Ebola : des navigants d’Air France réclament des scaphandres. Contagions hystériques

Bonjour

L’hystérie est-elle une maladie ? Si oui est-elle contagieuse ? Dans tous les cas comment s’en débarrasser ? La question est posée par Barack Omaba dont l’administration sanitaire commence à être la cible de bien des critiques montantes (voir ici ce qu’en dit Reuters). Elle est posée de manière remarquable par l’International Herald Tribune dans ‘’Fear itself rather than risk underlies ebola alarm’’ (Andrew Higgins)  qui cite la sociologue Claudine Burton-Jeangros (Université de Genève). Elle transparait dans le dossier que vient de publier Courrier International  sur Ebola.

Navigants anonymes

On la retrouve aujourd’hui dans L’Est républicain . Le quotidien régional a donné la parole à « Anna et Paul » (les prénoms ont été changés, NDLR), deux « navigants d’Air France ».

[Air France assure un vol quasi-quotidien depuis Paris pour Conakry, en Guinée, pays où est née l’épidémie et où elle ne cesse de progresser. Cette liaison aérienne est donc « ultra-sensible », avec un personnel navigant en première ligne. « Il y a trois quarts de mes collègues qui ne veulent plus travailler sur cette ligne, il y a un vrai sentiment de panique parmi nous », témoigne Anna, hôtesse de l’air sur les longs courriers principalement à destination de l’Asie, mais qui a refusé d’embarquer pour Lagos en septembre. Le trajet se fait sur la base du « volontariat ». Appel à des « gens de réserve » et « pression de la hiérarchie » seraient de plus en plus courants. Certains syndicats préconisent d’exercer le « droit de retrait », mais seuls les pilotes sont habilités à le faire dans de telles circonstances.

 Les contrôles ? « Du pipeau !»

Anna pointe une prévention « très légère » au sein de la compagnie, qui prêterait à sourire si le sujet n’était pas si grave. « Les médecins d’Air France nous ont dit qu’Ebola, c’était juste une petite gastro, décrit celle qui est salariée depuis plus d’une quinzaine d’années. “Vous avez le droit de mettre des gants, mais ce n’est pas une obligation, et ce n’est pas très joli”, nous a déclaré aussi une supérieure ».

Un « laisser-aller » assez invraisemblable, « une hypocrisie même » que dénonce également Paul, steward sur les longs courriers joint hier après-midi. Il évoque lui aussi un tract syndical circulant il y a quelques semaines, relatant avec ironie cette légèreté du service médical et cette comparaison Ebola-gastro.

 Ce qui est préconisé en cas de suspicion d’Ebola ? « Mettre des gants et un masque, isoler le passager et condamner les toilettes pour lui ». Suffisant ? Nombreux sont ceux qui en doutent au sein du personnel navigant, où la colère monte en même temps que l’angoisse : « Dans la zone de moindre danger, ceux qui interviennent ont des scaphandres, nous, on peut seulement mettre des gants et des masques… », regrette Paul, qui souligne aussi que « les avions à l’arrivée sont nettoyés, pas désinfectés ».

Annulation des vols

 L’hôtesse comme le steward plaident aujourd’hui pour l’annulation pure et simple de ce vol commercial entre Conakry et Paris, « tant que la crise existe ». Le contrôle de températures qui démarre aujourd’hui ne trouve pas grâce à leurs yeux. « Du pipeau » pour Anna « vu la période d’incubation ». Sentiment partagé par Paul, pour qui « un passager peut se bourrer de doliprane avant de passer au contrôle… » Enfin, tous deux estiment que ce vol perdure parce qu’il répond à une logique commerciale et « non pas humanitaire », selon Paul. Un vol Paris-Conakry affiche ces jours-ci un prix AR de 620 euros, soit beaucoup plus qu’un Paris-Abidjan (538) ou Paris-Dakar (499). ]

 Reprenons :

1 « Les médecins d’Air France nous ont dit qu’Ebola, c’était juste une petite gastro » dit  Anna, l’anonyme « salariée de la compagnie depuis une quinzaine d’années ».

2 « Dans des zones de moindre danger, ceux qui interviennent ont des scaphandres. Nous, on peut seulement mettre des gants et des masques » s’insurge l’anonyme  Paul.

3 L’hôtesse Anna et le steward Paul plaident pour l’annulation pure et simple du vol Conakry-Paris. Un vol, assurent-ils, sur  lequel les « trois-quarts » du personnel d’Air France refusent de travailler, et qui fonctionne donc sur la base du volontariat.

Courages

On appréciera ici comme il se doit le courage des anonymes. Et, peut-être aussi celui des volontaires. L’Agence France Presse ajoute qu’Air France « tient à préciser que tout est mis en œuvre auprès des autorités sanitaires compétentes pour assurer la sécurité de son personnel navigant ».

Où sont les « autorités sanitaires compétentes » ? Qui sont-elles ? Pourquoi sont-elles inaudibles ? Qui peut avoir ici une parole crédible ? Comment soigne-t-on la contagion hystérique ? C’est aujourd’hui une question de santé publique.

A demain

Guerre au tabac : mouvements de cartouches à nos frontières

Hypocrisie et schizophrénie sont aux commandes. Bruxelles fait condamner Paris : le tabac est « un bien comme un autre ».

Nos députés roulent pour les cigarettiers du monde entier. Deux ministres du gouvernement français montent en ligne. Voici leurs propos.

France Inter. C’est cette station publique (aujourd’hui sous la barre des 10%) qu’il fallait écouter jeudi 5 décembre peu après l’Angélus. Au micro un ministre comme on n’en fait plus guère. Calme, pédagogue, mesuré. Diplomate en un mot. Il fait le point sur la situation ukrainienne.  Non sans finesse il fait observer qu’aux marches de l’Empire marchand on rêve d’y entrer quand certains, en son sein, veulent rétablir les frontières. Les frontières, précisément : Inter l’interroge sur cette actualité qu’est « le relèvement des quotas d’importations de tabac par les particuliers » (1).  Voici sa réponse :

« Nous avons tenté par le passé de limiter les importations de cigarettes, nous avons été condamnés au motif que c’était un bien comme un autre. Nous ne renonçons pas à traiter ce sujet sous l’angle de la santé publique. Nous continuerons à argumenter, même si, actuellement, nous devons avoir à prendre des mesures d’élargissement, que nous regrettons d’ailleurs de prendre ».

 Présumé personnel

 Il s’agissait de Thierry Repentin, ministre des Affaires européennes. C’est un ministre que  l’on aimerait entendre plus souvent parler de santé publique. Un ministre avec qui on aimerait débattre des raisons qui, au nom de la santé publique, font que certains « biens » ne sont pas, précisément, « comme les autres ». Pour l’heure ils le redeviennent. L’Agence France Presse nous informe qu’à la suite de la condamnation de la France par la Cour européenne de justice, le gouvernement avait publié une circulaire fixant à la fois de nouveaux seuils et de nouvelles instructions pour les douaniers.

Selon cette circulaire, lorsque la quantité transportée par un individu ne dépasse pas (nous soulignons)  2.000 cigarettes (soit dix cartouches), 2 kg de tabac à fumer, 1.000 cigares ou cigarillos, la détention est présumée à but personnel. Présumer est un verbe qui peut charmer. Ou tuer.

 Les mots de Mme Touraine

Yves Thréard est un homme omniprésent sur les ondes et les  radios publiques et privées. M. Thréard est par ailleurs éditorialiste au Figaro. Il n’est pas de gauche, ce qui lui confère une certaine et paradoxale surface médiatique. Chaque jour il se plait à « interpeller » ceux qui nous gouvernent; ou qui ambitionne de nous gouverner. Hier il s’en prenait à Marisol Touraine, ministre de la Santé à qui il reprochait l’hypocrisie gouvernementale en matière de lutte conter le tabac. Voici ce que fut la réponse de Mme Touraine :

« Ce qui serait très hypocrite, ce serait de rester les bras croisés et de ne rien faire. Non, je n’accepte pas que les Français meurent, et meurent de plus en plus, à cause du tabac. Oui, je regrette la décision de la Cour de justice européenne qui nous impose d’augmenter nos quotas d’importation de paquets de cigarettes pour usage personnel. Elle va à l’encontre de la santé publique. Aussi, je peux vous dire que je continuerai à me battre :

– je ferai tout pour que la directive européenne sur le tabac, en cours de révision à l’heure où je vous parle, soit la plus protectrice possible pour la santé publique ;

– j’irai au G8 santé qui se tient à Londres mercredi prochain et j’en discuterai fermement avec la Commission européenne et mes homologues européens.

Par ailleurs, la détermination du gouvernement pour lutter contre les trafics est sans faille. Enfin, parce que la lutte contre le tabagisme est une de mes priorités absolues, j’utiliserai tous les moyens possibles pour combattre ce fléau:

– les prix bien sûr : je souhaite que l’application de la hausse de la TVA au 1er janvier prochain se répercute intégralement sur les prix ;

– la prévention évidemment : j’ai fait voter le triplement de l’aide au sevrage tabagique pour les 20 à 25 ans ;
– l’information, enfin: une nouvelle campagne de sensibilisation destinée aux jeunes vient d’être lancée.

Les dégâts causés par le tabagisme, c’est la société toute entière qui doit en prendre conscience comme nous avons su le faire pour la sécurité routière. J’en appelle, de nouveau, à la mobilisation de tous ».

Le député de Mâcon a fait un rêve

Tous mobilisés ? Mme Touraine n’a pas été entendue sur les bancs de l’Assemblée où Thomas Thévenoud  député (PS) de Mâcon a été défait. M. Thévenoud n’était sans doute pas parvenu à se faire entendre des médias nationaux. Toujours est-il que la « presse régionale » (Bien PublicLe ProgrèsL’Est Républicain) avait fait état de son rêve : un amendement instituant  « une contribution exceptionnelle et limitée dans le temps » du chiffre d’affaires des fabricants de tabac. Le texte propose une contribution correspondant  à 6% du chiffre d’affaires pendant deux ans, « ce qui pourrait rapporter 150 millions d’euros annuels aux organismes de sécurité sociale ».

Rêve en fumée

L’élu socialiste réfute l’idée d’un report sur le prix du paquet de cigarettes en ce qu’il toucherait directement le consommateur. Il observe que les hausses de prix n’ont pas endigué la consommation (c’est un euphémisme chez les jeunes), qu’elles dopent le marché de la contrebande et de la contrefaçon et qu’elles exposent les buralistes à de nouvelles violences. Solution : taxer à la source les producteurs de produits mortifères.

La Commission européenne pourrait-elle s’y opposer ?  Trop tard. L’amendement de M. Thévenoud a été retoqué. Les députés ne l’ont pas suivi. Le gouvernement ne l’a pas soutenu.

 

(1) Le 14 mars dernier  la Cour européenne de justice s’est prononcé en ces termes après une plainte de la Commission européenne : « La France ne respecte pas les règles européennes en limitant strictement les achats de tabac à l’étranger et doit donc changer sa législation sous peine d’amendes (…) La France a manqué à ses obligations (…) en utilisant un critère purement quantitatif pour apprécier le caractère commercial de la détention par des particuliers de tabac manufacturé en provenance d’un autre État membre, en appliquant ce critère par véhicule individuel (et non par personne) et en l’appliquant de manière globale pour l’ensemble des produits du tabac ».