Bonjour
C’est un superbe cas d’école moderne. Ou comment l’enquête journalistique à l’ancienne (Le Monde et Libération notamment) nourries des vidéos et des réseaux parvient à rétablir une vérité maquillée à la va-vite par le pouvoir exécutif. Avec, en prime, deux titres d’un Libé de la grande époque : « Castaner sur la Pitié-Salpêtrière : c’est l’invention qui compte » (Jacques Pezet , Pauline Moullot et Fabien Leboucq) —et « La fake news venait de l’Intérieur ».
Une affaire presque bouclée en quarante-huit heures (Acte III – Acte II – Acte I) qui aura vu la déconstruction médiatique d’un tweet du « premier flic de France » avec toutes les conséquences politiques que l’on peut, désormais, imaginer entre « commission d’enquête parlementaire » et la classique « démission » démocratique.
Les historiens du présente ont d’ores et déjà établi que tout a commencé le mercredi 1er mai à 20 h 18 (horloge de BFM-TV). Christophe Castaner prend la parole face aux caméras et micros réunis devant l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, dans le 13e arrondissement de Paris. La traditionnelle manifestation syndicale, à laquelle se sont joints Gilets Jaunes et black blocs, finit de se disperser.
« Flanqué de son secrétaire d’Etat, Laurent Nunez, et du préfet de police de Paris, Didier Lallement, le ministre de l’intérieur dénonce l’intrusion, quelques heures plus tôt, de manifestants dans l’enceinte de l’établissement, rapporte Le Monde (Nicolas Chapuis et Olivier Faye). ‘’Des gens ont attaqué un hôpital, lance M. Castaner. Des infirmières ont dû préserver le service de réanimation, nos forces de l’ordre sont immédiatement intervenues pour sauver le service de réanimation’’. » Environ une heure plus tard, le ministre publie un message destiné aux 190 000 abonnés de son compte Twitter : ‘’ Ici, à la Pitié-Salpêtrière, on a attaqué un hôpital. On a agressé son personnel soignant. Et on a blessé un policier mobilisé pour le protéger’’. »
Boomerangs
Pourquoi de tels termes empruntés à la guerre ? Sur quels éléments le ministre de l’Intérieur se base-t-il ? Pourquoi Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé baisse-t-elle le lendemain d’un petit cran ( « exaction », « inqualifiable » « indigne » ) avant de se rendre (enfin) sur place et de baisser à nouveau de ton et de laisser parler son « entourage » pour se démarquer de son collègue.
« De fait, les différents témoignages et vidéos diffusés tout au long de la journée sur les réseaux sociaux, que ce soit par des manifestants ou des membres du personnel de la Pitié-Salpêtrière, tendent à battre en brèche le scénario d’une attaque caractérisée, résume Le Monde. Certes, une grille d’entrée a bien été forcée. Mais les manifestants – 32 personnes ont été placées en garde en vue, mercredi, puis libérées jeudi – semblaient chercher à se replier de manière chaotique pour échapper aux charges de la police. »
Il n’en fallait pas plus pour que l’opposition cible Christophe Castaner. Et que son « entourage » prenne la parole :
« Les faits sont là. L’enceinte de l’hôpital a été forcée, des individus ont tenté de s’introduire dans un service de réanimation. C’est un incident très grave. Il est navrant de constater qu’au lieu de condamner clairement ces faits inadmissibles certains préfèrent jouer sur les mots pour entretenir une polémique indigne. »
Et de laisser également entendre que l’opinion première de Christophe Castaner s’était forgée des premières données fournies (bien trop vite ?) par Marie-Anne Ruder, directrice de La Pitié-Salpêtrière et Martin Hirsch, directeur général de l’AP-HP (qui évoquait publiquement des images de vidéo surveillance « absolument édifiantes ».
Nous en sommes là. Et les premiers propos tenus par le ministre de l’Intérieur dans la soirée du 1er mai reviennent aujourd’hui tel un violent boomerang politique et politicien. Jusqu’où cette vieille arme traditionnelle ira-t-elle ?
A demain
@jynau