« Il n’y a pas ‘’ d’affaire Morelle’’ » dit Aquilino Morelle. Prochain ouvrage: « Ça va saigner».

Bonjour

Nous avions quitté le Dr Aquilino Morelle avant l’été. Il était alors convoqué par le Conseil de l’Ordre des médecins de Paris. Il s’agissait alors d’entendre « sa version des faits ». Puis « de voir quelles suites donner ». Les faits ? Le recours à un cireur de chaussures n’étant pas interdit par la juridiction ordinale, une seule ombre connue au tableau : alors qu’il était salarié de l’Igas, des rémunérations pour « prestations de conseil » par le laboratoire danois Lundbeck. C’était en 2007 (15 octobre / 31 décembre).

Episodes dépressifs

Il se serait alors agi d’un « contrat ponctuel », un travail d’intermédiaire. En pratique l’organisation de deux rendez-vous avec le Comité économique des produits de santé (CEPS) – une  structure qui fixe – dans le plus grand secret –  le prix des médicaments et les taux de remboursement.

On laissait alors entendre  qu’il s’agissait ici de conseiller à  Lundbeck pour « stabiliser » le prix du Seroplex® –  une molécule utilisée contre la dépression (épisodes dépressifs majeurs) et les troubles anxieux (tels que le trouble panique avec ou sans agoraphobie, le trouble d’anxiété généralisée et les troubles obsessionnels compulsifs) chez les adultes de plus de 18 ans. Environ 29 euros la plaquette de 28 comprimés. Remboursé à 65% par notre Sécurité sociale. C’est aussi une molécule qui bénéficia, quelques mois plus tard, d’une extension d’indication.

A l’aveugle

Le Dr Morelle fit à nouveau parler de lui il y a quelques jours. Une sortie inouïe qui aurait peut-être pu (à l’aveugle) être qualifiée de délirante. Des propos publiés dans Le Point qui firent sortir le ministre des Finances de ses gonds. Puis des propos vite récusés par le principal intéressé.

Et puis, aujourd’hui, le Dr Morelle dans Le Monde auquel il a accordé un entretien « exclusif » (David Revault d’Allonnes). Extraits :

« Pourquoi ne vous êtes-vous pas exprimé depuis votre démission de vos fonctions de conseiller politique du président, le 18 avril dernier ?

Le choix du silence m’a d’abord été imposé par la violence du lynchage médiatique dont j’ai été l’objet. Face au déferlement de calomnies et de caricatures, parfaitement orchestré, toute parole venant de moi aurait été vaine, par avance discréditée. Le silence était aussi, en soi, une réponse : le refus d’entrer, même pour la combattre, dans une manipulation dégradante. Enfin, se taire était une manière de respecter le travail des institutions : la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, le conseil de l’Ordre des médecins, la justice. Cinq mois se sont écoulés. J’ai besoin de rétablir la vérité. Je le dois aux miens.

Démentez-vous toujours tout conflit d’intérêts ?

C’est une accusation sans aucun fondement. Quand me serais-je trouvé en situation de conflit d’intérêts ? Pendant les deux années où j’ai servi le président ? Non. Pendant les vingt-deux années où j’ai servi l’Etat et la santé publique ? Non. Lorsque, avec mes deux collègues de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS), nous avons mené l’enquête sur l’affaire du Mediator ? Non. Entre le 15 octobre et le 31 décembre 2007, enfin, quand j’ai assuré une prestation de conseil auprès du laboratoire suédois Lundbeck alors que je venais de réintégrer l’IGAS ? Non plus. A aucun moment, en effet, je n’ai eu à décider de quoi que ce soit pour ce laboratoire. Encore moins pu le favoriser en quoi que ce soit. Et l’IGAS n’a aucun pouvoir de contrôle sur un laboratoire pharmaceutique : la loi le lui interdit. Dès lors, parler de conflit d’intérêts n’a aucun sens.

Pourquoi l’IGAS n’avait-elle pas alors été saisie d’une demande d’autorisation ?

J’ai effectivement omis de le faire, comme cela peut arriver à n’importe qui. Mais cette omission ne révèle en rien un conflit d’intérêts. Si l’on avait examiné ces faits avec impartialité et avec calme, on serait parvenu très vite à cette conclusion : il n’y a pas d’« affaire Morelle ».

Où en sont les différentes procédures engagées à ce sujet ?

La Haute Autorité pour la transparence de la vie publique a examiné mes déclarations de patrimoine et d’intérêts. Elle ne m’a formulé aucune remarque. Le conseil de l’Ordre des médecins de Paris m’a auditionné le 8 juillet dernier. Sa présidente m’a confirmé qu’aucun manquement à l’éthique médicale ne pouvait être constaté et qu’aucune procédure ne serait ouverte. Le chef de l’IGAS a examiné mon dossier administratif. La seule anomalie relevée par lui, en vingt-deux ans, est cet oubli d’une demande d’autorisation en 2007. Reste l’enquête préliminaire, pour laquelle je n’ai pas encore été contacté. J’attends de pouvoir répondre à toutes ses questions quand le procureur de la République financier le souhaitera.

Avez-vous réintégré l’IGAS ?

– Oui, bien entendu. J’ai commencé une nouvelle mission qui m’a été attribuée par le chef de l’IGAS. (…)»

Autres catastrophes

Voilà pour Le Monde. Triste affaire classée ? C’est compter sans Le Nouvel Observateur. L’hebdomadaire rapporte que le Dr Morelle serait sur le point d’écrire un livre. Ce serait alors le deuxième.

Le premier (Flammarion-1996) était intitulé « La défaite de la santé publique ». Il avait généralement été salué. (« L’épidémie du sida et ses conséquences dramatiques pour les hémophiles a mis en lumière les défauts et les anomalies structurels de la culture médicale et administrative française. Si rien n’est fait, d’autres catastrophes surviendront »)

Le prochain ouvrage du Dr Morelle s’intitulerait « Ça va saigner».

A demain

La sortie inouïe du Dr Aquilino Morelle, et tout ce qui s’en est suivi (1)

Bonjour

Stéphane Le Foll est, entre autres fonctions, le porte parole du gouvernement Valls II comme il l’était du précédent. On ne lui connaissait pas un sens aigu de l’humour. Visant Aquilino Morelle il vient d’avoir ce mot : « ll faudrait que chacun revienne un peu les pieds sur terre ». On se souvient qu’après être monté très haut le Dr Aquilino Morelle était tombé  plus que bas. Une affaire de cirage et de quant à soi.

Froid dans le dos

Michel Sapin est depuis longtemps ministre. Aujourd’hui il est à l’Economie. Il est aussi de plus en plus fréquemment derrière les micros et les caméras. Pour expliquer que certes rien ne va mais que cela pourrait être pire. Et que si tout va mieux peut-être que, demain, la France chantera. Michel Sapin est souvent souriant. Ce matin, au micro de France Info, il ne l’était plus. Traitant des mille et un sujets à la confluence du politique et de l’éthique il a eu ce mot : « (…) le mieux qu’il pourrait arriver [à Aquilino Morelle] c’est de garder le silence ». Un mot qui, tout bien pesé, fait froid dans le dos.

Pourquoi menacer ainsi le Dr Aquilino Morelle ? Parce que le Dr Morelle vient de parler. Et que ses paroles dépassent celle d’un homme déçu. Elles sont du registre de l’homme qui gouvernait et qui découvre qu’on la trompé. Lui, l’homme de la gauche vraie trompé par celui dont il écrivait les plus beaux discours. Comme celui dit « du Bourget » (On peut retrouver ici le texte complet de ce discours grâce à la mémoire du Nouvel Observateur). On s se souvient des mots trouvés par le Dr Morelle sur « le monde de la Finance ».

« Tchéka hollandienne » 

Aujourd’hui, les tourmentes semblent sans fin. C’est l’heure choisie par son ancien premier conseiller à l’Elysée (par ailleurs ancienne « plume » de Lionel Jospin et procureur contre le Dr Servier dans l’affaire du Mediator). Le Dr Aquilino Morelle porte ses fers dans les plaies. Il accuse la « tchéka hollandienne » (1) de pratiquer la « purification ethnique » contre ceux qui ne sont pas « dans la ligne ». Il veut dire comme lui-même et Arnaud Montebourg.

« Dans un violent réquisitoire émaillant un article que lui consacre Le Point publié jeudi 11 septembre, celui qui fut « une plume » du président livre une lecture politique de son limogeage (« ma liquidation par la tchéka hollandienne ») le 18 avril après la révélation d’une affaire de cireur de chaussures convoqué à l’Elysée, résume l’Agence France Presse. Reliant son départ et celui de son ami Arnaud Montebourg, il affirme (« en privé », écrit Le Point): « la logique qui est en œuvre est une logique de purification ethnique. C’est les Hutus et les Tutsis. Tout cela est limpide. Cela a commencé par moi et maintenant Arnaud. Là ils ont signé leur crime. C’est d’une pureté ! ».

Ils ? « Hollande et ceux qui l’entourent, Jean-Pierre Jouyet [secrétaire général de l’Elysée et intime du président, ndlr]  et les ministres hollandais. A présent, le moins qu’on puisse dire, c’est qu’ils sont entre eux, mais cela va accélérer leur chute » ». Pour celui qui avait dirigé la campagne des primaires socialistes de M. Montebourg, le remplacement de ce dernier par Emmanuel Macron à Bercy fait « passer d’un ministre volontariste à un ministre libéral. D’un ministre très politique à un collaborateur ». « Ils vont obéir aux ordres de Merkel comme de bons toutous », accuse le médecin et énarque. « Merkel va nous traiter comme on le mérite. Comme des laquais », insiste le Dr Morelle. » « Laquais » ?

Daim à Saint-Germain

A l’heure où nous écrivons ces lignes des collaborateurs du Point (Aziz Zemouri et Pascal Cotelle) viennent d’interroger ce médecin (ancien directeur de campagne d’Arnaud Montebourg lors de la primaire socialiste) sur de nouvelles rumeurs concernant sa participation à l’écriture du premier livre de l’ancienne compagne du président de la République. Ils l’ont trouvé « attablé à la terrasse d’un café de Saint-Germain-des-Prés, pieds nus dans ses souliers en daim ». Il leur a répondu. (2) C’était avant la mise en garde, ce matin, de Michel Sapin.

A demain

(1) « Tchéka» était , au siècle dernier , un terme bien connu de certains militants politiques. C’est l’acronyme de « Commission extraordinaire » (en russe : чрезвычайная комиссия), une formulation  abrégée de « Commission extraordinaire panrusse pour la répression de la contre-révolution et du sabotage » (en russe : Всероссийская чрезвычайная комиссия по борьбе с контрреволюцией и саботажем).

Créée en décembre 1917 cette police politique fut placée sous l’autorité de Félix Dzerjinski pour combattre les ennemis du nouveau régime bolchevik. Son organisation était décentralisée et devait seconder les soviets locaux. En février 1922 elle fut baptisée « Guépéou ».

(2) Dernière minute: L’ancien conseiller politique de François Hollande, par ailleurs en charge des relations avec la presse, a sur Europe 1 accusé de « fourberie » la journaliste Anna Cabana (Le Point). Sur le fond, toutefois, il ne dément rien. Il explique juste que ses propos ont été extorqués et qu’ils n’ont aucune valeur. Une hypothèse avancée est que cette « plume » aurait aimé en garder la primeur pour un livre qui, dit-on, est en préparation.

« Appel des 343 » pour la PMA (Libération). Pourquoi pas, mais pour dire quoi ?

Bonjour

Dans son édition datée du 6 juin le quotidien Libération tente ce qu’il est convenu d’appeler un coup. Une première page pour gros tirages. Un lointain cousinage avec la couverture du Nouvel Observateur de 1971 qui publia un appel également chiffré qui devait précéder la loi de dépénalisation de l’avortement. Des « fraudeuses » prenant la succession de « salopes ».  Le parallèle s’arrête là. Rien de comparable. En aucune façon.

« Nous réclamons… »

Voici l’appel de ce manifeste. (Ici celles qui le signent et leurs soutiens)

«Chaque année, des milliers de femmes ont recours à une PMA à l’étranger dans le but de fonder une famille.

D’autres le font dans des conditions dangereuses pour leur santé en raison de l’exclusion à laquelle elles sont condamnées alors que cette même intervention est autorisée en France pour les couples hétérosexuels.

Je déclare que je suis l’une d’elles. Je déclare avoir eu recours à une insémination avec donneur afin de fonder une famille.

Nous réclamons l’ouverture de la PMA à toutes les femmes, sans discrimination. Nous réclamons que la loi ouvrant l’adoption aux couples de même sexe soit appliquée partout en France.

Nous réclamons l’égalité entre couples homosexuels et hétérosexuels pour l’établissement de la filiation de leurs enfants.

Nous réclamons que tous les enfants de France puissent bénéficier des mêmes droits et que cessent immédiatement les discriminations dont sont victimes les enfants élevés dans les familles homoparentales.»

Rien avant la fin du quinquennat

Chacun, chacune, peut réclamer ce qu’il veut au législateur. Il n’est pas certains que ce dernier entende. Pour l’heure le président de la République et le gouvernement ont choisi. Celui de Manuel Valls plus encore que celui de Jean-Marc Ayrault. On n’ouvrira pas ce dossier sociétal d’ici la fin du quinquennat. Trop clivant.

Dans son éditorial (François Sergent) Libération écrit pourtant :

« (…) Le législateur et le gouvernement doivent se saisir du «droit à l’enfant» et en fixer les règles et les limites éthiques et légales. Ce «droit» doit-il s’étendre aux célibataires, femme et homme ? La société doit-elle prendre en charge ces procédures coûteuses conçues à l’origine pour pallier des difficultés physiologiques des couples infertiles et étendues aux couples ontologiquement incapables de procréer ? Le droit à l’enfant respecte-t-il le droit des enfants ? Ces questions fondamentales de société méritent un débat et une loi en lieu de l’indécis actuel. »

Vingt ans déjà

Les couples « ontologiquement incapables de procréer » est une bien belle formule. Et ce sont de bien bonnes questions. C’est si vrai qu’elles sont d’ailleurs posées à échéances régulières depuis plus de vingt ans.

Pourquoi les poser maintenant alors même que l’on sait qu’elles ne seront plus entendues ? C’est la principale interrogation que pose la publication de ce manifeste dans Libération.

A demain

Affaire Lambert : ce que nous dit le rapport des trois experts. Et tout ce qu’il ne nous dit pas.

Bonjour

Nouvelle étape dans cette affaire sans précédent. Plusieurs médias(Le Monde et Le Nouvel Observateur, pour l’heure)  ont « pu consulter » le « pré-rapport » que les trois experts commis par le Conseil d’Etat viennent de remettre à ce dernier (1). Sur la base de ces « consultations » il apparaît que ces experts font preuve d’une très grande prudence: ils  insistent sur le fait que « dans une telle situation », « le degré de l’atteinte de conscience ne saurait constituer le seul élément déterminant (…) d’une réflexion concernant un éventuel arrêt de traitement ». En clair: les experts répondent aux questions des juges mais ne sauraient être tenus pour responsables du jugement.

Les Prs Marie-Germaine Bousser, Jacques Luauté et Lionel Naccache ont examiné à neuf reprises (entre le 5 mars et le 11 avril) Vincent Lambert et ils ont rencontré toutes les parties concernées. L’état clinique actuel de M. Vincent Lambert correspond à un « état végétatif ». Comment comprendre ?  En 2011, Vincent Lambert avait été examiné de façon approfondie au Coma Science Group à Liège, l’un des centres spécialisés les plus renommés sur ce sujet. Là l’équipe du Pr Steven Laureys avait conclu a un « état de conscience minimale plus » (état « pauci-relationnel »), un diagnostic nettement plus précis et neurologiquement  documenté que le seul « état végétatif chronique » d’aujourd’hui.

Communiquer

Les experts français notent depuis 2011 que les « examens n’ont jamais mis en évidence de réponse permettant de parler d’un état de conscience minimale, ce qui suggère une dégradation de l’état de conscience du patient depuis 2011 ». Corollaire : aucune perspective d’amélioration au vu du « caractère irréversible des lésions », ni de capacité à « établir une communication fonctionnelle avec son entourage ».

Sur le « caractère irréversible des lésions cérébrales » de Vincent Lambert, les trois experts font valoir que  les examens d’imagerie pratiqués à La Pitié Salpêtrière ont « montré une atrophie cérébrale majeure témoignant d’une perte neuronale définitive ».

Existe-t-il des possibilités de communication avec ce malade ?  « Nous n’avons jamais pu obtenir la moindre forme de communication fonctionnelle, concluent les auteurs du rapport. Les réponses comportementales de M. Vincent Lambert aux différentes stimulations ne dépassent pas le stade des réponses réflexes. »

Interpréter

Peut-on interpréter ces réponses comme une volonté de vivre ou de mourir ? « L’interprétation de ces réactions comportementales comme un vécu conscient de souffrance ou comme l’expression d’une intention ou d’un souhait à l’égard de l’arrêt ou de la prolongation du traitement ne nous paraît pas possible », affirment ces experts en réponse à la quatrième et impossible question posée par les magistrats du Conseil d’Etat.

Et dans avec une forme de sagesse préventive ces trois experts replacent les juges de la place du Palais-Royal devant leurs responsabilités. « Le degré de l’atteinte de la conscience ne saurait constituer le seul élément déterminant de la mise en route d’une réflexion concernant un éventuel arrêt de traitement » commentent-ils.

Avant l’été

Outre au Conseil d’Etat ces conclusions ont été envoyées aux avocats des deux parties, qui pourront y répondre. L’Académie nationale de médecine, le Comité consultatif national d’éthique et le conseil national de  l’Ordre des médecins apporteront  chacun leur éclairage sur les notions d’obstination déraisonnable (acharnement thérapeutique) et de maintien artificiel de la vie. Le député UMP Jean Leonetti a aussi été sollicité. L’un des centres des débats sera la question de l’assimilation des personnes en état végétatif chronique à des personnes en fin de vie. Et celle de la mort par arrêt d’alimentation et de nutrition. (« Affaire Lambert : laisser-mourir ou euthanasie ? Le jugement du Conseil d’Etat ne passe pas »).

Fort de tous ces éléments, le Conseil d’Etat se prononcera sur le devenir de Vincent Lambert. Ce sera fait « avant l’été ».

A demain

(1) « Ce n’est qu’un document de travail, ce n’est pas le rapport définitif qui pourra révéler d’autres choses », a expliqué à l’AFP Me Jean Paillot l’avocat des parents de Vincent Lambert, tout en regrettant « les fuites dans la presse d’éléments qui relèvent du secret médical et qui sont préjudiciables à la sérénité de la justice ».

Il laisse son ami ivre prendre le volant. Il en prend pour un an. Où est la justice?

Bonjour

Voilà un vrai sujet. Un sujet qui fait peur. Un sujet pour le blanc sur le zinc, pour patrons de débits de boissons licence IV, pour videurs et tenanciers de discothèques, pour revendeurs d’hortensias à la sauvette (bfmtv).

On en prend connaissance ici, en temps réel, sur le site du Nouvel Observateur.  C’était le 4 mars 2014 à Montpellier, barre du tribunal correctionnel. Rubrique « justice, alcoolisme et stupéfiants ». Les juges ont condamné à un an de prison, dont six mois ferme, un homme qui avait laissé conduire un ami ivre, auteur d’un accident mortel.

Pas de permis mais des stupéfiants

Dans la nuit du 22 décembre 2012, un homme âgé de 34 ans fauche et tue une étudiante en pharmacie de 18 ans, Charlotte Landais. Il prend aussitôt la fuite. Puis il est finalement interpellé quelques heures plus tard. Le 2 janvier dernier cet homme  est condamné à six ans de prison pour « homicide involontaire aggravé » (alcool,  vitesse, conduite sans permis sous l’emprise de stupéfiants).

Suite : son compagnon de libation vient d’être condamné pour « homicide par imprudence ».Claudine Laporte, la présidente du tribunal a souligné que nous ne pouvions plus, de nos jours, rester indifférents face aux ivresses et à leurs conséquences en cascade. Est-ce bien raisonnable ?

Soirée plus qu’arrosée

Le soir du 22 décembre la soirée est plus qu’arrosée, Mustapha Bouchane, 34 ans, voit bien que son ami n’est pas en état de conduire. Il prend le volant pour le raccompagner. Il n’a pas de permis et lui rendra les clefs. Puis l’accident et la mort de Charlotte.

Pendant l’instruction, le magistrat estimera que l’attitude du mis en cause était certes moralement condamnable mais qu’elle ne l’était pas en droit.

Interdit de débits

C’est donc dans le cadre d’une citation directe de la famille de la victime que ce procès s’est tenu. Olivier Decout, procureur de la République, reconnaît  que la question de la responsabilité est « délicate ». Il réclame toutefois un an de prison ferme assorti d’une interdiction de fréquenter les débits de boisson et d’une interdiction de passer le permis de conduire pendant deux ans.

La justice ne fait pas toujours l’économie de la philosophique politique. « La justice doit responsabiliser les hommes » a plaidé l’un des avocats de la partie civile. Pour lui c’était écrit : la faute est caractérisée car le prévenu savait qu’il créait un danger.

Cassation

L’avocat de la famille rappelle que la Cour de cassation a  engagé un mouvement jurisprudentiel  qui vise à impliquer les personnes qui ont laissé conduire des personnes ivres. L’avocat du prévenu estime que son client n’avait jamais songé un instant être à l’origine de la mort de Charlotte, 18 ans. Il lui a confié que cette mort  « le bouleverse ».

L’affaire n’est pas finie. L’avocat du prévenu a fait part de son intention de faire appel. La famille a également indiqué vouloir déposer une citation directe contre la discothèque qui avait expulsé le chauffard de son établissement.

Thérapeutique

Jusqu’où la justice remontera-t-elle dans la longue échelle des causalités ? 1 Il lui faudrait maintenant des experts (et une magistrature suprême) pour dire à partir de quel taux d’alcoolémie un être humain ne peut plus être raisonnablement tenu pour  responsable de ses actes ? Boire jusqu’à plus soif est-il une circonstance atténuante ou aggravante ? Condamner pour homicide involontaire  le compagnon de boisson aidera-t-il à lutter contre  le fléau de l’alcoolisme ?  Est-ce d’ailleurs bien à la justice de faire œuvre de thérapeutique ? Voilà un vrai sujet. Un sujet qui fait peur.

A demain

1 Cette remontée peut nous donner le vertige. Ici ont voit des juges traiter une  faute involontaire non pas comme une faute intentionnelle, mais presque. Tout se passe comme si des femmes (et des hommes) de loi en étaient aveuglé(e)s par les conséquences de cette faute. Réflexion d’une magistrate ayant lu notre billet: . « Si cet homme n’avait été poursuivi que pour la conduite automobile sans permis et les autres infractions, il aurait pris, à Paris, trois mois avec sursis; voire, nettement mieux un stage de sensibilisation a la sécurité routière. »

OGM et cancers : un nouvel embrouillamini dans l’affaire Séralini

Rebondissement dans une affaire sulfureuse. Quatorze mois plus tard la publication hautement médiatisée de l’équipe de Pr Séralini sur la cancérogénicité d’un maïs génétiquement modifié de Monsanto vient d’être rétractée.

Le prolixe Hervé Maisonneuve vient d’aborder le sujet sur son blog hautement spécialisé. Nous poursuivons l’affaire sous ses angles médiatiques et politiques.

Rebondissements et déclaration en cascade attendus. Mais déjà  ce feuilleton formidable  réclame mieux et plus : une histoire et une géographie de la rétractation des publications. Avec une question : combien de publications rétractées ont-elles fait l’objet d’une reprise de l’expérience désavouée ?  

C’était une publication-phare, une étude en passe de devenir culte. Bientôt elle n’existera plus. Elle avait marqué les mémoires avec ses illustrations photographiques: des rats de laboratoire porteurs de monstrueuses tumeurs cancéreuses. Ces animaux avaient été nourris avec un maïs transgénique plus ou moins associé à  l’herbicideRoundup, deux produits commercialisés par la multinationale Monsanto. Il faut désormais oublier ces images: bientôt cette étude n’aura jamais existé. Le rédacteur en chef de la revue Food and Chemical Toxicology vient de décider qu’il allait «rétracter» la publication faite dans ses colonnes en septembre 2012 par le Pr Gilles-Eric Séralini et son équipe de l’Université de Caen.

Cinq millions d’euros

Ce coup de théâtre soulève une question pratique de taille. La controverse déclenchée par la publication française avait conduit, après bien des atermoiements, à dégager cinq millions d’euros sur des fonds publics: trois millions par l’Union européenne, deux millions par le gouvernement français. Il s’agissait d’une part de reproduire l’expérience contestée avec de meilleures garanties méthodologiques. Il s’agissait aussi de répondre aux critiques récurrentes faites à un secteur essentiel de la toxicologie alimentaire: les procédures d’expertises destinées à vérifier sur l’animal l’innocuité des OGM destinés aux consommations animales et humaines.

L’Agence européenne en charge de la sécurité alimentaire (EFSA) avait déjà défini le cadre des futures études. Il s’agissait de définir les principes directeurs qui aideront les scientifiques à mener des «études sur deux ans» portant sur des «aliments entiers». Objectif: évaluer le risque de cancer et/ou de toxicité que présente la consommation de longue durée de nouveaux aliments pour l’homme.

Pas de fraudes

La donne a désormais radicalement changé. Va-t-on décider, à Bruxelles et à Paris, qu’il n’est plus nécessaire d’utiliser cet argent pour vérifier le caractère reproductible d’une étude qui n’existe plus dans la bibliographie scientifique?

Pour l’heure, la principale question est celle des raisons de la rétractation de la publication d’octobre 2012.  Il  s’agit là d’une procédure assez rare, souvent vécue comme infâmante par ceux qui en sont victimes. Elle  suppose qu’il y a eu découverte a posteriori de pratiques scientifiques frauduleuses. L’un des cas récents les plus célèbres de rétractation  après fraude scientifique a été l’affaire Hwang Woo-suk du nom d’un scientifique sud-coréen spécialiste du clonage des mammifères qui, avec d’autres chercheurs de renom, était parvenu à publier un travail frauduleux dans la célèbre revue américaine Science.

Tous cobayes ?

Aujourd’hui, le cas de figure est radicalement différent. Avec toutefois un point commun: il concerne une publication amplement médiatisée, en septembre 2012. Avant même qu’elle soit disponible, Le Nouvel Observateur l’avait mise en scène, titrant à la Une que la démonstration était faite que les OGM étaient des «poisons». Le Pr Séralini y commentait sa propre étude et extrapolait ses résultats et accusait les végétaux génétiquement modifiés d’être cancérogènes. Il amplifiait son propos en assurant la diffusion concomitante de son dernier ouvrage («Tous Cobayes!») ouvrage et de documentaires télévisés.

Dans les heures qui suivirent la sortie du Nouvel Observateur (et avant même que la publication scientifique soit disponible), trois ministres du gouvernement français (ceux de l’Agriculture, de la Santé et de l’Environnement) estimaient que l’étude menée par des chercheurs français «mettait en cause l’innocuité à long terme du maïs transgénique NK 603 sur les rats».

Urgence du gouvernement français 

Les trois ministres décidaient alors en urgence  de saisir l’Agence nationale de sécurité sanitaire (ANSES) le Haut Conseil des biotechnologies et l’Autorité européenne de sécurité des aliments.» Une controverse nationale et internationale sans précédent avait suivi. , entre opposants aux OGM qui dénonçaient les pro-OGM d’être peu ou prou financés par la technostructure scientifique et industrielle en général –et par  Monsanto tout particulièrement. Ces derniers envoyant la méthode expérimentale développée par l’équipe du Pr Séralini à la poubelle.

Le ministère de la Recherche

L’étude contestée avait quant à elle été financée par l’association Ceres, le Criigen, la Fondation « Charles Léopold Meyer pour le Progrès de l’Homme » ainsi que par le ministère français de la Recherche.

La décision du rédacteur en chef de Food and Chemical Toxicology, A. Wallace Hayes a été prise après les très nombreux commentaires critiques qui ont été adressées depuis sa publication aux responsables de la revue. Certains scientifiques allaient jusqu’à évoquer la possibilité de fraudes.

Conclusion : pas de conclusions

Il précise que le texte adressé à la revue par l’équipe française avait suivi le processus habituel d’examen, de relecture anonyme par des pairs – processus suivi de modifications acceptées par les auteurs. Pour autant, de nouvelles relectures critiques par d’autres pairs avaient été jugées nécessaires. Et elles aboutissent aujourd’hui à la conclusion … qu’aucune véritable conclusion ne peut être raisonnablement tirée de cette expérience. Les principaux éléments techniques de ce dossier sont disponibles ici.

Au final, aucune fraude, volontaire ou involontaire, n’a été décelée. Mais il est apparu, à la réflexion, que la méthodologie retenue (faible nombre d’animaux, caractéristiques génétiques des cette variété de rats Sprague-Dawley susceptibles de présenter spontanément des tumeurs cancéreuses) ne permettait pas de conclure. Sans être véritablement «faux», les résultats ne sont pas «interprétables».

«Pressions insupportables»

La revue a également fait sur ce sujet une mise au point en forme d’autocritique quant aux procédures en vigueur de relecture et de validation des articles qui lui sont soumis. Rappelant qu’elle traite de sujets controversés par nature, elle soutient que, sans être infaillibles, ces procédures demeurent les meilleures. Des ajustements sont néanmoins prévisibles. Les responsables de la revue annoncent qu’ils publieront la réponse du Pr Séralini et les commentaires qui seront fait à cette occasion.

Refus du refus

Pour sa part, le Pr Séralini vient de déclarer qu’il refusait la rétractation de sa publication et qu’il maintenait ses conclusions. Il a aussi dénoncé des «pressions insupportables». Il est ici soutenu par l’association GMWatch qui estime que la rétractation est illicite, contraire à la démarche scientifique comme à l’éthique. Reste que la rétractation est une décision des responsables des revues scientifiques à laquelle les auteurs ne peuvent s’opposer.

Ce rebondissement dans une affaire déjà sulfureuse vient un peu plus compliquer l’approche scientifique des phénomènes d’exposition alimentaire des organismes animaux ou humains à de faibles doses de substances tenues pour potentiellement toxiques. Il ne manquera pas d’exacerber les tensions entre deux camps que tout oppose. De ce point de vue, il serait dommageable que la rétractation de l’étude initiale conduise à abandonner les expériences prévues pour en vérifier les bien-fondés. Un tel abandon conforterait les militants anti-OGM dans l’idée que le Pr Séralini est, sinon un martyr, du moins une victime de la science officielle.

Ce billet a initialement été publié sur le site pure player Slate.fr

 

L’esprit c’est « Science & Vie ». La peur c’est « Le Nouvel Observateur »

Ces deux gazettes labourent aujourd’hui deux champs radicalement différents. Deux accroches que l’on peut tenir pour également vendeuses.

 L’information positive d’une part. De l’autre la veine du scandale médical d’origine environnementale. Dérangeant et éclairant.


Il y a un an L’Obs  faisait fort en lançant, sans précaution aucune, l’affaire Séralini dans la grande mare au scandale. On s’en souvient. Monsanto, les souris, les monstrueuses tumeurs cancéreuses, les OGM, toutes les OGM, dénoncées en Une comme étant des poisons. Et un livre du Pr Séralini à paraître en librairie.

C’était sans doute un peu trop fort. La grande mare médiatique s’agita, le gouvernement français monta en ligne. Bruxelles, une nouvelle fois, s’irrita. De part et d’autres les lobbies firent le travail pour lesquels ils sont là, rémunérés ou pas. Les écologistes dénoncèrent les experts vendus au grand capital de la chimie et des manipulations génétiques. Les experts, vendus, loués ou libres comme l’air dénoncèrent les failles d’une expérience ni faite ni à faire.

Que font l’Inserm et l’Inra ?

Il fut dit en très haut lieu que cette expérience serait refaite. Un an plus tard de l’argent (européen et français) a été débloqué mais rien n’a encore bougé. Aucun des organismes français publics de recherche (on songe notamment à l’Inserm et à l’Inra) ne semble intéressé par ce sujet. Pas plus que le ministère de la Recherche. Reste dans la mémoire collective les images des souris cancéreuses du Pr Séralini. Beaucoup de bruit pour, au final, ne pas progresser collectivement dans la compréhension des modifications génétiques induites par l’homme des vivants végétaux et animaux.

Mandarins et mandarin

Quelques mois plus tard L’Obs récidivait. Il s’agissait cette fois du cholestérol et des médicaments (très largement prescrits et consommés en France et dans le monde) destinés à faire baisser ses concentrations sanguines (voir le dossier de Slate.fr). Le livre à vendre était celui du Pr Philippe Even. Bronca dans les sociétés savantes et dénonciations mandarinales  des outrances proférées par ce mandarin hors norme. Avec le recul, aucune évaluation de l’impact de cette Une sur le marché (les chiffres sont tenus secrets) des représentants de la famille des statines.

Une du Nouvel Observateur. N° du 3 au 9 octobre 2013. « Comment l’environnement influe sur notre santé. Les maladies région par région. Cancer, diabète, AVC, infertilité … ». Le lien de causalité n’est plus a démontré : il est asséné. Le dossier (onze pages) s’ouvre après une publicité incitant à faire un don à la la Fondation Recherche Médicale (54, rue de Varennes, 75 007 Paris – frm.org). Dérangeant publicité : elle laisse entendre que ne pas donner de l’argent à une autre association caritative concurrente ce serait de facto, « choisir entre des malades ». Les visages de ces malades sont là : « Carole, en lutte contre le cancer » ; « Paul, malade d’Alzheimer » ; « Jean, victime d’un AVC ». La Fondation Recherche Médicale, elle, ne choisit pas. Comprenne qui voudra.

Spermatozoïdes en chute libre

Le livre à vendre (ne paraîtra que le 10 octobre) est celui de André Cicolella (« Toxique Planète » Editions du Seuil). Longes « bonnes feuilles ». Et long entretien avec l’auteur. Où l’on apprend que les spermatozoïdes sont « en chute libre » et les malformations (génitales) en « progression constante ». Et que « les cancers liés au tabac et à l’alcool sont en constante diminution ».

Quant à l’originalité du dossier elle est constituée d’un tableau coloré rapportant le du nombre, département par département, des personnes déclarées en affection de longue durée (ALD). Soit  au total 9 millions de personnes – 15,5% de la population française couverte par l’assurance maladie. Les taux sont ceux « calculés pour 1000 personnes ayant les mêmes caractéristiques démographiques ». Colonnes : AVC, artériopathies, insuffisance cardiaque, hypertension artérielle, maladie coronaire, diabète, cancer.

La frustration d’un journaliste

Le tableau est intitulé « L’emprise locale des grandes maladies chroniques ». Si l’on comprend bien il est signé  André Cicocella et les interprétations que l’on peut en faire sont également de son fait. Entretien également avec le le Dr Gérard Bapt, cardiologue, député (PS) et rapporteur du budget de la Sécurité Sociale. Il demande, via L’Obs, à la Caisse nationale d’Assurance maladie « de préciser les chiffres avancés par André  Cicolella ».

M. Cicolella ne dit rien d’autre.  Interrogé par un journaliste qui est tenté par l’hypothèse causale environnementale l’auteur répond : « Je comprends la frustration mais je me gardera bien d’émettre des hypothèses et encore plus de tirer des conclusions qui ne seraient pas scientifiquement étayées ». Le Pr Séralini prenait, nous semble-t-il, moins de précaution mais en appelait, lui aussi, à la Science. On voit ce qu’il en est un an après. M. Cicolella, plus modeste, en appelle au ministère de la Santé et à l’InVS. On verra, dans un an et un jour, ce qu’il en sera de ce nouvel appel à l’Open data (1).

Le scandale placebo

Ambiance un peu moins crispante, nettement plus d’espérance, dans le dernier opus (octobre 2013, n° 1153) de Science & Vie (cent ans cette année) qui en appelle aux forces de l’esprit. A des fins thérapeutiques. On retrouve ce dossier (« Guérir par la pensée, la preuve en 15 expériences, Méditation, Neurofeedback ») traité dans l’émission « Science Publique » de France Culture produite par Michel Alberganti et diffusée le 4 octobre.  Minutes remarquables (entre la 37ème et la 41ème ) sur l’effet placebo qui continue à faire la démonstration des immenses et coupables carences de la formation médicale initiale et continue françaises. Sans parler, une fois encore, de l’Inserm.

L’un des invités – le Dr Patrick Lemoine, psychiatre et auteur de « Mystère du placebo » (Editions Odile Jacob) : « Un bon médecin est un médecin capable d’induire un bon effet placebo, c’est-à-dire de démultiplier l’efficacité de ce qu’il prescrit.  »

D’Arvor, Apathie et le cancer

Et encore: « Un bon médecin est un médecin qui prend son temps, qui est enthousiaste et optimiste (…)  qui contrôle le stress induit par la maladie ». Propos suivi d’une bien méchante attaque contre les journalistes et les tocsins qu’ils font désormais sonner plusieurs fois par jour, par heure parfois.

Le tout avec, en souriant, la proposition (métaphorique) selon laquelle Patrick Poivre d’Arvor et Jean-Michel Apathie favorisaient le cancer. Ce qui pourrait bien, ma foi, faire demain la Une d’un grand hebdomadaire.

 

(1) Du nouveau dans l’Open data ?

Le service de presse de Marisol Touraine, ministre de la Santé a publié le 3 octobre le communiqué suivant ;

« Pierre-Louis Bras, inspecteur  général des affaires sociales (IGAS), récemment nommé secrétaire général des ministères chargés des affaires sociales, a remis ce jeudi 3 octobre 2013 à Marisol Touraine, Ministre des Affaires sociales et de la Santé, le rapport sur « la gouvernance et l’utilisation des données de santé » [document disponible sur le site du ministère] La ministre avait demandé en avril dernier des propositions pour mettre en place un dispositif d’accès et d’utilisation des bases de données médico-administratives, adapté aux besoins de santé publique et de sécurité sanitaire, dans des conditions fiables et sécurisées, respectant notamment le strict anonymat des patients.

Le rapport remis ce jour s’inscrit dans le cadre plus général de la réflexion menée sur l’ouverture de l’accès aux données de santé : il  complète ainsi le  rapport sur la pharmaco-surveillance remis le 15 septembre à la ministre par  les Professeurs Bégaud et Costagliola – qui recommandait la création d’une structure regroupant et analysant l’ensemble des données de santé sur l’utilisation des médicaments et produits de santé. Il  s’articule avec la mission « Open data » sur la politique d’ouverture des données publiques.

A l’issue de la remise du rapport, et pour mettre en œuvre concrètement ses recommandations, Marisol Touraine demande à Franck Von Lennep,  directeur de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), de diligenter : une expertise technique sur la sécurité des données concernant le risque de ré-identification des personnes à partir de données anonymes ; une analyse de faisabilité juridique et pratique des propositions sur le contrôle d’accès aux données d’une part et sur les modalités de gestion des bases de données ainsi constituées d’autre part.

Lors de la présentation de la stratégie nationale de santé, Marisol Touraine a réaffirmé sa volonté de créer les conditions d’un accès plus ouvert, mais aussi sécurisé, aux données de santé. Ces dernières ne sont pas des informations comme les autres, leur protection étant notamment assurée par le secret médical. Dans le même temps, elles présentent un intérêt collectif important : pour que le grand public soit informé sur le système de santé, mais également pour que les autorités sanitaires, les chercheurs et les industriels puissent réaliser des études et suivre l’impact des comportements sanitaires en termes de santé publiqueC’est à une ouverture maitrisée des données de santé qu’appelle ainsi le gouvernement. »

 

 

Le médecin peut-il ou pas flirter avec la pornographie ?

Sexe et médecine. Sujet récurrent.  Ou plus précisément sexualité et pratique de la médecine. Moins dans la réalité du  colloque singulier que dans les représentations fantasmées que cette pratique peut générer. Dr House soulève régulièrement cette problématique. Généralement avec la distance sans laquelle on sombrerait vite dans le vulgaire. Relecture spoilée, ici, des épisodes 17 et 18 de la saison ultime. Une coïncidence veut ici que, dans un genre mineur, le Dr Michel Cymes pose une question symétrique : celle des rapports entre le docteur et l’animateur, le médecin et le baladin, le médical et le monsieur Loyal  (1)

Il y a, aussi, du cochon en House. Pas de ce sale porc orwellien, stalinien et trotskiste, de La Ferme des animaux. Non, du cochon à la fois plus ancien et plus contemporain. De ce porcin dont on fait, aussi, le boudin. Du porc métaphore, l’ambivalence de la jouissance;  mi groin-mi saloir. Pas vraiment du cochon où tout et bon. Non, du porc mi-figue mi-raisin. De ce mari de la truie dans lequel on voudrait que notre époque se mire (2). Genre verrat, vraie bête de concours agricole que l’on retrouve un beau matin sur le marché sous forme de langue de porc en gelée vendue à la criée.

On a souvent oublié, de nos jours, cette goûteuse préparation culinaire. Une présentation porcine à manier avec des pincettes. Si ses scandales sanitaires ne déferlaient pas à la vitesse de la marée la France se souviendrait de l’affaire dont elle porte le nom. C’était il y a, précisément, vingt ans: 63 morts et 22 avortements. Une belle enquête épidémiologique débouchant, en février 1993, sur la bien sale Listeria.C’est alors que fut porté sur les fonds baptismaux l’Institut national de veille sanitaire. L’époque n’était pas aux pauvres maquillages congelés entre l’équin et le bovin.

Hugh Laurie, maquignon sexuel

A bien y regarder, il y a aussi du cheval chez Hugh Laurie, né à Oxford, éduqué à Eton. Du sauteur qui n’aurait pas mesuré l’obstacle. Et à qui l’homme aurait laissé la vie sauve avec une canne et des opiacés pour la route. Pour l’heure, le claudicant a décidé de renouveler son écurie hospitalière. Il fait le maquignon sexuel devant un troupeau de professionnelles. Où l’on retrouve cette attirance-répulsion pour les femmes d’où, si l’on comprend bien, sourd tout le charme de cet homme. Aujourd’hui, ce docteur a tout pour plaire. Ayant quitté (dans les ébrieuses conditions que l’on sait) la femme de sa vie, il a doublement refait la sienne. On ne peut plus harmonieusement. La dichotomie paradisiaque. La beauté mariée à l’animalité.

Résumons. D’un côté un mariage blanc avec une beauté slave en quête de carte verte. De l’autre une beauté noire, dont les prestations sont justement rémunérées. Mais voilà que cette femme n’est pas loin de s’attacher à son cochon de client. Aussi entend-elle en rester là. Qu’House ne le perçoive pas de cette oreille ne change rien à l’affaire. D’où le ballet des professionnelles dans la salle de travail de l’hôpital. Avec cet assez joyeux exercice: sélectionner sa future partenaire sur la base de ses préférences dans la filmographie de Woody Allen. Sans oublier ses compétences en matière de réparation express de blenderdomestique (métaphore salace). Une expression de la perversité dans les beaux quartiers?

Panama pathologique

Avec un peu de patience, nous verrons (épisode 18) que de notre parallèle porcin n’était pas vain; via une autre forme de découpe hémorragique de la bête. Ce sera alors décapitation  s’inscrivant dans le cadre d’un rituel thérapeutique de la communauté Hmong. Mais ne spoilons pas plus. Et ce d’autant que tout s’achève dans un merveilleux non-dit célébrant les épousailles de la médecine occidentale et d’une autre venue des antipodes. Tout cela (métaphore anatomique) autour du diagnostic (assez coton) de persistance du canal artériel, ce Panama pathologique.

Restons un instant concentré sur l’épisode 17. On pourrait certes n’y voir que sarabande avortée, le dérèglement (triste car athée) de tous les sens. Incitation à Sodome. Mais on peut aussi saisir cette occasion pour disséquer l’obsession de House, sa propension à vouloir non pas tout marier mais accoupler toutes celles et tous ceux qui l’entourent; généralement de manière hétérosexuelle. Précaution: la dissection ne se fait pas sans un peu de spoilation.

Larmes de sang et femme en latex

Le dossier médical s’ouvre le versement incoercible de larmes. Des larmes de sang chez un homme d’environ trente ans. Catéchisme ou pas, cela ouvre quelques horizons. D’autant que l’homme en question semble ne jamais avoir connu la moindre femme. Bibliquement s’entend. L’affaire s’avère vite plus complexe, avec notamment la présence d’une femme en latex. On sait que ces produits pneumatiques sont généralement présentés, perçus et commercialisés comme la femme idéale. Avec tous les attributs souhaités, rêvés, fantasmés. Souvent sans la sans la parole qui demeure sur option. (Il ne semble pas que la version mâle de l’ustensile soit très courue).

On imagine la suite. Nous ne la livrerons pas. Pour le diagnostic, ce sera une bien improbable «méningo-encéphalite amibienne primitive». Une rareté qui voit une bête ronger non pas l’oreille de la femme muette mais bien le cerveau de l’homme pensant. Ce qui provoque une jonction entre l’âme et le corps. D’où le jaillissement des larmes de sang par l’intermédiaire de la tige pituitaire. Précisons que tous ces épisodes sont interdits aux enfants de moins de dix ans.

Profondément régressif le propos peut, précisément, faire peur. A quatre ou cinq stations de la fin de Dr House, il pleut sur le Princeton-Plainsboro. De nuit, Wilson-Watson confie à House qu’il a un cancer. Uncancer du thymus, cette glande improbable que l’on a baptisée ris chez le veau. Chez House, ce soir, les femmes sont loin, la chair est triste.

Une version de ce billet a été initialement publiée sur le site Slate.fr

 

 (1) La coïncidence veut que nous découvrions  ce jour un article que La Nouvelle République du Centre Ouest (éditions du 22 mars article signé Vincent Buche) consacré au consacré au Dr Michel Cymes . On lira cet article ici. Il est rangé dans la catégorie journalistique « people ». Quelle actualité ? Le tournage effectué  avec Adriana Karembeu dans le département de la Vienne avant le départ du médecin  Michel Cymes pour la Tanzanie. Pour l’heure le couple attend la sortie des bonobos de la Vallée des Singes, à Romagne (Vienne).

Question opportune du quotidien régional :

« L’animateur n’est-il pas en train de prendre le pas sur le médecin ? »

« Adriana Karembeu et Michel Cymes sont venus exprès de Paris avec l’équipe de tournage des Pouvoirs extraordinaires du corps humain, série scientifique diffusée sur France 2 qu’ils co-présentent. Il s’agit, à Romagne, seul parc animalier d’Europe à accueillir des bonobos, d’enregistrer la minute et demie de prégénérique de l’émission. Dans deux semaines, toute l’équipe, présentateurs compris, sera en Tanzanie, au milieu des singes en liberté. Le thème du second épisode de l’émission est : Retrouver l’animal qui est en nous. Et Peggy Olmi, conceptrice et productrice, jure que la scène enregistrée à Romagne sera la seule « jouée » de toute l’émission.

Il n’empêche : on se demande un peu ce que le docteur Cymes, qui a toujours dit être et vouloir rester médecin, fait dans cette aventure, bien loin de ses deux consultations hebdomadaires à l’hôpital. « C’est compliqué, reconnaît-il. J’ai 25.000 propositions différentes et je me pose beaucoup de questions parce que je me sens et je reste médecin. Je ne veux pas m’aventurer dans des domaines où d’autres sont bien meilleurs que moi. Je peux faire autre chose, à la condition que ce soit compatible avec mon métier de médecin. »

Apparemment apporter des réponses scientifiques aux questions faussement naïves d’Adriana Karembeu est compatible : « Je joue un rôle scientifique. Je suis là pour expliquer l’anatomie. On reste dans le domaine du corps humain. Ça me passionne, moi, l’anatomie. »

Le soutien plein et entier du Conseil de l’Ordre et de l’Académie de médecine

Pas langue de bois, Michel Cymes reconnaît que l’exercice le conduit parfois un peu loin. Jusqu’à des concessions par rapport à son éthique ? « Ce n’est pas une concession, c’est un jeu. Quand je suis avec Adriana pour faire ce prégénérique où je peux faire un peu le cabot, je le fais parce que j’aime ça. Le truc, c’est de trouver un équilibre entre la crédibilité que je dois avoir en tant que médecin et la légèreté de ce que j’ai envie de faire. Si vous êtes trop dans la déconne, vous n’êtes pas crédible et si vous n’y êtes pas assez, vous êtes chiant ! »

Michel Cymes jure qu’il a le soutien plein et entier du Conseil de l’Ordre et de l’Académie de médecine pour ce qu’il fait. Et que depuis vingt ans qu’il hante les plateaux de télévision, il reste un grand traqueur. Mais moins qu’au début quand même : « La première émission de télé que j’ai faite, il y a vingt ans, j’ai failli tomber dans les pommes ! » Moche pour un toubib.  »

(2) Une actualité bruyante peut, en France, inciter à prendre au plus vite pas mal du recul; et à en savoir plus sur les regards que l’homme a au fil des siècles porté sur les animaux. On trouvera alors un grand plaisir à (re)découvrir le formidable «Bestiaires du Moyen-Âge» de Michel Pastoureau (Editions du Seuil). Au rayon du cochon, l’auteur cite un texte anglais de la fin du XIIe siècle: «Bien qu’il ait l’ouïe fine le verrat n’entend pas la parole de Dieu mais préfère écouter les appels incessants de son ventre. Il symbolise les puissants qui ne travaillent pas et ne sont jamais rassasiés des plaisirs. La truie est une femelle lascive, dépourvue de bile ; ses porcelets sont plus nombreux que ses mamelles.» 

On peut aussi réécouter l’émission « Le secret des sources » de Jean-Marc Four diffusée le 2 mars sur France Culture. Laurent Joffrin (Le Nouvel Observateur) y livre (à partir de la quatorzième minute) une version très personnelle est assez glaçante de ce qu’un patron de la presse contemporaine peut s’autoriser à faire. Ou quand un homme (devenu « personnage ») ne s’appartient plus (de son vivant) – et ce au motif que l’ « on » décide qu’il est entré dans la « mythologie contemporaine ». L’émission  pose plus généralement la question de savoir si, dans cette affaire pathologique, la presse a ou non « dépassé les bornes ». Question : qui est habilité à répondre à cette question ?  

 

 

 

Statines : savoir raison garder grâce à Prescrire

Dernière initiative en date dans la « controverse » sur les statines : celle de Prescrire qui joue ici pleinement son rôle de formation médicale (et pharmaceutique) continue. Serait-il déraisonnable d’imaginer que le Pr Philippe Even intègre cette analyse et ces recommandations. Notamment dans les prochaines éditions de son ouvrage médiatisé à haute dose (Le Nouvel Observateur) et promis, dit-on, à un bel avenir en librairie. En devanture dès le 21 février.     

Dans les prolégomènes de la polémique annoncée il y avait eu la réaction, acide, de la HAS. On la retrouvera ici. Puis il y a eu celle, sans précédent d’un consortium réunissant associations de malades et sociétés savantes des spécialités médicales concernées. Nous en avons parlé ici. Vient aujourd’hui celle exhaustive mais nullement roborative, de Prescrire. On la trouvera ici, en accès libre.

Nous avions pour notre part retrouvé une trace d’une lecture faite par Prescrire sur les statines. C’était en 2003 et sous le titre « L’âge d’or des statines » nous y avions consacré une chronique dans Médecine & Hygiène (aujourd’hui Revue Médicale Suisse).  Dix ans plus tard elle prend une saveur nouvelle.

Extraits :

« Peu suspecte – c’est un doux euphémisme – d’être dépendante de l’industrie pharmaceutique, la revue mensuelle Prescrire (près de 30 000 abonnés, médecins et pharmaciens) tresse, dans son dernier numéro (daté d’avril), une forme de couronne de laurier à la famille des statines ou plus précisément aux deux molécules de cette famille (la pravastatine et la simvastatine) qui ont été les mieux évaluées. On sait que les statines – qui agissent avant tout, mais pas seulement, par inhibition compétitive de l’HMG CoA réductase – dont les spécialistes de médecine cardiovasculaire sont unanimes à vanter les mérites, sont commercialisées depuis plus de dix ans et qu’elles permettent de réduire durablement certaines des anomalies des concentrations sanguines de cholestérol.


Elargir les indications ?

La question aujourd’hui soulevée est, concrètement, celle de l’élargissement de leurs indications. Une étape importante avait été franchie en juillet 2002 avec la publication dans les colonnes du Lancet d’une étude qualifiée, au choix d’«étude-phare» ou encore de «travail-pivot» par les spécialistes de la lutte contre les affections cardiovasculaires. Menée pendant cinq ans sous la direction du Pr Rory Collins (Université d’Oxford, Royaume-Uni) auprès de 20 536 personnes âgées de 40 à 80 ans, cette étude (dénommée Heart Protection Study (HPS)) démontrait en substance que la prise quotidienne de simvastatine permettait d’obtenir une importante réduction du risque de mortalité par infarctus du myocarde ou par accident vasculaire cérébral.


L’originalité de ce travail (financé à la fois par Merck Sharp and Dohme et les pouvoirs publics britanniques) était d’apporter la démonstration que cette réduction de la mortalité – de l’ordre de 18% pour les décès par infarctus – concernait autant les personnes qui ont des taux sanguins anormalement élevés de cholestérol que celles qui n’en ont pas mais qui sont, pour d’autres raisons – hypertension artérielle, diabète, antécédents d’infarctus – exposées au risque d’accident cardiovasculaire.


Quelque soit le taux de cholestérol

Parallèlement à la réduction de la mortalité, les auteurs de ce travail expliquaient avoir observé une fréquence nettement moindre de pathologies vasculaires aux conséquences non mortelles chez les personnes prenant la simvastatine par rapport à celles prenant une substance placebo.
Jusqu’alors les statines ne pouvaient, selon la réglementation en vigueur, être prescrites que dans différentes formes d’hypercholestérolémie et ce «en complément d’un régime adapté et assidu». Les résultats de l’étude HPS fournissaient pour la première fois la démonstration que la prise au long cours d’une statine était de nature à procurer de substantiels avantages préventifs et ce – surprise – quelque soit le taux sanguin de cholestérol dès lors que le patient présentait un risque cardiovasculaire.


Ce résultat soulevait bien évidemment de nombreuses et troublantes questions quant à la réalité et à l’ampleur des mécanismes d’action des statines qui sont aujourd’hui consommées par près de trois millions de personnes en France.
«On peut raisonnablement supposer qu’outre leur action anticholestérolémiante ces médicaments jouent un rôle dans les différents processus pathologiques impliqués dans les maladies cardiovasculaires, qu’il s’agisse de facteurs infectieux, de la coagulation sanguine ou de la formation des plaques d’athéromes sur les parois artérielles, expliquait au
Monde le Pr Gabriel Steg (Hôpital Bichat, Paris). Quoi qu’il en soit, les résultats de l’étude HPS sont indiscutables et conduiront immanquablement à un bouleversement des pratiques médicales vis-à-vis des personnes à risque cardiovasculaire.»


MSD et Bayer

Pour sa part, la firme MSD expliquait alors avoir demandé à l’Agence européenne des médicaments une extension des indications de la simvastatine. Les responsables de MSD situant alors à 20 millions le nombre des personnes concernées par les risques cardiovasculaires en France, pariaient sur une augmentation rapide et importante des ventes de leur médicament. Le paradoxe voulait que les nouveaux bénéfices de cette classe thérapeutique fussent établis quelques mois après une étonnante controverse internationale concernant les effets secondaires musculaires graves, parfois mortels, d’une statine commercialisée par la multinationale pharmaceutique allemande Bayer et qui fut retirée du marché mondial en août 2001.

Aucun effet secondaire notable de ce type n’a été observé lors des cinq ans qu’a duré l’étude HPS, ce qui laisse penser aux spécialistes que ce sont des éléments spécifiques à la statine de Bayer (dosage trop important, mauvaises conditions de prescription et de surveillance ?) qui furent, en fin de compte, à l’origine des phénomènes pathologiques observés aux Etats-Unis et dans différents pays d’Europe. »

Dix ans ont passé. Prescrire a méthodiquement continué son travail. Il en rappelle l’essentiel. C’est à la fois utile et heureux. On peut imaginer que le Pr Philippe Even s’y intéressera.

 

 

Statines et cholestérol : blitzkrieg médiatique en retour

Le Figaro de ce jour, 18 février 2013. Page 13, un communiqué de presse comme il en existe tant et tant. Or celui-ci est sans précédent. Il est signé de treize associations de malades, sociétés savantes médicales et associations de lutte contre les maladies cardiovasculaires et neurovasculaires. (Le même texte a été publié dans Le Monde daté du 19 février). 

On ajoutera ici l’intervention inattendue du président du Crif. Dans la newsletter de cette institution Richard Prasquier,  cardiologue de formation revient sur ce sujet de manière éclairante et caustique. Le texte de son intervention est à lire ici.

Union hier encore improbable contre l’offensive éditoriale et médiatique déclenchée par  « deux livres » qui remettent en cause les dangers des troubles du cholestérol et l’opportunité des traitements par les statines. Une nouveauté de taille dans les rapports, au sens large,  entre le journalisme et la santé publique.  Explication de textes.    

 

Le scandale était annoncé. Va-t-il se retourner contre ceux qui s’en pourléchaient ? Il y a précisément une semaine nous annoncions la déclaration de guerre sur ce blog.  Nous sommes aujourd’hui à front renversé et les deux assaillants sont sous le feu de la mitraille. Les deux assaillants ? D’une part le Pr Philippe Even,  pneumologue né en 1932 et plaisamment rangé dans la catégorie des personnalités dopées à l’âge. D’autre part le Dr Michel de Lorgeril qui réclame une notable antériorité sur le premier. On trouvera ici le site de ce cardiologue chercheur au Cnrs présenté par son éditeur comme le dénonciateur de « la plus grande arnaque de la médecine scientifique ».

Philipe Even et Michel de Lorgeril. Ce sont là deux personnalités iconoclastes. Avec les charmes (incontestables) et les limites (étroites) du genre. Les deux estiment aujourd’hui haut et fort que les statines n’ont pas de véritable effet positif sur la baisse de la mortalité, que les études les concernant sont systématiquement biaisées, que leurs auteurs sont piégés par des conflits d’intérêts. Les deux dénoncent une manipulation généralisée et font une autre lecture des publications spécialisées. On peut voir là, au choix, la dénonciation d’un scandale bien caché ou une nouvelle expression de la théorie du complot.

Surfer et/ou léviter

Dans les deux cas l’affaire semblait devoir faire recette. Les deux auteurs surfent (ou lévitent) depuis quelques jours sur les vagues médiatiques. Une vague amplifiée par le  Nouvel Observateur, hebdomadaire qui (OGM-poisons et Baclofène-miracle) fait étrangement, à la Une, son miel du réductionnisme scientifique et sanitaire. Cette fois ce fut Philippe Even et son « éloge du cholestérol ».

Et puis, aujourd’hui cette contre-offensive surprise,  petit blitzkrieg médiatique. Il est l’œuvre de treize entités dont on retrouvera ici les logos autour d’un communiqué de presse et d’un historique de l’affaire, sorte d’anti-éloge  du cholestérol.  L’adversaire n’est pas désigné nommément mais le propos est clair :

« Associations de patients, sociétés savantes médicales et associations de luttecontre les maladies cardiovasculaires et neurovasculaires, se rejoignent pour exprimer leurplus vive inquiétude devant la réaction de nombreux patients qui, à la suite de deux livresrécents, ont décidé d’interrompre leur traitement pour excès de cholestérol (statines) oudiabète (gliptines ou analogues). »

L’enjeu de ne l’est pas moins (46 000 morts prématurées chaque année). Premier coup de massue : « De nombreux scientifiques ont souligné le côté provocateur et très imprécis de ces livres, par des auteurs dont les champs de compétence médicale sont à la fois limités et discutables dans ce domaine d’expertise. Beaucoup d’arguments avancés ne sont pas documentés ou simplement inexacts. »  Et coup de poignard : « L’importance donnée à ces ouvrages témoigne des  travers de notre société – ou scandale rime trop souvent avec succès – mais nous ramène aussi à une médecine d’un autre siècle, préjudiciable pour tous. » Puis exhortation finale : « Nous recommandons aux  patients de ne pas interrompre leur traitement  sans consulter ».

Irritations et lassitudes

Une première offensive, isolée, datait du 15 février 2013. Elle émanait de l’Association française des diabétiques (AFD) 1. Le communiqué de presse était alors intitulé « Halte aux déclarations tapageuses : les patients méritent mieux ! »Il balayait plus large. On ajoutera  le tir au canon de marine diplomatique de la HAS contre le Pr Even : « Inquiéter les malades, provoquer leur défiance vis-à-vis d’un traitement utile et vis-à-vis des médecins qui prescrivent leur traitement n’est pas responsable. Faire courir le risque d’arrêter leur traitement à des malades qui en ont réellement besoin fait porter une responsabilité lourde à l’auteur de ce livre ».

Il faut enfin compter avec les réactions diverses émanant des professionnels. Comme celles, lassées et agacées, recueilles par le Dr Anne Teyssédou-Mair pour Le Quotidien du Médecin. 

Pr Albert Alain Hagège (président de la Société française de Cardiologie : «  Il y a trois assertions dans ce livre qu’il faut démonter : l’excès de cholestérol est bien cause dans les maladies artérielles. Les maladies génétiques telles que l’hypercholestérolémie familiale monogénique multiplie le risque d’événement cardiovasculaire par 50 à100. La deuxième nous dit que les statines n’ont aucun intérêt. Depuis 1994, on sait que dans le haut risque vasculaire, la prescription d’une statine dont l’efficacité n’est pas discutable, diminue de 30 % le risque de récidives. Il faut traiter 15 patients pour éviter un événement grave. Tout cela est très solide. Nous avons accumulé un niveau de preuves pour les statines très important. Enfin, personne ne dit qu’il faut prescrire des statines à l’ensemble de la population. Les recommandations internationales ont défini des seuils d’intervention en fonction du niveau de risque. La cible est d’autant plus basse que le niveau est élevé : lorsque le risque est très faible on supporte des concentrations de cholestérol plus élevé. Pour nous il n’y a pas de discussion possible : le haut risque cardiovasculaire est parfaitement décrit dans les recommandations et tout cela est publié. »

Pr Joël Ménard : cardiologue, ancien directeur général de la santé : « Je n’ai pas lu le livre de Philippe Even, mais j’estime que la présentation qui en est faite dans les journaux grand public datés du 14 février est susceptible de mettre  en danger la vie de certains patients ». Pr Eric Bruckert ( endocrinologue, La Pitié-Salpêtrière, Paris) : « Nous ne sommes pas face à une polémique scientifique mais à un événement médiatique. Premièrement, sur le rôle du cholestérol, il y a une cohérence et une concordance de toute une série d’études qui vont dans le même sens. De multiples études expérimentales montrent que l’augmentation de la concentration de cholestérol élève le risque d`évènement cardiovasculaire et, à l’inverse, et une baisse de la concentration a un effet protecteur. Deuxièmement, les études épidémiologiques ont montré un lien curvilinéaire entre la concentration de cholestérol et les évènements cardiovasculaires ; ce lien persiste après ajustement des autres facteurs de risque.

De la négation des évidences

Troisièmement, les études génétiques montrent que toute augmentation du cholestérol quel que soit le facteur génétique responsable est associé à une augmentation parallèle du risque cardiovasculaire. Et enfin, les méta-analyses, notamment celle de Law publiée en 2003 dans le BMJ, montrent que la réduction du cholestérol avec la diététique ou les médicaments est associée à une baisse significative des évènements cardiovasculaires. Même si tout peut être discuté en médecine, le niveau de preuves sur le lien causal entre cholestérol et maladies cardiovasculaires est considéré comme le plus élevé qui soit. L’arrêt d’une statine chez un sujet à haut risque expose à une récidive d’évènement. Cet ouvrage est une telle négation des évidences qu’il est parfois difficile d’y répondre. »

Les tenants de la théorie du complot diront que ces réactions, ce communiqué de presse pluri-associatif sont alimentés sinon financées plus ou moins en sous-main par les responsables des firmes pharmaceutiques concernées. Ce qui n’est peut-être pas faux. Est-ce dire que ce qui y est dit est faux ?

1 Créée en 1938 et reconnue d’utilité publique en 1976, l’Association française des diabétiques (AFD) est la Fédération des associations de patients atteints de diabète en France. Elle « accompagne, défend et informe les personnes diabétiques ». L’AFD est une fédération de cent cinq associations locales qui regroupent plus de centre trente mille membres.