Bonjour
Laurent Joffrin, 67 ans, exerce les redoutables fonctions de directeur de la rédaction et de la publication de Libération. A longtemps travaillé au Nouvel Observateur. Editorialise et commente dans différents médias. C’est un patron de presse qui, par ailleurs, écrit considérablement sur mille et un sujets considérés comme étant d’actualité. A ce titre il ne pouvait échapper à la révision de la loi de bioéthique et à la « PMA » dont tous les médias font aujourd’hui leurs choux gras.
Il fallait au patron de Libération un angle compatible avec le combat que mènent ses troupes militantes au nom de la « PMA pour toutes ». On peut voir là comme une forme de résurgence d’un rude combat mené par le même quotidien, il y aura bientôt cinquante ans : celui mené en faveur de la dépénalisation de l’IVG sous la professionnelle férule, notamment, de Béatrice Vallaeys. Les temps, certes, ont changé puisque le nouveau combat de Libé est celui du gouvernement voulant traduire dans la loi une promesse d’Emmanuel Macron, candidat à la présidence de la République.
Aujourd’hui Laurent Joffrin publie un éditorial intitulé « PMA : l’Académie des vieilles barbes ». Entendre par là l’Académie nationale de médecine qui vient d’exprimer clairement sa position sur le projet de loi de bioéthique 1. Et Laurent Joffrin, qui se range sans surprise aux côtés d’Agnès Buzyn, se gausse de l’utilisation, par l’Académie de la formule «rupture anthropologique majeure» 2.
« L’argument «anthropologique» use d’un mot savant – et flou – pour stigmatiser une rupture fondamentale dans l’évolution des sociétés humaines. Aussitôt, on pense à un basculement civilisationnel dramatique qui verrait des apprentis sorciers violer les lois sacrées de la nature au détriment de millions d’enfants. »
Anthropologie véritable
L’ennui, selon lui, c’est que les « vrais anthropologues » (sic) ne semblent guère (re-sic) souscrire à cette version de l’anthropologie. Et le patron de Libération, ce citer, sans surprise « Françoise Héritier, l’une des plus célèbres spécialistes de la discipline » :
«Rien de ce que nous faisons ou pensons, systèmes de vie, d’attitude et de comportement, n’est issu directement de lois naturelles. Tout passe par un filtre mental, cérébral et idéel, produit d’une réflexion collective qui prend forme à un moment de notre histoire, évolue et peut encore évoluer. […] Rien de ce qui nous paraît naturel n’est naturel.»
Traduction du patron de Libération : « Les anti-PMA appellent la science au secours : la science les désavoue ».
L’Académie s’inquiète de la multiplication des «enfants sans père» ? « Nouveau désaveu : la plupart des études universitaires menées sur la question démentent cette horrifique angoisse, écrit Laurent Joffrin qui conseille Cairn.info, « site universitaire pour le moins sérieux » (re-re-sic) et une étude datée de 2006 : « Du désir à l’acte : les enfants de la procréation médicalement assistée (PMA) » Hélène Lazaratou et Bernard Golse. Laurent Joffrin donne la conclusion « sans appel » des auteurs :
«Au total, en accord avec les études existantes, les enfants qui sont nés par des méthodes de procréation médicalement assistée ne présentent pas de problèmes particuliers dans leur développement mental ou émotionnel.»
Voici, en réalité, la conclusion de ces mêmes auteurs, en 2006 :
« Sur un plan psychanalytique, il va de soi que le rôle des PMA sur le développement de l’enfant ne peut être conçu qu’au sein d’un modèle polyfactoriel renvoyant au concept freudien de » série complémentaire « . Dans cette perspective, le maniement de la relation avec les parents ayant recours aux PMA se doit donc d’être extrêmement prudent sur le plan éthique, afin de ne pas donner lieu à un processus inacceptable de culpabilisation.
Il y aurait lieu sans doute d’approfondir les dynamiques différentes du désir d’enfant et du désir de grossesse dans le cadre de ces situations particulières, mais tel n’était pas notre propos, ici Nous voulions seulement insister sur la revue de la littérature internationale qui permet, aujourd’hui, de penser que le devenir des enfants nés par PMA ne se trouve marqué par la survenue d’aucune difficulté psychologique ou psychopathologique spécifique. »
Chute de l’éditorial: « De là à penser que les scrupules »anthropologiques » des burgraves de l’Académie de médecine ne sont que l’habillage savant de préjugés racornis, il n’y a qu’un pas. » Les Burgraves de la rue Bonaparte apprécieront.
A demain @jynau
1 L’Académie nationale de médecine a, dans sa séance du mardi 18 septembre 2019, a adopté ce document par 69 voix pour, 11 voix contre et 5 abstentions Auteurs du rapport : Jean-François Mattei (rapporteur) au nom du Comité d’éthique de l’Académie nationale de médecine. Comité d’éthique de l’Académie nationale de médecine: Catherine Barthélémy, Marie-Germaine Bousser, Jacques Bringer, Jean Dubousset, Gilles Crépin, Elisabeth Eléfant, Claudine Esper, Jean-Noël Fiessinger, Dominique Lecomte, Yves Le Bouc, Jean-Roger Le Gall, Jean-François Mattei, Dominique Poitout, Paul Vert.
2 Extrait du rapport de l’Académie nationale de médecine (ANM) :
« A ce titre, la conception délibérée d’un enfant privé de père constitue une rupture anthropologique majeure qui n’est pas sans risques pour le développement psychologique et l’épanouissement de l’enfant. L ‘argument régulièrement avancé pour rejeter le risque pour 1’enfant se fonde sur certaines évaluations, essentiellement dans quelques pays anglo-saxons et européens, faisant état de l’absence d’impact avéré sur le devenir de 1’enfant.
L’ANM ne juge pas très convaincantes ces données au plan méthodologique, en nombre de cas et en durée d’observation sur des enfants n’ayant pas toujours atteint l’âge des questions existentielles. Quoiqu’il en soit, 1’ANM rappelle que 1’incertitude persiste sur le risque de développement psychologique de ces enfants au regard du besoin souvent exprimé de connaître leurs origines. Cela conduit donc à souhaiter qu’il y ait des études en milieu pédopsychiatrique à partir d’enfants privés de pères, parmi lesquels ceux issus de 1’AMP pour des femmes seules ou en couples. Cela permettra d ‘évaluer le devenir de ces enfants au nom du principe de précaution si souvent évoqué pour des sujets d ‘importance moindre. II apparaît, à 1’ANM que cette disposition est contraire à la Convention internationale des droits de l’enfant de 1989, ratifiée par la France. Celle-ci mentionne le droit de l’enfant à connaître ses parents en insistant sur le « bien de l’enfant » comme sur son « intérêt supérieur ».