Bonjour
Nous traversons des temps médiatiquement bien étranges. Hier, dimanche 12 mars, la France a été abreuvée d’une affaire de vestes de garde-chasse de haute confection offertes à François Fillon. Et après ? Nul ne sait.
Quelques jours avant c’était une affaire de conflit d’intérêts qui venait jeter une ombre sur la marche vers le pont d’Arcole d’Emmanuel Macron : l’affaire dite Jean-Jacques Mourad, du nom d’un spécialiste de l’hypertension artérielle qui occupait un poste de « conseiller santé » dans le mouvement « En Marche ! ». Une semaine après l’agitation est retombée. Que peut-on raisonnablement penser de cette affaire – affaire justement résumée par site Medscape (Jean-Bernard Gervais) : « Fin de campagne pour le Pr Jean-Jacques Mourad pour cause de conflits d’intérêt ».
« Avatars anonymes »
On peut, ici, voir une affaire symptomatique de l’évolution considérable des rapports de force dans le champ du sanitaire. Medscape observe ainsi qu’il aura suffi d’un simple tweet du Formindep (Association pour une Formation et une information médicales indépendantes) pour allumer la mèche et « jeter la suspicion sur l’un des soutiens d’Emmanuel Macron » dans sa campagne.
« A propos du Pr Jean-Jacques Mourad, le Formindep écrit, dans un tweet daté du 5 mars : « Qui parle ? Le porte-parole de Macron ou le speaker de Servier » ? Et d’accompagner son propos d’une capture d’écran de la page transparence.sante.gouv. Ce site, mis en place après le scandale Servier, recense les liens d’intérêt des médecins qui travaillent pour l’industrie pharmaceutique. Le Pr Jean-Jacques Mourad y figure. Chef de l’unité médecine interne-HTA au CHU Avicenne depuis 2004, professeur de médecine à Paris 13 depuis la même année, Jean-Jacques Mourad fut aussi secrétaire scientifique de la société française d’HTA (SFHTA) en 2015.
« Entre 2012 et 2016, le site transparence.sante.gouv recense 165 avantages et 97 conventions , au nom de Jean-Jacques Mourad. La plupart lie le cardiologue à Servier, justement. En termes de frais de restaurant et de transport, Jean-Jacques Mourad aura été défrayé de plus de 80 000 euros, et aura donc participé à une ou deux conférences par mois en moyenne en l’espace de deux ans. »
Et le Pr Mourad de reconnaître bien vite « ne pas avoir fait état de ses liens avec le laboratoire Servier », ni au moment d’intégrer ce groupe, ni au cours des travaux qu’il avait pu commencer à y mener. Quelques « articles de presse » et l’homme démissionnait. Il s’en expliqua dans un communiqué de presse publié le 7 mars. Qualifiant le Formindep « d’avatars anonymes », le Pr Mourad apporte cet éclairage qui pourr être perçu comme une confession :
« Depuis des années, comme beaucoup d’experts, j’ai une activité de consultance et d’orateur pour plusieurs labos, dont Servier en particulier. Très tôt et bien avant les lois Bertrand, j’ai fait le choix du non-mélange des genres en démissionnant de toute fonction dans les agences publiques (commission de publicité du médicament et expertises pour l’ANSM). Je trouve normal et sain qu’il y ait des experts à la recherche et à l’innovation qui collaborent avec les labos d’un côté, et d’autres, à la vigilance et à l’évaluation dans les instances dédiées.»
Missions dans l’Orient compliqué
Medscape ajoute que sur le montant des frais de transport constatés sur le site Formindep, et payés par Servier (certains de ces frais sont de l’ordre de plusieurs milliers d’euros), le spécialiste de médecine interne évoque « plusieurs missions en Asie ». Sur son engagement dans le pôle santé d’Emmanuel Macron, le Pr Mourad rappelle qu’il s’est borné à s’investir dans quatre thèmes : « le remboursement à 100% des trois déficiences, le service sanitaire, la délivrance à l’unité et le rétablissement à 100% de l’HTA sévère, ce dernier point étant l’une des revendications qu’a porté le CISS (collectif de patients) à l’époque devant le Conseil d’Etat » 1.
Quant à ses liens avec le laboratoire Servier, il se cantonne, écrit-il, à « avoir une communication éthique sur leurs produits dans l’HTA ». Et d’ajouter : « Cette activité n’a aucune connexion avec le médicament Médiator bien entendu ». Que peut bien être une communication éthique rémunérée par un laboratoire pharmaceutique ? Nul ne le sait. Et comment de tels propos sont-ils interprétés dans la sphère de la confraternité ? Le Dr Olivier Véran, neurologue et homme politique était hier proche de Marisol Touraine. Il est aujourd’hui aux côté d’Emmanuel Macron et ne voit pas d’inconvénient dans cette situation. Aux antipodes du neurologue, la Dr Irène Frachon est estomaquée par cette collusion : « C’est du jamais-vu ! Je suis sidérée par le niveau d’avantages, de cadeaux et de conventions menées quasi exclusivement avec Servier, dit-elle. Ce serait bien que les candidats à la présidentielle sachent que la transparence est en marche », déclare-t-elle dans un article du Monde .
Kauf Mich ! (Achète-moi !).
Transparence ? Le candidat Emmanuel Macron, inspiré par ses conseillers, a proposé un meilleur remboursement des médicaments contre l’hypertension artérielle. C’était le 6 janvier dernier. Transparence ? « S’il perd Jean-Jacques Mourad, Emmanuel Macron conserve Bernard Mourad, nous apprend Medscape. Le frère du médecin démissionné fait lui aussi partie de la team d’En Marche ! Ancien de la banque Morgan Stanley, ancien conseiller de Patrick Drahi et patron d’Alice media group (L’Express entre autres), directeur général de SFR, Bernard Mourad a démissionné de toutes ses fonctions pour devenir le conseiller spécial de Macron en octobre 2016. Il apporte au mouvement En Marche ! sa connaissance des milieux d’affaire, et sera actif dans la levée de fonds pour mener campagne. »
Nous avons vérifié. Tout est vrai. Mais c’est aussi incomplet. En 2006 Bernard Mourad a publié un roman Les Actifs corporels. Il y met en scène un capitalisme poussé à l’extrême, où les êtres humains peuvent être cotés en Bourse sous la forme de « sociétés-personnes » dans le cadre de la « Nouvelle Économie individuelle ». Le héros, Alexandre Guyot, un consultant trentenaire, est le premier homme introduit sur le marché. L’ouvrage développe une perspective entre dystopie et critique socio-économique, que l’auteur place dans la lignée de Michel Houellebecq et de Bret Easton Ellis.
Ce roman a été traduit en allemand par la maison d’édition Ullstein, sous le titre Kauf Mich ! (Achète-moi !). Il est sorti en poche en 2007 aux éditions J’ai Lu (collection « Nouvelle génération »). Puis, en mai 2008 est publié le deuxième roman de Bernard Mourad, Libre échange. « Dans la même veine d’anticipation réaliste, l’ouvrage développe une analyse psychologique et sociale de la recherche du bonheur et de l’identité, dans un contexte d’emprise croissante du pouvoir médiatico-politique, dit la Toile. On y suit le parcours sombre et inquiétant d’un héros suicidaire qui se voit proposer d’échanger sa vie contre celle d’un autre homme. »
A demain
1 Il faut ici rappeler que l’hypertension artérielle sévère avait, par voie de décret, été sortie de de la liste des affections de longue durée (ALD) en 2011- au motif qu’elle était un « facteur de risque » et non une « maladie avérée ». Un argument alors massivement contesté par les associations de patients et les professionnels de santé. Voir « L’hypertension, nouveau symbole d’une politique de santé court-termiste et choquante » de Nicolas Postel-Vinay Slate.fr 30 juin 2011.