de plus que la dépêche de l’AFP ; si ce n’est, peut-être, que les résultats obtenus par Luc Montagnier sur l’eau, l’ADN, la mémoire et les nanostructures sont « ébouriffants ». A ceux qui voudraient faire la part entre la capilliculture et l’extraordinaire, notre Petit Rober donne cet exemple, tiré de l’œuvre du Dr Georges Dumamel (1984-1966) : « Un jargon ébouriffant […] farci de mots étrangers, employés hors de propos ».
Avec Carrel, autre Nobel
Luc Montagnier n’est pas le seul Nobel de médecine à s’être pris de passion pour Lourdes, ses eaux et ses miracles. Ce fut également le cas d’Alexis Carrel (1873-1944) le sulfureux. « À l’origine agnostique, il devint catholique militant lors d’un séjour à Lourdes en 1903 après avoir assisté à ce qu’il considéra être un miracle, explique Wikipédia. Dans le train qui le conduisait à Lourdes, il fut amené à examiner une jeune fille présentant une tuberculose péritonéale terminale. Puis il constata la disparition des masses abdominales peu après application d’eau de la source. Il considéra alors comme son devoir de médecin de rapporter objectivement ses observations, ce qui entacha considérablement sa réputation et constitua un barrage à l’accession à une chaire universitaire. Il choisit alors de s’expatrier. » On connait plus ou moins la suite.
On connaît moins son ouvrage posthume Le Voyage de Lourdes, dans lequel Carrel décrit cet évènement d’après le témoignage anagramme du docteur Louis Larrec. En 2012 l’ouvrage est toujours sur le bazar de la Toile amazonienne, offert aux amateurs.
- Hardcover: 52 pages
- Publisher: Harper & Brothers; 1st edition (1950)
- Language: English
- ASIN: B0007DXFJS
- Product Dimensions: 7.5 x 5.2 x 0.2 inches
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