Miossec et l’alcool, ou la chance d’avoir pu diviser sa vie en deux, « avant et après »

Bonjour

Christophe Miossec, 53 ans, auteur-compositeur-interprète-parolier, parfois acteur. Il est interrogé par Libé (Patrice Bardot) à l’occasion de la sortie d’un nouvel album. Intitulé « Les Rescapés » (« furia minimaliste post-punk traversée par instants par un surprenant groove radieux, quasi électronique …»). Rescapé, l’auteur en est un et ne s’en cache pas.

« Il y a ceux, nombreux, qui en arrêtant de boire observent, inquiets, leur inspiration s’assécher à son tour. Puis il y a Christophe Miossec, sobre depuis 2010, lorsque les médecins découvrent qu’il est atteint d’une maladie neuromusculaire qui modifie l’équilibre, la coordination des membres, explique Libé. Verdict : plus une seule goutte ou c’est la paralysie. Mais sa verve créatrice n’est jamais restée en rade. Le rythme continue d’être soutenu : un album quasiment tous les deux ans, suivi d’incessantes tournées. »

L’homme était devenu célèbre avec son premier album Boire, en 1995 – plus de 100 000 exemplaires vendus. Le diagnostic sera porté quatorze ans plus tard, présenté comme une forme d’ataxie « maladie orpheline chronique affectant le cervelet ». Miossec s’en explique volontiers, sans pathos ni afféterie. Pas plus qu’il n’a fait appel aux médias pour son sevrage.

LCI, en mai 2016 lui demande : « Vous avez souvent écrit sur le temps passe : « 30 ans », « En Quarantaine »… Cette fois, avec le titre « Les Mouches », vous évoquez directement la mort. C’est une angoisse ? » Miossec

« Ben oui. Il y a eu tellement de disparitions dernièrement: celle de mon pote Rémy Kolpa Kopoul (journaliste à Nova), celle de Bashung… Savoir qu’il ne sortira plus d’albums, ça me tue. J’aurais voulu savoir sur quel pied il danserait aujourd’hui. C’est terrible, on est là à fumer des clopes et puis un jour on disparait à cause d’elles… (il se roule une autre cigarette). [L’alcool aussi. On se souvient de concerts où vous arriviez sur scène fortement imbibé…]
« Ça, c’est terminé. Je n’aurais jamais du boire un seul verre d’alcool de ma vie. Je n’ai pas le cerveau pour. Aujourd’hui, je ne bois plus une goutte. Un verre de vin me fait autant de dégâts qu’une nuit d’ivresse. Quelle ironie pour un mec dont le premier disque s’appelait « Boire » ! Mais je n’aurais jamais pu monter sur scène sans boire avant. J’étais tétanisé par la timidité.

Chaise roulante

Les Inrocks en 2014 : « Tu ne bois plus depuis des années, as-tu participé à des réunions des Alcooliques anonymes ? »

« Pas du tout. Ma chance, c’est que mon cerveau ne supportait plus du tout l’alcool. A la fin, six ou sept verres et j’étais cuit. Tout le monde autour de moi pensait que je buvais en cachette. C’est venu graduellement, la pathologie se traduit aussi par des problèmes d’équilibre. La maladie, l’ataxie, a commencé par un grave mal aux genoux. Et un jour, à 11 heures du matin, un médecin m’a expliqué ce dont je souffrais. Il m’a dit : “Plus une goutte d’alcool ou c’est la chaise roulante.” J’ai dû fixer une date : celle de mon dernier verre. Le médecin m’a accordé une semaine de grâce, pendant laquelle je me suis offert les meilleurs vins. Et j’ai tenu. En partie pour emmerder mes détracteurs ! J’ai alors attaqué une nouvelle vie. C’était il y a quatre ans. »

 Libé, aujourd’hui :  « Avez-vous parfois le sentiment que votre maladie a été paradoxalement une bénédiction ? Miossec :

« Oui, avec l’âge on essaie de bien regarder la merde et de voir ce qu’elle peut nous apporter de positif. Mais s’il n’y avait pas eu la boisson, je n’aurais jamais eu le désir profond de monter sur scène, car ça désinhibe complètement. Je ne tenais pas l’alcool du tout, j’étais bourré hyper vite, je n’étais pas dans le club de ceux qui encaissent et qui sont en irrigation permanente.

 « En fait, les médecins se sont rendu compte que je fais partie des personnes qui n’auraient jamais dû boire une seule goutte en raison de cette maladie. C’est une chance d’avoir pu diviser sa vie en deux : avant et après l’alcool, même si j’ai commencé à boire tard. Il n’empêche que j’aime toujours aussi peu les buveurs d’eau et, en tournée, il y a toujours autant de boisson dans les loges. Ça ne me gêne pas de voir les autres picoler, au contraire je pousse à la consommation parce que j’aime bien entendre les conneries des gens bourrés (rires). »

 Tout au fond de la salle, Boris Vian, écrivain, parolier, chanteur, jazzant en écho : « Je bois ». C’était quarante ans avant le Boire de Miossec. Vian avait alors 35 ans. Il mourut quatre années plus tard 1. D’une crise cardiaque, lors de la projection de l’adaptation cinématographique de son « J’irai cracher sur vos tombes ».

A demain

1 De Philippe Boggio  : le passionnant Boris Vian, première éditions Flammarion 1993, réédition 1995 en livre de poche, dernière éditions mai 2009

 

Liberté de la presse : à Beauvais, la justice l’avait saigné ; à Amiens «Oise Hebdo» est sauvé

Bonjour

Les médias nationaux se sont généralement pincé le nez. Le Syndicat national de journalistes (SNJ) a tenu son rang. Oise Hebdo va pouvoir diffuser à nouveau son édition du 12 août dans les kiosques. Vendredi 21 mai la cour d’appel d’Amiens a donné raison a cassé le référé du tribunal de grande instance de Beauvais (voir « Suicide et scandale : « Oise hebdo » condamné à détruire les 20 000 exemplaires de son dernier numéro »).

Lieutenant-colonel

Rappel de l’affaire : au début du mois d’août, un habitant bien connu de Therdonne meurt sous les roues d’un camion qui circule à grande vitesse sur l’autoroute. Dans son édition du 12 août, Oise Hebdo (hebdomadaire régional tiré à 27 000 exemplaires dans la région de Picardie) relate l’accident et ses conséquences.

Dans l’article, le lieutenant-colonel Robert Clech y est interrogé et affirme : « il ne s’agit pas d’un accident mais d’un suicide ». L’hebdomadaire cite également des témoins de la scène, évoque quelques éléments biographiques de ce commerçant – son cursus scolaire ou encore son parcours professionnel, familial et conjugal. Le travail assez classique de la presse régionale.

Urgence.

Jugeant être atteintes dans leur intimité, la mère et l’ex-compagne du défunt saisissent la justice en référé.  L’audience se tient au tribunal de Beauvais le vendredi 14 août. Climat tendu. Apparemment irritée par la médiatisation de l’affaire  la présidente du tribunal interdit aux journalistes le suivi en direct de l’audience via les médias sociaux. La presse rapportera qu’elle fait confisquer en début d’audience les téléphones des journalistes présents dans la salle.

Une décision « totalement incompréhensible », explique Pierre-Antoine Souchard, président de l’association de la presse judiciaire, à Libération. M. Souchard ignore-t-il que la présidente a tous les droits qu’elle s’autorise à avoir ?

Faire son boulot

Me Catherine Baclet-Mellon est l’avocate de la famille du défunt. Elle soutient que l’article constitue « une atteinte à sa vie privée, à son deuil » rapportera Le Parisien. Pour sa part Oise hebdo se défend d’avoir  juste fait son boulot . « On informe seulement que le commerçant décédé a deux enfants, en quoi cela porte-t-il atteinte à la vie privée ? », demandera Vincent Gérard, fondateur de l’hebdomadaire. Il ajoute notamment que l’homme décédé est « très connu » dans la région, que les faits sont intervenus sur la voie publique, ce qui donne aux citoyens le droit d’être informés.

L’avocate de la Société de presse de l’Oise, dresse, quant à elle, un parallèle entre l’histoire du commerçant et un fait divers qui avait retenu l’attention des journaux du monde entier, rapportera France 3  : « On est en train de dire qu’on n’aurait rien dû écrire sur le pilote de la Lufthansa Andreas Lubitz et que tous les juges auraient dû interdire la publication d’informations sur sa vie. » Ce n’est pas tout à fait vrai : la famille d’Andreas Lubitz n’avait rien demandé.

Ancienne compagne

La présidente du tribunal de grande instance de Beauvais n’avait rien voulu entendre ni savoir. Elle avait estimé que l’article crée bien un « trouble manifeste illicite » par « la mise en exergue de divers éléments relatifs à l’intimité de la vie privée, non seulement du défunt, mais aussi et surtout de (…) son ancienne compagne ».

Oise hebdo était condamné à retirer de 500 points de vente l’édition du 12 août avant le lendemain, 18 heures. À défaut, la société éditrice devrait  acquitter une astreinte de 500 euros par heure de retard, ainsi qu’une peine d’amende de 500 euros par infraction constatée.

L’Oise chinoise

« C’est la liberté d’informer dans les faits qui est atteinte. On a l’impression qu’on est en Chine, qu’il faut faire croire que tout va bien, alors que pas du tout », avait commenté Vincent Gérard, le fondateur de l’hebdomadaire, interrogé par Les Inrocks. Pourquoi un journal local ne devrait pas s’occuper du principal sujet qui occupe les pouvoirs publics locaux : préfecture, police, pompiers, juges… On fait un vrai travail d’investigation et c’est un travail compliqué d’exercer en province parce que la proximité implique une certaine pression des autorités. »

 La cour d’appel d’Amiens a donné raison à l’hebdomadaire en cassant le référé du tribunal de grande instance de Beauvais, vendredi 21 août. La cour a rappelé que « la liberté de la presse est un principe fondamental inscrit dans la Constitution ». Voilà qui est clair et tranchant. Comment expliquer que la juge de Beauvais ait pu l’oublier ? Il est probable qu’on ne le saura jamais.

A demain