L’«attaque » de La Pitié-Salpêtrière est bien, désormais, une «affaire Christophe Castaner» 

Bonjour

C’est un superbe cas d’école moderne. Ou comment l’enquête journalistique à l’ancienne (Le Monde et Libération notamment) nourries des vidéos et des réseaux parvient à rétablir une vérité maquillée à la va-vite par le pouvoir exécutif. Avec, en prime, deux titres d’un Libé de la grande époque : « Castaner sur la Pitié-Salpêtrière : c’est l’invention qui compte » (Jacques Pezet , Pauline Moullot et Fabien Leboucq) —et « La fake news venait de l’Intérieur ».

Une affaire presque bouclée en quarante-huit heures (Acte IIIActe IIActe I) qui aura vu la déconstruction médiatique d’un tweet du « premier flic de France » avec toutes les conséquences politiques que l’on peut, désormais, imaginer entre « commission d’enquête parlementaire » et la classique « démission » démocratique.

Les historiens du présente ont d’ores et déjà établi que tout a commencé le mercredi 1er mai à  20 h 18 (horloge de BFM-TV). Christophe Castaner prend la parole face aux caméras et micros réunis devant l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, dans le 13arrondissement de Paris. La traditionnelle manifestation syndicale, à laquelle se sont joints Gilets Jaunes  et black blocs, finit de se disperser.

« Flanqué de son secrétaire d’Etat, Laurent Nunez, et du préfet de police de Paris, Didier Lallement, le ministre de l’intérieur dénonce l’intrusion, quelques heures plus tôt, de manifestants dans l’enceinte de l’établissement, rapporte Le Monde (Nicolas Chapuis et Olivier Faye). ‘’Des gens ont attaqué un hôpital, lance M. Castaner. Des infirmières ont dû préserver le service de réanimation, nos forces de l’ordre sont immédiatement intervenues pour sauver le service de réanimation’’. » Environ une heure plus tard, le ministre publie un message destiné aux 190 000 abonnés de son compte Twitter : ‘’ Ici, à la Pitié-Salpêtrière, on a attaqué un hôpital. On a agressé son personnel soignant. Et on a blessé un policier mobilisé pour le protéger’’. »

Boomerangs

Pourquoi de tels termes empruntés à la guerre ? Sur quels éléments le ministre de l’Intérieur se base-t-il ? Pourquoi Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé baisse-t-elle le lendemain d’un petit cran ( « exaction », « inqualifiable » « indigne » ) avant de se rendre (enfin) sur place et de baisser à nouveau de ton et de laisser parler son « entourage » pour se démarquer de son collègue.

« De fait, les différents témoignages et vidéos diffusés tout au long de la journée sur les réseaux sociaux, que ce soit par des manifestants ou des membres du personnel de la Pitié-Salpêtrière, tendent à battre en brèche le scénario d’une attaque caractérisée, résume Le Monde. Certes, une grille d’entrée a bien été forcée. Mais les manifestants – 32 personnes ont été placées en garde en vue, mercredi, puis libérées jeudi – semblaient chercher à se replier de manière chaotique pour échapper aux charges de la police. »

Il n’en fallait pas plus pour que l’opposition cible Christophe Castaner. Et que son « entourage » prenne la parole :

« Les faits sont là. L’enceinte de l’hôpital a été forcée, des individus ont tenté de s’introduire dans un service de réanimation. C’est un incident très grave. Il est navrant de constater qu’au lieu de condamner clairement ces faits inadmissibles certains préfèrent jouer sur les mots pour entretenir une polémique indigne. »

Et de laisser également entendre que l’opinion première de Christophe Castaner s’était forgée des premières données fournies (bien trop vite ?) par Marie-Anne Ruder, directrice de La Pitié-Salpêtrière et Martin Hirsch, directeur général de l’AP-HP (qui évoquait publiquement des images de vidéo surveillance « absolument édifiantes ».

Nous en sommes là. Et les premiers propos tenus par le ministre de l’Intérieur dans la soirée du 1er mai reviennent aujourd’hui tel un violent boomerang politique et politicien. Jusqu’où cette vieille arme traditionnelle ira-t-elle ?

A demain

@jynau

Pénaliser ou pas les client.e.s des prostitué.e.s? Voilà un bien beau sujet pour le Grand Débat

Bonjour

1er février 2019.  Décision rendue ce jour par le Conseil Constitutionnel : ne pas abroger la mesure de pénalisation (1 500 euros -3 500 euros en cas de récidive) des clients des personnes se prostituant. « Elle constitue une atteinte à la santé, à la sécurité et aux droits de ces dernières, quel que soit leur degré d’autonomie dans l’activité ». Tel est le commentaire accusateur des vingt-deux associations 1 et des trente travailleu.ses.rs du sexe engagé.e.s dans cette procédure. Tous s’alarment de ce choix, car ignorer l’impact de cette loi sur la vie des personnes concernées revient à les mettre en danger.

« Nous regrettons que l’opportunité d’abroger cette mesure, qui avait été rejetée par le Sénat en 2016 et fermement contestée par la Commission nationale consultative des droits de l’Homme, le Défenseur des droits et dernièrement dans une tribune par plus de 150 professionnel.le.s de la santé (Le Monde), n’ait pas été saisie.

 « Nous dénonçons avec force toute forme d’exploitation, de contrainte, de trafic et de violence exercée à l’encontre des êtres humains, au même titre que nous dénonçons l’impact de la loi de pénalisation des clients et les facteurs de vulnérabilité qu’elle fait peser sur l’ensemble des personnes qui se prostituent.

« Les violences physiques, le harcèlement, les agressions sexuelles, dont le viol, l’exploitation d’autrui, la traite des êtres humains à des fins d’exploitation, etc. sont punissables par le code pénal. L’enjeu est de garantir un véritable accès à la justice pour toute personne victime et non pas d’invisibiliser les personnes en imposant des politiques répressives. Nous le savons, la répression pousse à la clandestinité. »

Ces associations disent constater tous les jours depuis la mise en place de la loi, une aggravation certaine de la situation des personnes – un phénomène documentée dans un rapport d’enquête nationale. Ces personnes « sont de plus en plus précaires, appauvries, exposées à des violences multiformes et contraintes de prendre des risques pour leur santé ». La loi ne les protège pas et la pénalisation des clients menace leur sécurité et leur santé. Une  pénalisation des clients qui n’est qu’une une mesure idéologique pénalisant finalement, aussi et surtout, les personnes se prostituant.

Mais tout ceci est écarté par les juges constitutionnels, qui prennent soin d’expliquer et de souligner dans leur décision que leur rôle « n’est pas de se substituer au législateur » – et ce y compris  « sur les conséquences sanitaires pour les personnes prostituées des dispositions contestées ».

 « Notre préoccupation, à nous, est celle de la protection de la santé et des droits fondamentaux, répondent les associations. Nous restons mobilisées pour accompagner les personnes, quel que soit le contexte légal. Nous continuerons à dénoncer et à nous opposer à toutes les mesures qui entravent la santé et les droits fondamentaux des personnes. Nous en appelons maintenant au législateur pour qu’il tire immédiatement les conséquences de l’impact sanitaire et sécuritaire catastrophique que la pénalisation des clients a sur les personnes se prostituant. »

 Voilà un bien beau sujet de société pour le Grand Débat.

A demain

@jynau

1 Parmi lesquelles  Médecins du Monde, Aides, Bus des femmes,  Grisélidis, Act Up Inter-LGBT,  Le planning familial et Sidaction

2 Loi n° 2016-444 du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées publiée au Journal Officiel du 14 avril 2016

Politique : le rapport du député Touraine annonce la fin de la « bioéthique à la française »

Bonjour

Annoncé hier en « avant-première » par Le Figaro (Agnès Leclair), le voici exposé sur le site de La Croix (Loup Besmond de Senneville). Et le voici présenté par Le Monde (Solène Cordier). Et pour le vieux quotidien vespéral aucun doute : le rapport de de la mission d’information sur la révision de la loi relative à la bioéthique est « audacieux ». « Audace », vraiment ? Cette « qualité de l’âme, qui incite à accomplir des actions difficiles, à prendre des risques pour réussir une entreprise considérée comme impossible ».

Comme prévu les recommandations de cette mission d’information parlementaire embrasse des thèmes variés incluant la procréation médicalement assistée (PMA), l’auto-conservation ovocytaire, l’intelligence artificielle ou les recherches sur l’embryon humain.  Et comme prévu le député Jean-Louis Touraine (anciennement socialiste, LRM, Rhône) n’a pas fait dans le détail – prenant le risque délibéré de relancer les polémiques et d’interdire « l’apaisement » souhaité par Emmanuel Macron avant de légiférer.

Le Pr Touraine prend soin de rappeler que la France fut ici « à l’avant-garde » en étant le premier pays à se doter, dès 1983, d’un Comité consultatif national d’éthique (CCNE).  Une initiative de François Mitterrand et qui permis la traduction de l’éthique dans le droit. Et le député Touraine de revendiquer  « un groupe de propositions cohérentes et moins frileuses que par le passé », mais pour autant inscrites dans « l’esprit de la conception bioéthique à la française »- ce  qui, sauf à tordre cet esprit, est hautement discutable.

Ainsi « l’extension à toutes les femmes des techniques de PMA ». « Au nom de l’égalité des droits, la mission d’information parlementaire souhaite notamment que toutes les femmes bénéficient des mêmes modalités de remboursement par la Sécurité sociale, résume Le Monde. Mais le rapporteur va plus loin. Il préconise plusieurs changements qui, s’ils étaient adoptés, auraient des conséquences pour l’ensemble des couples ayant recours à la PMA (…) Sur la question de l’accès aux origines, M. Touraine se dit favorable à ce que les enfants nés d’un don puissent, à leur majorité, accéder à des informations non-identifiantes (caractéristiques médicales) ainsi qu’à l’identité de leur géniteur. »

Filiations anticipées

On voit mal comment de telles dispositions s’inscrive dans « l’esprit de la conception bioéthique à la française » – une conception fondée sur l’inscription de la PMA dans le champ de la thérapeutique de la stérilité et sur le respect absolu de l’anonymat des donneurs – de sang comme de gamètes.

« Attentif à  »l’intérêt supérieur de l’enfant », le rapporteur imagine en outre de modifier l’établissement du mode de filiation pour tous les enfants issus de PMA, en instaurant une  »déclaration commune anticipée de filiation » des futurs parents, ajoute Le Monde. Cette mention figurerait sur l’acte de naissance intégral de l’enfant, lui permettant d’en avoir connaissance à sa majorité. Cette proposition, défendue notamment par la sociologue de la famille Irène Théry, impliquerait une modification du code civil. Elle aurait surtout comme effet de rompre avec le secret qui entoure souvent les naissances avec dons de gamètes dans les couples hétérosexuels. Une petite révolution. » Petite est ici de trop.

Jean-Louis Touraine entend encore « permettre la reconnaissance de la filiation à l’égard du parent d’intention pour les enfants issus d’une GPA pratiquée à l’étranger, dès lors qu’elle a été légalement établie à l’étranger ». L’objectif avancé est bien évidemment comme toujours celui de « conférer un statut à l’enfant ». Mais comment ne pas voir là le premier pas vers la dépénalisation d’une pratique jusqu’ici condamnée, précisément  au nom de « la conception bioéthique à la française ».

Cultures d’embryons humains

Ce n’est pas tout. « Jean-Louis Touraine préconise la levée de l’interdiction de créer des embryons transgéniques ‘’afin de favoriser la recherche scientifique’’, ainsi que l’allongement de la durée de culture des embryons – aujourd’hui limitée à 7 jours –, à 14 jours, voire au-delà (…) » observe La Croix. Réfutant tout eugénisme, le rapport porte aussi la marque d’une volonté de repérer les maladies le plus tôt possible, par exemple en autorisant les médecins à détecter les trisomies sur les embryons avant qu’ils soient réimplantés dans l’utérus. Le député propose aussi de permettre à tous les couples de se soumettre à des tests génétiques avant de concevoir un enfant, afin de pouvoir détecter un certain nombre de maladies génétiques graves pouvant survenir « chez l’enfant ou l’adulte jeune.

« À la lecture de ce rapport, il est frappant de constater que la loi apparaît souvent, en creux, comme un empêchement au progrès technique, résume le quotidien catholique. Une orientation confirmée vers la fin du texte : ‘’Il faut prendre en compte l’accélération des avancées scientifiques et des technologies biomédicales, dans un contexte de mondialisation des enjeux de santé et de recherche, ainsi que les nouvelles demandes de la société induites par ces innovations’’. »

« Ceux qui ne veulent pas réviser la loi parce qu’ils ont peur des évolutions ne tiennent pas compte des évolutions scientifiques et techniques, a insisté Jean-Louis Touraine devant la presse. Il ne faut pas croire que ce que l’on dit maintenant va être gravé dans le marbre. Ce que nous avons retenu devra être revu dans le futur (…). Il nous faut toujours être dans le progrès contrôlé, prudent. »

Mais comment invoquer la prudence quand, précisément, on entend graver dans le marbre de la loi des dispositions opposées à ce qui, depuis plus d’un demi-siècle, fonde, définit et structure « la bioéthique à la française ».

A demain

@jynau

 

OGM=Poisons : les toutes dernières révélations ! Un mea culpa du Nouvel Observateur ?

Bonjour

C’était il y a six ans. Septembre 2012 Une formidable tornade médiatique lancée par un Nouvel Observateur s’affranchissant de toutes les règles médiatiques relatives aux publications scientifiques. Et cette manchette jaune maïs :  « Exclusif : oui les OGM sont des poisons ! » . Images spectaculaires de rats atteints de tumeurs envahissantes. Commentaires à l’avenant. Artillerie en batterie, livre à suivre et pouvoir exécutif comme tétanisé. C’était le début de la triste autant que formidable « affaire Séralini ».

19 septembre 2012. « Tumeurs mammaires chez les femelles, troubles hépatiques et rénaux chez les mâles, espérance de vie réduite sur les animaux des deux sexes… L’étude conduite par le biologiste Gilles-Eric Séralini (université de Caen) et à paraître dans la prochaine édition de la revue Food and Chemical Toxicology fait grand bruit : elle est la première à suggérer des effets délétères, sur le rat, de la consommation d’un maïs génétiquement modifié – dit NK603, commercialisé par la firme Monsanto – associé ou non au Roundup, l’herbicide auquel il est rendu tolérant. » pouvait-on lire ce jour-là dans Le Monde

Se souvenir

« Vous souvenez-vous ? » demande aujourd’hui, sur son blog, notre confrère Sylvestre Huet. Celles et eux qui l’ont vécue se souviennent de cette ahurissante affaire – une affaire qui vit  de solides confrères allant (pourquoi diable ?) jusqu’à signer de leur encre un pacte contre nature leur assurant une « exclusivité ». Le Monde écrivait ainsi alors, toute colère rentrée :

« De manière inhabituelle, Le Monde n’a pu prendre connaissance de l’étude sous embargo qu’après la signature d’un accord de confidentialité expirant mercredi 19 septembre dans l’après-midi. Le Monde n’a donc pas pu soumettre pour avis à d’autres scientifiques l’étude de M. Séralini. Demander leur opinion à des spécialistes est généralement l’usage, notamment lorsque les conclusions d’une étude vont à rebours des travaux précédemment publiés sur le sujet. »

Dès le 4 octobre 2012 l’Autorité européenne de sécurité des aliments avait jugé que ce travail était d’une «qualité scientifique insuffisante». Puis la publication fut, sanction grave, «rétractée» avant d’être publiée, sous une autre version, dans une autre revue. L’affaire conservait tout son mystère. Où était la vérité vraie ?

Puis le temps passa, l’aura du chercheur de Caen baissa en intensité, d’autres turbulences émergèrent sur le front des OGM, des herbicides toxiques et des convictions qui ne s’embarrassent guère de la raison scientifique. On attendait toutefois que la lumière soit faite. « Affaire Séralini: six ans après, l’heure des comptes » signions-nous en juillet dernier sur Slate.fr.  « Trois expertises, française et européennes, invalident alors les résultats et conclusions de l’étude de GE Séralini sur les maïs OGM » assurait alors l’Association française des biotechnologies végétales.

Derniers clous

Aujourd’hui c’est l’Institut national de la recherche agronomique (Inra) qui enfonce les derniers clous : « Maïs OGM MON 810 et NK603 : pas d’effets détectés sur la santé et le métabolisme des rats »

« Un régime alimentaire à base de maïs transgénique MON 810 ou NK603 n’affecte pas la santé et le métabolisme des rats dans les conditions du projet GMO 90+. Cette étude inédite réalisée par un consortium de recherche piloté par l’Inra implique de nombreux partenaires dont l’Inserm. Les travaux ont été réalisés dans le cadre du programme Risk’OGM financé par le Ministère de la transition écologique et solidaire.

« Pendant six mois, des rats ont été nourris avec un régime contenant soit du maïs OGM (MON 810 ou NK603) soit du maïs non OGM, à différentes concentrations. Les chercheurs, par les techniques de biologie à haut débit, n’ont identifié aucun marqueur biologique significatif lié à l’alimentation au maïs transgénique. De même, ils n’ont observé aucune altération anatomo-pathologique du foie, des reins ou de l’appareil reproducteur des rats soumis aux régimes contenant ces OGM. Ces travaux, publiés le 10 décembre 2018 dans la revue Toxicological Sciences, ne mettent pas en évidence d’effet délétère lié à la consommation de ces deux maïs OGM chez le rat même pour de longues périodes d’exposition. »

Et Le Monde (Stéphane Foucart) de contextualiser: « OGM : six ans après l’’’affaire Séralini’’, une étude conclut à l’absence de toxicité sur les rats. En 2012, les photos de rongeurs déformés par des tumeurs avaient provoqué l’émoi et la controverse. Une étude d’ampleur prouve finalement l’innocuité des maïs transgéniques. C’est l’épilogue de l’’’affaire Séralini’’ ».

Le calibre de l’ânerie

Pour autant rien n’est acquis. « Dire que ces expériences prouvent que ‘’Les OGM ne sont pas des poisons’’ serait une ânerie de même calibre que l’affirmation inverse du Nouvel Observateur en septembre 2012, souligne fort justement Sylvestre Huet. Elles montrent seulement que les plantes transgéniques testées, et uniquement celles-là, ne sont pas des poisons. Ces expériences donnent raison une fois de plus aux biologistes qui estiment qu’il faut « une raison » (biochimique, biologique) de se demander si telle ou telle plante transgénique pose un problème de santé ou non et non supposer a priori que l’introduction d’un gène (ou sa manipulation à l’aide des nouvelles techniques disponibles comme CRISPR) représente un risque sanitaire plus élevé que, par exemple, un croisement artificiel utilisé en sélection de semences traditionnel. »

Puis notre confrère fait un rêve :  que les journaux, radios, télévisions, journalistes et ONG (ou responsables politiques) qui ont en chœur assuré à leurs publics, lecteurs, électeurs et militants que Gilles-Eric Séralini avait « prouvé » que « les OGM » sont des « poisons » mortels, vont consacrer autant d’efforts, de temps de paroles, de longueur d’articles et de propos publics à annoncer cette nouvelle  désormais bien établie.

Ce rêve n’a que bien peu chance de se réaliser :  cela ne susciterait guère d’écoute – et ne ferait guère vendre. « L’homme qui mord un chien, c’est une info, mais si c’est un chien qui mord un homme, c’est une info seulement s’il en meurt, rappelle-t-il. Une plante transgénique qui tue, c’est une information; elle se contente de nourrir, ce n’en est pas une. Et les près de 98% des journalistes qui ont écrit sur cette affaire sans lire l’article originel de G-E Séralini ne vont pas plus lire les résultats de ces expériences ni se voir incité à les présenter par des rédactions en chef qui n’y verront pas le motif d’un titre bien saignant. (…) Il est regrettable que l’affaire Séralini soit celle d’un lanceur de fausse alerte, puisque toute fausse alerte occupe une part de la citoyenneté et de l’expertise publique disponible pour une vraie alerte sanitaire ou environnementale. Certes, il vaut mieux se tromper de temps en temps et traiter une fausse alerte que de passer à côté d’une vraie mais ne pas se noyer dans les fausses alertes est indispensable.

Où l’on en revient à une histoire qui reste à écrire. Celle du journaliste qui criait toujours au loup et qui n’a pas été cru lorsque le vrai loup survint.

A demain

@jynau

Flambées de violences à Paris : la France souffrante, entre « jacquerie » et « chienlit »

Bonjour

Emmanuel Macron, le 20 novembre, depuis Bruxelles en réponse aux manifestations des Gilets Jaunes :

« Nous sommes un pays qui se cabre car nous n’aimons pas le changement imposé, mais qui sait mener des transformations profondes quand le sens de l’histoire est là et que le projet est plus grand que lui. »

Le même jour, à Plounéour-Ménez(Finistère), 1 250 habitants, le maire, Jean-Michel Parcheminal, ancien militant des gauches syndicales et politiques a revêtu, seul, un gilet jaune sous son écharpe tricolore. Et il dit pourquoi au Monde :

« Pour le symbole, pour leur montrer ma solidarité. En tant qu’élu, nous vivons leurs souffrances. Ce n’est quand même pas normal que nos enfants n’arrivent pas à vivre décemment de leur travail. On sent aujourd’hui sourdre un ras-le-bol général. Les taxes sur le carburant n’ont été que le déclencheur d’un malaise profond, qui s’exprime en dehors de toute organisation, de manière spontanée. » 

Douze jours plus tard, aube du 2 décembre, Le Monde :

« Gilets jaunes » : à Paris, des destructions, des violences et un mot d’ordre, ‘’Macron démission’’ »

L’Arc de Triomphe souillé, des scènes hier encore inimaginables en divers points de la capitale. 133 personnes, dont 23 membres des forces de l’ordre, blessées. Des murs tagués qui parlent comme il y a, précisément, cinquante ans. Et Chanel pillé faute de Fauchon. Télévisions et radios amplifiant en boucle un phénomène sans cesse exponentiel sur les réseaux sociaux. La quasi-totalité d’un gouvernement aux abonnés absents. Des responsables politiques aux abris. Une exaspération sans fond et des revendications insaisissables. Et le monde qui regarde Paris :

  « Escalade de la violence à Paris » (Die Welt)« La manifestation des gilets jaunes sème le chaos à Paris » (El Pais), « Gilets jaunes, l’heure de la violence : Paris brûle entre agressions et pillages » (Corriere della Sera), « L’une des manifestations antigouvernementales les plus violentes à frapper Paris depuis des décennies » (The Wall Street Journal).

On se retourne, et on ouvre la trop secrète bibliothèque du Centre national de ressources textuelles et lexicales :

Jacquerie : Soulèvement des paysans contre les seigneurs pendant la captivité de Jean le Bon, en 1358.

P ext. Insurrection populaire, notamment paysanne.« J’ai reçu une lettre lamentable de MmeSand. Il y a une telle misère dans son pays, qu’elle redoute une jacquerie » (Flaubert., Corresp.,1870, p. 136) ;

« Les émeutes serviles, les jacqueries, les guerres des gueux, les révoltes des rustauds » (Camus, Homme rév.,1951, p. 139) ;

« (…) quand il souffrait trop, Jacques Bonhomme se révoltait. (…) la jacquerie arme les laboureurs de leurs fourches et de leurs faux, quand il ne leur reste qu’à mourir (…). Après quatre cents ans, le cri de douleur et de colère des Jacques, passant encore à travers les champs dévastés, va faire trembler les maîtres, au fond des châteaux. (Zola, Terre,1887, p. 80.)

Chienlit : Subst. masc. ou fém. Celui, celle qui défèque au lit ; Celui, celle qui laisse passer par derrière un morceau de chemise malpropre ; Personne ridiculement accoutrée, grotesque ;  Personnage répugnant ; Personne masquée de carnaval populaire.

Subst. fém. Mascarade désordonnée et gueuse : « On en est à la chienlit, monsieur… On en est à la mascarade, au corso carnavalesque. On se déguise en pierrot, en arlequin, colombine ou en grotesque pour échapper à la mort. On se masque… » (Giono, Le Hussard sur le toit,1951, p. 270.)

Chienlit, donc, étroitement attaché au Carnaval de Paris. Puis, avant et après Jean Giono vint Charles de Gaulle : en tant que substantif féminin, le terme entra en politique lors de son utilisation d’abord en août 1944 lorsque, s’adressant à Georges Bidault, pendant la descente de l’Avenue des Champs-Élysées, de Gaulle lui dit « Alors, Bidault, c’est la chienlit ! ». Puis en mai 1968 avec le célèbre « La réforme, oui ; la chienlit, non ! ».

C’était il y a un demi-siècle, le dimanche 19 mai, au Palais de l’Elysée. S’adressant à ses ministres le président de la République entendait ainsi qualifier la profusion débridée des événements et désordres concomitants. On connaît la suite des événements.

Dimanche 2 décembre 2018. La situation est critique et la France attend les mots du président de la République.

A demain

@jynau

Avortement : quel chrétien accuse le médecin d’être un «tueur à gages», «en gants blancs» ?

Bonjour

Le pape François est sur ses nuages. Et il foudroie : dans son homélie prononcée lors de sa traditionnelle audience place Saint-Pierre il a, mercredi 10 octobre, qualifié de « tueurs à gages » les médecins pratiquant des IVG.  Une homélie consacrée au commandement biblique de « ne pas tuer ».

« Interrompre une grossesse, c’est comme éliminer quelqu’un. Est-il juste d’éliminer une vie humaine pour résoudre un problème ?  Ce n’est pas juste de se débarrasser d’un être humain, même petit, pour résoudre un problème. C’est comme avoir recours à un tueur à gages pour résoudre un problème. »

Le pape François a ensuite fustigé « la dépréciation de la vie humaine », en raison des guerres, de l’exploitation de l’homme et de l’exclusion. Et  d’ajouter à cette liste l’avortement « au nom de la sauvegarde d’autres droits ». « Mais comment un acte qui supprime la vie innocente peut-il être thérapeutique, civil ou tout simplement humain ? », a encore demandé le souverain pontife.

Evoquant les enfants à naître avec un handicap, il a critiqué les conseils donnés aux parents d’interrompre la grossesse. « Un enfant malade est comme chaque nécessiteux de la terre, comme une personne âgée qui a besoin d’assistance, comme tant de pauvres qui ont du mal à joindre les deux bouts », a-t-il affirmé, en estimant qu’il s’agissait aussi d’un « don de Dieu capable de te sortir de l’égocentrisme ».

En juin, le souverain pontife avait déjà comparé l’avortement pratiqué en cas de handicap du fœtus à un eugénisme « en gants blancs », comme celui pratiqué par les « nazis ».

« Au siècle dernier, tout le monde était scandalisé par ce que faisaient les nazis pour veiller à la pureté de la race. Aujourd’hui nous faisons la même chose en gants blancs. Pourquoi ne voit-on plus de nains dans les rues ? Parce que le protocole de nombreux médecins dit : il va naître avec une anomalie, on s’en débarrasse. »

Et La Croix rapporte que le 18 mai dernier, il avait comparé, dans un discours non-publié au bureau européen de la fédération One of us, les expérimentations sur des embryons humains et l’avortement d’enfants à naître malades, aux pratiques du médecin nazi Josef Mengele et aux Spartiates qui jetaient les nourrissons faibles du haut d’une montagne. « Nous faisons pareil aujourd’hui, avait-il poursuivi, mais dans les laboratoires et les cliniques. »

Le pape François est parfois, ici ou là, qualifié de progressiste.

A demain

Le Blanc : comment transformer une maternité en un établissement pour personnes âgées ?

Bonjour

Soit Le Blanc, sous-préfecture l’Indre arrosée par La Creuse. Un centre hospitalier certifié. Un peu plus de six mille habitants ; une soixantaine d’élus du département qui s’apprêtent à démissionner : ils refusent la fermeture définitive de la maternité (treize lits).  On n’y accouche plus depuis trois mois déjà, faute d’un nombre suffisant de soignants. Le Blanc et la Creuse,  la désertification des petites bourgades, les concentrations médicales dans les grosses villes, la symbolique et l’angoisse de ne pas donner la vie à proximité immédiate de son domicile.

Le Monde (François Béguin) a fait le déplacement jusqu’à cette extrémité symptomatique. Le Blanc située à environ une heure de route de Châtellerault (Vienne), de Poitiers (Vienne) et de Châteauroux (Indre), où se trouvent les maternités les plus proches. Les élus déposeront, jeudi 11 octobre, leur lettre de démission à la préfecture de Châteauroux. Et le dernier quotidien vespéral parisien de rapporter les témoignages, de donner les chiffres qui condamnent la maternité locale comme tant et tant d’autres furent décapitées avant elle. Soit 400 accouchements en 2009 et 255 en 2017.

Le Monde cite un « rapport », publié le 28 septembre, identifiant « plusieurs dysfonctionnements pouvant mettre gravement en jeu la sécurité des prises en charge ». Un document (rendu public par La Nouvelle République) qui a conduit la directrice de l’Agence régionale de santé Centre-Val de Loire à exprimer, vendredi 5 octobre, son « souhait d’une fermeture définitive du site, au profit d’un centre périnatal de proximité ». Refus de la population et des élus qui attendent de la ministre des Solidarités et de la santé Agnès Buzyn, qu’elle renouvelle les moratoires accordés par ses deux prédécesseurs, Xavier Bertrand en 2011, puis Marisol Touraine en 2012. Un temps pré-macronien où Paris cédait encore à la révolte des campagnes.

Mépris des ruraux

Puis Emmanuel Macron devint président et, observe Le Monde,  les élus locaux « enragent de ne pas être entendus ». « Nous sommes dans une situation inédite, avec un gouvernement dont la marque de fabrique est de ne rien céder », déplore Jean-Michel Molls, le président du comité de défense des usagers de l’hôpital. « Nous sentons comme un mépris à l’égard des zones rurales », ajoute Annick Gombert, la maire (PS) – démissionnaire – de la commune.

Comme jadis Libé et les ouvriers de Lip, La Nouvelle République tient la chronique de cette révolte et des manifestations se suivent, sans succès : « Maternité du Blanc : l’histoire du lutte ». « Le 15 septembre, entre 2 000 et 3 000 personnes se sont rassemblées devant la mairie, résume Le Monde. Le 28, une cinquantaine d’élus ont accroché des portraits officiels du chef de l’Etat aux grilles de la sous-préfecture. Devant les caméras, certains ont même brûlé des photos d’Emmanuel Macron. ‘’On est en train de franchir une étape dans la colère, les citoyens et les élus se sentent exclus de la République’’, prévient Jean-Paul Chanteguet, qui a été maire (PS) du Blanc pendant trente ans. »

Au Blanc on redoute la suite : la fermeture de la maternité annonçant la mort du service de chirurgie, des urgences et, à terme, de l’école d’infirmières, « le seul établissement de formation post-bac de la ville ». Fermeture de l’hôpital et naissance d’un gros EHPAD au sein d’un désert médical. Pour l’heure, à l’entrée de l’hôpital, un panneau désespéré : « Liberté, égalité, maternité de proximité ».

A demain

 

Diesel et conflits d’intérêts : après l’affaire Aubier, l’étrange accord entre Total et l’AP-HP

Bonjour

On se souvient des récents malheurs du Pr Michel Aubier 1, spécialiste réputé de pneumologie au sein de la non moins renommée AP-HP. Libération du 5 juillet 2017 (Coralie Schaub) : « Le pneumologue qui minimisait dans les médias l’impact du diesel sur la santé a été condamné mercredi à six mois de prison avec sursis et 50 000 euros d’amende, pour avoir caché aux sénateurs qu’il était grassement payé depuis 1997 par Total. Une première. » Libération y voyait un jugement « historique et symboliquement fort »:

« Pour la première fois en France, la justice a condamné mercredi une personne pour «faux témoignage» devant la représentation nationale. Pour avoir menti devant une commission d’enquête du Sénat, le pneumologue Michel Aubier a été condamné à six mois de prison avec sursis et à 50 000 euros d’amende par le tribunal correctionnel de Paris. La sanction est plus lourde que celle requise par le parquet – qui avait seulement demandé une amende de 30 000 euros, au terme d’une audience de sept heures, le 14 juin – mais moindre que la peine maximale encourue pour ce délit de «faux témoignage» (cinq ans de prison et 75 000 euros d’amende). »

Et Libération de rappeler, avec de nombreux médias, que ce « mandarin » (ancien chef de service à l’hôpital Bichat de Paris, professeur à l’université Paris-Diderot et chercheur à l’Inserm) avait « minimisé pendant des années dans les médias les effets du diesel et de la pollution atmosphérique sur la santé. Et qu’il avait touché en moyenne autour de 100 000 euros par an de Total. Soit environ la moitié de ses revenus annuels. Le tout pour «neuf demi-journées par mois», comme l’indiquait son contrat de travail.

Emphases

Le Monde (Stéphane Mandard) n’était pas moins emphatique :

« Le professeur Michel Aubier est entré dans l’histoire en devenant la première personne condamnée pour avoir menti sous serment devant une commission d’enquête parlementaire. La 31e chambre correctionnelle de Paris l’a en effet condamné mercredi 5 juillet à une peine de six mois de prison avec sursis et à une amende de 50 000 euros.

Le tribunal est donc allé plus loin que le parquet, qui à l’issue de l’audience du 14 juin, avait seulement requis une peine de 30 000 euros d’amende. La présidente du tribunal, Evelyne Sire-Marin, a estimé que cette condamnation était « proportionnée à la gravité des faits : mentir devant la représentation nationale. » 

Un mensonge incompréhensible de la part de celui qui était allé devant cette commission d’enquête à la demande étonnante de Martin Hirsch, directeur général de l’AP-HP. Un directeur général qui, plus tard, assura ne rien savoir, alors, des lien entre Total et ce mandarin.

L’affaire Aubier est de retour avec le procès en appel qui s’est tenu le vendredi 5 octobre. Et Le Monde (Stéphane Mandard) est toujours là :

« Costume-cravate sombre et teint hâlé, Michel Aubier a nié avoir menti devant les sénateurs. « Je reconnais m’être trompé, mais ce n’était pas intentionnel. J’ai fait une erreur mais je n’ai pas menti ». Me François Saint-Pierre a tenté d’expliquer que « dans un contexte de stress », son client avait « confondu les notions de conflit et de lien d’intérêt » et commis une « erreur d’interprétation » qui a « ruiné toute sa carrière ».

Des arguments qui n’ont pas convaincu l’avocate générale : « Quand on lui demande s’il a des liens avec des acteurs économiques, il ne peut pas ne pas savoir. Ce mensonge sous serment est une infraction grave, avec un dommage important pour toute la société. C’est la porte ouverte à toutes les suspicions, aux fake news ».

Le jugement a été mis en délibéré au 9 novembre. Mais l’important, cette fois, était ailleurs. Dans la révélation, par les médias de « l’étonnant partenariat de l’AP-HP avec Total » « L’affaire Aubier servira « d’électrochoc » pour « traiter ce mal que représentent les conflits d’intérêts », avait réagi le patron de l’AP-HP, Martin Hirsch, après la condamnation en première instance, écrit Le Monde. En avril, l’AP-HP a pourtant signé un étonnant accord de partenariat avec… Total. Un partenariat qui rapporterait 300 000 euros sur trois ans à l’AP-HP. »

Précieux concepts

Identiques à celle de Total, les explications officielles de l’AP-HP sont disponibles ici : « L’AP-HP et Total concluent un accord cadre de partenariat ».

« La volonté commune d’inscrire les relations entre l’AP-HP et le Groupe Total dans une convention officielle vise, d’une part à développer des actions de recherche dans le domaine de la santé publique orientées prioritairement vers des publics vulnérables et, d’autre part, à donner un cadre précis et rigoureux à l’appui que peut apporter le plus grand groupe hospitalier européen aux problématiques de santé des personnels du Groupe Total.

Cette convention qui présente un caractère novateur a été soumise par le directeur général au directoire de l’AP-HP, avant d’être approuvée, pour veiller à ce que l’équilibre trouvé soit en cohérence avec les valeurs de l’AP-HP et sa politique médicale et scientifique.

L’un des deux volets prévoit que « l’AP-HP autorisera un praticien à assurer, une demi-journée par semaine, un rôle de médecin-conseil auprès du Groupe Total ». Une mission qui ressemble à s’y méprendre à celle qu’assurait le Pr Michel Aubier. Ce qui n’a échappé ni au Monde ni à son avocat : « C’est la preuve que cette pratique est institutionnalisée et que le comportement de Michel Aubier n’a pas été préjudiciable pour l’AP-HP. » Où l’on voit réapparaître les formules « lien d’intérêt » et « conflits d’intérêts ». Deux précieux concepts sur lesquels l’affaire « Aubier contre AP-HP » incite à méditer.

A demain

1 Les articles de ce blog consacré à cette affaire sont disponibles ici : https://jeanyvesnau.com/?s=Aubier

Adama Traoré « médicalement condamné » avant même d’être rattrapé par les gendarmes ?

Bonjour

On se souvient de la mort d’Adama Traoré le 19 juillet 2016. Une mort suivie d’une intense polémique 1 concernant pour l’essentiel la cause du décès de  ce jeune homme de 24 ans lors de son interpellation par les forces de l’ordre (gendarmerie) à Beaumont-sur-Oise.  Plus de deux ans plus tard, et après deux autopsies médico-légales, l’affaire rebondit avec les résultats de l’expertise médico-légale « de synthèse », réalisée par quatre médecins et rendue aux deux juges d’instruction le 18  septembre. Ce nouveau – et probablement ultime – rapport n’apaisera pas la colère des membres de l’association –« Vérité et justice pour Adama ». Les quatre experts, dans ce document que Le Monde (Nicola Chapuis) a consulté, exonèrent les gendarmes de toute responsabilité.

« Les médecins commencent pourtant par battre en brèche les constatations de leurs confrères : non, Adama Traoré n’avait pas un cœur défaillant, contrairement à ce qu’avançaient les précédentes expertises. Sa taille importante était plus certainement due à sa pratique sportive intensive qu’à une malformation (sic). »

Pour expliquer le décès, les -médecins décrivent un surprenant « enchaînement de réactions ». Et font état des différentes pathologies dont souffrait Adama Traoré. Il était ainsi atteint d’un « trait drépanocytaire » qui avait été diagnostiqué de son vivant. On sait qu’il s’agit ici de la forme hétérozygote de la drépanocytose.  Cette caractéristique génétique est le plus souvent considérée comme asymptomatique et bénigne. Pour autant certains spécialistes estiment qu’elle pourrait être de nature à modifier le métabolisme et la structure musculaire de son porteur.

Outre ce « trait » Adama Traoré était atteint d’une « sarcoïdose »  dite « de stade 2 »  dont il ignorait l’existence. Il s’agit ici d’une « maladie multisystémique de cause inconnue caractérisée par la formation de granulomes immunitaires dans les organes affectés – le plus souvent les poumons ».

« L’évolution et la sévérité de la sarcoïdose sont très variables. Dans la plupart des cas bénins (régression spontanée dans les 24-36 mois), aucun traitement n’est nécessaire, mais le patient doit être suivi jusqu’à rémission complète. Dans les cas plus sévères, un traitement médical doit être prescrit initialement ou, selon les manifestations et leur évolution, à certaines périodes. Le principal traitement de la sarcoïdose est une corticothérapie systémique d’une durée minimum de 12 mois. » 

Cercle vicieux, cercle mortel

Pour les quatre experts auteurs de la « synthèse »  c’est la fuite du jeune homme – il avait échappé par deux fois aux gendarmes avant de se réfugier dans l’appartement où il sera interpellé – qui est à l’origine du processus fatal.  Les experts relèvent aussi le rôle qu’a pu jouer la température élevée (supérieure à 30 °C) du 19  juillet 2016 dans la région parisienne. Conséquence : Adama Traoré se serait donc retrouvé dans un état d’ « hypoxémie » majoré par sa sarcoïdose, de « déshydratation » due à la chaleur, d’ « hyperviscosité sanguine » provoquée par l’effort et de « stress majeur » dû à la poursuite dont il était l’objet.

Un « cercle vicieux » en somme – qui aurait déclenché une «  crise drépanocytaire aiguë avec syndrome thoracique »  proquant  peu à peu à « une anoxie tissulaire » et à la mort du jeune homme. « Le décès de M. Adama Traoré résulte donc de l’évolution naturelle d’un état antérieur au décours d’un effort », concluent les médecins légistes qui, de manière surprenante, estiment que « son pronostic vital était déjà engagé » à son arrivée dans l’appartement.

Oublié, donc, la mort causée par l’interpellation musclée du jeune homme et la technique spécifique d’immobilisation (avec genoux dans le dos) qui a bel et bien provoqué une « compression thoracique ». Cette dernière était, assurent les exeprts, « insuffisante pour avoir joué un rôle significatif dans le décès de M. Adama Traoré ». Un homme condamné avant même d’être rattrapé par les gendarmes ?

« Les gendarmes auteurs de l’interpellation y verront la preuve de leur innocence, conclut Le Monde. La famille d’Adama Traoré interprétera le ton catégorique du rapport comme la confirmation qu’ils se heurtent à un mur judiciaire. »

A demain

1 Tous les articles de ce blog concernant l’affaire Adama Traoré sont disponible à cette adresse : https://jeanyvesnau.com/?s=traor%C3%A9

 

Invraisemblable : la pénurie de médicaments et les «pertes de chances inacceptables» 

Bonjour

C’est un document sanitaire majeur qui vient d’être rendu public : le rapport de la mission d’information sur la pénurie de médicaments et de vaccins Un document qui permet de cerner un peu mieux la réalité d’un phénomène traité, dans les médias, de manière toujours parcellaire.

« L’indisponibilité des médicaments et vaccins est un phénomène de plus en plus préoccupant : en 2017, plus de 500 médicaments essentiels ont été signalés en tension ou rupture d’approvisionnement, soit 30 % de plus qu’en 2016. Sont concernés des médicaments de première importance dans notre arsenal thérapeutique, notamment des anticancéreux, des vaccins et des antibiotiques. 

Ces ruptures conduisent à des pertes de chance inacceptables pour les patients et mettent en danger la qualité et le fonctionnement de notre système de santé. Du fait de la délocalisation à l’étranger de la plupart des structures de production de médicaments, c’est l’indépendance sanitaire de notre pays qui est désormais remise en cause.

Face au défaut de transparence sur les origines de ces pénuries et les responsabilités en jeu, la défiance s’accroît entre les acteurs de la chaîne du médicament, du fabricant au pharmacien, en passant par les dépositaires, les grossistes-répartiteurs et les prescripteurs. Comment prévenir les pénuries résultant de difficultés de production ? Comment restaurer la confiance entre les acteurs de la chaîne de distribution du médicament ? Telles sont quelques-unes des questions auxquelles cette mission d’information s’est attachée à répondre. »

Pronostic vital

Cette mission, créée à l’initiative du groupe sénatorial Les Indépendants – République et territoires était présidée par le ­sénateur (Parti socialiste, Aisne) Yves Daudigny. Le constat est sans appel et le phénomène s’aggrave en France : 530 médicaments se sont retrouvés en rupture de stock en 2017 –  30 % de plus qu’en 2016, dix fois plus qu’en 2008 (44 médicaments concernés). Et encore ces chiffres ne concernent-ils que les médicaments dits d’intérêt ­thérapeutique majeur, ceux dont « l’indisponibilité transitoire, totale ou partielle, est susceptible d’entraîner un problème de santé publique (mise en jeu du pronostic vital, perte de chance importante pour les ­patients) » et pour lesquels il n’y a pas d’alternative thérapeutique disponible sur le marché français. Une « rupture d’approvisionnement » survient lorsqu’une pharmacie d’officine ou d’hôpital est dans l’incapacité de délivrer un médicament dans un délai de soixante-douze heures.

« Les pharmaciens font face, à l’hôpital comme en officine, à des phénomènes le plus souvent diffus, mais récurrents et fortement déstabilisateurs pour la continuité des soins, souligne le rapport. A Gustave Roussy, ce sont soixante-neuf lignes de médicaments qui sont quotidiennement en rupture ou en tension. L’Agence générale des équipements et produits de santé de l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) relève quant à elle chaque jour quatre-vingt à quatre-vingt-dix  médicaments en situation de pénurie.»

Tickets de rationnement

Deux exemples illustrent actuellement ce phénomène. Rupture de stocks de Sinemet, l’un des traitements les plus courants, pris par plus de 50 % des personnes souffrant de la maladie de Parkinson – situation qui pourrait durer jusqu’en mars 2019. Et les médicaments génériques deviennent eux-mêmes en rupture de stocks. « Fortes tensions d’approvisionnement » concernant l’anticancéreux ­5-Fluorouracile .« Certes, d’autres anticancéreux peuvent être prescrits, mais ce ne sont pas les mêmes protocoles, et c’est une perte de chance pour les patients », a expliqué au Monde (Pascale Santi)  le Pr Alain Astier, chef du département de pharmacie du groupe hospitalier Henri-Mondor (AP-HP), et membre de l’Académie de pharmacie. Des ­pénuries touchent aussi des médicaments courants comme l’amoxicilline.

Que fait, ici, l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) ? A quoi sert-elle ?  Interrogée par la mission sénatoriale, elle évoque des problèmes dans la chaîne de production, des défauts de qualité des produits finis, ou encore des difficultés d’approvisionnement en matière première. « Une réglementation contraignante et, surtout, la moindre rentabilité de ces molécules sont aussi souvent mises en avant » précise Le Monde.

Dans leur rapport les sénateurs, quant à eux, formulent plusieurs propositions pratiques tout en observant que « l’indépendance sanitaire de notre pays est désormais remise en cause ». Comment lutter contre le fait que  « 60 % à 80 % des matières actives à usage pharmaceutique ne sont pas, aujourd’hui, fabriquées dans les pays de l’Union européenne, mais en Inde et en Asie, – contre 20 % il y a trente ans » ? Comment gérer la pénurie qui s’installe ? Comment prévenir les prochains scandales ? Comment ne pas en venir aux tickets de rationnement ? Que peuvent, dans ce monde nouveau, faire Agnès Buzyn et le gouvernement ?

A demain