Procréation assistée pour homosexuelles : la dérangeante indiscrétion de Libération

 

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Libération daté de demain 13 juin : « Selon nos informations, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) devrait rendre ‘’avant la fin juin’’ un avis favorable à l’ouverture de la procréation médicalement assistée aux lesbiennes mais s’opposerait à la gestation pour autrui ». Si le « avant la fin juin » n’est pas une révélation, le contenu de l’avis l’est bien. Qui a parlé au sein du Comité désormais présidé par Jean-François Delfraissy ?

« Selon une enquête d’opinion publiée au mois de mars, six Français sur dix (61 %) seraient favorables à l’ouverture de la PMA aux couples de femmes – une hausse de six points par rapport à 2014, écrit Libé (Eric Favereau). Par ailleurs, 50 % des Français se disent pour la gestation pour autrui (GPA), selon ce baromètre réalisé par BVA pour la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques des ministères sociaux (Drees). »

Question : la réflexion éthique doit-elle s’adapter aux résultats des sondages et autres enquêtes d’opinion. Depuis sa création (en 1983) le Comité national d’éthique s’est prononcé à deux reprises (en 2005 et 2010) contre l’ouverture de la PMA aux femmes seules ou aux couples de femmes. Cette pratique doit, comme le dispose la loi de bioéthique, demeurer une thérapeutique réservée aux couples souffrant de stérilité et composés d’un homme et d’une femme en âge de procréer. Non, en somme, à la « médecine de prestation ».

Jupiter et le marbre de la loi

Question connexe : la réflexion éthique doit-elle contenter le président de la République ? Lors de la campagne électorale Emmanuel Macron n’a pas fait mystère de ses opinions, notamment à Marie-Claire :

« Ma conviction personnelle est qu’il faut étendre la PMA au nom de l’égalité hommes-femmes et du droit à l’accès à une prestation médicale. Mais je respecterai l’avis attendu du Comité consultatif national d’éthique et je regarderai aussi l’état de la société et des débats qui s’y jouent pour agir de manière apaisée. »

« L’avis du comité sur cette question extrêmement polarisante ne fera sûrement pas l’unanimité. Il pourrait même déclencher des anticorps de part et d’autre » a déclaré, en écho le président Delfraissy qui fut nommé à ce poste par l’ancien président Hollande. Libération :

« Selon nos informations, le groupe de travail du CCNE a pris position sur l’ouverture de la PMA aux couples de lesbiennes. Mais quid des femmes seules ? Parallèlement, ledit groupe s’opposerait à la GPA, comme à l’autoconservation des ovocytes. On peut supposer – mais ce n’est pas automatique – que l’avis a été validé en assemblée plénière du CCNE. On peut l’imaginer, d’autant plus que le nouveau président du CCNE, dans ses précédentes fonctions, et en particulier à la tête de l’Agence nationale de recherche sur le sida, s’est toujours montré ouvert sur ces questions. »

Questions éthiques et politiques : Revient-il désormais au président du CCNE de dicter ses préférences à son assemblée plénière ? Les temps sont-ils venus où le président de la République pourrait faire graver ses convictions dans le marbre de la loi ?

A demain

 

Bioéthique: le débat Le Pen-Macron n’a pas permis de saisir tout ce qui se joue avec la GPA

Bonjour

Le navrant spectacle télévisé opposant, hier 3 mai, Marine Le Pen à Emmanuel Macron n’a pas évité le sujet de la grossesse pour autrui (GPA). Contrairement à ce qu’a laissé croire la candidate du Front National, son adversaire n’a jamais pris position pour la légalisation de cette pratique que la loi française interdit 1.

Une question se pose en revanche : celle de la citoyenneté des enfants conçus et nés d’une GPA à l’étranger et qui sont le plus souvent ensuite adoptés ensuite par des parents (biologiques ou pas) français. Jusqu’en 2015, la citoyenneté de ces enfants était reconnue ou non selon les tribunaux. Puis une circulaire de l’ancienne garde des sceaux, Christiane Taubira, a cherché à harmoniser ces décisions en se conformant à celle de la Cour européenne de justice.

C’est cette reconnaissance de la citoyenneté des enfants nés d’une GPA à l’étranger (et uniquement elle) dont M. Macron prend acte dans son programme. « De fait, la France n’a que peu de choix, puisqu’il s’agit là d’une jurisprudence européenne à laquelle elle doit se conformer, estime Le Monde dans son ‘’décryptage des dix-neuf mensonges de Marine Le Pen’’. Elle a déformé la vérité sur ce sujet en usant des arguments de La Manif pour tous. L’argument de La Manif pour tous vise à dire qu’en se conformant à cette décision la France reconnaît de fait la GPA à l’étranger. Ce qui est faux : elle donne la citoyenneté française aux enfants nés d’une GPA à l’étranger. »

Le marché et la procréation

Le sujet, à dire vrai, est un peu plus compliqué. Et sans doute Emmanuel Macron gagnerait-il, au plus vite, à mieux s’expliquer. Il y est notamment poussé par Sylviane Agacinski, philosophe, Ana-Luana Stoicea-Deram, présidente du Collectif pour le respect de la personne, et Martine Segalen, ethnologue. Dans une récente tribune publiée par Le Figaro ces trois femmes réclament des éclaircissements qu’elles n’ont pas obtenus.

Les trois signataires estiment qu’Emmanuel Macron penche pour la solution actuellement étudiée dans le cadre des travaux sur la GPA transnationale menés au sein de la Conférence de La Haye (organisation internationale s’occupant de droit civil et commercial). « Or, l’objectif de ces travaux n’est nullement de lutter contre les trafics au nom des droits humains, mais plutôt d’adopter quelques règles juridiques minimales pour donner à la GPA une apparence « éthique » et d’assurer son bon fonctionnement en levant les obstacles tels que les problèmes d’état civil, écrivent-elles. Autrement dit, leur but est de réguler le marché de la procréation, avec le soutien actif des partisans de la GPA. »

Emmanuel Macron fait-il du marché un modèle quasi indépassable des relations humaines ?  Or on sait que cette vision est incompatible avec lois françaises de bioéthique fondées sur le principe de l’indisponibilité du corps humain – ce corps et ses éléments échappant, précisément, au marché, à ses lois, à son appétit. « Sur ce sujet essentiel la lettre ouverte du Figaro est publiée à point nommé, écrivions-nous le jour de sa parution. Emmanuel Macron se doit de répondre, clairement, à la question dérangeante mais fondamentale qu’elle soulève. Le plus tôt serait sans doute le mieux. » Nous étions alors deux semaines avant le navrant débat d’hier.

A demain

 1 Interrogé sur ce sujet par Marie-Claire (mai 2017) Emmanuel Macron répond : « Je suis contre. C’est une marchandisation du corps ».

Le 26 novembre 1974, la ministre de la Santé monte à la tribune de l’Assemblée pour défendre…

Bonjour

Quarante ans, donc. Le 26 novembre 1974,  la ministre de la Santé monte à la tribune de l’Assemblée pour défendre sa loi sur l’interruption volontaire de grossesse. S’ensuivent trois jours de débats houleux jusqu’à l’adoption du texte, le 29 novembre à 3h40 du matin. Simone Veil impressionne en faisant face à ses détracteurs. Quarante ans plus tard ces mêmes images impressionnent encore. Et tout laisse penser qu’elles impressionneront durablement encore. Il nous reste à comprendre pourquoi.

A demain

« EN se dirigeant, le mardi 26 novembre 1974, vers l’Assemblée nationale, mesure-t- elle l’ampleur de la tâche qui l’attend, la portée de la décision qu’elle va défendre ? Sait-elle que dans quelques jours son nom sera associé à l’une des lois qui auront le plus contribué à l’évolution de la société française au XXe siècle ? Simone Veil n’est ministre de la santé que depuis un semestre et les hasards de la politique et des choix gouvernementaux l’ont placée en première ligne pour défendre le projet de loi sur l’interruption volontaire de grossesse auquel on dit le président de la République, Valéry Giscard d’Estaing, extrêmement attaché, alors même que Jacques Chirac, le premier ministre, ne cache ni ses inquiétudes ni ses réticences.

Marie-Claire

La femme qui monte ce jour-là à la tribune du Palais-Bourbon n’est encore guère connue du grand public. Seules les lectrices de Marie Claire ont appris à la connaître lorsque, en février 1973, le magazine a rendu hommage à son travail de secrétaire du Conseil supérieur de la magistrature, la désignant comme le premier ministre idéal dans le gouvernement entièrement féminin auquel il arrive aux femmes de rêver. Depuis peu, toutefois, les concurrents de Marie Claire commencent à s’intéresser à elle, multipliant entretiens et portraits. Et, il y a quelques jours, consciente de l’épreuve qui l’attendait, elle a accepté une première intervention télévisée.

Michèle Cotta, Catherine Nay

Devant les caméras d’Actuel 2, l’émission-débat de la deuxième chaîne animée par Jean-Pierre Elkabbach, où la règle du jeu veut que les invités fassent face en direct à un groupe de journalistes, la ministre de la santé impose sa présence, réussissant sans mal son examen de passage. « Un débat serein », résumeront le lendemain plusieurs observateurs. Dans L’Express, Michèle Cotta et Catherine Nay révèlent que celle qui est apparue « vêtue de rouge, calme et convaincue, cachant son trac » s’était longuement préparée, la veille de l’émission, selon la « technique Giscard ». « Ses collaborateurs, écrivent-elles, lui ont posé les questions les plus embarrassantes, du genre :  » Et si votre fille… ? » ». Les deux journalistes ajoutent que leurs confrères n’ont pas été jusque-là. Dans La Croix, Yves Désormières regrette pour sa part l’absence sur le plateau « d’un véritable opposant au projet gouvernemental », ajoutant que des téléspectateurs « ont pu être révoltés du ton mondain, presque de salon, qui présidait à ce débat sur la vie et sur la mort ».

Vichy

Tout le monde pressent qu’en cette fin du mois de novembre on a atteint, en France, l’acmé de la bataille politique que suscite la dépénalisation de l’interruption volontaire de grossesse, une pratique de plus en plus courante malgré les risques médicaux inhérents à la clandestinité. Les principales dispositions d’une loi, datée 31 juillet 1920, sont toujours en vigueur qui mettent en cause, de manière inégale, la responsabilité de l’avorteur, celle de l’avortée ainsi que celle de l’hypothétique géniteur. En février 1942, le régime de Vichy avait de nouveau fait sienne la vieille idée que c’est un crime, jugé comme tel en cour d’assises. Bien qu’abrogée à la Libération, cette loi continue de servir de repoussoir à ceux et celles qui jugent le temps venu de laisser les femmes « disposer librement de leur corps ».

Valéry Giscard d’Estaing

Pourtant les temps ont changé. De 518 condamnations pour avortement en 1971, on est passé à 288 en 1972 et à quelques dizaines seulement en 1973. Aucune n’a été prononcée depuis le début de l’année. La loi d’amnistie du 10 juillet 1974 a effacé toutes les peines décidées pour ce motif contre des femmes, et Valéry Giscard d’Estaing a déclaré, le 25 juillet, que le gouvernement n’engagerait plus de poursuites – dans l’attente d’une loi votée par le Parlement.

Laissez-les vivre.

L’annonce présidentielle a brutalement relancé l’affrontement entre les partisans de l’avortement et ceux qui, depuis 1970, se sont rangés sous la bannière de l’association Laissez-les vivre. Jamais l’opinion n’a été autant mobilisée. Plusieurs centaines de médecins expliquent publiquement pourquoi ils ont pratiqué des avortements tandis que d’autres, soutenus par des juristes, en appellent solennellement au « respect de la vie ». Les chiffres les plus fantaisistes circulent sur le nombre d’avortements pratiqués en France. Certains vont jusqu’à parler d’un million, alors que les estimations les plus fiables situent ce nombre entre 258 000 et 344 000 en 1973 pour 860 000 naissances vivantes. Et les fantasmes les plus divers s’expriment quant aux immanquables conséquences qu’aurait sur les moeurs la dépénalisation de l’interruption volontaire de grossesse, dans laquelle certains ne veulent voir qu’une forme parmi d’autres de contraception.

Alexandre Bolo

Le projet de loi que s’apprête à défendre Mme Veil devant les députés a été approuvé par le conseil des ministres le 13 novembre. Puis la ministre de la santé est venu le défendre devant la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, qui a nommé comme rapporteur Alexandre Bolo, député UDR de Loire-Atlantique, fermement opposé à toute libéralisation. Dans cette enceinte, la ministre a remporté un premier succès avec l’adoption, le 21 novembre, du texte gouvernemental, les résultats du vote (22 voix pour, 11 contre et deux abstentions) conduisant M. Bolo à démissionner du poste de rapporteur, où il est remplacé par le docteur Henry Berger (UDR) qui, bientôt, votera la loi.

Claude Labbé

Lorsque Mme Veil arrive à l’Assemblée, l’émotion est à son comble. Réunies à huis clos, les deux principales formations de la majorité ont, dit-on, été le théâtre de très vifs affrontements. Claude Labbé, président du groupe UDR, observe à l’issue de la réunion de ses amis qu’il est tout à leur honneur de refuser, sur un tel sujet, « une attitude de monolithisme ». Il ajoute que beaucoup d’entre eux, ne se rangeant ni dans le camp des « libéraux » ni dans celui des « intégristes« , n’ont pas encore arrêté leur décision finale. Jean Brocard, président du groupe des Républicains indépendants, reconnaît pour sa part que, si les « giscardiens » sont en majorité hostiles au projet, plusieurs d’entre eux accepteraient de le voter à condition que des « amendements modérés » soient adoptés.

Ce qu’ils en font …!

A l’extérieur du Palais-Bourbon, les représentants de « Laissez-les vivre » distribuent et glissent sous les pare-brise des voitures un tract intitulé : « Ce sont nos enfants, voilà ce qu’ils en font ». Ce tract est illustré d’une photographie représentant « l’écartèlement violent » d’un fœtus d’un mois et demi au cours d’un avortement par aspiration. Plus loin, une quinzaine de femmes conduites par un prêtre récitent leur chapelet en marchant lentement devant l’entrée de l’Assemblée nationale.

Mme Veil, qui ne verra pas cette procession d’un autre âge, va vivre trois jours d’une rare intensité. Les observateurs noteront qu’assise au banc des ministres elle est le premier jour vêtue d’une robe bleu pétrole. « Le deuxième jour, elle sera en rouge et le troisième en gris serpent, écrit René Barjavel dans Le Journal du dimanche du 1er décembre. Mais tout au long de cette bataille nous lui verrons, sous ses cheveux strictement tirés, le même visage mis lui aussi en ordre et en discipline, sous lequel on devine la passion farouche du vouloir. »

Edgar Faure

La première chaîne de télévision a pris ses dispositions pour retransmettre en direct les débats, y compris les séances de nuit. Ce mardi 26 novembre 1974, Edgar Faure, le président de l’Assemblée nationale, salue ses collègues à gauche et à droite de l’hémicycle avant de déclarer la séance ouverte. La discussion s’achève le vendredi suivant, à 3 h 40 du matin, le texte étant voté, au cours d’un scrutin public, par 284 voix contre 189 sur 479 votants. Seul le concours des députés de gauche aura permis l’adoption d’un texte dont les amendements n’auront, au total, guère modifié le contenu.

Jean Lecanuet

Durant cette très longue discussion, qui vit s’affronter deux camps irréductibles, Simone Veil aura impressionné tant la presse que l’opinion, en tenant tête crânement à ses opposants. Rendant compte des débats, Le Monde du 28 novembre 1974 écrit : « La tribune du Palais-Bourbon est l’une des plus difficiles qui soient. Et dans cette fosse, face à un mur exclusivement masculin, Mme Veil sembla émue, contractée et surtout terriblement seule malgré la présence au banc du gouvernement de plusieurs ministres. »

Tous ne lui avaient pas manifesté la même sollicitude. Retenu à Bruxelles, le garde des sceaux, le centriste Jean Lecanuet, brillait par son absence. Certains orateurs ne se privèrent pas de rappeler qu’il avait dit un jour : « L’avortement, c’est la mort. »

Infamante

L’opposition des sénateurs et la mécanique parlementaire n’auront rien changé à l’affaire : la loi Veil allait bientôt voir le jour. Loi Veil ? « Il n’y a pas de  » loi Simone Veil », déclarera, quelques semaines plus tard, la ministre de la Santé au Monde. Il y a une loi voulue par le président de la République, délibérée et adoptée en conseil des ministres, et dont le gouvernement tout entier assume la responsabilité. Je n’accepterai pas qu’on me reproche, sous prétexte que je l’ai défendue devant les deux Assemblées, une loi que d’aucuns prétendent infamante – et d’autres injuste socialement. »

J.-Y. N.»

Ce texte a initialement été publié dans Le Monde daté du 28 novembre 1999. Il avait pour titre « La solitude de la ministre ». On rappellera ici que Le Monde avait mené, sous la plume du Dr Claudine Escoffier-Lambiotte , un combat sans ambiguïté en faveur de la dépénalisation de l’interruption volontaire de grossesse – après celui en faveur de la libéralisation de la contraception.