Journaliste : parviendra-t-il à traiter de l’affaire Vincent Lambert sans céder à la passion ?

Bonjour

« Vincent Lambert et le vol noir des certitudes ». C’est le titre d’un papier peu banal – un éditorial de Marianne signé de la directrice de la rédaction : Natacha Polony,journaliste, femme politique et essayiste. Parcours complexe et pluraliste. Il y a quatre ans a créé le « Comité Orwell », un « laboratoire d’idées » qui a pour objectif de défendre un « souverainisme populaire » contre « l’absence totale de pluralisme sur des sujets comme l’Europe, la globalisation, le libéralisme » :

« Plus encore que les autres citoyens, nous avons, en tant que journalistes, la responsabilité de défendre la liberté d’expression et le pluralisme des idées. Face à une idéologie dominante « libérale-libertaire », qui fait du libre-échange mondialisé un horizon indépassable et du primat de l’individu sur tout projet commun la condition de l’émancipation, l’association entend défendre notre héritage social et politique fondé sur la souveraineté populaire. »

Entrer dans la complexité

Natacha Polony, aujourd’hui, tente d’entrer dans l’épaisseur de la complexité de l’affaire Vincent Lambert – entreprise encore rarissime dans les médias généralistes 1.Et cite, d’entrée Friedrich Nietzsche : « Ce n’est pas le doute, c’est la certitude qui rend fou ». Une phrase qui selon elle résonne étrangement pour qui a entendu ces derniers jours s’exprimer les certitudes et la bonne conscience autour de Vincent Lambert, comme des corbeaux en vol circulaire, pour qui a entendu les cris de liesse et les expressions de supporteurs de foot de ces militants catholiques apprenant la suspension du processus d’arrêt des traitements sur décision d’une énième cour d’appel. »

Elle cite aussi les « on a gagné » hurlés avec rage, la « remontada » revendiquée par l’un des avocats des parents de Vincent Lambert qui « donnent une idée non pas seulement de l’indécence mais surtout de la folie à laquelle peuvent conduire des convictions quand elles veulent effacer la complexité du réel ». Sans oublier le camp d’en face et ses mortelles évidences, l’obtention d’un droit au suicide médicalement assisté ; la promulgation en France d’une loi belge qui hierarchiserait les personnes ayant à décider de la vie ou pas d’un proche (« la femme avant les parents ») ; ou cette autre loi belge qui autorise l’euthanasie – y compris sur des mineurs ou des majeurs souffrant de dépression et de mélancolie. des personnes.

« L’affaire Vincent Lambert parle à notre humanité commune. La situation tragique de cet homme, les déchirements de sa famille, réveillent en nous des angoisses universelles, écrit encore Natacha Polony.  C’est précisément pour cette raison que les certitudes des uns et des autres nous agressent. Pour cette raison que les discours politiques nous semblent d’un clientélisme déplacé. Quiconque s’aventure en ces contrées intimes et incertaines ne peut le faire qu’avec l’humilité de celui qui ne sait pas. » Or la passion est ici comme ailleurs, radicalement incompatible avec l’humilité.  

« Nous ne savons pas ce que vit, ressent ou ne ressent pas Vincent Lambert. Aucun médecin, même, ne le sait véritablement, tant les contours de la conscience nous sont encore flous. Evitons donc de projeter nos fantasmes sur ce visage dans lequel nous ne pouvons lire que l’insondable mystère du vivant. Quelles que soient nos convictions, ce corps nous bouscule, nous déstabilise, nous pousse dans nos retranchements. La plupart d’entre nous, sans doute, y voient l’image même de ce qu’ils ne veulent pas vivre, de sorte que, si cette affaire a une conséquences, elle sera de faire progresser en France l’adhésion à toute idée de ‘’mort douce’’ et de ‘’droit de mourir dans la dignité’’ sans que toutefois les concepts ne soient analysés. Mais, justement, ce sont ces concepts qu’il nous faut expliciter. »

Collèges des jésuites

On sait, depuis des années que rien n’est simple dans l’affaire Vincent Lambert. Et que rien ne pourra jamais l’être 2. La chronologie de la tragédie (et la faute inaugurale de mai 2013) ; les incertitudes sur son niveau exact de conscience ; la confusion, plus ou moins sciemment entretenue, dans les termes utilisés (« soins », « traitements », « nutrition/hydratation ») – ce qui autorise ou pas d’invoquer l’ « acharnement thérapeutique » ou l’ « obstination déraisonnable ». Or, écrivons-le : on observe, depuis des années, un traitement médiatique de cette affaire qui ne parvient guère à faire la part entre, d’un côté, un exposé des faits et des concepts et, de l’autre, l’exposé de la passion qui pourrait trouver sa place dans des éditoriaux et autres commentaires. La passion s’insinue presque partout, pèse le déroulé de la tragédie et cherche à peser sur son issue, à la précipiter.

Un traitement avec une majorité médiatique soutenant (plus ou moins ouvertement) « l’épouse » contre « les parents », le camp du « non-acharnement » contre les « catholiques traditionnalistes »…. Un traitement emprunt de passion plus ou moins consciente. Un traitement qui, le moment venu, vaudra d’être décrypté et analysé dans les écoles de journalisme – sinon dans les collèges des jésuites. Sans parler des facultés de droit puisque c’est bien in fine cette matière qui (du fait des conflits de ceux qui la servent et des contradictions qui en résultent) est à l’origine de « l’indignation » que vient de manifester  le  Syndicat national des praticiens hospitaliers en anesthésie et réanimation (SNPHARE).

« Ce n’est pas le doute, c’est la certitude qui rend fou » ? On trouve cette phrase dans Ecce homo, dernier ouvrage original de avant la période de démence des dernières années de Nietzsche, dix dernières années dans un état mental, dit-on, « quasi végétatif ».

A demain

1 Une exception notable : « Le grand face-à-face » (France Inter, samedi 25 mai) et son invité : Frédéric Worms. « Que dit de nous l’affaire Vincent Lambert ? Pourquoi est-il si difficile d’avoir un débat démocratique sur des sujets qui nous concernent tous ? Nous recevons Frédéric Worms, philosophe, professeur à l’Ecole normale supérieure et membre du Conseil consultatif national d’éthique. »

 2 « Dans l’affaire Vincent Lambert, la bonne réponse n’existe pas. Le dernier rebondissement de ce dossier médico-légal sans précédent impose un constat: la justice ne parviendra pas à parler d’une seule voix et la médecine restera dans l’impasse. » Slate.fr 22 mai 2019

3 En mai 2013, un premier arrêt des traitements avait été interrompu au bout de trente et un jours sur injonction du tribunal administratif, saisi par les parents de Vincent Lambert, au motif qu’ils n’avaient pas été informés de cette décision.

 

Vin, alcool et alcoolisme : Agnès Buzyn a choisi, désormais, de ne plus « emmerder les Français »

Bonjour

Alcoolisme : il n’y aura finalement pas d’affrontement entre Emmanuel Macron et Agnès Buzyn. Tout laissait penser le contraire. Souvenons-nous. Le président de la République avait glissé à des paysans qu’il « buvait du vin ». Et qu’il en buvait « midi et soir ». Et que lui président la loi Evin resterait, sur ce point, « détricotée ». C’était un violent retour de bâton contre Agès Buzyn : quelques heures auparavant la ministre des Solidarités et de la Santé avait osé dire, à la télévision, tout le mal qu’il fallait penser de l’alcool en général – du vin en particulier.

Une vive polémique avait suivi opposant les soignants prenant en charge les victimes de l’alcoolisme et les militants-chroniqueurs du « savoir bien boire » – au premier rang desquels Natacha Polony (Le Figaro) et Périco Légasse (Marianne). Polémique sans espoir chaque camp muré dans ses convictions et ses dénis.

Agnès Buzyn avait, quant à elle, pris grand soin de ne pas heurter à nouveau le locataire du Palais de l’Elysée. La voici qui réapparaît : sur France InterLe MondeFrance Info dans l’émission « Questions politiques » de ce 25 mars. Invitée à réagir (49 ‘) sur les propos d’Emmanuel Macron la tançant, Agnès Buzyn prend soin de dire qu’elle aussi « boit du vin », quelle « aime beaucoup le vin » dans les « moments conviviaux » mais qu’elle  « connaît parfaitement les limites à ne pas dépasser ». Puis elle ajoute :

« Sur le vin, on a deux façons de voir le sujet. Soit on le voit du côté du patrimoine français et ça fait partie de notre patrimoine, de notre culture, de notre savoir-faire.  Soit on le voit du côté de la santé publique et c’est le problème de l’alcoolisme, avec 2,5 millions de personnes dépendantes, les maladies, les violences intra-familiales, les violences routières. Ce sont deux réalités qui existent, il faut les faire se rencontrer, et pour moi la clé c’est l’information. Après les gens sont libres de faire ce qu’ils veulent. 

 « Le Président a raison quand il dit qu’il ne faut pas emmerder les Français. Les Français n’ont pas besoin d’être emmerdés, mais faire de la pédagogie et de l’information, ça n’emmerde personne et c’est ma façon de faire de la santé publique. »

C’est aussi une vieille, une très vieille façon de faire de la politique. Et, malheureusement, avec ce verbe du premier groupe qui ne lui sied guère, de changer de registre de langage – en pensant séduire ainsi ceux que l’on ne connaît pas. L’un des outils séculaires du populisme.

A demain

La sédation profonde opposée à l’euthanasie. Lançon (Charlie Hebdo) vs Jauffret (Marianne)

Bonjour

Etape majeure. Ce sont des documents pratiques essentiels que vient de rendre publics la Haute Autorité de Santé : « Comment mieux accompagner les patients en fin de vie ? ». Nous sommes ici dans le cadre de la dernière loi pour les malades et les personnes en fin de vie (dite loi « Claeys-Leonetti »). La HAS a notamment élaboré un « guide de référence sur la sédation profonde et continue maintenue jusqu’au décès » – l’une des pratiques sédatives à visée palliative en fin de vie. Ce document permet (enfin) de clarifier les termes de la loi et décrit les modalités et l’organisation nécessaire pour mettre en œuvre cette sédation.

« La sédation profonde et continue maintenue jusqu’au décès (SPCMD) permet une altération de la conscience qui sera poursuivie jusqu’au décès. Encadrée par la loi, elle peut être mise en œuvre à l’initiative des professionnels ou à la demande d’un patient, au cours de situations précises, dans un établissement hospitalier, au domicile ou en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes. »

Pour en finir avec les accusations récurrentes d’hypocrisie la HAS explique, simplement, les différences entre cette « sédation profonde » et l’euthanasie. « Six caractéristiques différencient la sédation profonde et continue maintenue jusqu’au décès de l’euthanasie : l’intention, le moyen pour atteindre le résultat, la procédure, le résultat, la temporalité et la législation. » Résumons.

Intention : d’un côté « soulager une souffrance réfractaire », de l’autre « répondre à la demande de mort du patient »

Moyen : « Altérer la conscience profondément » ;  « Provoquer la mort »

Procédure : « Utilisation d’un médicament sédatif avec des doses adaptées pour obtenir une sédation profonde » ; « Utilisation d’un médicament à dose létale »

Résultat : « Sédation profonde poursuivie jusqu’au décès dû à l’évolution naturelle de la maladie » ;  « Mort immédiate du patient »

Temporalité : « La mort survient dans un délai qui ne peut pas être prévu » ; « La mort est provoquée rapidement par un produit létal »

On rappellera, enfin, que la sédation profonde est, en France, autorisée par la loi quand l’euthanasie est illégale considérée comme un homicide, un empoisonnement voire un assassinat

Répétons-nous : « Comment mettre en œuvre une sédation profonde et continue maintenue jusqu’au décès ? » est un document essentiel et la HAS doit être félicitée d’avoir pu mener un travail d’une telle rigeur, d’une telle clarté. Le guide qu’elle a élaboré  décrit les situations dans lesquelles cette sédation peut être mise en œuvre et la conduite à tenir avant de la réaliser pour vérifier que les conditions prévues par la loi sont remplies. Il s’attache à identifier les contraintes organisationnelles et propose les conduites thérapeutiques et de surveillance. Le soutien des proches et des professionnels est essentiel et également décrit. Les stratégies médicamenteuses seront bientôt précisées par une recommandation de bonne pratique en cours de réalisation.

La salve critique de Libé

Tout le monde ne partagera pas ce point de vue. A commencer par les militants extrêmes du « droit de mourir dans la dignité ». On trouvera la première méchante salve critique dans Libération  de ce 15 mars : « Fin de vie : la Haute Autorité de santé veut fermement encadrer la sédation terminale »(Eric Favereau) :

« Avec la loi Leonetti-Claeys de 2016 sur la fin de vie, le législateur avait laissé un certain flou autour de cette nouveauté que constituait «la sédation profonde et continue maintenue jusqu’au décès». La Haute Autorité de santé a voulu le lever. Rendues publiques ce jeudi, ses recommandations portent une vision restrictive de cette avancée, en créant une frontière stricte entre ladite sédation qui vise à faire dormir et l’euthanasie qui vise à provoquer le décès. Mais est-ce possible ? Y a-t-il vraiment une limite ? Une fin de vie médicalisée est souvent complexe. Entre le «laisser mourir» et «le faire mourir», la frontière est ténue. Lorsqu’on arrête un respirateur artificiel avec un fort sédatif, n’est-on pas déjà dans le faire mourir ? »

 « Tout n’est pas réglé, car les mots peuvent être interprétés » ajoute l’auteur. Sans aucun doute. On conseillera toutefois à notre confrère de relire, calmement, les documents de la HAS avant de tenter de la condamner. On peut aussi, outre Libération, se reporter à deux hebdomadaires qui, hasard ou fatalité, traite l’un et l’autre du sujet de manière remarquable. Ce sont deux témoignages puissants, deux textes écrits signés par un journaliste l’autre par un écrivain. Le premier, dans Charlie Hebdo (14 mars 2018) est de Philippe Lançon. Le second, dans Marianne (du 9 au 15 mars 2018)  est de Régis Jauffret. Dans « La chambre de mon père » Lançon rapporte, avec une délicatesse extrême, les conditions du départ de son père pris en charge par des spécialistes des soins palliatifs. Une mort qui coïncidait avec la publication de la tribune de 156 députés (majoritairement proche du Président) réclamant, dans Le Monde, une modification en urgence de la loi et un droit à l’euthanasie.  Il faut, sur ce point, lire le chemin accompli par Lançon.

Dans Marianne le texte de Régis Jauffret est intitulé « Une intraveineuse de penthotal ». Cela se termine à Lausanne. Brutal.

A demain

 

 

Tragique: «L’Obs» devient «L’Obsolète». La dynamique du «Monde Diplomatique »

 

Bonjour

Il ne faudrait jamais licencier certains journalistes. C’est le cas d’Aude Lancelin, « talentueuse directrice adjointe de L’Obs ». On peut la présenter ainsi :

« Aude Lancelin  née en 1973 à Tours, compagne de Frédéric Lordon. Ancienne élève du lycée Henri IV, en hypokhâgne et khâgne, puis étudiante à la Sorbonne-Paris IV, agrégée de philosophie, enseigne dans un établissement classé ZEP de l’Essonne.

 « Engagée en 2000 par le Nouvel Observateur, où elle couvre les domaines de la culture et des idées. Réalise de nombreux entretiens avec les philosophes contemporains. Parallèlement, collabore aux émissions télévisées Culture et dépendances (France 3) et Postface (i-télé, Canal+).

« Relève en 2010 que Bernard-Henri Lévy a cité naïvement (elle parle d’« autorité du cuistre ») un auteur imaginaire, Jean-Baptiste Botul, dans un ouvrage alors à paraître – ce qui provoque une vague de réactions amusées ou consternées. En août 2011, elle rejoint Marianne, en tant que directrice adjointe de la rédaction, responsable des pages « Culture » et « Idées » de l’hebdomadaire.

« En 2014, à la suite de la nomination de Matthieu Croissandeau à la direction de la rédaction, elle revient à L’Obs. Est licenciée par M. Croissandeau en mai 2016. Cette décision est, selon Mediapart imposée par les actionnaires, en l’occurrence Claude Perdriel et Xavier Niel. Elle est présentée comme un ‘’choix managérial’’, mais une grande partie de la presse y voit des motivations politiques : Claude Perdriel a en effet ouvertement reproché à Aude Lancelin d’avoir publié des textes « anti-démocratiques », c’est-à-dire trop à gauche, dans les pages « Débats » de L’Obs et d’avoir soutenu le mouvement Nuit Debout.

« Le fait que le compagnon d’Aude Lancelin soit Frédéric Lordon, figure de la gauche de la gauche, pourrait aussi avoir motivé l’éviction. Le 25 mai 2016, une quarantaine d’intellectuels publient dans Libération une lettre de protestation contre le licenciement d’Aude Lancelin . »

Plan média

Le plus généralement les journalistes licenciés (ou « invités à partir ») gardent le silence. Tel n’est pas le cas d’Aude Lancelin. Elle va publier « Le monde libre » (19 euros). Elle y narre, vu  de l’intérieur « la dérive du système médiatique français ». Voici ce qu’en dit (extraits) Livres Hebdo :  

« On se demandait qui allait éditer le livre d’Aude Lancelin, ancienne directrice adjointe de L’Obsdont le licenciement avait fait grand bruit fin mai. Ce sont Les liens qui libèrent qui, après avoir réussi à garder le secret jusqu’à cette fin de semaine, publieront le 12 octobre Le monde libre avec un tirage de 14000 exemplaires dont 10000 seront mis en place. Dès ce dimanche 9 octobre, le plan média démarre avec une interview dans le JDD.

« Elle raconte de l’intérieur la dérive du système médiatique français avec l’histoire de la numéro deux d’un hebdomadaire de gauche qui s’appelle L’Obsolète, dirigé par un certain Jean Joël. Elle fustige « la décadence d’un métier,  les opérations de police intellectuelle et le socialisme d’appareil à l’agonie » et trace de durs portraits de Manuel Valls « petit homme colérique aux idées simples devenu l’enfant chéri de l’Obsolète » ou Bernard-Henri Levy, « le sentencieux maître à penser de l’Obsolète ».

« La force de ce texte est qu’il est l’expression d’une époque, explique Henri Trubert, son éditeur. On voit comme les théories de management ont envahi les rédactions, le glissement des médias mais aussi de la gauche qui emprunte ses valeurs et concepts à la droite. » »

« Les Valls et les Macron »

Dans Le Journal du Dimanche (groupe Lagardère) l’ancienne de L’Obsolète cogne dur. L’hebdomadaire dominical du groupe Lagardère « a décidé de donner la parole à Aude Lancelin car son ouvrage «  bien au-delà des portraits cruels de journalistes et intellectuels parisiens, pose à sa manière le problème de la liberté d’expression ». « Aude Lancelin : « Il y a un trou d’air dans la vie intellectuelle française  » » (propos recueillis par Marie-Laure Delorme) – sur abonnement. On y lit des choses désespérantes, que L’Obs est devenu le nom de la gauche officielle, prétendument « sociale-démocrate », en réalité néolibérale et autoritaire, « une gauche obligée de mentir en permanence sur elle-même », mais dont « plus grand monde n’est tout à fait dupe désormais ».

Aude Lancelin a écrit un pamphlet, œuvre contestataire 1 et non « entreprise de dénigrement systématique ». Elle dénonce le « monde Uber » et le « monde El Khomri » prônés « par les Valls et les Macron ». Et elle n’a pas « assuré ses arrières », pas assuré son « avenir professionnel ». Ce serait, en somme, une fin.

« Ce livre est évidemment une lettre d’adieu à ces lieux que l’on appelle encore journaux par habitude, mais où l’esprit a été vaincu, où les combats de sont plus que d’apparence. Pour autant ce n’est nullement un adieu à ce métier. Les journalistes étouffent, nous sommes nombreux à ne plus supporter d’être les hochets de géants des télécoms intrumentalisant la presse à leurs propres fins. Avec l’aide des lecteurs, eux aussi spoliés, une autre histoire reste à écrire ».

« Notre vigueur découle de votre appui »

Hasard ou fatalité, on lit ceci dans le dernier numéro du Monde Diplomatique :

« Depuis deux ans, la diffusion du Monde diplomatique s’est nettement redressée  ; le nombre de ses abonnés atteint un record historique ; la situation de ses finances n’inspire plus d’inquiétude. Un tel rétablissement détonne dans le paysage de la presse et dans le climat idéologique actuel. Il tranche en particulier avec le délabrement éditorial et économique de la plupart des périodiques, dont certains ne diffèrent leur trépas qu’en se transformant en prime numérique du géant des télécoms qui les possède. Notre santé contraste également avec la situation politique et idéologique générale. (…)

«  Depuis 2009, nous avons fait appel à vous pour mener ce combat éditorial et politique. Le résultat est là, puisque notre vigueur découle de votre appui. La période qui s’annonce réclamera plus que jamais que notre voix porte. Votre contribution aura donc également pour avantage de prévenir tous les dynamiteurs du bien commun que leur offensive nous trouvera sur leur chemin.,Soutenez-nous ! Le Monde diplomatique  ambitionne de faire vivre un journalisme affranchi des pouvoirs et des pressions. Une liberté qu’il doit essentiellement à ses acheteurs et abonnés. »

Peut-être faudrait-il, parfois, licencier certains journalistes. Ou les inviter à quitter ces lieux que l’on appelle encore journaux. Par habitude.

A demain

1 Sur ce thème, le remarquable : « L’âge d’or du pamphlet », de Cédric Passard. CNRS éditions. 25 euros.

 

Censure : les psychiatres US ne peuvent plus parler de la santé mentale de Donald Trump.

 

Bonjour

« Trump chez les psys ». L’affaire, croustillante, commençait à prendre corps. Enfin un sujet politique personnalisé de santé mentale et publique. Et le tout en amont des élections. L’affaire aurait régalé le Dr Pierre Rentchnick, auteur de « Ces malades qui nous gouvernent » et qui vient de nous quitter 1.

« Ce malade qui nous gouvernera » ? Dans les médias, plusieurs psychologues, psychiatres, politiques et journalistes suggèrent ou établissent des diagnostics sur la santé mentale de Donald Trump.  Mieux, début août, une députée (démocrate) de Californie lançait  une pétition pour demander une évaluation de la santé mentale du candidat républicain Donald Trump. Le texte a déjà été signé par cent mille citoyens.

«Notre campagne #DiagnostiquezTrump est une tentative très sérieuse pour attirer l’attention sur le comportement imprévisible, choquant et souvent compulsif de Trump», explique la députée Karen Bass.

Narcisse à la Maison Blanche

Dans les médias et les réseaux sociaux, des professionnels de la psychiatrie et des journalistes non spécialistes s’aventurent à diagnostiquer Trump: les termes «trouble de personnalité narcissique» et «sociopathe» reviennent souvent.

Un professeur de médecine de Harvard a récemment osé tweeter: «Trouble de personnalité narcissique. Non seulement Trump en souffre, mais il en est la définition même.»

Trop, c’est trop.  Il faut savoir raison et pré carré garder. Le Dr. Maria A. Oquendo , présidente de l’Association Américaine de Psychiatrie (AAP) a publié un communiqué pour condamner  cette pratique de diagnostic à distance :  « Stop Psychoanalyzing Trump From Afar, Psychiatrist Commands Other Psychiatrists »

«L’atmosphère unique de cette campagne électorale peut conduire certains à vouloir psychanalyser les candidats, mais il s’agit d’une pratique non seulement contraire à l’éthique mais aussi irresponsable.»

Avoir confiance dans la psychiatrie de son pays

 Le sujet n’est pas neuf. On l’avait abordé en France, avec Marianne, via Nicolas Sarkozy. Il avait déjà fait débat aux Etats-Unis pendant l’élection présidentielle de 1964, lorsque le magazine Fact  avait demandé à des milliers de psychiatres si le candidat républicain plus que conservateur Barry Goldwater (1909-1998) était psychologiquement apte à être président. Plus de mille psychiatres avaient déclaré qu’il en serait incapable, et Goldwater avait par la suite gagné un procès pour diffamation contre le magazine.  Puis l’affaire avait, en quelque sorte,  fait jurisprudence psychiatrique.

Risque majeur pour l’AAP : «éroder la confiance du public dans la psychiatrie». D’où cette règle quasi-ordinale :

«Il arrive qu’on demande aux psychiatres leur opinion concernant une personnalité publique et médiatique. Dans ces circonstances, un psychiatre peut partager son expertise sur des questions psychiatriques générales. En revanche il n’est pas éthique pour un psychiatre de donner une opinion professionnelle sans avoir examiné la personne en question et sans avoir obtenu l’autorisation de diffuser tout commentaire.»

 A la veille de nos primaires il ne serait pas inutile que le Conseil national français de l’Ordre des Médecins précise ce qui peut (ou ne peut pas) être dit dans les médias quant à la santé mentale de ceux qui entendent nous gouverner.

A demain

 1 « Le Dr Pierre Rentchnick est décédé il y a quelques jours, peu avant son 93e Figure importante du développement de la coopérative Médecine et Hygiène, dont il a participé à l’aventure dès sa création en 1943, le Dr Rentchick a été rédacteur en chef de la revue Médecine et Hygiène durant 37 ans, de 1956 à 1993. D’une curiosité scientifique et médicale hors norme, il a toujours fait de la Revue un lieu d’information et de discussion indispensable à la communauté médicale romande.

« De tout temps, il a eu un intérêt marqué pour l’histoire médicale et la relation intime qui a existé entre la maladie et les hommes et femmes politiques importants. Ses articles sur ce sujet restent dans toutes les mémoires et deux grands livres, au succès immense et traduits dans de nombreuses langues, auront marqué son époque : « Ces malades qui nous gouvernent » et « Les orphelins mènent-ils le monde ? ».

Jean-François Balavoine, Bertrand Kiefer ; Rev Med Suisse 2016;1303-1303

Nicolas Sarkozy : addict aux sucres. Donald Trump sait-il qu’il souffre d’une grave sociopathie?

Bonjour

Démocratie. Voici le temps venu des interrogations sur la santé mentale de ceux qui entendent nous gouverner. C’est un progrès. Nicolas Sarkozy nous confie aujourd’hui être addict au sucre – et réaffirme ne jamais boire (ni avoir jamais bu) d’alcool. En mars 2011, souvenons-nous, plusieurs médias demandaient s’il n’était pas fou – comme Marianne qui réclamait (sic) une psychanalyse  du président de la République. C’était au temps où Jean-François Kahn et Guillaume Durand officiaient encore, le second invitant l’autre sur France 2.

Marianne avait posé la même question diagnostique quant à la psyché de Nicolas Sarkozy en 2004. Sans succès. Les mêmes causes (supposées) produisant généralement les mêmes effets on retrouve l’équation sous une nouvelle présentation. On accuse ainsi l’ancien président de la République française, patron de « Les Républicains » de « trumpiser » la vie politique tandis que, de l’autre côté de l’Atlantique, les médias s’interrogent ouvertement sur l’équilibre mental du candidat républicain.

Le Figaro (Philippe Gélie) nous offre une délicieuse petite synthèse diagnostico-médiatique sur le sujet : « Quand la presse américaine spécule sur la santé mentale de Donald Trump ». Le correspondant à Washington du vieux quotidien de droite a observé ce qu’il appelle, avec les pincettes d’usage, « les allusions à la personnalité problématique du candidat républicain ». Des allusions qui, en cet été 2016, « fleurissent dans les médias de tous bords ». Où l’on voit un amuseur public en route vers les frontières qui séparent le normal du pathologique psychiatrique.  Avec, dans les médias, »des mises en causes – implicites et explicites – de sa santé mentale ».

Dictateur incontrôlable

 «Donald Trump est-il carrément fou?», s’interroge Eugene Robinson dans sa chronique du Washington Post. « Il y énumère les derniers mensonges du candidat, si grossiers qu’ils ont été dévoilés en cinq minutes: celui d’une prétendue rencontre avec Vladimir Poutine qui n’a jamais eu lieu, celui d’une lettre soi-disant envoyée par la Ligue de football (NFL) pour décaler les débats, etc. » rapporte Le Figaro.

Robinson est un «libéral» (de gauche), opposé à Trump. « Mais quand, dans le même journal, Robert Kagan, figure des néoconservateurs, proclame «Quelque chose ne tourne pas rond chez Donald Trump», c’est potentiellement plus embarrassant pour le candidat républicain, ajoute Philippe Gélie. D’autant que l’auteur n’y va pas de main morte: ‘’Le vrai problème, écrit-il, est que cet homme ne peut pas se contrôler. (…) Certaines de ses insultes sont politiquement incorrectes, d’autres sont juste puériles. Il se peut que le politiquement incorrect soit un effet secondaire de sa maladie.’’  S’il était élu, estime Kagan, ‘’les déficiences de sa personnalité seraient le facteur dominant de sa présidence». Ce qui ferait de Trump, selon lui, une sorte de «dictateur au tempérament dangereusement instable que personne, pas même lui, ne peut contrôler’’.

Il y, a aussi, le   long et glaçant portrait à charge paru dans le New Yorker  que nous évoquions ici même il y a quelques jours. Une histoire « de porc et de rouge à lèvres ». Que reste-t-il une fois que l’on a fini de démaquillé ?

Vouvray et Quarts-de-Chaume

 Il faut encore compter avec  The Atlantic qui a  confié à son spécialiste des questions médicales  (le Dr. James Hamblin) une longue analyse psychologique de l’homme qui se voit sur le trône de la Maison Blanche. Diagnostic-couperet: sociopathe: «Trouble de la personnalité caractérisé par le mépris des normes sociales, une difficulté à ressentir des émotions, un manque d’empathie et une grande impulsivité.» Sur le site du quotidien conservateur The Wall Street Journal, le chroniqueur Bret Stephens s’inquiète «d’une dimension sadique dans (son) caractère». Pour certain on est sur un trouble narcissique de la personnalité 1.

Sur MSNBC, où il présente la matinale, Joe Scarborough, ancien élu républicain de Floride, dramatise la confidence qu’il aurait reçue selon laquelle, lors d’un briefing avec un expert des questions internationales, Trump aurait demandé à trois reprises: «Pourquoi avons-nous des armes nucléaires si on ne peut pas s’en servir ?»

C’est une vraie question, autrement plus lourde de conséquences que l’addiction aux desserts sucrés non accompagnés de Vouvray moelleux. On a les Quarts-de-Chaume que l’on peut.

A demain

1 Une élue démocrate a lancé une pétition sur le site Change.org pour que le candidat républicains à la présidence des Etats-Unis subisse une expertise psychiatrique approfondie.. « Il est de notre devoir patriotique de soulever la question de sa stabilité mentale de  a indiqué Karen Bass. Les 28 000 signataires (à ce jour) estiment que Trump est « dangereux », notamment à cause de son « impulsivité » et de son « incapacité » à contrôler ses émotions. Selon Karen Bass, Donald Trump présente tous les signes d’un trouble narcissique de la personnalité (NPD). Le hashtag #DiagnoseTrump a été lancé sur Twitter pour relayer la pétition.

 

 

«Pass’contraception» : de quoi sa suppression peut-elle raisonnablement être le nom ?

 

Bonjour

Au départ c’est un scoop à retardement de Marianne (Delphine Legouté). « Le « Pass contraception » supprimé en toute discrétion par la majorité de Pécresse ». Depuis quelques heures l’affaire grésille sur les fils.

En toute rigueur il faudrait parler du « Pass’prévention-contraception » ; un dispositif, lancé en 2010 par Ségolène Royal en Poitou-Charentes.

« Que vous soyez une fille ou un garçon, le Pass prévention contraception vous permet d’accéder gratuitement à la prévention en matière de santé sexuelle, à la contraception et au dépistage des Infections Sexuellement Transmissibles (IST), accompagné(e) par un professionnel de santé. Il s’agit d’un chéquier comportant 7 coupons correspondant chacun à une prestation délivrée par un professionnel de santé, pour un suivi médical et la délivrance de tout type de contraceptif pour une durée moyenne d’un an.

 « Les consultations médicales sont des étapes incontournables du parcours car les prestations concernées sont délivrées sur ordonnance (hormis les préservatifs féminins et masculins). »

Droite conservatrice

 En pratique ce dispositif  est proposé aux jeunes, garçons et filles dans les lycées, les centres de formation d’apprentis (CFA), les établissements régionaux d’enseignement adapté (EREA) et les maisons familiales rurales (MFR). Le chéquier est remis de manière confidentielle, par un référent adulte identifié au sein du lieu de diffusion.

Qu’a bien pu révéler Marianne qui fasse tant de bruit ? Que la majorité de droite à la tête de la région Ile-de-France a annoncé, lors de la séance plénière du conseil régional du 7 avril, la suppression du Pass’ contraception,. L’opposition a aussitôt condamné une politique jugée typiquement conservatrice. 

« Trente ans après la mort de Simone de Beauvoir, Valérie Pécresse met fin au Pass’ Contraception » a observé-condamné la ministre de l’Education nationale, Najat Vallaud-Belkacem, qui connaît ses classiques féministes. Moderne, elle l’a fait sur son compte Twitter.

Auvergne-Rhône-Alpes  touchée ?

L’association « Osez le féminisme ! » a quant à elle protesté dans un communiqué en élargissant la cartographie des indignations :

« Les régions Ile-de-France et Auvergne-Rhône-Alpes, toutes deux présidées par des élu-e-s Les Républicains, viennent d’annoncer la suppression du Pass Contraception, outil d’accès gratuit et anonyme à la contraception pour les jeunes de 14 à 25 ans, pour des motifs budgétaires. (…)

 Anonyme et gratuit, le ‘’Pass Contraception’’ permet de toucher un public qui rencontre des difficultés (économiques, familiales etc.) dans son parcours de santé et sa sexualité. (…) Supprimer le Pass contraception, c’est pénaliser, une fois de plus, les plus précaires.

Dans le contexte actuel, où des centres IVG disparaissent, où les Plannings familiaux manquent de ressources, et où les cours d’éducation sexuelle reposent largement sur la bonne volonté des établissements scolaires, la suppression des Pass Contraception signe un vrai recul. Osez le Féminisme ! s’insurge que des responsables politiques fassent des économies sur la santé des jeunes !

Nous demandons à Valérie Pécresse et à Laurent Wauquiez de préserver cet outil, et même de le promouvoir davantage dans les lieux où il est diffusé. »

Mme Pécresse est-elle féministe ?

Le Planning familial est, comme on peut aisément l’imaginer,  très critique. « Les agissements de Valérie Pécresse ne nous permettent pas de confirmer son féminisme », affirme Veronica Noseda,  coordinatrice nationale. Ce qui mériterait d’être développé.

Idéologie ou pragmatisme ?  Valérie Pécresse fait valoir que ce dispositif est « un échec » (seuls 2.000 dispositifs ont été demandés) et qu’à ce titre il n’avait plus lieu d’être. La ligne budgétaire supprimée s’élève à environ  20 000 euros. Les autres budgets de la région consacrés à la contraception ou à l’interruption volontaire de grossesse sont maintenus ou augmentés. Mme Pécresse :

« Pour 500 lycées publics, ça fait 40 euros par lycée, soit 4 centimes par lycéen. Ces 20 000 euros étaient inscrits au budget mais pas dépensésIl y a un double langage : celui qu’on tient dans les hémicycles et dans les médias (…), et il y a la réalité des discours et des actions. »

Sévère bilan de l’IGAS

Si elle est attaquée par Marisol Touraine, ministre de la Santé, Mme Pécresse pourra rétorquer qu’un rapport (à bien des égards remarquable) 1 de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) réalisé à la demande de Mme Touraine avait, il y a un an, dressé un bilan d’une particulière sévérité (en annexe 4). Extrait :

« Le taux de recours au ‘’Pass’’ est relativement bas. Il varie sensiblement selon les régions en fonction de la manière de calculer la population éligible et des variations du volume de bénéficiaires mais, malgré ces différences, il est partout très bas. Ainsi d’après l’étude GAAP menée en 2014, parmi les quatre régions étudiées (cf. Poitou-Charentes, Rhône-Alpes, Aquitaine et Pays de Loire), le volume de ‘’Pass’’ distribués rapporté à la population éligible est inférieur à 4 % dans toutes les régions et le taux d’utilisation des chéquiers distribués est toujours inférieur à 50 % et parfois même inférieur au quart comme en Rhône-Alpes ; enfin, à peine plus d’un quart des coupons sont dépensés parmi les rares chéquiers utilisés(à savoir en priorité la délivrance des contraceptifs puis ensuite le coupon prévu pour la première contraception). L’analyse plus détaillée de la situation en Rhône-Alpes montre même que le taux de recours serait proche de 0,1 %. »

Comme souvent la polémique, superficielle, cache l’essentiel : les failles majeures et chroniques d’un « enseignement », ou plus précisément des prises de paroles, d’échanges, à visée pédagogiques sur la sexualité et ce au fil des années de scolarité. Distribuer ou éduquer ? Mme Najat Vallaud-Belkacem a-t-elle quelques idées sur le sujet ?

A demain

1 Ce rapport est disponible à cette adresse « L’accès gratuit et confidentiel à la contraception pour les mineures ». Ses auteurs sont Stéphanie Dupays, Catherine Hesse, et Bruno Vincent, membres de l’inspection générale des affaires sociales

Viandes et cancers : la «barbaque industrielle», par Périco Légasse; Yves-Marie Le Bourdonnec, «meilleur boucher de Paris»

Bonjour

Car la vraie viande, elle, ne ment pas. C’est dans Marianne : « Non, la bonne viande n’est pas cancérigène, c’est la barbaque industrielle qui l’est ». Ce poulet est signé de Périco Légasse qui s’installe chaque jour un peu plus dans le paysage aujourd’hui de plus en plus délaissé de la chronique gastronomique. M. Légasse rebondit sur un sujet d’actualité : le classement des viandes rouges et transformées dans les grilles officielles des substances cancérogènes. L’auteur se distingue de la lecture généralement faite dans la presse du rapport du Centre international de recherche sur le cancer (CIRC). Extrait:

« Publié cette semaine, le rapport du CIRC basé sur dix études (sur 800), indique que la consommation quotidienne de 50g de viande fraîche transformée (bœuf, porc, agneau, volaille), cuisinée, accroît le risque de cancer colorectal de 18%. Or ces études se réfèrent à des données provenant à 90% des Etats Unis, où la consommation de viande, sur le fond et sur la forme, n’est en rien comparable à la nôtre. »

 La flamme américaine 

« La ration moyenne du steack américain est de 400 à 500 g, en France elle est de 100 g. Leur viande rouge est riche en calories (500 ca pour 100g contre 200 ca de moyenne en France), avec un taux de lipides de 24% là-bas contre 4% chez nous. Nous ne mangeons pas la même chose.                 

L’Américain cuit sa viande à la flamme vive (grill, barbecue) provoquant la formation d’hydrocarbures polycycliques issus de la carbonisation des graisses et des protéines. Le Français, lui, déguste sa viande saignante, ou bleue, et parfois crue (tartare). Enfin, le cheptel américain est nourri au tourteau de soja OGM à haute dose (car cela engraisse rapidement l’animal) assorti d’hormones et de compléments alimentaires chargés de chimie. »

L’aune de nos réalités

« De temps en temps, des organismes autorisés s’autorisent à nous faire peur » écrit Périco Légasse. Il s’autorise, pour sa part, à caricaturer un sujet qui ne le mérite pas :

« Donc le bifteck tue. Si l’on creuse un peu, la salade aussi, voire le fromage et pourquoi pas l’eau ? Tout dépend de ce que l’on mange, de comment on le mange, de combien on en mange et d’où ça vient. Mais il faudrait peut-être cesser de proclamer des contrevérités et des approximations comme s’il s’agissait d’évidences scientifiquement établies (…) le contenu du dossier sur la viande rouge mérite d’être rectifié à l’aune de nos réalités. »

L’aune de nos réalités ? Périco Légasse ne profère certes pas que des contrevérités. Il rappelle que nous consommons trop de viande, trop de mauvaise viande. A l’aune du portefeuille et de la menue monnaie il professe ce qu’il faut faire avec 18€ : « au lieu d’acheter six fois un mauvais morceau de viande importé de loin à 3€, mieux vaut acheter un bon bifteck français à 6€ et manger autre chose les trois jours sans viande ». Sans oublier la charcuterie (française) : « le jambon et le saucisson de campagne sont innocents, la rillette aussi ».  Sans oublier non plus la traçabilité : « Nous avons les meilleurs élevages et les meilleurs bouchers du monde, pourquoi succomber à la tentation de la malbouffe carnée que nous impose la grande distribution à tous ses échelons ? (…) L’entrecôte de vache française élevée à l’herbe ne tuera jamais personne et nos bouchers de proximité demeureront les plus précieux de nos artisans. »

Boucher d’Asnières et de Paris

ù l’on voit que l’étude du CIRC et la nouvelle classification des cancérogène n’est ici qu’un prétexte pour aborder d’autres sujets.

C’est ce même décalage, cette même science-prétexte que l’on retrouve dans l’entretien accordé au Point par Yves-Marie Le Bourdonnec. M. Le  Bourdonnec, généralement présenté comme « le meilleur boucher de Paris ».  Yves-Marie Le Bourdonnec , boucher-star, boucher-bohême.  Boucher-militant et spécialiste de la maturation ; boucher omniprésent à Asnières comme à Paris. Boucher d’exception.

L’étude du CIRC et le cancer ? La profession de boucher mise en péril ?

«  Pas du tout ! En tout cas, pas de la façon dont je la pratique. Cette polémique déclenchée par l’OMS et les médias va, au contraire, dans mon sens. J’ai toujours milité pour des élevages sains et écolos. C’est la façon dont vous nourrissez et bichonnez l’animal qui va déterminer la qualité de votre produit, et donc s’il est nocif ou non. N’importe quel produit que vous mangez ou buvez est mauvais pour la santé s’il n’est pas de qualité. La relation entre le boucher et l’éleveur est capitale. Elle doit être équitable et rentable pour l’éleveur qui doit gagner sa vie sans dépendre des subventions européennes. Notre travail consiste à élever nos animaux avec le souci permanent de leur bien-être, écologique. Il faut qu’ils se nourrissent du paysage qui l’entoure et des productions de la ferme. Je pense d’ailleurs qu’avec toute cette affaire je vais avoir plus de clients, car les gens seront en confiance devant mes produits, ce qui ne sera peut-être plus le cas ailleurs… »

« Cela fait vingt-sept ans que mon chiffre d’affaires ne cesse d’augmenter. Vingt-sept ans ! Je n’ai jamais été touché par une crise, que cela soit celle de la « vache folle » ou, plus récemment, du « cheval ». Au contraire, elles ont conforté ma vision de la production et de la consommation de la viande. Je garantis une viande de qualité grâce à des élevages vertueux. Les gens ont confiance en ce que je leur offre. Toutes ces histoires les dirigent vers mes produits qui les rassurent. En revanche, je pense que l’élevage industriel, de masse, est mort. »

Ce sont là des propos passionnants. Ils soulèvent une question : l’augmentation constante du chiffre d’affaires d’Yves-Marie Le Bourdonnec depuis vingt-sept ans fournit-elle la démonstration que le CIRC a raison ?

A demain

« Travaillomanes » : le suicide sera-t-il bientôt reconnu comme une maladie professionnelle ?

Bonjour

3/12/2014. Marisol Touraine lit-elle Marianne ? Hier la ministre de la Santé rendait public le premier rapport de l’Observatoire national du suicide (document disponible ici) « Le suicide constitue un enjeu majeur de santé publique, a-t-elle rappelé. Plus de 11 000 personnes décèdent chaque année en France par suicide (le suicide est la cause d’un décès sur cinquante) et près de 200 000 personnes sont prises en charge chaque année par les urgences hospitalières après une tentative de suicide. »

« Le rapport met en évidence des inégalités sociales très marquées : les agriculteurs exploitants sont deux à trois fois plus touchés par le suicide que les cadres ; le suicide touche davantage les ouvriers que les cadres. Les personnes sans activité salariée sont les plus touchées. » Ce n’est pas tout.  Nous avons vu ce qu’il pouvait en être de la police (quarante-trois cas depuis le début de l’année).

Centrale nucléaire

Hasard ou pas l’hebdomadaire Marianne vient de publier un appel de près de deux cent cinquante médecins du travail : une lettre adressée à la ministre de la Santé et aux parlementaires pour que « l’épuisement professionnel soit reconnu au tableau des maladies professionnelles ».  On peut le dire autrement : reconnaître l’existence du « burn out » et en prévenir les dégâts dans le monde de l’entreprise. La Nouvelle République du Centre Ouest (Marion Michel) rappelle, ce matin, que ce mouvement médical inédit a pris corps en Touraine.

« L’affaire a plus de quatorze ans, rappelle le quotidien régional.  Mais le feuilleton judiciaire qui a suivi n’a pris fin qu’en 2012. Le 21 août 2004, Dominique Peutevynck, 49 ans, a mis fin à ses jours. Ce technicien de la centrale d’Avoine souffrait de dépression. En 2005, la Caisse primaire d’assurance-maladie de Tours estime que son suicide « présente un lien direct et essentiel avec l’activité de l’employé », le considérant comme un accident du travail.

Souffrance – surcharge

EDF contestait alors la reconnaissance de la dépression comme maladie professionnelle. Une décision confirmée en mars 2009, par le Tribunal des affaires de Sécurité sociale, puis en décembre 2010 par la Chambre des affaires de Sécurité sociale. Cette dernière déclarait alors : « Il ressort du certificat médical délivré par le médecin du travail, le Dr Huez, le 9 septembre 2004, que M. Peutevynck subissait des contraintes organisationnelles importantes et une surcharge de travail majeur […] »

En 1991, puis en 2004, le Dr Huez, médecin du travail, avait tiré la sonnette d’alarme auprès de la direction. Conscient du danger, il avait alerté les services, notant que douze des vingt-quatre  agents étaient « en souffrance professionnelle liée à une surcharge de travail ». Cette reconnaissance comme maladie professionnelle était une première. Dans la deuxième partie du dossier, la justice avait rejeté la faute inexcusable de l’employeur, en décembre 2011. »

Nous avions rapporté en janvier dernier le dernier développement de cette affaire : la condamnation du Dr Huez par l’Ordre des médecins pour avoir « trahi la confidentialité d’un dossier médical » en « parlant à la presse »). Le relais a été pris par d’autres médias et l’affaire devint progressivement celle de l’épuisement professionnel en général.  « Nous assistons à une montée en puissance du burn-out, en nombre et en gravité », estime  le Dr Bernard Morat, médecin du travail en Indre-et-Loire, à l’origine de l’appel. Surinvestis dans leur travail, certains salariés épuisés n’y arrivent plus. « Des travaillomanes » qui oublient leurs propres besoins.

Marx ou Freud ?

« Les gens s’effondrent soudainement. Ils ne sont plus capables de travailler, d’avoir une vie sociale. Certains ne peuvent même plus passer dans la rue de leur entreprise », expliquent le Dr Gilles Levery. Les professionnels les comparent à une bougie entièrement consumée qui s’éteint. Bernard Morat cite l’exemple d’une patiente de 37 ans. « Un matin, elle partait au travail ; quand elle a voulu ouvrir sa voiture, son bras est tombé. Elle ne pouvait plus. Elle est rentrée chez elle, et elle a dormi. Pour elle, son engagement au travail n’avait plus de sens. »

Grille  marxiste ou grille analytique ? On attend l’enquête du Monde Diplomatique. Médecin du travail ou spécialiste de l’addiction ? La dimension politique est un peu plus compliquée que jadis. La gauche au pouvoir fera-t-elle son autocritique ? Quelques lignes de La Nouvelle République l’y incitent. « Avec les 35 heures, on a augmenté la productivité des gens, au lieu d’embaucher », estime Bernard Morat. Une intensification du travail doublée d’une perte d’autonomie. E-mail, ordinateur portable ou smartphone créent une liaison permanente avec l’entreprise.

« Déclarez-moi inapte ! »

La crise économique et la peur du chômage sont aussi passées par là. « Avant, face à une situation tendue, les gens changeaient de travail. Maintenant, ils ont l’impression de ne plus pouvoir, estime le Dr Gilles Levery. Alors, ils nous disent :  » Libérez-moi, déclarez-moi inapte « . » Après un « burn-out », 60 à 70 % des personnes quittent leur entreprise ou changent de poste.

Que faire ? Les médecins du travail qui ont signé l’appel à Marisol Touraine estiment que la reconnaissance comme maladie professionnelle permettrait une meilleure prise en charge. Une sanction financière serait alors appliquée aux entreprises où l’on recense le plus de cas. Le patronat (et les directeurs des ressources humaines) diront que cela ne fera qu’augmenter les dégâts.

Sans parler des épuisé(e)s qui n’ont pas la chance d’être des salariés.

A demain

Tomates : les déshérités auront-ils un jour droit à la vraie « noire-de- Crimée » ?

Bonjour

Hier, 20 heures de France 2 : Alain Passard, cuisinier en modestie, cuisinier en majesté. Il y a du Cocteau en Passard, du Pablo Picasso descendu le matin au jardin. Le revoici dans son potager sarthois, avec ses jardiniers et son cheval. Le voilà rue de Varenne, à l’ombre de Rodin, devant ses fourneaux végétaux. L’homme ne cuit pas, il sublime. Dix heures par jour en cuisine. Avec le temps, plus rien de faux chez lui. Il est revenu de bien des combats. C’est un grand radical sous l’apparente douceur. La passion du geste transmise par les gènes. Il en parle à merveille. Jamais pesant.

La première de l’année

Passard danse en cuisine, il est ailleurs. Un cas à part dans la famille des cuisiniers. Il creuse son sillon et son sillon est un art. Le grand écart entre un végétal qui, sous ses doigts, reprend vie. Sur France 2 son regard illumine. Nous sommes en juillet. « J’ai cueilli ma première tomate de l’année » dit-il. Premières vendanges de ses tomates. Elles s’achèveront fin septembre. Delahousse veut le faire parler. « Avouez, Passard, nous sommes coupables d’en manger toute l’année … avouez… dénoncez les supermarchés … glissez-nous un petit scandale-tomate … condamnez l’absence de pulpe …  l’absence de saveurs….  les prix trop bas…. Dîtes-le Passard que ce qui est bon ne peut être qu’insupportablement cher … comme à l’Arpège, rue de Varenne ? »

Fermer les yeux

Alain Passard ne dit rien, il ne se moque pas, il rêve tomate. Chacun peut en faire autant: il suffit de fermer les yeux, d’ouvrir le nez. C’est du même côté de la vie. Il nous fait comprendre que c’est à nous de nous prendre en main, de descendre au jardin pour y sentir la rose, y détacher le romarin. Passard voudrait nous faire croire qu’il est un coquelicot humain. Ne tombons pas dans son piège. C’est un homme de bien, un révolutionnaire en chemin.

Régional de l’étape

Périco Légasse c’est bien autre chose. Au fil du temps il s’est constitué un personnage dans le monde clos de la critique gastronomique et de la défense des valeurs qui généralement vont avec. Il travaille depuis toujours à Marianne. En Touraine il est un peu le régional de l’étape. Dans Marianne du 19 octobre 2013. Il dénonçait une tromperie : « Très tendance, la belle tomate striée et rainurée que l’on vend sur les marchés sous le nom de cœur-de-boeuf n’en est pas. » La Nouvelle République du Centre-Ouest vient de lui consacrer sa Une sur le même thème, comme on peut le voir ici.

Extraits :

«  – Depuis que vous avez alerté le public sur l’arnaque à la fausse cœur-de-boeuf, on ne peut pas dire que ça se soit arrangé…

–          Non. Cette mode des tomates identifiées avec des formes et des couleurs nouvelles s’est installée pour corriger l’image de la tomate à grande échelle, hors-sol ou sous plastique, sans âme et sans histoire, qui a occupé la totalité des rayons de la grande distribution pendant des années. Dans le même temps, on assiste à un retour légitime à la tomate qui a du goût, celle de notre enfance et des potagers. Quand on a la chance de pouvoir comparer les vraies et les fausses, on se demande comment certains osent appeler tomate ces végétaux aqueux et cotonneux… »

–          Sous une tonne de vinaigrette

–          Oui, voilà : ça fait très bien travailler les marchands de vinaigre et d’assaisonnements artificiels : comme ça n’a pas de goût, on invente des sauces absolument spectaculaires pour corriger la fadeur du produit. »

–          La vraie tomate, c’est un luxe, non ?

– C’est terrible, mais oui : il faut mettre le prix. Celle qui est bonne à tous les coups, c’est la grappe ou la cerise. De par sa taille, elle est sucrée et juteuse. Si on va dans les variétés plus traditionnelles et plus anciennes, oui, c’est du luxe. Je vois dans certains quartiers parisiens un peu aisés des tomates à 14 ou 15 € le kilo ! Je pense à la zebra, l’ananas, la noire de crimée et cette fameuse cœur-de-boeuf, qui est une tomate de potager absolument sublime quand elle est de pleine terre et respectueuse de la production et de la saison, contrairement à ses contrefaçons. C’est une catastrophe pour ceux qui n’ont jamais pu goûter les vraies et qui croient que c’est ça, la tomate. »

– A qui la faute : semenciers, producteurs, puissance publique, consommateurs ?

– C’est tout un système qui a habitué les masses à un oubli de la saveur originelle des produits, mais j’insiste sur la responsabilité des consommateurs qui veulent de la tomate toute l’année et pas trop chère, ce qui entretient l’agro-industrie. »

– L’homme oublie la nature et le consommateur la saisonnalité ?

– Évidemment ! L’asperge, c’est d’avril à juin et quand il n’y en a plus, ce n’est pas la peine d’en demander ! Il faut réintroduire la saisonnalité des fruits et légumes et la tomate en est le symbole parfait : c’est le fruit le plus sensible à sa saisonnalité. La saisonnalité, c’est la règle de base de la consommation durable à visage humain : le respect de temps, de l’environnement, des terroirs, des transports. Il faut oublier le système de la société de surconsommation, sinon, la planète va finir par exploser. »

On rêve de passer à table avec Alain Passard. Cela viendra. Faudra-t-il ensuite prendre des fourches en lisant Légasse ? La question doit désormais être posée : les déshérités auront-ils, un jour, droit à la véritable noire de Crimée ?

A demain