Médiator: non, le silence n’est pas toujours d’or.

L’autopsie de cette affaire reste à compléter. De précieuses données chiffrées demeurent dans des coffres forts républicains fermés à clef.

A-t-on le droit d’en disposer ? Certains s’y emploient. Au nom de l’Open data.

Est-ce pur hasard où Le Monde mène-t-il désormais un noble combat ? Il y a une semaine le site du quotidien vespéral publiait une tribune atypique signée « Initiative transparence santé ». Il s’agit ici « d’un collectif d’acteurs œuvrant dans le domaine de la santé qui réclame l’accès aux données publiques relatives à notre système de soins (www.opendatasante.com) ».

Fossé entre pouvoir et citoyens

Il s’agissait d’un propos dérangeant d’actualité. Pierre-Louis Bras, membre de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas)  venait de remettre à la ministre de la Santé Marisol Touraine un rapport sur la « gouvernance et l’utilisation des données de santé ». « Une nouvelle occasion de mesurer le fossé qui sépare les pouvoirs publics des tenants -d’un accès universel aux données publiques sur le système de soins » écrivaient les auteurs de la tribune. Extraits :

« Tout le monde s’accorde aujourd’hui sur l’intérêt que présentent ces données, notamment celles collectées par la Caisse nationale d’Assurance maladie (CNAMTS) lors de la télétransmission des feuilles de soins électroniques. Utilisées à bon escient, elles permettraient d’améliorer considérablement le pilotage de notre système de santé.

Privilège de l’administration

Sauf que l’accès à ces données reste pour le moment réservé à l’administration qui n’en fait rien ou pas grand chose et laisse ainsi perdurer des dysfonctionnements majeurs.

Exemple parmi d’autres, la surconsommation de médicaments, dont l’impact financier se chiffre chaque année en milliards d’euros. Le coût est humain également. On estime à environ 6000 par an le nombre de décès attribuables à des prescriptions injustifiées (…) Voilà près de 15 ans que les informations relatives à la consommation de soins des Français sont méthodiquement stockées par la puissance publique et enfin celle-ci s’aperçoit qu’il serait peut-être intéressant de s’en servir. Quelle réactivité !

Exception française

L’administration veut bien ouvrir l’accès, mais seulement aux données qui ne présentent pas, ou peu, d’intérêt. Celles dont l’utilisation permettrait d’envisager de réelles avancées dans la gestion de notre système de santé, les données individuelles anonymisées notamment, la ministre de la Santé n’a aucune intention de laisser les acteurs extérieurs à la sphère publique en disposer.

Dans de nombreux pays (Etats-Unis, Grande-Bretagne, Suède, etc.), l’ouverture des données de santé s’impose comme frappée au coin du bon sens. En France, sous couvert d’un discours  » open « , l’administration invente, exception française oblige sans doute, un autre concept : la transparence en accès restreint. Pourquoi, une telle position ?

Laboratoires pharmaceutiques au parfum

Les raisons invoquées par les opposants à un accès plus large aux données sont diverses. Elles ont toutes en commun de ne pas tenir bien longtemps l’examen. L’anonymat des données ? Personne ne le remet en cause. C’est une évidence partagée de tous. L’identité des patients, les acteurs qui souhaitent disposer des données de santé, fussent-ils privé, n’en ont cure.

(…) les labos ont déjà accès aux informations. Comment ? Via les données issues des ventes en pharmacies ou encore par l’intermédiaire des équipes publiques de recherche ayant accès aux données. Si les pouvoirs publics freinent des quatre fers pour ouvrir l’accès aux données, c’est bien qu’ils craignent qu’on lève le voile sur l’incompétence dont ils font preuve depuis des années dans la gestion du système de soins. »

Les mystères du Sniiram

Dans son édition datée du 15 octobre Le Monde revient sur le métier. « Derrière l’acronyme Sniiram se cache l’un des coffres-forts les mieux gardés de la République : le système national d’information interrégimes de l’assurance-maladie, la plus grande base de données de santé au monde, peut-on lire. Toutes les feuilles de soins électroniques y sont centralisées, soit 1,2 milliard de pages chaque année. On y trouve des informations sur les patients (âge, sexe, lieu de résidence…), les pathologies et les prescriptions de médicaments. Cette base de données fait l’objet d’un bras de fer qui oppose, d’une part, le ministère de la santé et la Caisse nationale d’assurance-maladie (CNAM), d’autre part, le Collectif initiative transparence santé, composé d’entreprises privées (des comparateurs de services de santé comme Santé Clair) et d’associations (UFC-Que choisir…), qui réclame à cor et à cri la mise à disposition des fruits du Sniiram au public.

Silence sur le Mediator

Mais la CNAM, appuyée par le ministère de la santé, verrouille l’accès à la base (…) dernier frein, les laboratoires pharmaceutiques, qui n’ont pas intérêt à ce que la surconsommation de médicaments soit dénoncée, preuves à l’appui… »

Les responsables d’ « Initiative transparence santé » rappellent que leur collectif a officiellement saisi la CNAMTS d’une demande relative à la consommation de Mediator. « Quelles quantités ont été consommées ? Dans quelle mesure les prescriptions étaient médicalement justifiées ? Et surtout, combien la collectivité a-t-elle dépensé afin de rembourser l’empoisonnement de centaines de patients ? L’Assurance maladie dispose de toutes les réponses à ces questions. Elle a refusé de nous fournir la moindre information. » Est-ce vrai ? Et si oui pourquoi ?

Open data et jacobinisme

On peut aussi penser que la réponse à ces questions permettrait, peut-être, d’élargir le spectre des responsabilités et des culpabilités présumées tel qu’il avait été dessiné par un rapport de l’Igas à la demande de Xavier Bertrand lorsqu’il était ministre de la Santé.

Les résistances à l’Open Data en santé sont sans doute, par nature, plus coriaces dans un pays à la longue tradition jacobine. Un pays où la Sécurité sociale tient par ailleurs, et c’est heureux, le haut du pavé de la solidarité depuis bientôt soixante-dix ans. Cela n’explique pas tout.

L’accusation du Pr Sicard

Pour le Pr Didier Sicard, ancien président du Comité consultatif national d’éthique (et l’un des signataires du manifeste Initiative Transparence Santé) ces résistances à l’Open data en santé trouvent, de façon évidente, leur origine « dans la volonté de maintenir l’illusion que la santé des Français est gérée avec rigueur et discernement ». On y verra plus clair quand le coffre-fort du Sniiram s’ouvrira.

 

Scandales médicamenteux: profitons du délitement présent

Espérer ou déprimer ? Agir ou se morfondre ? Progresser ou régresser ? L’enchaînement des « scandales » médicamenteux hexagonaux associé à l’actuelle fébrilité des responsables sanitaires français pourrait bien, au final, ne pas être sans vertus. A une condition sine qua non:  que cette série mortifère puisse être utilisée comme un levier pour soulever le couvercle d’un système clos et bouillonnant, celui du médicament.

Avancer en faisant sinon la « transparence » du moins une plus grande lumière. La transparence sur les estimations comparées des calculs efficacité-sécurité. Sur les chiffres exacts  et les évolutions des prescriptions. Sur les pesants mystères des fixations de prix de spécialités prises en charge par la solidarité nationale. Sur les raisons qui font que l’enseignement de la thérapeutique dans les facultés de médecine ne se fait pas, d’abord,  sous dénomination commune internationale mais sous nom de  marques commerciales. Sur les évolutions possibles du métier de pharmacien d’officine. Sur les possibilité d’amélioration des  mécanismes actuels de contrôle,  par la puissance publique, du pouvoir des multinationales pharmaceutiques. Entre autres exemples 

Plus largement l’éditorial du Monde daté du 31 janvier plaidait clairement (avec une inhabituelle et rafraîchissante fermeté) en faveur d’une transparence accrue sur les « données de santé ». A commencer par celles que détient, grâce à la collectivité,  l’assurance maladie. Une mobilisation est en marche, facilitée par les incalculables conséquences de la technique l’informatique.  On n’imagine pas qu’elle puisse conduire au miracle. Mais ne pas s’y associer c’est de facto accepter les scandales à venir. Ou, déjà, s’en délecter. 

Ce billet reprend le texte d’une chronique parue sur le site pure player Slate.fr

 De mal en pis. Les autorités sanitaires administratives et politiques sont aujourd’hui dépassées, incapables de gérer sereinement la crise des pilules contraceptives. Dernier épisode en date: la décision de l’Agence nationale de sécurité sanitaire des médicaments (ANSM) de faire une croix sur Diane® 35 et ses copies génériques[1].

Ce médicament est commercialisé en France depuis un quart de siècle. Il ne devait, en théorie, être utilisé que dans le traitement de l’acné. Mais cette spécialité pharmaceutique a également des effets équivalents à ceux des autres contraceptifs oraux. Aussi Diane® 35 a-t-elle toujours été fréquemment prescrite comme une pilule parmi les autres. La règle n’était certes pas respectée, mais elle était devenue l’usage.

Or voici que dans trois mois, toute prescription et toute délivrance de ces médicaments seront interdites. L’ensemble des lots présents sur le marché sera retiré. En France, plus de 300.000 femmes prennent ce médicament quotidiennement; pour traiter une acné, comme contraceptif oral; ou pour ces deux raisons. Elles ne pourront plus le faire dans trois mois.

Ce n’est pas tout. A compter du 1er avril, les pilules contraceptives dite de troisième génération, tenues pour potentiellement dangereuses, ne seront plus remboursées tout en étant maintenues sur le marché français. Ce sera le cas des pilules qui pourront se substituer à Diane® 35. L’annonce du retrait de Diane® 35 par l’ANSM a suivi de peu un article du Figaro faisant état de quatre morts en vingt-cinq  ans, et ce sur la base de données nationales (secrètes) de pharmacovigilance. L’anticipation du déremboursement a été décidée par Marisol Touraine après le dépôt hautement médiatisé d’une plainte au pénal pour un cas d’accident vasculaire cérébral.

Pourquoi maintenant, dans la précipitation

L’affaire des pilules change aujourd’hui de dynamique et de dimension. Au départ, il apparut clairement que cette crise sanitaire était fort mal géréeDe nouvelles mesures confirmèrent cette impression. Les incohérences concernant Diane® 35 ne laissent plus de doute. L’explication officielle est que «le rapport bénéfice/risque de Diane 35 et de ses génériques est défavorable dans le traitement de l’acné, au regard notamment du risque thromboembolique veineux et artériel auxquels ils exposent les femmes traitées». L’ANSM précise que«l’usage important de ces médicaments en tant que contraceptifs n’est pas conforme et leur efficacité comme contraceptif n’a pas été démontrée par des études cliniques appropriées».

Ce qui n’est pas faux. Mais pourquoi maintenant, dans une telle précipitation et en appelant les femmes concernées «à ne pas paniquer»? L’ANSM ne répond à aucune des questions de fond qui sont soulevées. L’Agence «considère que ces médicaments ne doivent plus être employés comme contraceptifs: ils n’ont pas d’AMM dans cette indication». Certes, mais depuis un quart de siècle, ils n’en ont jamais eu, Bayer, qui la commercialise, n’ayant jamais souhaité demander cette indication préférant positionner sa spécialité comme un médicament anti-acné, tout en étant parfaitement informé de l’usage qui en était fait. Et rien ne permet de conclure à une soudaine dangerosité.

La multinationale allemande dit ainsi «prendre acte avec surprise» de la décision de l’ANSM concernant un médicament «commercialisé dans 116 pays depuis plus de 25 ans pour le traitement de l’acné chez la femme» et qui n’a jamais fait l’objet de retrait d’autorisation de mise sur le marché pour des raisons de sécurité. «A notre connaissance, il n’existe pas de nouvelles preuves scientifiques susceptibles de conduire à une modification de l’évaluation bénéfice/risque positive de Diane® 35», observe Bayer.

Dès lors pourquoi cette alerte rouge? Pourquoi cette décision unilatérale de retrait total du marché qui –sauf information confidentielle– semble hors de proportion avec ce qui la motive? Le tempo est mauvais, les responsables sanitaires fébriles. L’hyperréactivité de l’ANSM vient ici gravement brouiller les repères. Au point que les critiques indépendants les plus justement sévères sur le système actuel, comme le Dr Dominique Dupagne, estiment qu’avec Diane un seuil a été franchi et que l’emballement actuel risque fort d’avoir en cascade des effets négatifs.

La France n’est pas seule. Parallèlement à sa décision de retrait sur le sol français, l’ANSM a initié une procédure d’arbitrage au niveau communautaire. La France entend ainsi que ces médicaments, autorisés dans la plupart des autres Etats membres européens, y soient retirés, suspendus ou modifiés. C’est peu dire que cette initiative irrite les autorités concernées dans ces différents pays. Elles estiment généralement qu’il existe une problématique médicamenteuse spécifiquement française qui ne les concerne pas et qui ne saurait justifier des modifications d’ordre communautaire.

Résumons. Nous sommes avec Diane® 35 devant un cas assez exemplaire de non-respect massif des indications officielles d’un médicament, situation tolérée sinon collectivement acceptée par les autorités sanitaires, les fabricants et les prescripteurs. Ce n’est pas, loin s’en faut, le premier cas de cette nature. Il en fut ainsi, durant près de deux décennies, du Médiator. Et il en va de même, aujourd’hui du Baclofène,  médicament prescrit sans autorisation chez environ 30.000 personnes souffrant de dépendance à l’alcool. Que se passera-t-il quant un cabinet d’avocat spécialisé prendra médiatiquement en charge la victime d’un accident grave pouvant être imputé à ce médicament?

Pourquoi pas d’alerte sur le paracétamol?

La situation actuelle rappelle qu’une politique de santé publique réclame avant tout de ne pas céder aux  paniques, de hiérarchiser les priorités sur la base des éléments objectifs disponibles. Or c’est précisément là que le bât blesse. Car ces éléments ne sont pas disponibles.

Un exemple: il est aujourd’hui impossible de consulter les registres nationaux de pharmacovigilance. Ne serait-ce, par exemple, que pour comparer les chiffres de mortalité-morbidité de Diane® 35 à ceux des différentes présentations de médicaments à base de paracétamol (responsable, dit-on, de 60 fois plus de décès).

L’ANSM répond en substance que ces données sont nominatives (et qu’il faudrait alors les rendre anonymes). Et  qu’elles sont brutes, nécessitant des explications de texte. C’est très précisément ce qu’il serait nécessaire de réaliser.

Plus généralement, on observe une revendication croissante visant à obtenir une transparence sur les données de santé publique; données aujourd’hui pour l’essentiel propriété de l’assurance maladie et des agences sanitaires parmi lesquelles l’ANSM. C’est le sens de l’appel «Liberté pour les données de santé» lancée par l’UFC Que Choisir-60 millions de consommateurs et le Collectif Inter-associatif sur la santé(CISS).

Rien ne permet bien sûr d’affirmer que les actuels dysfonctionnements médiatisés du système de pharmacovigilance auraient pu être toujours prévenus par un accès facilité à ces données. Mais tout laisse en revanche penser que si cette transparence n’est pas au plus vite organisée, de nouvelles affaires-sandales émergeront sous peu. Et chacune réactivera un peu plus la défiance grandissante des patients vis-à-vis des pouvoirs publics et des prescripteurs.

Cette transparence devra aussi s’étendre au système (aujourd’hui totalement secret) de fixation des prix de ces substances prises en charge par la solidarité nationale. Elle ne fera pas l’économie d’une révolution dans l’enseignement de la thérapeutique dans les études médicales.

Si les scandales actuels ont un mérite, ce sera d’aider à la constitution d’un contre-pouvoir aux effets régulateurs et préventifs. «Il y aura un avant et un après Médiator», avait cru pouvoir affirmer au plus fort de la crise Xavier Bertrand alors ministre de la Santé. En dépit du nouveau cadre législatif qu’il a fait mettre en place, on sait désormais que rien n’a changé.

Les pesanteurs sont trop lourdes, le système trop féodal, les responsabilités par trop éparpillées et les réformes entreprises trop cosmétiques. Personne ne peut imaginer aujourd’hui qu’il y aura «un avant et un après la Diane ® 35 et les pilules 3 G». Une libération des données de santé pourrait permettre de l’espérer. Et rien n’interdit d’imaginer que le sujet puisse, un jour prochain, capter l’attention de l’actuelle ministre de la Santé.

[1] Pour consulter le dossier consacré à la réévaluation de Diane 35 et de ses génériques on peut se connecter sur ce site de l’ANSM.Retourner à l’article

Prothèses mammaires : mais que n’a donc pas fait l’Afssaps ?

Un bien étrange courrier de la FDA américaine. Des avocats d’attaque. Où cette affaire sanitaire atypique commence à présenter des similitudes avec celle du Médiator. On attend une réaction des autorités sanitaires et gouvernementales.

 Toulon (Var), Paris (France), Washington (États-Unis).  Le spectre s’élargit en même temps que la focale se déplace. Sur certains chirurgiens plasticiens tout d’abord. Sur l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) de l’autre.  Il se confirme ainsi que la Food and Drug Administration (FDA) américaine n’était pas resté inactive vis-à-vis de la firme française Poly Implants Prothèses (PIP).  Cet intérêt était motivé par le développement notable, outre Atlantique,  de la pratique de la chirurgie esthétique et des implantations de prothèses mammaires. La FDA avait dépêché du 11 au 17 mai 2000 un de ses enquêteurs dans l’usine PIP, située à La Seyne Sur-Mer (Var) pour inspecter le processus de production des prothèses du groupe. Cette inspection aurait alors révélé que certains manquements à la conformité. Un courrier daté du 22 juin de la FDA citait alors une série de onze  violations dans les méthodes utilisées, les locaux et les installations qui n’étaient pas conformes aux pratiques de production de référence. Parmi elles, la FDA cite « l’incapacité à établir et à maintenir des procédures de vérification » de la conformité des prothèses, eu égard aux objectifs de qualité. L’inspecteur de la FDA reprochait alors aussi à PIP de ne pas avoir signalé à l’agence américaine, comme le veut la loi, l’existence d’une centaine de plaintes déposées en France à propos de ces prothèses de janvier 1997 à juillet 2000 ainsi qu’au moins vingt en provenance d’autres pays durant la même période. On trouvera une copie de cet étonnant courrier ici.
Les violations relevées durant l’inspection pouvaient être le reflet de problèmes sous-jacents dans le processus de production de la firme et de son système assurant la qualité des produits, estimait alors la FDA. Il s’agissait  d’implants mammaires constitués de solution saline différents des prothèses  également produites par PIP utilisant des gels de silicone et pour lesquelles le gouvernement français a recommandé l’explantation « à titre préventif et sans caractère d’urgence » chez les 30 000 femmes qui en portent.

 Question : la FDA avait-elle alors communiqué les résultats de son inspection aux autorités sanitaires françaises ?  Interrogée le 27 décembre par l’Agence France Presse (AFP) Erica Jefferson, une porte-parole de la FDA n’a pas été en mesure de le confirmer ou de l’infirmer. « Notre lettre de mise en garde a été rendue publique en 2000 et, étant donné le temps écoulé depuis, je n’ai pas pu avoir la confirmation que ces informations ont été transmises à la France, a-t-elle répondu. Mais généralement, quand la FDA mène des inspections dans des pays étrangers, les autorités de ces pays sont informées de notre présence sur leur territoire. »

 Ce nouvel élément vient, côté français, brutalement compliquer le dossier. Comment raisonnablement comprendre que l’avertissement de la FDA soit resté sans écho de ce côté-ci de l’Atlantique – a fortiori si la mise en garde a été rendue publique par la FDA ? Comment un tel constat de manquements à des exigences de fabrication d’un dispositif implantable dans le corps humain ait pu rester lettre morte ? Et que sont les poursuites en justice devenues ? Comment la France pouvait-elle ignorer les manquements d’un fabricant français ?

Et une nouvelle n’arrivant jamais seule la journée du 27 décembre aura aussi été celle qui aura vu Me Laurent Gaudon, avocat de quatre porteuses d’implants mammaires PIP, annoncer qu’il allait assigner au civil les chirurgiens qui auraient manqué à leur devoir d’information et la société allemande Tüv, qui certifiait leur qualité. Objectif : obtenir pour les victimes de prothèses défectueuses l’indemnisation qu’elles risquent de ne pas obtenir dans le volet pénal, PIP ayant été déclaré en faillite en 2010. Cet avocat fonde son action sur un arrêt de la cour d’appel d’Aix de 2008 qui a déjà ciblé la responsabilité d’un chirurgien pour « manquement au devoir d’information » dans des faits qui remontent à 1996 et concernaient déjà des prothèses PIP. Outre les sociétés PIP et Tüv, Me Gaudon veut poursuivre les chirurgiens qui auraient continué à opérer des patientes avec des implants PIP malgré des ruptures. Dans l’arrêt de la cour d’Aix, la patiente avait été victime de quatre déchirures d’implants PIP et se serait vu réinsérer à chaque fois cette marque sans en avoir été informée.

« Le chirurgien est débiteur d’une obligation d’information, comme tous les médecins, a dit Me Gaudon à l’agence de presse Reuters. Il ne doit pas seulement vous informer sur l’opération elle-même – les risques de cicatrisation, les risques liés à l’anesthésie – mais sur les avantages, les inconvénients des prothèses qu’il va vous insérer et le choix qu’il y a entre les différents types de prothèses. »

Et un avocat pouvant ne pas agir seul Me Yves Haddad, l’avocat de PIP, qui reconnaît que la majorité des implants de la société étaient fabriqués avec du gel non conforme depuis sa création en 1991, a lui aussi pointé du doigt la responsabilité des chirurgiens. « Ce sont quand même les chirurgiens qui ont implanté ces prothèses mammaires dans le corps des femmes, ils devraient intervenir un peu plus pour dire quel est leur sentiment et quelle est leur position » a-t-il déclaré, également à Reuters Me Haddad a d’autre part amorcé une contre-attaque en s’interrogeant sur l’intervention, tardive selon lui, des autorités de contrôle. Il souligne ainsi que l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) n’est ainsi en 2010 intervenue qu’à la suite d’une dénonciation anonyme. Pour Yves Haddad la question est de savoir si l’Afssaps aurait pratiqué des contrôles sans cette dénonciation anonyme. Si des produits étaient fabriqués avec du gel non conforme, l’Afssaps  « n’avait pas le droit de l’ignorer. Si elle l’ignorait, c’est qu’elle est négligente » estime l’avocat.
L’Afssaps ? Elle  a déclaré, toujours le mardi 27 décembre, ne pas avoir retrouvé la trace d’un avertissement de la FDA américaine, précisant  qu’elle n’avait pas à être obligatoirement mise au courant pour un problème qui n’était pas de type sanitaire à l’époque. Quant à Me Gaudon il espère désormais la création par l’Etat d’un « fonds de garantie » qui prendrait en charge l’explantation et la réimplantation des prothèses PIP. « On milite pour la création d’un fonds qui, sur le modèle de ce qui a été fait pour le Médiator, indemniserait les victimes et se substituerait à elles dans les poursuites contre PIP, les chirurgiens esthétiques » dit-il.

Où, via l’Afssaps notamment, l’affaire des prothèses PIP commence à présenter bien des similitudes avec celle du coupe-faim des Laboratoires Servier. Et où elle réclamera de la part du gouvernement et des autorités sanitaires une réponse d’une ampleur  – et d’une pertinence – bien différente de celle qui a jusqu’ici été formulée.  

 

Cancers et prothèses mammaires, une affaire d’un nouveau type

 « Affaire » ou « scandale » ? Les autorités sanitaires françaises sont profondément embarrassées par ce dossier hors du commun. Y aura-t-il des « responsables », sinon des « coupables » ? En toute hypothèse une mesure semble s’imposer : organiser au plus vite la traçabilité de ces implants.  

 A quoi tiennent donc l’activité et la dynamique journalistiques ? Pour une large part, nous venons de le voir, à l’insolite. Et pour une part au moins égale à l’émotion –  celle qui parfois parcourt les foules,  quelque qu’en soit la nature profonde.  De ce point de vue toutes les affaires qui concernent l’intégrité des corps humains (aujourd’hui les crises sanitaires) tiennent régulièrement le haut du pavé. A fortiori –et c’est presque toujours le cas- quand elles se structurent en feuilleton et qu’il faut trouver –avant la justice, si possible- un coupable nommément désigné qui tiendra le rôle –assez peu enviable, dit-on – du bouc émissaire.   

La dernière affaire en date nous fait quitter les univers du médicament (Médiator) et des hypothétiques polluants environnementaux (bisphénols) pour le monde des prothèses et autres dispositifs médicaux implantables, en l’occurence les implants mammaires. Mais à la différence des affaires similaires passées (concernant des pacemakers ou des prothèses de hanches) celle-ci  se complique d’une dimension nouvelle : l’émergence des premiers cas d’affections de nature cancéreuse chez des femmes porteuses de tels dispositifs. On estime (faute, précisément, de pouvoir être affirmatif) à environ 500.000 le nombre de femmes chez lesquelles de tels dispositifs ont été implantés ; toujours pour des raisons esthétiques-  après ou non chirurgie thérapeutique mutilatrice. Et l’on recense huit (ou neuf) cas de cancers dont cinq cas de cancers du sein (de type adénocarcinome) et deux lymphomes. Sur son Blog notre confrère Jean-Daniel Flaysakier (spécialiste des questions médicales à France Télévisions) analyse plusieurs aspects de cette question concernant les lymphomes.

Pour notre part nous venons,  sur Slate.fr, de rapporter les principales données de ce dossier ; un dossier bien embarrassant pour les autorités sanitaires. Ces dernières semblent être dans une impasse paradoxale pour ne pas écrire schizophrénique. D’une part elles sont contraintes de donner en temps et en heure à la presse les informations dont elles disposent ; faute de quoi elles seraient accusées de cacher la vérité. De l’autre elles ne peuvent pas ne pas redire à chaque échéance que rien ne permet d’affirmer que ces cas de cancers trouvent leur origine dans la présence d’une prothèse fabriquée par une firme (Poly Implant Prothese ou PIP) par ailleurs accusée de malfaçon par l’autorité de sécurité sanitaire en charge de sa surveillance (l’Afssaps).  

Dans un tel contexte la raison voudrait que la puissance publique cherche (et trouve) dans le (riche) vivier des épidémiologistes français quelques experts traducteurs de talent capables d’expliquer au plus grand nombre ce qui distingue le simple effet du hasard du lien de causalité. Mais la raison tarde, l’émotion grandit et la presse s’en fait immanquablement l’écho, amplifiant du même coup le phénomène. Prophétie auto-réalisatrice? Les associations revendiquent. Les malades avérées estiment être des victimes et les femmes qui ne sont pas malades redoutent de le devenir.

Le parquet de Marseille (siège de la société PIP) aurait en quelque ssemaines reçu plus de 2.000 plaintes de porteuses de prothèses mammaires; il a ouvert une information judiciaire pour «blessures et homicide involontaire» et les avocats spécialisés travaillent la question. «Nous n’avons pas d’a priori sur le lien de cause à effet. Nous savons que ce sont des prothèses frelatées», a précisé le Pr Dominique Maraninchi, aujourd’hui directeur général de l’Afssaps (Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé), ancien responsable de l’Institut national du cancer (Inca). Le Pr Maraninchi a rappelé qu’en France «une femme sur dix a, a eu ou aura un cancer du sein».

Selon l’Afssaps, les implants tenus pour frauduleux auraient, dans 80% des cas, été posés à des fins esthétiques et dans 20% des cas pour reconstruction. Un « comité de suivi » recense actuellement tous les cas de cancers survenus chez les femmes potentiellement concernées et l’Inca émettra dans quelques jours une série de recommandations aux professionnels de santé sur la meilleure conduite à tenir, notamment au plan chirurgical (retrait ou pas). Un numéro vert (0800 636 636) a été mis en place et plus de 5.000 appels auraient été reçus en deux semaines. 

La direction générale de la santé a demandé à tous les chirurgiens et médecins concernés de contacter leurs patientes porteuses qui ont de prothèses PIP, ce qui ne semble pas avoir été toujours effectué. L’association PPP  (de défense des porteuses de prothèses de la marque PIP) et l’association du Mouvement de défense des femmes porteuses d’implants et de prothèses (MDFPIP), réclament  la prise en charge du remplacement des prothèses posées pour raisons esthétiques.

A ce stade on voit mal comment la situation pourrait se débloquer, et retomber l’émotion des femmes (et de leurs proches) estimant être les plus directement concernées. C’est dans ce contexte qu’un site d’information pour les professionnels de santé (www.santelog.com)  précise que des sénateurs américains viennent de déposer au Congrès un nouveau projet de loi pour la Sécurité des patients ; un projet exigeant des fabricants d’implants de communiquer aux pouvoirs publics l’ensemble de leurs données afin d’assurer une traçabilité de toutes les prothèses et donc de pouvoir suivre les éventuels effets indésirables sur le long terme.

 Ce site ajoute que la France et les Etats-Unis font partie des pays qui ne disposent pas encore de tels registres alors que d’autres (la Suède, la Nouvelle-Zélande, l’Australie, l’Angleterre, l’Allemagne, la Finlande, la Slovaquie, le Danemark et le Canada) s’en sont dotés ce qui est de nature à constituer un outil précieux de veille sanitaire. En l’espèce cet outil permettrait d’avoir des données identificatrices concernant les 30 000 femmes porteuses d’une prothèse PIP. On pourrait aussi imaginer alors croiser ces données avec celles issues des registres des cancers où des données de la Cnam. Et en savoir (et en dire) plus, d’un point de vue statistique et épidémiologique, sur ce dossier.

Sur le fond le sujet avait été abordé en 2003 dans le cadre du Parlement européen. Sans véritable suites concrètes, les décisions en la matière incombant aux Etats membres. Au vu du développement actuel de l’affaire des prothèses mammaires on peut raisonnablement  penser que ce nouvel angle devrait, sous peu, alimenter de nouveaux débats sinon de nouvelles polémiques. Le thème principal en est déjà connu : pourquoi avoir laissé en jachère ce pan essentiel de la veille sanitaire ? Avec son corollaire : la recherche, par des moyens multiples, des principaux responsables.