Statines : les feux à volonté sont annoncés

Première salve : la sortie, annoncée pour le 21 février, du prochain livre à scandale. Sujet : les statines, désormais  accusées de mille maux. Deuxième salve : la  réédition d’un ouvrage visant la même cible. Le Pr Philipe Even et le Dr Michel de Lorgeril vont entrer en scène. Que vont faire les autorités sanitaires ?   

  Si mèche il y avait eu c’est le Journal du Dimanche qui l’aurait vendue. Hier, 10 février, l’hebdomadaire dominical annonçait la prochaine sortie du Pr Philippe Even,  pneumologue né en 1932 et plaisamment rangé dans la catégorie des personnalités dopées à l’âge. On trouvera cet article ici-même. Il n’est plus besoin de présenter cette personnalité volontiers provocatrice dorénavant désignée comme le papy flingueur de la pharmacopée française. Nous l’avions pour notre part découvert dans un amphithéâtre de l’hôpital Laennec. Devant la presse médicale réunie il y vantait haut et fort les vertus thérapeutiques de la cyclosporine dans le traitement des personnes infectées par le VIH. Une histoire ancienne aujourd’hui généralement oubliée.  Rue de Sèvres l’amphithéâtre n’existe plus. L’hôpital Laennec non plus.

Le Pr Even a donc retrouvé une nouvelle énergie, toujours dans le champ du médicament. Dans le sillage du Médiator d’abord ; ensuite en embrassant l’ensemble des spécialités pharmaceutiques, grâce à un ouvrage cosigné avec le spécialiste d’urologie Bernard Debré – « Guide des 4000 médicaments utiles, inutiles ou dangereux » ; ouvrage (éditions du Cherche-Midi) qui a connu, dit-on, un formidable succès de librairie. « Le 21 février, le Pr Even publiera une déclinaison de son best-seller, consacrée aux statines, prescrites en France à quelque cinq millions de personnes prévient Le Journal du Dimanche.  Extraits prévus dans Le Nouvel Observateur, gros tirage, surface médiatique de son auteur… tous les ingrédients sont réunis pour nourrir une nouvelle polémique. À la Haute Autorité de santé (HAS), un conseil de guerre s’est tenu cette semaine afin de fourbir un message sanitaire clair. »

L’affaire n’est certes pas nouvelle. « Si la guerre du cholestérol aura bien lieu, elle a, en réalité, commencé il y a longtemps, rappelle l’hebdomadaire dominical. En 2005, une étude de l’assurance-maladie relevait déjà une coûteuse sur-prescription des statines en France. » Il faut aussi compter, depuis 2007, avec le Dr Michel de Lorgeril. On trouvera ici le site de ce cardiologue chercheur au Cnrs présenté comme blogueur et prêcheur (en solitaire) pour dénoncer « la plus grande arnaque de la médecine scientifique ». Une autre personnalité iconoclaste. Les deux estiment que les statines n’ont pas de véritable effet positif sur la baisse de la mortalité, que les études sont biaisées, que leurs auteurs sont piégés par des conflits d’intérêts. Les deux dénoncent une manipulation et font une autre lecture des publications spécialisées.

Dés jetés

Leurs chemins vont-ils diverger ? Aujourd’hui même ce mail adressé eu urgence par l’éditeur du second (Editions Thierry Souccar) : « Avant la fin du mois de février, le scandale des statines aura fait les gros titres de la presse. Voici la nouvelle édition du livre qui a tout révélé. Le Dr Michel de Lorgeril (CNRS) a été le premier à exposer, preuves à l’appui, le scandale sanitaire que constitue la prescription de statines, des médicaments anti-cholestérol pris par trente millions de personnes dans le monde (sept millions en France). Ces médicaments ne diminuent ni la mortalité, ni l’infarctus, mais rapportent à l’industrie pharmaceutique vingt-huit  milliards de dollars avec la bénédiction des pouvoirs publics. Comment a-t-on pu tromper toute une communauté avec des idées totalement fausses ? L’auteur raconte le poids des lobbies, les études « arrangées », l’influence des laboratoires sur les « sociétés savantes » et le corps médical. Il montre que le cholestérol ne bouche pas les artères et qu’il n’y a pas lieu de le faire baisser avec des médicaments. Dans cette nouvelle édition sont détaillés les effets indésirables des statines qui jusqu’à présent étaient occultés par les industriels : douleurs musculaires, baisse de la mémoire, troubles sexuels, risque de diabète, cancer et polyarthrite rhumatoïde. »

Les dés sont ainsi jetés, avant l’heure. Après les pilules contraceptives  une nouvelle vague médiatique est annoncée avec vraisemblables effets amplificateurs  nés de la concurrence entre deux auteurs. Mais, précisément, cette vague est annoncée. Que font faire les différents organismes et institutions directement concernés ? L’Agence nationale de sécurité du médicament (Ansm) et la  Haute Autorité de Santé (HAS) réagiront-elles de manière préventive ? De manière coordonnée ou séparée ? Qui fera autorité ? Que décidera le ministère de la Santé ?

 

 

 

 

 

L’eugénisme n’entrera pas dans la campagne (2)

 

Etrange et bien dérangeant point de vue, signé Laurent Alexandre – président de DNA Vision –  publié il y a quelques jours dans les colonnes du Monde. L’auteur  sonner le tocsin contre le vent dominant. Nous sommes, dit-il, sur un « toboggan eugéniste ». Nous « éradiquons » la trisomie 21 et les candidats à l’élection présidentielle ne nous disent rien de tout cela. Ce propos éminemment politique est-il audible ou inaudible ? 

Eugénisme. Année 2012 ou pas, on n’aborde jamais sans mal un tel sujet ; peut-être pas non plus sans danger. A fortiori quand on n’est, ici, porté par aucune conviction ou interdit religieux, nourri par aucune revanche personnelle sur le destin. Parler de l’eugénisme contemporain en n’étant animé par aucun autre combat que celui de rapporter (sinon de toujours comprendre) ce qui se passe autour ne nous. Faire ce choix c’est, il est vrai, déjà postuler qu’il existe, précisément autour ne nous, un eugénisme en marche.

C’est très exactement ce nous dit, aujourd’hui, Laurent Akexandre. De ce point de vue il ne nous dit rien d’autre  qui n’ait déjà, ici ou là, été avancé.  A commencer par Bienvenue à Gattaca (Andrew Niccol, 1997) cette prophétie décidemment bien trop belle pour ne pas être vraie. S’il a une vertu le texte de M. Alexandre est de nous rendre un peu plus audible un propos qui ne l’est généralement pas, ou guère. C’est, comme la fable de M. Niccol  un petit objet joliment façonné et à fragmentations multiples ; celui-ci  fort judicieusement placé, au cœur d’une enclave écrite – le cahier Sciences pré-dominical du Monde qui pourrait aisément passer pour radicalement scientiste.

Pouvoir d’acheter

Audible. Dans notre atmosphère sursaturée d’ondes sonores il est des sujets qui ne le sont plus. C’est si vrai que l’usage même du qualificatif contraire devient tendance, fait symptôme. C’est tout particulièrement vrai dans les torrents de paroles et d’images que charrie l’actuelle campagne électorale comme vient de s’en amuser, dans un billet dominical et toujours dans Le Monde, Didier Pourquery. Selon lui seraient audibles les questions de sécurité, les immigrés, les riches et  les djihadistes. Ne le seraient plus la crise de l’euro, l’endettement tricolore et  la rigueur budgétaire. Les Inrocks, nouvelle bible germanopratine : « Sur l’islam, la gauche est inaudible. » Le Nouvel Obs, qui le fut durablement dans un nombre nettement plus élevé d’arrondissements : « Sarkozy, qui fut en 2007 le candidat du pouvoir d’achat, est aujourd’hui inaudible sur le sujet. » On observera que le Nouvel Obs ne se demande pas s’il l’est, lui, sur le sujet du pouvoir acheter.

Entendons-nous. Le physicien nous explique que l’inaudible c’est (du moins pour l’humain) des ondes vibratoires qui sont en deçà de 15 hertz et au-delà de 20 000. Pour le mélomane c’est une musique qui est décidemment bien trop mauvaise pour être écoutée. Rets cette acception qui vaut pour l’eugénisme contemporain : que l’on entend difficilement, à peine audible. C’est bien le cas de ce sujet et des craintes fondamentales qui lui sont associées, rarement exprimées dans l’espace public. Cela vaut pour la campagne des élections présidentielles. Cela vaudra pour celle qui suivra immédiatement pour les élections législatives. Jusqu’à ce que l’accélération prodigieuse des possibilités de séquençage du génome humain conduise à déciller les yeux des mêmes humains.

De la conformité des foetus humains

On se souvient des termes et des thèmes choisis par le président de DNAVision dans sa tribune  « Eugénisme 2.0 ». C’est  le désir de l’enfant parfait, la « techno-maternité », le tri des embryons et l’élimination des fœtus non conformes. C’est la disparition programmée, organisée, financée par la collectivité des trisomiques 21  auxquels on semble comme répugner à attribuer le nom de personne.

« Nous avons quasiment éradiqué la trisomie 21 en trente ans, bien que les trisomiques soient doux, aient une espérance de vie normale et ne souffrent pas, ose écrire M. Alexandre. Pourquoi ferions-nous demain autrement avec les autres pathologies ? Politiquement, comment empêchera-t-on les parents de préférer de ‘’beaux enfants plutôt doués’’ alors que l’avortement pour convenance personnelle est libre, quelle que soit la constitution de l’embryon, et que l’avortement pour handicap intellectuel (trisomie 21 en tête) est légal, socialement accepté et encouragé par les pouvoirs publics ?  Et nous irons probablement plus loin : de la prévention du pire à la sélection de l’enfant, il n’y a qu’un pas qui sera allègrement franchi. On offrira bientôt aux parents le rêve d’un enfant configuré à la carte. Si le diagnostic prénatal permet l’« élimination du pire » – on supprime le foetus présentant des malformations -, le diagnostic pré-implantatoire, lui, représente la « sélection des meilleurs » – on trie les embryons obtenus par fécondation in vitro. L’acceptabilité par les parents sera forte dès que les derniers effets secondaires de la fécondation in vitro seront contrôlés, et il sera moralement moins dérangeant de supprimer des embryons en éprouvette qu’un foetus dans le ventre. Le retour de l’eugénisme est une bombe éthique et politique passée complètement inaperçue. D’ailleurs, ni M. Hollande ni M. Sarkozy n’ont jamais parlé du séquençage ADN ! »

Idiots mongoloïdes

La médecine (et la correction du pathologique suivie de son élimination) comme porte d’entrée d’un eugénisme collectivement accepté sinon assumé ? Peut-être. Toujours pour M. Alexandre cette  « bombe éthique et politique » est «  passée complètement inaperçue ». Pour notre part ce n’est pas faute d’avoir tenté (depuis un certain temps) d’en suivre la trace, dans les colonnes du Monde.

Restons sur le cas emblématique, inaugural et sans doute prophétique de la trisomie 21. En toute rigueur il faudrait élargir la focale, reprendre l’histoire du syndrome de Down, son synonyme anglophone, remonter jusqu’à la description princeps (plus ou moins fiable) faite en 1866 par le médecin britannique  John Langdon Down (1828-1896) dans ses  Observations sur une classification ethnique des idiots et son  « idiotie mongoloïde ». Il faudrait ensuite redescendre jusqu’en 1959 et à la découverte fondamentale faite par trois médecins français (Jérôme Lejeune Marthe Gautier et Raymond Turpin) expliquent que cette entité est la traduction phénotypique unique de la présence de trois chromosomes 21 dans chaque cellule de l’organisme de celui qui deviendra dès lors un trisomique.

Mais campagne électorale et silence des candidats oblige, revenons à des temps plus récents, plus politiques aussi. Nous sommes en octobre 1996. Jacques Chirac est depuis peu président de la République française. Et voici que l’on accuse Hervé Gaymard, alors jeune et très fringuant secrétaire d’Etat à la Santé et à la Sécurité sociale d’être personnellement opposé à l’extension du dépistage prénatal de la trisomie 21. L’accusation est d’autant moins banale qu’elle émane  du Collège national des gynécologues et obstétriciens français, des biologistes agréés et des cytogénéticiens de langue française. Tous l’accusent de s’opposer à l’extension du dépistage de la trisomie 21 aux femmes de moins de trente-huit ans ; des femmes dont on sait qu’elles ont un risque élevé de donner naissance à un enfant porteur de cette grave malformation chromosomique. Si l’examen du patrimoine génétique de l’enfant à naître après prélèvement de liquide amniotique (amniocentèse) à la 17e semaine de grossesse demeure le seul test permettant d’affirmer le diagnostic, on dispose, depuis plusieurs années, d’une technique simple (dosage de marqueurs hormonaux après prélèvements sanguins) permettant de dépister les femmes susceptibles d’être enceintes d’un foetus trisomique et auxquelles une amniocentèse peut être proposée.

Simple, beaucoup trop simple

En octobre 1996 les pouvoirs publics français ne découvrent pas le problème. Les différents ministres en charge de ce dossier ont, depuis 1992, été régulièrement saisis de ce dossier. Bernard Kouchner avait demandé sur cette question un avis au Comité national d’éthique, qui s’était prononcé en juin 1993. Dans cet avis, les membres du Comité expliquaient notamment ne pas voir d’objection à « un programme visant à affiner les indications médicales par utilisation, chez les femmes qui le désirent, des tests biologiques sanguins ».

Par la suite, la loi sur la bioéthique de 1994 et ses décrets d’application ont permis d’encadrer de manière rigoureuse la pratique du diagnostic prénatal grâce à une procédure d’agrément des centres et des équipes autorisés à pratiquer cette activité. Tout était donc en place pour que l’on autorise cette extension du dépistage sans craindre d’éventuelles dérives. C’était trop simple, beaucoup trop simple.

En 1996 la femme du secrétaire d’Etat à la santé a pour nom de jeune fille Clara Lejeune. Elle est la fille du Pr Jérôme Lejeune, adversaire affiché de l’interruption volontaire de grossesse. Le couple a alors neuf enfants prénommés Philothée, Bérénice, Thaïs, Marie-Lou, Amédée, Eulalie, Faustine, Jérôme-Aristide, Angélico. Sa biographie officielle nous dit encore que Hervé Gaymard est par ailleurs un grand amateur de littérature et d’histoire et qu’il a été jusqu’à écrire un ouvrage sur l’œuvre d’Alexandre Vialatte le généreux. A l’époque ce dernier point, ce dernier point seulement, fut généralement inaudible.

(A suivre)

Prothèses mammaires : qui savait quoi et depuis quand ?

L’affaire aura bientôt un mois. Les enquêtes journalistiques foisonnent. Le ministre s’est tu. La justice est saisie. L’OMS se réveille. Les questions demeurent. Pas de données nouvelles sur le risque cancéreux

La presse vit de plumes et goûte les miroirs. Rien de nouveau depuis les premières livraisons de la Gazette (1631-1915) du Dr Théophraste Renaudot. (1586-1653). Elle ne déteste pas non plus la mise en abyme, la presse citant la presse. Ainsi en ce 14 janvier cette dépêche de l’AFP. Elle traite d’un témoignage « simultanément diffusé » le même jour sous couvert d’anonymat par France 2 et Le Monde ; le témoignage d’un décidemment bien mystérieux inspecteur de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps). C’est cet « anonyme »  qui aurait découvert l’existence de matières premières suspectes dans les prothèses PIP. Et l’agent inspecteur de raconter derrière son masque les  circonstances rocambolesque de sa découverte. Une affaire bien banale au fond mais qui prend ici des allures de secret d’Etat.  

 C’était le 17 mars 2010 au deuxième jour de sa mission dans la désormais célèbre entreprise de la Seyne-sur-Mer (Var).  « Selon Le Monde daté dimanche-lundi, les étiquettes placées sur les fûts suspects portaient la mention « SILOP pour silopren, une huile de silicone non autorisée pour un usage médical » et dont il n’était nulle part fait mention dans les documents examinés la veille, nous raconte l’AFP. Sur France 2, l’inspecteur, dont seules les mains apparaissent à l’écran, poursuit le récit: « Les personnels de production me disent qu’ils ne savent pas ce que sont ces étiquettes, je demande les factures et on ne les sort pas ». « Je monte voir M. Mas [le directeur]et je lui demande ce que sont ces matières premières. Il me dit:

 – On avait prévu de faire du développement+.
– Quel développement?
– Je ne sais plus.
Selon Le Monde – qui précise que « l’épisode est aussi résumé dans le rapport d’inspection que l’agence a remis à la justice et dont il a pris connaissance » – c’est en retournant sans prévenir sur un site déjà visité la veille et où il n’était plus attendu, que cet inspecteur a mis au jour la supercherie.
Le premier jour, le contrôle n’a dévoilé aucune anomalie, écrit le journal.
Mais la deuxième fois, « à travers la clôture, j’ai vu des fûts avec des étiquettes qui faisaient référence à un nom qu’on n’avait jamais vu. On a eu du mal à se faire ouvrir la porte. Et cinq minutes après, on rentre sur le site et les étiquettes avaient disparu… Stupeur », reprend l’inspecteur sur France 2 (…)
Il est décidé de prolonger la mission de l’agence: « On n’a plus confiance du tout. Notre crainte c’est que les stocks disparaissent et soient remis sur le marché dès qu’on aura le dos tourné », se souvient l’inspecteur cité par Le Monde. M. Mas a reconnu ultérieurement devant les enquêteurs que la fraude était organisée depuis des années.
La découverte de l’Afssaps a provoqué l’ouverture d’une enquête judiciaire pour « tromperie aggravée » et devrait donner lieu à un premier procès d’ici la fin 2012. Dans l’intervalle, le scandale s’est étendu au monde entier et concerne des dizaines de milliers de femmes. »

Le Monde a titré cet interminable témoignage : «Prothèses PIP : l’incroyable récit d’une supercherie » et explique que pendant près de vingt ans, Jean-Claude Mas a déjoué tous les contrôles en s’assurant de la complicité de ses salariés. « Déjouer tous le contrôles » ? Certes. On pourrait tout aussi bien expliquer que pendant vingt ans les contrôles et les contrôleurs n’ont pas été suffisamment efficaces pour mettre en évidence ce pourquoi ils étaient les premiers faits, les seconds rémunérés. Faire de M. Mas un lointain cousin de Lupin Arsène n’est pas sans risque. C’est pourtant ce qui est fait : « Il faut au moins lui reconnaître cela, à Jean-Claude Mas, l’ex-patron de Poly implant prothèse (PIP), prince déchu des prothèses mammaires. Un talent de persuasion, un art de la supercherie à rendre jaloux les rois du boniment. Pendant plus de vingt ans, cet ancien visiteur médical passé par le négoce en vin et l’assurance avant de se reconvertir dans les seins en silicone a réussi à embobiner ses salariés en leur faisant croire que son gel maison, non agréé, était « le meilleur » pour doper les poitrines de ces dames, et surtout de « bien meilleure qualité » que le Nusil, le gel médical des Américains. Avec le même aplomb, il a juré durant des années aux inspecteurs venus le contrôler qu’il n’utilisait que du silicone homologué. »

Or voici qu’il parle à la presse le roi des boniments, le prince déchu des prothèses issu du bas-fond des vins négociés. Il vient d’accorder un entretien téléphonique à la chaîne M6 qui l’a diffusé le 17 janvier et dont l’AFP nous donne la quintessence : « ‘’Jamais je n’ai nié que j’ai utilisé un gel non homologué », dit-il joint au téléphone, affirmant par la même occasion que son gel « était meilleur que les autres ». L’entrepreneur réaffirme que son gel n’a pas d’effet néfaste sur la santé: « Il y a l’Afssaps qui a fait un rapport, tous les experts sont unanimes, il n’y a aucun lien possible entre ce gel et des patientes… le cancer, le machin, pourquoi pas les maladies auto-immunes, hein… », poursuit-il. L’homme s’énerve aussi quand il est interrogé sur la décision du gouvernement de recommander aux porteuses de PIP en France de se les faire retirer, s’en prenant au ministre de la Santé Xavier Bertrand. « Qui c’est qui a demandé d’explanter les patientes, et pourquoi? Parce que les experts étaient absents. Parce que M. Bertrand n’est pas, que je sache, un scientifique (…) c’est pas croyable alors qu’il savait que ce gel n’est pas toxique. Vous savez qu’il y a 500.000 patientes maintenant qui se posent des questions! », semble s’étrangler Jean-Claude Mas. »

Faut-il rappeler que M. Mas (« qui n’a pas fait d’apparition publique depuis que le scandale a éclaté » souligne l’AFP) a déjà déclaré avoir trompé de manière délibérée (et pendant des années) TÜV Rheinland (l’organisme allemand certificateur de ses prothèses) sur le contenu du gel de silicone ? « Je savais que ce gel n’était pas homologué, mais je l’ai sciemment fait car le gel PIP était moins cher » avait-il dit aux gendarmes chargés de l’enquête pour « tromperie aggravée ».. Faut-il également rappeler qu’aucun lien n’a été établi à ce stade entre ces implants et la vingtaine de cas de cancer diagnostiqués chez les femmes porteuses de prothèses PIP ? Et faut-il enfin rappeler que la recommandation d’explanter de manière systématique les 30 000 femmes concernées a été formulée par Xavier Bertrand ministre de la santé contre l’avis du collège d’experts constitué pour évaluer au mieux le risque carcinogène.

« L’imposture aurait encore pu durer si les prothèses n’avaient commencé à rompre par dizaines. En 2007, PIP reçoit des appels d’Angleterre, des fax de Colombie, ajoute Le Monde. L’année suivante, trois chirurgiens marseillais s’inquiètent à leur tour d’une recrudescence d’incidents et se retournent vers le fabricant. Nous avons déjà évoqué sur ce blog la situation marseillaise et l’alerte (précoce ? tardive ?) lancée auprès de l’Afssaps par des chirurgiens de la bientôt célèbre clinique Phénicia.

Ce que nous ne savions pas c’est qu’après les premières récriminations la société de M. Mas « s’était contenté -comme dit Le Monde– d’envoyer  une nouvelle paire de seins à la patiente, deux autres au chirurgien, ainsi que  1000 euros ’en dédommagement des frais d’explantation et d’implantation’’ ». Ce que nous ne savons pas (et que la presse tarde à découvrir) c’est la nature exacte des relations commerciales et monétaires entre l’ensemble des chirurgiens esthétiques et l’ensemble des firmes productrices ainsi que les conséquences précises de la concurrence (semble-t-il assez vive) qui règne au sein des deux groupes.  

Dans sa livraison datée du 5 janvier Le Nouvel Observateur  fournit quelques lumières. Sous le titre « Dans la jungle des prothèses mammaires » Jacqueline de Linares et Bérénice Rocfort-Giovanni soulignent qu’un détail rassurait les femmes : les prothèses PIP étaient made in France, low cost certes mais tentantes car certifiées CE. Pas question d’implants chinois ou de matériel de contrebande.  

Pour le reste les enquêtes journalistiques piétinent. Elles moulinent le grain désormais offert. Après les procès verbaux de l’enquête de gendarmerie, l’inspecteur de l’Afssaps parlant sous un masque ce sont les anciens employés de M. Mas qui racontent à qui mieux-mieux (toujours sous couvert de l’anonymat) ce à quoi ils ont participé durant des années. Libération (sous la signature d’Olivier Bertrand) y revient longuement le 16 janvier ; avec force détails. Il est vrai que l’auteur a eu l’opportunité de pouvoir « consulter en intégralité » leurs auditions par  les gendarmes de la section de recherche de Marseille ainsi que « les trois interrogatoires de Jean-Claude Mas ». Le journalisme d’investigation (ici sanitaire) réclame toujours un peu de chance. On y découvre bien des secrets partagés entre patron et salariés avant une (tardive) rébellion des seconds.

Libération toujours complète (le 17 janvier) son dossier. Après s’être procuré (c’est l’une des formules en usage) le rapport de l’inspection de l’Afssaps menée chez PIP en mars 2010. Rien de véritablement nouveau. Dix jours seulement après cette inspection (en avril) les prothèses PIP sont interdites. Certes, mais pourquoi pas plus tôt ? Il faudra encore attendre pour le savoir. Enfin Le Figaro (du 18 janvier) croit savoir que l’éventail des poursuites va s’élargir : des avocats de plaignantes visent désormais TÜV Rheinland.

« Dans un dossier où l’aspect financier est très présent, TÜV est en ligne de mire, écrit Marie-Amélie Lombard-Latune.  ‘’On va là où les poches sont profondes…’’ , résume un avocat. Jean-Claude Mas apparemment insolvable, PIP déclaré en faillite, son assureur Allianz tentant de se dégager de sa garantie, les «poches» ne sont pas si nombreuses. TÜV, solide groupe allemand, en fait partie. D’où les différentes procédures civiles ou pénales qui le visent aujourd’hui. Silencieux jusqu’à présent, l’organisme de certification n’a pourtant pas l’intention de porter la responsabilité du scandale PIP, société contre laquelle il a lui-même porté plainte. Selon les auditeurs de TÜV – qui venaient en principe à deux lors de la visite du site à La Seyne-sur-Mer (Var) pendant un ou deux jours.  PIP était passé maître dans l’art de la dissimulation: le personnel était ‘’briefé’’, le système informatique truqué, les documents papier soigneusement triés. Le contrôle se limitait à vérifier le process qualité au regard des normes européennes, assure-t-on chez TÜV, où l’on répète que l’objectif d’un tel audit n’est pas de rechercher une fraude. Une faille évidente dans la surveillance sanitaire des prothèses, de vastes débats en perspective devant les tribunaux. Dès les auditeurs de TÜV tournaient les talons, le patron de PIP fêtait, dit-on, l’événement au restaurant. »

A restaurant ! Ainsi, après s’être longtemps tu, on dit décidemment bien des choses. C’est aussi le cas de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) qui depuis son siège de Genève vient pour la première fois de s’exprimer sur le sujet. L’institution onusienne conseille désormais officiellement à toutes les femmes qui dans le monde portent des prothèses mammaires PIP (elles ont entre 300 000 et 400 000 dit-on) de consulter leur médecin ou chirurgien si elles suspectent une rupture, éprouvent une douleur ou bien pour « tout autre souci ». Un bien large spectre.

« Des informations supplémentaires sont nécessaires sur les risques associés à ces implants et sur la comparaison avec les autres implants disponibles sur le marché, sur la distribution, l’utilisation et la surveillance » estime d’autre part l’OMS qui découvre cette pratique. La pose chirurgicale des implants mammaires a commencé à se développer à l’échelon international au lendemain de la seconde guerre mondiale. L’OMS é été crée en avril 1948.