Biologie synthétisée : Dieu est peut-être encore un peu plus compliqué qu’imaginé

Bonjour

Comment le vivant est-il structuré ? Traduction : comment est-il né ? Deux questions au cœur des entreprises de la biologie synthétique, cette nouvelle frontière biologique, religieuse et symbolique : créer un vivant spontanément, ex nihilo – l’Homme dépassant le Créateur.

Il y a un an Bertrand Jordan rapportait, dans l’une de ses rafraîchissantes « Chroniques génomiques » de l’aride Médecine/Sciences 1 un très très joli travail. Celui, réalisé au département de chimie du Scripps Research Institute (La Jolla, Californie) associé à l’entreprise Synthorx de la  synthése de deux nouvelles bases analogues aux classiques C, T, A et G et qui pouvaient former dans l’ADN une nouvelle paire de bases. 

« Ces chercheurs avaient même réussi à faire répliquer cet ADN par une bactérie, à assurer (grâce à diverses manipulations de haute volée) sa transcription et sa traduction et ainsi à insérer dans une protéine un acide aminé anormal (ne faisant pas partie des vingt acides aminés classiques) ajoutait-il. Bien que très intéressant et novateur, ce travail comportait une limite : les deux bases artificielles ne forment pas de liaisons hydrogène au sein de la double hélice de l’ADN (comme le font G et C, d’une part, A et T, d’autre part) et leur association repose sur la compatibilité de leurs formes. »

Or voici que Bertrand Jordan récidive 2 :

« Un article récemment publié dans la revue Science par un ensemble de laboratoires et d’entreprises démontre, lui, la possibilité de concevoir des bases alternatives qui peuvent s’associer par des liaisons hydrogène et respectent ainsi la structure de la double hélice 3. Ces auteurs obtiennent ainsi un système baptisé « hachimoji » comprenant huit (« hachi » en japonais) lettres (« moji ») — les quatre habituelles plus quatre nouvelles — et montrent qu’il possède les propriétés minimales nécessaires à un système biologique capable de porter de l’information. »

Le Vatican

Comment, au-delà de la technique, ne pas être pris de vertige ? « Sur un plan plus philosophique ce travail confirme que les bases C, A, T et G utilisées par tous les organismes terrestres ne sont pas les seules possibles, prolonge Bertrand Jordan. Leur ubiquité dans notre monde vivant reflète simplement le fait que nous descendons tous du même organisme qui s’est trouvé fonctionner avec ces éléments : le hasard de la constitution du premier « réplicateur » s’est combiné avec la nécessité de la sélection naturelle pour aboutir aux organismes d’hier et d’aujourd’hui. »

Et cette mise en garde :

« Nous aurions bien tort, dans nos tentatives de découvrir des traces de vie sur Mars, sur le satellite Europe (une lune de Jupiter) et peut-être, plus tard, sur des planètes extrasolaires, de cibler trop précisément nos analyses sur des molécules semblables à celles que nous connaissons. Même si une vie apparue ailleurs est fondée sur la chimie du carbone, de l’oxygène et de l’azote, même si elle utilise une molécule d’ADN comme mémoire génétique, il n’y a aucune raison pour s’attendre à ce que les bases alignées le long de cette molécule soient nos habituels C, A, T ou G… »

Aucune raison de ne pas croire aux miracles nés de l’alignement des planètes. Aucune raison d’imaginer que le Vatican ne figure pas sur la liste des abonnés de Médecine/Sciences et de ses transcendantes « Chroniques génomiques ».

A demain

@jynau

  1. Jordan B.. Bases alternatives et organismes synthétiques. Med Sci (Paris). 2018 ; 34 : 179–182. [CrossRef] [EDP Sciences] [PubMed] [Google Scholar]
  2. Jordan B Extension du domaine du codage : l’ADN hachimoji Med Sci (Paris) 2019 ; 35 : 483–485
  3. Hoshika, Leal NA, Kim MJ, et al. Hachimoji DNA and RNA: a genetic system with eight building blocks. Science 2019; 363 : 884–7. [Google Scholar]

Capitalisme et bioéthique : vente libre d’un test génétique prédictif du cancer du sein

Bonjour

C’est un événement que l’on pourra tenir pour inquiétant 1.  La FDA américaine a, le 6  mars, donné son feu vert à la commercialisation des kits de la société californienne 23andMe pour trois mutations des gènes BRCA1 et BRCA2 associées à un risque élevé de cancer du sein. (Voir The New York Times) Ces kits seront accessibles sans ordonnance, contrairement aux tests génétiques déjà sur le marché. « Il suffira aux Américaines de cracher dans un petit tube et de le poster pour savoir si elles sont porteuses de certaines mutations des gènes BRCA1 et BRCA2 associées à un risque élevé de cancer du sein, résume Le Monde (Chloé Hecketsweiler). Les altérations recherchées par 23andMe – 3 sur plus de 1000 identifiées pour les gènes BRCA – sont le plus souvent retrouvées chez les femmes d’origine ashkénaze (juifs d’Europe orientale et centrale). »

C’est un événement qui s’inscrit pleinement dans le contexte américain du développement commercial de la génétique. Ce feu vert marque ainsi un tournant dans la position de la FDA qui, en  2013, avait ordonné à 23andMe de  retirer ces tests du marché – du fait des risques encourus par les acheteuses en cas d’erreur ou de mauvaise interprétation. Elle estime aujourd’hui que les données communiquées par 23andMe sont suffisantes pour garantir la fiabilité des tests, et que la décision doit revenir au « consommateur ».

Assurances et phosphorescences

C’est un événement qui consolide 23andMe dans sa position de géant dominant, possesseur de l’une des plus grandes bases mondiales de données génétiques avec plus de 2  millions de profils – une mine d’or pour les géants  pharmaceutiques. «  Profils génétiques, informations médicales, et bientôt séquence d’ADN (obtenue dans le cadre des contrats passés avec Genentech, Pfizer ou d’autres), tout cela intéresse beaucoup de monde, assurances, marketing pharmaceutique, qui peuvent, au vu de ces informations, vous cibler pour vous vendre tel ou tel produit, ou éventuellement pour vous refuser telle ou telle assurance, écrivait déjà Bertrand Jordan dans la revue Médecine/Sciences en 2015. Il ajoutait :

« Les garanties que donne l’entreprise ne peuvent être totalement rassurantes: on a vu avec Google et Facebook comment ces promesses pouvaient se diluer au fil du temps, ou même être carrément oubliées, et on sait aussi qu’une séquence d’ADN “anonyme” peut assez facilement être rattachée à une personne précise. Notre “intimité génétique’” est en danger (…), le problème est général, mais particulièrement aigu pour ce qui concerne notre santé et notre génome. Oui, décidément, nous risquons bien d’assister à la fin de la vie privée, ou tout au moins d’une certaine idée de l’intimité.»

Trois ans plus tard, la menace ne cesse de croître. Et le citoyen français informé des menaces et des enjeux, ne peut que regretter que le sujet soit étrangement absent de l’agenda de ses États généraux de la bioéthique –une entreprise pourtant démocratique qui nous interroge officiellement sur «le monde que nous voulons pour demain» (sic).

C’est un événement qui fera phosphorer les assureurs 1. En France, les tests génétiques de prédisposition ne sont accessibles que sur prescription médicale et strictement encadrés. Mais, en pratique rien n’interdit à une Française « de cracher dans un petit tube et de le poster pour savoir si elles sont porteuses de certaines mutations des gènes BRCA1 et BRCA2 ».

A demain

1 « Les assureurs veulent à tout prix mettre la main sur votre profil génétique » Slate.fr, 3 mars 2018

 

Cannabis : bientôt en prescrire pour aider les personnes âgées à ne pas oublier ?

 

Bonjour

Une série de données scientifiques récentes laissent penser que le cannabis pourrait protéger les vieux cerveaux de la sénescence. À quand des joints dans les Ehpad ?

Nous sommes encore bien loin d’en avoir fini avec le cannabis. En France, plus gros consommateur européen, le gouvernement refuse d’envisager sa dépénalisation et se borne à de prochains aménagements dans les sanctions policières frappant les usagers les moins chanceux –ou les plus défavorisés. Quant à son usage thérapeutique, il est toujours invraisemblablement interdit.

Dans le même temps, de nouvelles perspectives scientifiques se dégagent, laissant augurer de nouvelles indications médicales. Une possible révolution scientifique, médicale et pharmaceutique. Le dernier point des travaux sur le sujet vient d’être fait dans la revue Médecine/Sciences sous la signature d’Hélène Gilgenkrantz 1.

La suite sur Slate.fr.

A demain

1 Gilgenkrantz H., «Effets paradoxaux du cannabis sur la mémoire. Une question d’âge!», Med Sci (Paris) 2018; 34: 15–16.

Notre président Jupitérien va-t-il foudroyer les nouveaux vandales du génome humain ?

Bonjour

Ceux qui, dans les médias, font de la science un spectacle présentent Marina Cavazzana comme une star. A son corps défendant. Née à Venise, d’un père cheminot et d’une mère institutrice, fait sa médecine à Padoue avant de rejoindre l’équipe du Pr Alain Fischer à l’Hôpital Necker-Enfants malades. Elle participe aux premiers développements, spectaculaires, de la thérapie génique permettant de traiter des enfants atteints du déficit immunitaire combiné sévère lié à l’X (« bébés-bulles »). Trente ans plus tard elle coordonne le Centre d’Investigation Clinique en biothérapie de cet établissement et vient de participer à un travail prometteur de traitement de la drépanocytose. On peut la voir ici dans une conférence TED datant de 2010. C’est, pour résumer, une forte personnalité et l’une des meilleures spécialistes mondiales de la thérapie génique.

Forte personnalité : Marina Cavazzana signe aujourd’hui l’éditorial de la dernière livraison du toujours remarquable Médecine/Sciences. Où l’on voit cette experte traiter des questions éthiques soulevées par le développement de sa discipline. Quelles règles respecter, par exemple, pour inclure des patients (adultes ou enfants) dans des essais cliniques de phase I/II ? Quel statut doivent avoir ces futurs patients face au système de protection sociale ? Où est la fameuse Union européenne quand il ne s’agit d’un peu plus que de faire librement circuler des objets et des personnes ?

« Si l’Agence Européenne des Médicaments a homogénéisé les règles encadrant les qualités auxquelles la production des cellules génétiquement modifiées doivent obéir, aucune recommandation européenne ne régit l’inclusion des patients dans des protocoles de phase I/II, et chaque pays européen suit ses propres lois. En France, la loi à ce sujet est très précise : « interdiction de traiter des patients qui n’appartiennent pas au système de sécurité sociale nationale ou qui n’appartiennent pas à un pays de l’UE dans le plus grand souci de protection des patients ». Cela n’est pas vrai par exemple en Allemagne ou en Italie. »

Entre-Soi

Tout aussi difficile, mais plus lourd d’enjeux et de menaces est le débat éthique autour de ce qu’il est convenu d’appeler « l’édition du génome ». Pour Marina Cavazzana aucun doute n’est plus permis : « la technologie CRISPR est la plus importante avancée biotechnologique de ce siècle ». Résumons : CRISPR est la dernière en date et la plus spectaculaire des techniques « d’édition du génome ». Soit un ensemble de techniques de manipulations du génome via la « réécriture du matériel génétique », qui peut être appliqué aux mondes végétal et animal – et que certains commencent aussi à appliquer au génome humain 1.

C’est là un sujet majeur que la plupart des élites du monde scientifique entendent bien conserver dans leur Entre-Soi. Tel n’est pas le point de vue de Marina Cavazzana :

« Pour reprendre une phrase du généticien George Church, un pionnier de l’édition du génome : « most of what we call genome editing is really genome vandalism » [La plupart de ce que nous appelons édition du génome n’est en fait que du vandalisme du génome] ».

« Si beaucoup de défis technologiques vont trouver une solution dans les années à venir, il nous faut, très vite, donner vie à un profond débat éthique et social, afin de définir les obligations que les chercheurs doivent respecter pour éviter une utilisation erronée et dangereuse de cette technologie révolutionnaire. »

Comment « donner vie » à un « profond débat éthique et social » sur le thème de la réécriture du génome humain ? Dans la France de cet été 2017 un homme (et un seul) détient la clef. Percevant la politique comme un équivalent du mystique il a été élu président de la République. Et depuis ce matin les gazettes explique qu’il détient « tous les pouvoirs ». Lui-même entend incarner un « président jupitérien ». La génétique et l’éthique sont pleinement compatibles avec le mythologique. Est-ce trop demander à notre Jupiter élyséen que de foudroyer les nouveaux Vandales, ceux du génome humain ?

A demain

1 Sur ce thème, lire dans le même numéro de Médecine/Sciences : « CRISPR sur embryons humains : une nouvelle étape », la dernière en date des indispensables « Chroniques génomiques » de  Bertrand Jordan

 

Post-vérité : Marisol Touraine a-t-elle effacé son intérêt pour la vaccination des Français ?

Bonjour

C’est, au mieux, une piqûre de rappel. Elle est administrée, dans l’éditorial de la dernière livraison (février) de Médecine/Sciences, par le Pr Alain Fischer (Collège de France, Institut Imagine-Inserm Hôpital Necker-Enfants Malades). Ce scientifique réputé avait, l’an dernier, répondu pleinement présent à l’appel de Marisol Touraine. A l’époque la ministre des Affaires sociales et de la Santé souhaitait « proposer une concertation citoyenne sur le thème de la vaccination ». Une affaire à haut risque compte-tenu de la montée, en France, d’une vague diffuse et hétérogène d’inquiétude vis-à-vis de l’innocuité de cette méthode de prévention jouant sur l’immunité.

« C’était, dit Alain Fischer, une approche audacieuse mais noble, pour permettre à nos concitoyens de s’approprier les conclusions obtenues. Usagers de la santé, professionnels de la santé non spécialistes et experts y ont activement contribué. Ce travail a, bien sûr, fait apparaître la diversité des opinions, mais un consensus s’est vite dégagé sur la réaffirmation du caractère indispensable de la vaccination et sur la nécessité de la promouvoir par une action forte. »

Rougeole, méningocoque, papillome humain

Faut-il rappeler l’urgence d’une prise de conscience de la situation française ? Couverture insuffisante de vaccination contre la rougeole (77 % de couverture pour la seconde dose, là où il faudrait 95 %) et résurgence de cette maladie virale ; échec relatif de la mise en place du vaccin contre le méningocoque C (70 % de couverture à l’âge de 2 ans) ; échec quasi complet de celle du vaccin contre les virus du papillome humain – HPV (14 % de couverture en 2015).

« Cet échec reflète une défiance croissante à l’égard de la vaccination au sein de la population et des professionnels de santé, défiance alimentée par une diffusion dans les réseaux sociaux d’opinions hostiles et non fondées, reprises par certains médias, écrit aujourd’hui Alain Fischer.  Elle est responsable d’une attitude d’hésitation. Le concept de « post-vérité », où analyse scientifique et opinion font l’objet d’une égale considération, s’applique bien à la vaccination (« une minute pour les pro, une minute pour les anti » !). Le contexte, marqué par des scandales dans le domaine de la santé et par l’absence de réponse à la diffusion des fausses nouvelles, rend probablement compte de la relative importance de ce phénomène en France. »

Fausses nouvelles et responsabilités

Il faudra, un jour revenir sur la formule « absence de réponse à la diffusion des fausses nouvelles » – y revenir pour s’interroger les causes, les moyens et les responsabilités. Reste que la concertation citoyenne voulu par la ministre de la Santé a été organisée et qu’elle a formulé un certain nombre de propositions 1. Elles visent, comme annoncé à « rétablir la confiance en la vaccination et à augmenter rapidement la couverture vaccinale ». La plus importante est sans aucun doute la modification du statut juridique de la vaccination.

« À ce jour, sous le poids de l’histoire, seuls trois vaccins sont obligatoires (diphtérie, tétanos et poliomyélite), les autres simplement recommandés. Cette situation non scientifiquement justifiée est exploitée par les adversaires de la vaccination pour réclamer une vaccination sélective, « à la carte ». Le statut actuel ne peut donc persister. Lever l’obligation et recommander l’ensemble des vaccins du calendrier vaccinal est une option. Elle implique une prise de conscience et une responsabilisation des citoyens et des acteurs de santé, dont malheureusement beaucoup d’indicateurs montrent l’insuffisance.

« Les actions autour de l’information, de l’éducation et de la communication, si elles sont menées avec force et ténacité, devraient à terme permettre d’atteindre cet objectif. Dans l’attente, la seule solution consiste à élargir temporairement l’obligation à l’ensemble du calendrier vaccinal de l’enfant. C’est là, donner un signal fort face à une situation préoccupante. Une clause d’exemption, comme pratiquée dans certains États des États-Unis, est envisageable, à condition que son utilisation reste limitée et ne compromette pas l’objectif de protection collective de la population. La prise en charge intégrale par la collectivité du coût de la vaccination (un surcoût d’environ 150 millions d’euros/an) devrait aussi contribuer à améliorer la couverture vaccinale (notamment contre HPV) et apparaître comme un juste accompagnement de l’obligation. »

GSK et l’hépatite B

Nous étions en novembre 2016. Quatre mois plus tard la situation s’est compliquée. Silence total des géants producteurs de vaccins et, du fait de la multinationale britannique, GSK installation brutale et totalement incompréhensible d’une pénurie d’ Engerix B contre l’hépatite virale B – pénurie imposant à la Direction Générale de la Santé d’organiser une distribution strictement contingentée à l’hôpital.

« Nos propositions ont reçu un très large soutien de nombreux acteurs de santé et d’associations qui en demandent l’application immédiate 2, écrit Alain Fischer. Elles sont aujourd’hui sur la table de la ministre des Affaires sociales et de la Santé et des acteurs du monde politique. Leur engagement déterminé est attendu pour que, enfin, soit prise en compte la menace qui pèse sur un pilier de la santé publique et qu’il y soit remédié. »

On n’ose imaginer que la table Marisol Touraine soit à ce point encombrée qu’elle ne trouve le temps, bien avant le mois de mai, de retrouver ce dossier. Cette piqûre de rappel aura-t-elle un effet ?

A demain

1 Rapport sur la vaccination. Comité d’orientation de la concertation citoyenne sur la vaccination, 30 novembre 2016 (http://concertation-vaccination.fr).

2 Communiqué de presse. 23 sociétés médicales demandent la mise en place immédiate des recommandations de la concertation citoyenne sur la vaccination. 20 décembre 2016

Faut-il dépister les anomalies chromosomiques chez les embryons destinés au DPI ?

Bonjour

18 mars 2016. Quel sera l’avenir du « Manifeste des 130 qui n’ont pas respecté la loi sur la PMA » publié dans Le Monde daté d’aujourd’hui ? En dépit de ses résonances médiatiques le politique, pour l’heure, reste coi. Il semble que le gouvernement le restera, du moins pour ce qui est de la question de l’accès des femmes homosexuelles aux techniques de PMA.

Interrogée sur ce sujet par Libération dès sa prise de fonction de ministre de la Famille et droits des femmes, Laurence Rossignol déclarait le 16 février dernier : «A titre personnel, j’y suis favorable pour les couples lesbiens, et il me semble que toute la gauche l’est. Le problème est clair : jusqu’où fait-on remonter le niveau d’excitation ? (…) Les vociférations de la Manif pour tous ont tout paralysé ». Vociférations est-il exagéré ?

D’une particulière gravité

En marge de cet aspect le plus volontairement polémique, un chapitre particulier mérite d’être développé. Il porte sur l’interdiction actuellement en vigueur en France du dépistage des malformations chromosomique de certains embryons conçus in vitro. Il s’agit ici d’une disposition technique qui ne concerne (pour l’heure) qu’un très petit nombre d’embryons – ceux faisant l’objet d’un diagnostic préimplantatoire  afin de prévenir le risque de transmission d’une maladie génétique d’une particulière gravité. Voici les termes, sur ce point, des signataires du manifeste :

« D’une façon générale, plus de 60 % des embryons que nous transférons ont des anomalies génétiques graves ou sont non viables sur un plan métabolique. Dans des situations particulières, ce pourcentage est encore plus élevé et aboutit à une répétition d’échecs d’implantations, à des fausses couches ou à des anomalies chromosomiques qui vont être détectées lors du dépistage anténatal et peuvent conduire à des douloureuses interruptions thérapeutiques de grossesses.

Sources de déception

« Ces fréquentes anomalies rendent nombre de transferts, de congélations embryonnaires, inutiles ; ces échecs prévisibles sont sources de déception, de complications et d’une multiplication de prises en charge coûteuses et sans aucun bénéfice. Connaître le statut chromosomique de l’embryon par la technique du diagnostic préimplantatoire (DPI) dans des situations à risques reconnues est devenu courant dans de nombreux pays limitrophes (Belgique, Grande-Bretagne, Italie, Espagne) et constitue une règle de bonne pratique médicale que nous ne pouvons appliquer.

« La position de notre pays est incohérente puisque l’analyse du risque chromosomique fœtal est autorisée aux femmes enceintes qui le souhaitent après quelques semaines de grossesse, dans le cadre du dépistage anténatal, alors que ce même examen reste interdit par prélèvement d’une cellule de l’embryon avant qu’il soit transféré dans l’utérus. Quelle est la justification de ces positions contradictoires selon l’âge de l’embryon ? »

Espoir thérapeutique

On comprend sans mal les arguments des signataires.  Cette revendication  est développée dans le dernier numéro de la revue Médecine/Sciences par le Pr Nelly Frydman (service de biologie de la reproduction, hôpital Antoine-Béclère, Clamart) ; un texte-éditorial  que nous avons repris et développé dans la Revue Médicale Suisse : « Interdira-t-on longtemps encore le dépistage des aneuploïdies ? » (sur abonnement).

Au-delà de sa technicité c’est aussi une question de bioéthique et de politique qui est soulevée. Résumons : il est question ici des aneuploïdies. On désigne ainsi, schématiquement, une cellule n’ayant pas le nombre normal de ses chromosomes. Lorsqu’il touche l’embryon humain, ce phénomène peut être létal ou peut ne pas l’être (personnes trisomiques, syndrome de Turner). D’une manière générale, les anomalies chromosomiques de l’embryon sont une cause importante d’échec de développement de la grossesse. Elles sont responsables d’une grande proportion des fausses couches spontanées qui, le cas échéant, augmente avec l’âge de la femme.

En dehors des procédures de procréation médicalement assistée, c’est là une réalité sans espoir thérapeutique. La donne est désormais bouleversée dès lors que l’on a recours aux techniques de fécondation in vitro  associées à celle du diagnostic préimplantatoire (DPI) qui autorise l’analyse du patrimoine génétique embryonnaire avant l’implantation dans l’utérus de la future mère.

Risques de complications

On découvre à cette occasion le contexte dans lequel évoluent des professionnels de santé qui conçoivent, transfèrent ou congèlent des embryons humains « tout en sachant que la moitié d’entre eux sont porteurs d’une aneuploïdie ». « Leur transfert nous conduit à exposer le couple à un risque de complication, prévient la Pr Frydman. Au regard de l’objectif d’amélioration de la qualité des soins, l’interdiction du DPI-A est devenue une contradiction incompréhensible, d’autant que dans certains cas, sa pratique n’ajoute aucun geste médical supplémentaire. »

En France, le diagnostic génétique préimplantatoire sur embryons issus de FIV n’est autorisé qu’à titre exceptionnel : uniquement lorsqu’il concerne des couples ayant un risque parfaitement identifié de transmettre une maladie génétique d’une particulière gravité. Ces biopsies embryonnaires ne peuvent être pratiquées que dans les quatre centres français habilités par l’administration sanitaire et éthique. Et, le cas échéant, seule la maladie génétique pour laquelle le couple est pris en charge est recherchée.

Deux vitesses

« Tristement, le taux de fausses couches obtenu après DPI avoisine les 25 %, en raison d’aneuploïdies qui auraient pu être diagnostiquées sur la cellule biopsiée, conclut la Pr Frydman. De plus, deux centres ont déjà été confrontés à la pratique d’une interruption médicale de grossesse en raison d’une trisomie 21 diagnostiquée au stade fœtal – et ce alors que le diagnostic aurait pu être fait au stade embryonnaire. »

Ainsi les termes du débat sont désormais, grâce au « Manifeste des 130 », sur la place publique médiatique. Qui exposera, objectivement, la nature des risques présents et à venir inhérents à la levée de cette interdiction ? Où, à quel niveau, dans quel palais de la République, ce débat sera-t-il tranché ?

Une autre question, d’une particulière importance, est de savoir quand et de quelle manière la puissance publique parviendra à repousser la menace émergente en France d’un dépistage prénatal à deux vitesses – un dépistage aujourd’hui payant (près de mille euros), abusivement présenté comme « non invasif » et réalisé à partir  d’un « simple » prélèvement sanguin de la mère. C’est un sujet que les signataires du manifeste n’abordent pas. Ils ne nous disent pas pourquoi.

A demain

 

Bioéthique : la France commence enfin à se pencher sur la « réédition » du génome humain

Bonjour

Il suffit parfois d’écrire pour apprendre. Nous évoquions, il y a quelques heures, la prochaine remise du Prix L’Oréal –UNESCO aux Prs  Emmanuelle Charpentier et Jennifer Doudna  (100 000 euros chacune) pour leurs travaux novateurs sur  le CRISPR et la « réécriture » du génome humain. Et nous rappelions à cette occasion les considérables et incompréhensibles atermoiements français quant à l’organisation d’une réflexion scientifique et éthique sur un domaine à ce point essentiel.

« Les ministères, le CNRS, l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et techniques, pour le pas parler de l’Académie des sciences ou du Comité national consultatif d’éthique, toutes les institutions directement concernées semblent aux abonnés durablement absents » écrivions-nous. A peine l’encre de l’écran était-elle sèche que nous recevions un message de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et techniques. On nous expliquait que l’Office avait très récemment lancé une réflexion sur le sujet  – et via une saisine sur « les enjeux économiques, environnementaux, sanitaires et éthiques des biotechnologies à la lumière des nouvelles pistes de recherche » Dont acte et à suivre.

La surprise est venue de l’Académie nationale de médecine et d’un correspondant bien informé: il  nous a  signalé que l’illustre compagnie venait, sans publicité particulière, de rédiger  un rapport sur l’application du système CRISPR. Sa conclusion ne  manque ni d’intérêt ni de piquant. Nous l’analyserons sous peu dans les colonnes de ce blog. Il se murmurerait enfin que le Comité consultatif national d’éthique ne serait pas resté insensible à l’ampleur et à la portée des enjeux inhérents au CRISPR.

Faux amis

CRISPR ? C’est peu dire que cet acronyme est, en langue française, malaisé. Il en va de même avec l’editing du génome. Comme souvent en ces matières l’éclairage utile nous est fourni par le généticien Bertrand Jordan. généticien Bertrand Jordan dans ses décidément excellentes « Chroniques génomiques » – dont celle du dernier numéro de Médecine/Sciences : « Sommet de Washington : feu orange pour la thérapie germinale ? » (sur abonnement). Il faut ici lire son encadré :

« Un problème de terminologie. Le terme accepté dans la presse de langue anglaise est Genome editing.(et plus précisément Germline genome editing). C’est un faux ami puisque to edit ne signifie pas éditer (publier, un livre par exemple), mais désigne la correction d’un texte, la traque aux fautes d’orthographe ou de grammaire et leur rectification, l’amélioration de la fluidité d’un passage. « Edition du génome » n’est donc pas une traduction adéquate. On pourrait dire « Correction germinale », mais c’est un peu restrictif puisqu’il peut aussi s’agir d’améliorer le génome, pas seulement de corriger des erreurs…. »

 Voilà un beau sujet de réflexion. « Correction terminale » ? « Correction germino-finale » ? « Correction créatrice » ? « Correction transhumaniste » ? « Nouvelle traduction » ?« Réédition »?  Chacun peut proposer… Les jeux ne sont pas encore faits… Il suffit parfois d’écrire pour mieux se comprendre.

A demain

Bioéthique et cosmétologie : L’Oréal récompense deux femmes qui vont aider à « réécrire » le génome de l’espèce humaine

Bonjour

L’événement aura lieu le 24 Mars dans le Grand Amphithéâtre de la Sorbonne, à Paris. Les caméras seront présentes. Carton officiel :

« Paris, le 10 mars 2016 – Le 24 mars 2016, la communauté scientifique internationale se rassemblera pour la 18ème édition du Prix L’Oréal-UNESCO Pour les Femmes et la Science afin de mettre à l’honneur cinq femmes scientifiques d’exception et leurs innovations révolutionnaires, ainsi que quinze  jeunes chercheuses prometteuses. Face à des défis historiques comme le changement climatique, l’accès aux soins et les énergies renouvelables, leurs découvertes ont un impact majeur sur la société et la qualité de vie des populations du monde entier. Elles démontrent ainsi que les femmes de science ont le pouvoir de changer le monde. »

Emmanuelle et Jennifer

« Changer le monde ». Pour une fois la formule pèse son poids. Ce jour là, la Pr Elizabeth H. Blackburn, prix Nobel de Médecine 2009, remettra le Prix L’Oréal-UNESCO (100 000 euros à chaque lauréate) à deux biologistes au cœur de l’une des aventures scientifiques et médicales les plus palpitantes de notre époque. Pour l’heure cette aventure a pris le nom de la technique que ces deux femmes ont très largement contribué à mettre au point : CRISPR. Voici comment L’Oréal présente ses deux lauréates :

« Prs Emmanuelle Charpentier (Institut de biologie infectieuse Max Planck de Berlin, Allemagne) et  Jennifer Doudna  (Institut Médical Howard Hughes, Département de Biologie Moléculaire et Cellulaire, Université de Californie, Berkeley) :

 « Elles « réinventent la recherche génétique » « Plus de 10 000 pathologies incurables sont causées par des anomalies génétiques simples. La technologie d’édition génétique mises au point par le professeur Emmanuelle Charpentier et le professeur Jennifer Doudna permet de “réécrire” le génome. »

 Phosphorescences internationales

Ce que L’Oréal ne dit pas est que cette possibilité de « réécrire » le génome humain soulève de considérables questions de bioéthique dès lors qu’on envisage de l’appliquer aux cellules sexuelles – et de faire ainsi que la « nouvelle écriture » deviendrait transmissible, indélébile…Ce que L’Oréal ne dit pas, non plus, est que ces questions font l’objet de nombreuses phosphorescences internationales comme nous l’avons évoqué sur ce blog et comme en témoigne de manière exhaustive le généticien Bertrand Jordan dans son excellente « Chroniques génomiques » du dernier numéro de Médecine/Sciences : « Sommet de Washington : feu orange pour la thérapie germinale ? »(sur abonnement).

Ce que L’Oréal ne dit pas, non plus, c’est que la Pr Emmanuelle Charpentier est de nationalité française et reviendra à Paris (à la Sorbonne…) pour recevoir un prix remis par une multinationale française pour des travaux qu’elle n’aura, in fine, pas pu mener en France.

Articulations ankylosées

Ce que L’Oréal ne dit pas, enfin, c’est que pour d’obscures raisons la France tarde dangereusement à ouvrir le débat éthique et scientifique sur l’usage qui peut et doit être fait de cette nouvelle technique de modification des génomes humains. Les ministères, le CNRS, l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et techniques, pour le pas parler de l’Académie des sciences et (plus encore) du Comité national consultatif d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé, toutes les prestigieuses institutions directement concernées semblent depuis longtemps aux abonnés durablement absents

Ecrire publiquement cette évidence c’était, jusqu’à présent, prendre le risque d’irriter certaines des autorités en place.  Grâce à L’Oréal le retour d’un jour, sur son sol natal, d’une jeune biologiste prodigue, permettra peut-être de dégripper quelques articulations éthiques aujourd’hui ankylosées.

A demain

Téléthon® en recul. La France absente du débat international sur la modification des génomes humains

Bonjour

Téléthon® 2015 : 80,25 millions d’euros de promesses de dons ; un chiffre en recul par rapport à 2014 (plus de 82 millions d’euros de promesses). Pourquoi alors que tous les organisateurs annonçaient, les doigts croisés, l’inverse ?  « Un Téléthon après le 13 novembre est un Téléthon particulier, a déclaré Laurence Tiennot-Herment, présidente de l’association organisatrice, l’AFM-Téléthon. Mais je pense que ce besoin de solidarité et ce besoin de se rassembler, les valeurs qu’on porte à travers le Téléthon, la résistance, ont une résonance particulière. » C’est sans doute un tout petit peu plus compliqué. Et force est de constater que ce recul des promesses ne peut être imputé aux polémiques des années passées.

L’essentiel se jouait ailleurs

A dire vrai l’essentiel, ces derniers jours, se jouait ailleurs, de l’autre côté de l’Atlantique. Hasard et fatalité le spectacle du Téléthon® 2015 coïncidait avec un  sommet international de toute première importance concernant les manipulations des génomes humains et les thérapies géniques :  l’International Summit on Human Gene Editing s’est tenu du 1er au 3 décembre  à Washington (programme). Ce sommet constituait, quarante ans plus tard, une suite de la conférence d’Asilomar 1

Cette rencontre était organisée par la Chinese Academy of Science, la Royal Society britannique, ainsi que par les académies nationales américaines des sciences et de médecine. On observera que les pays du Vieux Continent (et la France tout particulièrement) étaient absents. Et ce alors qu’il s’agissait de débattre des implications scientifiques, éthiques et politiques associées aux nouvelles et plus que troublantes perspectives de la modification des génomes humains. Un spécialiste français à la tribune: le Pr Pierre Jouannet, (Université Paris Descartes)

Emmanuelle Charpentier

 Et une seule chercheuse française: Emmanuelle Charpentier, co-découvreuse de la technique révolutionnaire de modification du génome dite « CRISPR/Cas9 » ; Emmanuelle Charpentier qui ne travaille pas en France mais en Allemagne, où elle dirige le Max Planck Institute of Infection Biology.  C’est là un manque considérable  pour la biologie hexagonale, un phénomène dont personne ne semble se soucier de ce côté-ci du Rhin.

Dans une déclaration commune les participants à ce sommet ont conclu que, selon eux, les nouvelles et formidables techniques « d’édition » du génome humain ne devraient pas être utilisée sur des embryons destinés à se développer. « Il serait irresponsable, à ce stade, de procéder à toute utilisation clinique de cette technologie d’édition des cellules reproductrices humaines tant que des problèmes de sûreté et d’efficacité n’auront pas été résolus avec une compréhension adéquate des risques, des bienfaits potentiels et des alternatives » ont-ils expliqué.

« Nous ne voulons pas fermer cette porte indéfiniment » a cependant ajouté la professeure de biologie moléculaire Jennifer Anne Doudna (Université de Californie – Berkeley). Mme Doudna est, avec Emmanuelle Charpentier, l’une des chercheuses les plus en pointe dans ce domaine.

Mme Doudna n’a pas, à Washington, donné sa définition de l’indéfiniment. Cela ne saurait tarder. Dans l’attente, Téléthon ou pas, la voix de la France semble ne plus peser dans ce concert international. Qui s’en soucie ?

A demain

1 Sur ce thème, se reporter à notre chronique publiée sur Slate.fr : « Maintenant que les Chinois peuvent modifier génétiquement les humains, si on appuyait sur «pause» pour réfléchir un peu? ».

On se reportera aussi, avec le plus grand intérêt, à la publication du biologiste et grand vulgarisateur Bertrand Jordan  dans le dernier numéro de Médecine/Sciences : « CRISPR-Cas9, une nouvelle donne pour la thérapie génique ». Ce même numéro publie un autre texte qui donne la mesure de la révolution que constitue la nouvelle technique généthique. Il est signé de Jacques P. Tremblay (Département de Médecine Moléculaire, Faculté de Médecine, Université Laval, Centre de Recherche du CHU de Québec) : « CRISPR, un système qui permet de corriger ou de modifier l’expression de gènes responsables de maladies héréditaires »

Le gène du crime est à bout de souffle

Bonjour

Il faut lire Médecine/Sciences. Et tout particulièrement les précieuses « Chroniques génomiques » de Bertrand Jordan. On y apprend, mois après mois, que la formidable génétique moléculaire ne progresse pas sans faire quelques dégâts.

Il y a un demi-siècle, la mode était au «chromosome du criminel». On pensait alors que les hommes porteurs d’un caryotype XYY avaient une nette tendance à être plus violents que leurs congénères majoritaires (XY). Après la découverte de leur existence, en 1961, les «double Y» et leurs supposés penchants criminels alimentèrent bien vite les fantasmes de quelques romanciers et d’auteurs de séries télévisées. L’époque vit alors parfois des experts appelés à la barre pour assurer que le syndrome XYY était très commun parmi la population pénitentiaire. Puis, faute de preuves, l’affaire se dégonfla.

Les mêmes fantasmes pouvant provoquer les mêmes effets, on vit bientôt émerger une autre confusion : celle, durablement entretenue, entre une autre anomalie génétique (le syndrome dit «de l’X fragile») et des comportements asociaux et violents. Puis le «gène du crime» se substitua bientôt au «chromosome du criminel». On ne faisait que changer d’échelle. Là encore le patrimoine génétique est porteur du stigmate, biologique, d’une violence non pas acquise, mais bien innée. La démonstration scientifique de l’existence d’une fatalité. Avec, en filigrane, l’impossibilité d’une réinsertion sociale des criminels et autres violents avérés.

Réductionnisme

L’angélisme n’a certes pas sa place dans le monde de la génétique. Les empreintes du même nom en sont une démonstration. Pour ne rien dire des nouvelles recherches en paternité qui, si l’on n’y prend garde, peuvent générer bien des dégâts. On ajoutera, le pouvoir moléculaire étant ce qu’il est, qu’il n’y a rien d’absurde à imaginer, au XXIe siècle, que certains allèles de gènes impliqués dans le fonctionnement cérébral puissent permettre de prédire tel ou tel comportement chez la personne qui en est porteuse. Pour autant, on a vite tendance, ici, à pécher dans le réductionnisme. La tentation est d’autant plus grande que les spectaculaires progrès de la génétique ne permettent toujours pas de faire, simplement, la part de ce qui revient aux gènes et de celle qui est le fruit de l’environnement. Et la complexité s’accroît un peu plus quand on découvre, avec l’épigénétique, que l’environnement peut parfois moduler l’expression de nos propres gènes.

Aujourd’hui, la recherche de la corrélation entre des structures génétiques particulières et des comportements violents et criminels continue de passionner les généticiens et les criminologues. Le dernier travail mené sur ce thème est le fruit de travaux originaux menés chez des prisonniers finlandais. Les auteurs viennent de publier leurs résultats dans la revue Molecular Psychiatry sous le titre «Genetic background of extreme violent behavior».[1] «Le titre est prudent – on n’y retrouve ni « gène », ni « crime » – mais il s’agit bien de criminels violents et de deux gènes qui seraient associés à cette violence» explique le généticien français Bertrand Jordan qui décrypte cette publication dans le numéro de janvier de la revue franco-québécoise.[2]

Criminels finlandais

Ce travail a été dirigé par un spécialiste reconnu : Jari Tiihonen (Department of Forensic Psychiatry, University of Eastern Finland). Il a été mené sur 794 personnes incarcérées parmi lesquelles 215 pour des crimes considérés comme non violents (vol, drogue, conduite en état d’ivresse) et 538 pour des crimes violents (meurtre ou tentative de meurtre) dont 84 «extrêmement violents» (récidivistes, dix crimes ou plus). L’échantillon initial était de mille personnes, mais près de deux cents ont refusé de participer à l’étude (les autres ont donné leur consentement éclairé). «Bien entendu, les hommes sont en forte majorité : 90%, plus encore pour les récidivistes, précise Bertrand Jordan. Les « témoins » (plus de sept mille) proviennent de deux cohortes nationales assemblées pour d’autres études, mais censées être bien représentatives de la population finlandaise.»

Cette population constitue, au niveau européen, un groupe distinct et relativement homogène. Le taux d’homicides (1,6 par an et pour 100 000 personnes) y est un peu supérieur aux valeurs européennes typiques (1 pour la France, 0,8 pour le Royaume-Uni – à comparer au 4,7 des Etats-Unis et au… 90 du Honduras). La plupart de ces actes ne sont pas prémédités et sont commis sous l’influence d’alcool ou d’amphétamines.

Maltraitance infantile

Les chercheurs finlandais sont partis à la recherche de deux gènes déjà impliqués dans la génétique des comportements asociaux : le gène MAOA (monoamine oxydase A) et le gène HTR2B (5-hydroxytryptamine [serotonin] receptor 2B). «Le premier, rappelle Bertrand Jordan, est une vieille connaissance de la génétique du comportement.» Il intervient dans la machinerie moléculaire des neurotransmetteurs dont la dopamine. Depuis deux décennies, il fait l’objet de différents travaux et controverses quant à ses liens avec des conduites impulsives et agressives, parfois en liaison avec des épisodes de maltraitance infantile. Le deuxième gène a quant à lui été scientifiquement présenté comme le «gène de l’impulsivité». Ils n’ont en revanche pas travaillé sur le gène MAOA2R, parfois considéré comme le «gène du guerrier» et qui ne semble pas être présent chez les criminels finlandais.

«Les auteurs rappellent que la plupart des crimes violents, en Finlande, sont commis sous l’emprise de l’alcool ou des amphétamines qui, entre autres effets, augmentent les niveaux de dopamine dans le cerveau, précise Bertrand Jordan. Le mérite de cette étude est de s’être attachée à constituer un échantillon de population bien défini, qui contient son propre groupe contrôle (les criminels non violents), et peut être disséqué selon la gradation du degré de violence. Ils se mettent ainsi en mesure d’isoler cette variable et d’étudier ses corrélats génétiques avec les outils actuels de la génomique.»

Sur-interprétations coupables

Mais le généticien français souligne aussi les importantes marges d’erreurs que comporte un tel travail. Les auteurs parviennent certes à établir des corrélations statistiquement significatives, mais sans pour autant que l’influence des gènes identifiés soit clairement démontrée. «C’est peut-être le point le plus important de cette étude (et de celles qui l’ont précédée) : malgré tous les efforts déployés, on ne détecte pas de gènes dont un allèle aurait un effet majeur et confèrerait à son porteur un risque relatif élevé de violence ou de criminalité, explique-t-il. Compte tenu de la sophistication des échantillons et des méthodes, cela signifie que de tels gènes n’existent pas.»

Il ajoute que ce travail n’échappe pas au risque de sur-interprétations et il dénonce les ambiguïtés de sa présentation. Les deux gènes recherchés sont communs dans la population témoin et ne sont donc en rienspécifiques des comportements violents. Ce qui n’empêche pas les auteurs finlandais d’écrire le contraire. Ce qui conduit, par exemple, les chroniqueurs du site d’information génomique Genome Web [3] à dire que ces gènes «sont trouvés chez les criminels violents mais pas chez les témoins». «Ceci est totalement faux et ils ne sont sûrement pas les seuls à faire cette confusion, conclut Bertrand Jordan. L’on retrouve, ici encore, la tendance à appliquer à la génétique des maladies complexes et des comportements la logique déterministe, en blanc et noir – ce qui a déjà suscité tant de malentendus.»

Si le 36 quai des Orfèvres n’était pas ce qu’il est devenu, on manifesterait pour le retour de Jules Maigret.

A demain

[1] Tiihonen J, Rautiainen MR, Ollila HM, et al. Genetic background of extreme violent behavior. Mol Psychiatry 2014 .

[2] Bertrand Jordan est un généticien et biologiste français membre de l’Organisation européenne de biologie moléculaire (EMBO) et de l’organisation internationale HUGO (Human Genome Organisation). Il est l’auteur de plusieurs ouvrages de vulgarisation (dont «Les imposteurs de la génétique») et de «Chroniques génomiques» qui paraissent chaque mois dans le mensuel Médecine/Sciences.

[3] Candidate gene study, GWAS link two genes to violent behavious. GenomeWeb, October 28, 2014. www.genomeweb.com/clinical-genomics/candidate-gene-study-gwas-link-two-genes-violent-behavior

Ce texte a initialement été publié par la Revue Médicale Suisse