Bonjour
L’affaire Lambert est en suspend. Et personne ne sait précisément jusqu’à quand. Des semaines ? Des mois ? Avant 2015 ? On attend les suites concrètes de la décision de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) qui a bloqué celle du Conseil d’Etat (1). Et l’on apprend le départ prochain du médecin : après avoir demandé la protection de Marisol Touraine, ministre de la Santé (contre les menaces d’intégristes catholiques) le Dr Eric Kariger a décidé d’abandonner, pour le privé, le CHU de Reims où est hospitalisé Vincent Lambert (voir ici).
Analyse et appel
Pour sa part l’Union nationale des associations de familles de traumatisés crâniens et cérébro-lésés (UNAFTC) poursuit son combat à la lumière de la décision (controversée) du Conseil d’Etat. Elle vient de nous transmettre son analyse et son appel.
Cette Union prend acte de la décision du Conseil d’Etat du 24 juin 2014 qui permet la mise en œuvre de la décision médicale d’interrompre l’alimentation et l’hydratation de M. Vincent Lambert. Elle prend également acte que le même jour, à la suite d’un recours engagé devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme, cette décision a été suspendue.
L’UNAFTC considère favorablement, dans la position du Conseil d’Etat, plusieurs considérants de portée générale qui répondent aux inquiétudes qu’elle entendait exprimer en intervenant volontairement dans cette procédure.
A savoir :
– L’alimentation et l’hydratation ne peuvent être considérées comme des traitements déraisonnables au seul motif d’un état irréversible d’altération de la conscience ou de perte d’autonomie.
– Pour pouvoir les considérer comme tels, l’équipe médicale doit se fonder de manière prudente et dans une approche au cas par cas sur un ensemble de considérations médicales ou non. Le processus d’évaluation est complexe, il justifie la mise en commun de compétences et d’expertises avérées.
– Dans le processus décisionnel l’équipe médicale doit accorder une importance toute particulière à la volonté que le patient peut avoir antérieurement exprimée, à l’expression de son assentiment, et recueillir l’ensemble des données susceptibles de faire connaître ses valeurs et ses préférences.
– Le fait de ne pas disposer de l’expression de la volonté du patient ne saurait conclure à un refus présumé d’être maintenu en vie. La personne de confiance, à défaut la famille ou les proches, doivent dans cette circonstance être entendues avec l’objectif de dégager une position consensuelle respectueuse du patient et bienfaisante à son égard.
Malades jusqu’au terme de leur vie
Il faut également compter désormais avec une nouvelle donne. La consultation par le Conseil d’État des différentes instances nationales d’éthique fait en effet apparaître un consensus autour de principes communs : les patients en état pauci-relationnel (comme celles dites en état « végétatif chronique ») sont des personnes en situation de vulnérabilité : une approche digne et juste des décisions qui les concerne impose de les reconnaître dans leurs droits de malades jusqu’au terme de leur vie.
L’UNAFTC « affirme qu’un environnement médical et un suivi adaptés, l’anticipation concertée des situations de complication, l’accompagnement solidaire des familles et des proches constituent, avant toute autre considération, des enjeux déterminants ». Elle exprime également à nouveau ses réserves et ses craintes à l’égard des arguments spécifiques avancés par le Conseil d’État dans sa décision du 20 juin 2014.
A savoir :
– La procédure d’arrêt de traitement dont le Conseil d’Etat établit la légalité est menée par le médecin pourtant contesté dans son respect de la procédure de collégialité et invalidé une première fois pour cette raison.
– La volonté propre du patient est reconstituée à partir de déclarations d’ordre général rapportées tardivement par les parties en demande d’une mesure d’arrêt de traitement. La légitimité et l’impartialité d’une telle argumentation inquiète. Elle favorisera des interprétations susceptibles de contester l’intérêt direct du patient.
« Le président de la section du contentieux du Conseil d’Etat a souligné, au cours d’une conférence de presse, que l’affaire Vincent Lambert constitue le premier contentieux de ce type depuis l’adoption de la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie, souligne l’UNAFTC. Il a précisé que la justice n’a été saisie que du fait de l’absence de consensus familial. »
Et cette Union de compléter les dires de Bernard Stirn, président de la section du contentieux du Conseil d’Etat.
Dignité d’existence
Elle considère ainsi que la saisine de la justice administrative résulte de carences dans un processus décisionnel qui n’a pas respecté les bonnes pratiques d’une démarche collégiale. Mais elle va plus loin : « elle demande aux instances compétentes, et notamment à l’Agence régionale de santé de Champagne-Ardenne, de s’assurer du respect des droits de M. Vincent Lambert et de sa dignité d’existence durant cette période d’attente d’une décision de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, et en particulier de la conformité de sa prise en charge aux préconisations de la circulaire du 3 mai 2002 relatives à la création d’unités dédiées pour les accueillir ».
Sur le fond l’UNAFTC considère que l’interprétation juridique de la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie (interprétation hautement discutable sur laquelle se fonde la position du Conseil d’Etat) révèle son inadaptation aux personnes en état végétatif chronique. « Il y a là un risque de dérive contraire, en l’occurrence, aux droits de l’homme, en permettant de décider la mort d’une personne qui n’est pas en fin de vie, sans certitude sur son consentement, et sans consensus autour de cette décision » souligne cette Union.
Confusions palliatives
Cette dernière demande, enfin, aux pouvoirs publics d’analyser la situation et le fonctionnement des unités accueillant des personnes en état végétatif chronique ou pauci-relationnel. Selon cette Union toutes ces unités ne sont pas conformes aux préconisations de la circulaire de mai 2002, la proximité de certaines d’entre elles avec des unités de soins palliatifs étant « source de confusion ».
Cela fut, à l’évidence, le cas dans l’affaire Vincent Lambert. Et cela le demeure. Pourquoi interdire à ce malade d’être pris en charge ailleurs que dans l’unité que dirigeait le Dr Eric Kariger ?
A demain
(1) Dans son numéro daté 4-10 juillet l’hebdomadaire Marianne (Eric Conan) s’intéresse à la CEDH sous un titre-maison, populisme inimitable (« La CEDH, ce machin qui nous juge »). Texte au demeurant bien intéressant (le lire ici) mais comportant une étrange formule : « La CEDH a contré la décision du Conseil d’Etat de laisser mourir Vincent Lambert (…) ». Formule étrangement fausse : le 24 juin 2014 le Conseil d’Etat n’a pas décidé de « laisser mourir Vincent Lambert ». Il a décidé d’autoriser le Dr Eric Kariger et son équipe à ne plus le laisser vivre. C’est une nuance d’une certaine importance.