Tabac et conflit d’intérêts : deux journalistes poussent la patronne des CDC vers la sortie

Bonjour

On peine à imaginer l’équivalent en France. Soit l’histoire américaine, aux frontières du vraisemblable, de Brenda Fitzgerald , 71 ans. Dr Fitzgerald, bardée de diplômes, ayant gravi tous les échelons, que l’on croyait au dessus de tout soupçon. Et qui ne l’était pas. Brenda Fitzgerald qui ne sera restée que sept mois à la tête des puissants Centers for Disease Control and Prevention (CDC) avant d’être démasquée. On lira tous les détails de cette  invraisemblable affaire dans The New York Times : « Dr. Brenda Fitzgerald, C.D.C. Director, Resigns Over Tobacco and Other Investments ». On les retrouve aussi, résumés, sur le site de Medscape (Aude Lecrubier, Alicia Ault) : « La directrice des CDC, prise la main dans le sac, démissionne ». Un sac, en l’espèce, cousu d’or et rempli de tabac et d’actions de toutes sortes.

On lit. On réfléchit. Imaginer l’équivalent en France?  Outre-Atlantique ce scandale est la conséquence des  révélations du magazine Politico sur les liens d’intérêt récurrents de Mme Fitzgerald avec les industries du tabac, de la pharmacie  et de l’industrie agroalimentaire : « Trump’s top health official traded tobacco stock while leading anti-smoking efforts ».

« Brenda Fitzgerald aurait acheté, pendant son mandat, pour des dizaines de milliers de dollars d’actions de Japan Tobacco, Merck &Co, Bayer, Humana et US Food Holding Co. Les journalistes Sarah Karlin-Smith et Brianna Ehley précisent qu’au moment de sa nomination par l’administration Trump, le Dr Fitzgerald détenait déjà des actions de cinq grands cigarettiers Reynolds American, British American Tobacco, Imperial Brands, Philip Morris International et Altria Group Inc. »

 Esprit de lucre

Où situer la frontière qui sépare l’acceptable de ce qui ne l’est plus ? Quand commence ce qui deviendra l’irréparable ? Comment en vient-on à ne plus saisir que l’on marche en dehors des clous de la morale ?

« Il s’agit d’une certaine forme d’inconscience pour un directeur des Centers for Disease Control and Prevention d’acheter des actions à un industriel du tabac un mois après être entré en fonction comme haut représentant de la santé public de la nation », explique le Dr Peter G Lurie, Président du Center for Science in the Public Interest : « CSPI Welcomes Resignation of CDC Director Brenda Fitzgerald ». Inconscience ou esprit de lucre ?

S’interroger sur le psychisme de Mme Fitzgerald ? Sur la levée du surmoi qui aux Etats-Unis conduit à de telles situations ?  « Il y a un conflit intenable entre chercher à faire des profits personnels avec l’industrie du tabac et être un porte-parole crédible sur le tabac et d’autres questions de santé publique », a déclaré à Medscape édition internationale Vince Willmore, vice-président de la « Campagne sans-tabac pour les enfants ».

On réfléchit encore. Un équivalent exister en France ? Vraiment ?

A demain

 

Jupiter, mystère des fibrillations auriculaires et réforme du Code du travail

Bonjour

C’est une étude rêvée pour la CGT. Mandée de Finlande, elle est parfaitement résumée par Medscape France (Vincent Bargoin). Et le hasard veut qu’elle coïncide, en France, avec les travaux libéraux sur la clef de voûte du dispositif Macron-Philippe II : la réforme du code du travail.

Pour faire court : celles et ceux dont le temps de travail atteint (ou dépasse) 55 heures par semaine, présentent un risque accru de fibrillation auriculaire (trouble du rythme cardiaque affectant les oreillettes) ; risque survenant de novo par rapport aux personnes travaillant entre 35 et 40 heures. Aucune explication scientifiquement démontrée pour ce phénomène observé chez des travailleurs jeunes (43 ans) et, neuf fois sur dix, indemnes de tout antécédent cardiovasculaire. Et un résultat qui, selon les auteurs, est « cohérent avec de petites études associant les stress professionnels à la fibrillation auriculaire » – des études encore inconnues de l’assurance maladie.

Tenter de ne pas dépasser 48 heures

Ce résultat vient d’être publié dans l’European Heart Journal par un consortium de recherche européen : l’ « Individual-Participant-Data Meta-analysis in Working Populations Consortium » (IPD-Work) – consortium qui approfondit les associations entre paramètres psycho-sociaux de la vie professionnelle, maladies chroniques, handicaps et mortalité. Les chercheurs finlandais ont travaillé sur une cohorte de 85.494 hommes et femmes (65%), âgés de 43,4 ans lors du recrutement, engagés dans une activité professionnelle en Grande Bretagne, Danemark, Suède et Finlande. Les épisodes de fibrillation auriculaire ont été dénombrées à partir des dossiers hospitaliers, des tracés d’ECG, des remboursements de médicaments, et des registres de décès.

« Après ajustements sur l’âge, le sexe, et le statut socio-économique, le risque de FA incidente était augmenté d’un facteur 1,42 chez les sujets travaillant au moins 55 heures par semaine (soit 5,2% de l’effectif), par rapport aux personnes travaillant entre 35 et 40 heures (62,5% de l’effectif), résume Medscape. Pourquoi ? Cette étude tombe curieusement en pleine discussion sur la Loi Travail en France, et l’on sait que la question des heures supplémentaires est un gros morceau de cette discussion. Les résultats de l’IPD-Work serviront-ils d’arguments ? Et dans les discussions entre personnels hospitaliers et directions des hôpitaux ? »

Ce sont là d’excellentes questions que l’exécutif aimerait peut-être ne pas voir soulevées. Peut-être faut-il rappeler aux ultra-libéraux les termes de la  Directive Européenne 2003/88/EC  : elle dispose que la durée de travail hebdomadaire ne doit pas dépasser 48 heures. En moyenne.

A demain

 

 

Hémorroïdes : soudain, quarante-quatre ans après, le Proctolog® est retiré du marché

Bonjour

C’est une page entière de la pharmacopée qui se tourne. La fin d’une époque où le nom commercial d’une spécialité pharmaceutique pouvait ressembler à une spécialité médicale. Sans choquer personne. Le Proctolog® (trimébutine/ruscogénines) vient d’être retiré du marché français. Et à toutes fins utiles l’ANSM demande à tous les médecins de ne plus jamais prescrire les suppositoires et la crème rectale Proctolog® de la multinationale américaine Pfizer.

Le médicament, commercialisé depuis 1973, était indiqué dans le traitement symptomatique des manifestations douloureuses et prurigineuses anales, des syndromes fissuraires, en particulier de la crise hémorroïdaire, rappelle le site Medscape.  En 1973 Michel Poniatowski était ministre de la Santé et Georges Pompidou président de la République. Le Proctolog® n’était plus remboursé depuis fin 2011 – et ce pour cause de « service médical rendu insuffisant ». Aussi le prix de vente était-il libre dans toutes les pharmacies d’officine.

Antispasmodique symptomatique

La décision de retirer ce médicament du marché intervient dans le cadre du programme de révision du rapport bénéfice/risque des Autorisations de Mises sur le Marché antérieures à 2005 de l’ANSM.

Proctolog® ? « Ce médicament d’usage local contient des substances antispasmodiques et vasculoprotectrices, explique encore le site eurekasante.vidal.fr.  Il est utilisé dans le traitement symptomatique des douleurs, des sensations de brûlures et des démangeaisons de l’anus, en particulier dues aux hémorroïdes. »

L’ANSM considère désormais que la situation qui prévalait depuis quarante-quatre ans n’est plus acceptable. « « En l’absence de données d’efficacité de cette association […] et au regard des risques immuno-allergiques, à type de dermite de contact, urticaire, eczéma, réaction œdémateuse voire choc anaphylactique, le rapport bénéfice/risque de ces spécialités est considéré comme négatif » indiquent les laboratoires Pfizer dans une lettre aux professionnels de santé.

Proctolog® définitivement retiré du marché donc, après une série d’incidents et d’accidents dont nul n’avait parlé. Et nul ne dit par quoi le remplacer.

A demain

 

Pharmacie, éthique et politique : méchantes recettes pour faire de gros bénéfices

 

Bonjour

On peut voir là, au choix, des informations édifiantes ou révoltantes. Elles sont disponibles sur le site Medscape (Aude Lecrubier). On y découvre les révélations de plusieurs médias britanniques quant aux méthodes de la multinationale pharmaceutique sud-africaine Aspen Pharmacare. « S’il n’obtient pas les hausses de prix demandées auprès des gouvernements, Aspen va jusqu’à stopper les ventes, quitte à envisager de détruire ses propres stocks, résume Medscape. Or, Aspen est en situation de quasi-monopole sur ces génériques… »

Après The Guardian, ces pratiques sont mises en lumière par The Times (Billy Kenber) : « Drug giant’s secret plan to destroy cancer medicine » et par  The Independant (Katie Forster): « Pharmaceutical giant ‘plotted to destroy cancer drugs to drive prices up 4,000%’ ». On y apprend le bras de fer engagé avec le gouvernement espagnol pour obtenir une forte hausse des prix de cinq génériques d’anticancéreux acquis auprès de GlaxoSmithKline.  Une bataille qu’ont déjà perdu (ou que n’ont pas mené) certains pays européens.

Parmi les cinq médicaments concernés, le busulfan (Myleran®, Aspen) indiqué dans le traitement de la leucémie myéloïde chronique a vu son prix passer de 5,20 £ à 65,22 £ le flacon de comprimés en 2013 – soit une augmentation de plus de 1100% après l’acquisition par Aspen.

Faire céder les gouvernements

« Notons qu’en France, le prix du médicament vendu par Aspen est désormais de 68 euros par flacon de 25 comprimés alors qu’il était de 14,93 euros en 2006, souligne Medscape. Une autre molécule, le chlorambucil (Leukeran®, Aspen), également utilisée en hémato-oncologie coute désormais 40,51 £ par boite versus 8,36 £ avant le rachat en 2013. En France, le produit est aujourd’hui commercialisé par le laboratoire Techni Pharma pour 20,96 euros la boite de 30 cps. Dans l’Hexagone, le Purinethol® coute désormais 64,63 euros par flacon de 25 cps au lieu de 4,35 euros lorsqu’il était commercialisé par GSK. »

Face à refus du gouvernement espagnol d’accepter une augmentation de prix allant jusqu’à 4000%, le laboratoire est passé des menaces à l’action destructrice. Selon The Independent, cette méthode de pression a déjà été utilisée par le laboratoire en Italie où les pénuries de médicaments et les menaces d’arrêter les ventes ont fini par faire céder le gouvernement.

Interrogé par The Times, Aspen n’a pas fait de commentaire sur la question de la destruction des stocks espagnols, précise Medscape. En revanche, Dennis Dencher, DG d’Aspen Pharma Europe a indiqué que les hausses de prix avaient pour but « de promouvoir un accès durable aux patients », que les prix initiaux étaient « très bas et insoutenables » et que les « pénuries d’anticancéreux d’Aspen n’étaient pas délibérées ».

Existe-t-il une éthique minimale dans la jungle des multinationales pharmaceutiques ? Que pourrait révéler, sur le sujet, le Comité économique français des produits de santé ?

A demain

 

Tensions : faut-il parler ou non de l’affaire du Pr Mourad, conseiller santé d’Emmanuel Macron ?

Bonjour

Nous traversons des temps médiatiquement bien étranges. Hier, dimanche 12 mars, la France a été abreuvée d’une affaire de vestes de garde-chasse de haute confection offertes à François Fillon. Et après ? Nul ne sait.

Quelques jours avant c’était une affaire de conflit d’intérêts qui venait jeter une ombre sur la marche vers le pont d’Arcole d’Emmanuel Macron : l’affaire dite Jean-Jacques Mourad, du nom d’un spécialiste de l’hypertension artérielle qui occupait un poste de « conseiller santé » dans le mouvement « En Marche ! ». Une semaine après l’agitation est retombée. Que peut-on raisonnablement penser de cette affaire – affaire justement résumée par site Medscape (Jean-Bernard Gervais) : « Fin de campagne pour le Pr Jean-Jacques Mourad pour cause de conflits d’intérêt ».

« Avatars anonymes »

On peut, ici, voir une affaire symptomatique de l’évolution considérable des rapports de force dans le champ du sanitaire. Medscape observe ainsi qu’il aura suffi d’un simple tweet du Formindep (Association pour une Formation et une information médicales indépendantes) pour allumer la mèche et « jeter la suspicion sur l’un des soutiens d’Emmanuel Macron » dans sa campagne.

« A propos du Pr Jean-Jacques Mourad, le Formindep écrit, dans un tweet daté du 5 mars : « Qui parle ? Le porte-parole de Macron ou le speaker de Servier » ?  Et d’accompagner son propos d’une capture d’écran de la page transparence.sante.gouv. Ce site, mis en place après le scandale Servier, recense les liens d’intérêt des médecins qui travaillent pour l’industrie pharmaceutique. Le Pr Jean-Jacques Mourad y figure. Chef de l’unité médecine interne-HTA au CHU Avicenne depuis 2004, professeur de médecine à Paris 13 depuis la même année, Jean-Jacques Mourad fut aussi secrétaire scientifique de la société française d’HTA (SFHTA) en 2015.

« Entre 2012 et 2016, le site transparence.sante.gouv recense 165 avantages et 97 conventions , au nom de Jean-Jacques Mourad. La plupart lie le cardiologue à Servier, justement. En termes de frais de restaurant et de transport, Jean-Jacques Mourad aura été défrayé de plus de 80 000 euros, et aura donc participé à une ou deux conférences par mois en moyenne en l’espace de deux ans. »

Et le Pr Mourad de reconnaître bien vite « ne pas avoir fait état de ses liens avec le laboratoire Servier », ni au moment d’intégrer ce groupe, ni au cours des travaux qu’il avait pu commencer à y mener. Quelques « articles de presse » et l’homme démissionnait.  Il s’en expliqua dans un communiqué de presse publié le 7 mars. Qualifiant le Formindep « d’avatars anonymes », le Pr Mourad apporte cet éclairage qui pourr être perçu comme une confession :

« Depuis des années, comme beaucoup d’experts, j’ai une activité de consultance et d’orateur pour plusieurs labos, dont Servier en particulier. Très tôt et bien avant les lois Bertrand, j’ai fait le choix du non-mélange des genres en démissionnant de toute fonction dans les agences publiques (commission de publicité du médicament et expertises pour l’ANSM). Je trouve normal et sain qu’il y ait des experts à la recherche et à l’innovation qui collaborent avec les labos d’un côté, et d’autres, à la vigilance et à l’évaluation dans les instances dédiées.»

Missions dans l’Orient compliqué

Medscape ajoute que sur le montant des frais de transport constatés sur le site Formindep, et payés par Servier (certains de ces frais sont de l’ordre de plusieurs milliers d’euros), le spécialiste de médecine interne évoque « plusieurs missions en Asie ». Sur son engagement dans le pôle santé d’Emmanuel Macron, le Pr Mourad rappelle qu’il s’est borné à s’investir dans quatre thèmes : « le remboursement à 100% des trois déficiences, le service sanitaire, la délivrance à l’unité et le rétablissement à 100% de l’HTA sévère, ce dernier point étant l’une des revendications qu’a porté le CISS (collectif de patients) à l’époque devant le Conseil d’Etat » 1.

Quant à ses liens avec le laboratoire Servier, il se cantonne, écrit-il, à « avoir une communication éthique sur leurs produits dans l’HTA ». Et d’ajouter : « Cette activité n’a aucune connexion avec le médicament Médiator bien entendu ». Que peut bien être une communication éthique rémunérée par un laboratoire pharmaceutique ? Nul ne le sait. Et comment de tels propos sont-ils interprétés dans la sphère de la confraternité ? Le Dr Olivier Véran, neurologue et homme politique était hier proche de Marisol Touraine. Il est aujourd’hui aux côté d’Emmanuel Macron et ne voit pas d’inconvénient dans cette situation. Aux antipodes du neurologue, la Dr Irène Frachon est estomaquée par cette collusion : « C’est du jamais-vu ! Je suis sidérée par le niveau d’avantages, de cadeaux et de conventions menées quasi exclusivement avec Servier, dit-elle. Ce serait bien que les candidats à la présidentielle sachent que la transparence est en marche », déclare-t-elle dans un article du Monde .

Kauf Mich ! (Achète-moi !).

Transparence ? Le candidat Emmanuel Macron, inspiré par ses conseillers, a proposé un meilleur remboursement des médicaments contre l’hypertension artérielle. C’était le 6 janvier dernier. Transparence ? « S’il perd Jean-Jacques Mourad, Emmanuel Macron conserve Bernard Mourad, nous apprend Medscape.  Le frère du médecin démissionné fait lui aussi partie de la team d’En Marche ! Ancien de la banque Morgan Stanley, ancien conseiller de Patrick Drahi et patron d’Alice media group (L’Express entre autres), directeur général de SFR, Bernard Mourad a démissionné de toutes ses fonctions pour devenir le conseiller spécial de Macron en octobre 2016. Il apporte au mouvement En Marche ! sa connaissance des milieux d’affaire, et sera actif dans la levée de fonds pour mener campagne. »

Nous avons vérifié. Tout est vrai. Mais c’est aussi incomplet. En 2006 Bernard Mourad a publié un roman Les Actifs corporels. Il y met en scène un capitalisme poussé à l’extrême, où les êtres humains peuvent être cotés en Bourse sous la forme de « sociétés-personnes » dans le cadre de la « Nouvelle Économie individuelle ». Le héros, Alexandre Guyot, un consultant trentenaire, est le premier homme introduit sur le marché. L’ouvrage développe une perspective entre dystopie et critique socio-économique, que l’auteur place dans la lignée de Michel Houellebecq et de Bret Easton Ellis.

Ce roman a été traduit en allemand par la maison d’édition Ullstein, sous le titre Kauf Mich ! (Achète-moi !). Il est sorti en poche en 2007 aux éditions J’ai Lu (collection « Nouvelle génération »). Puis, en mai 2008 est publié le deuxième roman de Bernard Mourad, Libre échange. « Dans la même veine d’anticipation réaliste, l’ouvrage développe une analyse psychologique et sociale de la recherche du bonheur et de l’identité, dans un contexte d’emprise croissante du pouvoir médiatico-politique, dit la Toile. On y suit le parcours sombre et inquiétant d’un héros suicidaire qui se voit proposer d’échanger sa vie contre celle d’un autre homme. »

A demain

1 Il faut ici rappeler que l’hypertension artérielle sévère avait, par voie de décret, été sortie de de la liste des affections de longue durée (ALD) en 2011- au motif qu’elle était un « facteur de risque » et non une « maladie avérée ». Un argument alors massivement contesté par les associations de patients et les professionnels de santé. Voir « L’hypertension, nouveau symbole d’une politique de santé court-termiste et choquante » de Nicolas Postel-Vinay Slate.fr 30 juin 2011.

«Tuer le cancer® pour 486 euros» : la surprise, le malaise et les questions d’un oncologue

Bonjour

Un mail dominical et confraternel nous apporte des éléments nouveaux dans notre enquête sur l’affaire « Tuer le cancer pour 486 euros » 1. On les trouve dans un entretien original réalisé avec le Pr Jean-Yves Pierga, oncologue à l’Institut Curie de Paris et publié sur le site Medscape France (Aude Lecubrier) : « Test sanguin ISET® pour diagnostiquer un cancer : attention à la surpromesse ». Ce spécialiste, très au fait de ce domaine de recherche, a accepté de répondre à quelques questions soulevées par la médiatisation de la commercialisation du test sanguin de dépistage des cellules tumorales circulantes ISET® – médiatisation assurée via la publication de l’ouvrage du Pr Patrizia Paterlini-Bréchot (Université Paris Descartes, CHU Necker) intitulé « Tuer le cancer ».

Le Pr Pierga 2 rappelle tout d’abord qu’il existe d’autres techniques proches. Celle développée par le Pr Patrizia Paterlini-Bréchot s’appuie sur un système de filtre qui permet de récupérer les cellules cancéreuses en raison de leur plus grosse taille par rapport aux autres : il s’agit du test ISET® (Isolation by SizE of Tumor cells, Rarecells). « En parallèle, d’autres technologies utilisent des anticorps pour repérer les biomarqueurs exprimés à la surface de ces cellules tumorales circulantes, comme le test CellSearch® (Janssen Diagnostics). En tout, il existe une cinquantaine de technologies basées sur ces deux grands principes », précise le Pr Pierga.

Malaises

Que retenir des conséquences de la médiatisation actuelle vantant les mérites d’ISET® ?

« Le message qui semble avoir été entendu est que ce test permet de dépister le cancer. Depuis, nous [oncologues] sommes tous sollicités par des patients qui souhaitent réaliser un test de dépistage des cellules cancéreuses circulantes pour savoir s’ils ont un cancer. Nous sommes mal à l’aise car pour le moment nous ne savons pas si engager une action thérapeutique en cas de test positif présente un bénéfice pour le patient.

« Il existe une marge importante entre dire qu’il s’agit d’une perspective de recherche intéressante et commercialiser un test qui doit démontrer une utilité clinique en termes de curabilité ou de durée de survie pour les patients. Faire une chimiothérapie à visée préventive est loin d’être anodin… »

Pour le Pr Pierga le risque de sur-diagnostic est ici clairement en jeu

« Cela n’est pas sans rappeler les discussions sur l’intérêt de la généralisation de certaines méthodes de dépistage comme le dosage du PSA dans le cancer de la prostate ou le scanner de dépistage du cancer du poumon. Rappelons-nous aussi que, pendant longtemps, les oncologues ont demandé des dosages de marqueurs dans le sang pour les personnes en rémission d’un cancer du sein avec l’idée de dépister au plus tôt les métastases. Or, nous n’avons jamais pu montrer que traiter plus tôt ces métastases prolongeait la survie. Les recommandations internationales ont donc changé et préconisent de ne plus doser ces marqueurs. Cela fait réfléchir.

« Un autre exemple qui devrait inciter à la prudence est celui du test CellSearch® qui détecte les CTC grâce à des anticorps. Alors que ce test existe depuis plus de 15 ans, il n’a pas été encore montré que les patients tiraient un bénéfice clinique des résultats obtenus. Le fabricant est en train de désinvestir du projet. Mais, des études, financées par l’INCa, pour évaluer l’intérêt clinique des CTC sont toujours en cours. »

Surprise

Que répondre au fait que le test ISET® soit, d’ores et déjà commercialisé ?  « Je suis aussi assez surpris que l’on puisse commercialiser ce type de test sans plus de contrôle et d’encadrement. Ce qui est sûr, c’est que la sécurité sociale ne va pas rembourser un test qui n’est pas validé. Après, les autorités de santé devraient-elles communiquer sur ce test ? Nous nous posons la question. Est-ce le rôle d’un organisme comme l’INCa de se prononcer par rapport à ce type d’annonce ? »

Ce sont là, précisément les questions que nous nous posons. Sans jamais obtenir de réponses de l’INCa. Certains ont eu plus de chance qui ont recueilli il y a peu quelques éléments précieux de la présidence. Nous les rapporterons sous peu en soulevant de nouvelles et dérangeantes interrogations. Grâce à la confraternité, l’enquête progresse.

A demain

1 « ‘’Tuer le cancer’’ pour 486 euros : sur France Inter, l’affaire du Pr Paterlini-Bréchot » Journalisme et santé publique, 19 janvier 2017

« Peut-on « tuer le cancer pour 486 euros » ? Interrogé l’INCA ne répond pas. Pourquoi ? » Journalisme et santé publique, 5 février 2017

« ‘’Tuer le cancer pour 486 euros’’ ? Le bon sens médical selon Patrizia Paterlini-Bréchot » Journalisme et santé publique, 18  février 2017

« ’Tuer le cancer pour 486 euros ‘’ : l’Académie de médecine se saisira-t-elle de l’affaire ? » Journalisme et santé publique, 18  février 2017

2  Au chapitre des liens d’intérêts le Pr Pierga mentionne : « financements de recherche par Janssen Diagnostics qui commercialise le test CellSearch. Autres : Amgen, AstraZeneca, Ipsen Innovation, Roche, Merk, GSK, Novartis, Eisai SAS. »

 

Tabagisme: les vertus de la brutalité britannique. Dernières nouvelles du front électronique.

Bonjour

C’est un papier médical et scientifique. Mais comme il s’agit de l’esclavage du tabac on peut aisément en faire un sujet politique. On le trouve dans Annals of Internal Medicine : “Gradual Versus Abrupt Smoking Cessation: A Randomized, Controlled Noninferiority Trial”. Il est repris, traduit et parfaitement décrypté sur le site Medscape France (Stéphanie Lavaud) « Sevrage tabagique : l’arrêt brutal plus efficace que l’arrêt progressif ».

Briser ou limer ?

 Le profane y apprendra que pour se libérer de l’esclavage du tabacmieux vaut parvenir à briser la chaîne d’un coup que de la limer pendant des mois. Les substituts nicotiniques peuvent aider à supporter la fracture. Telle est la conclusion que l’on peut tirer d’une étude anglaise menée auprès de 697 fumeurs, dans laquelle les chances d’être abstinent à 4 semaines étaient 25% plus importantes en cas d’arrêt définitif un jour donné. Une étude financée par la British Heart Foundation (jeter un œil au site). Medscape :

« Quand il s’agit d’en finir avec une addiction, la rupture radicale avec l’objet du plaisir est-elle plus efficace que la consommation à petites doses ? Dans le cas du tabac, la question est loin d’être tranchée et la littérature peu consensuelle. Classiquement, on conseille aux candidats à l’arrêt de choisir un jour et de stopper définitivement la cigarette, et, en général, les recommandations officielles vont plutôt dans ce sens. Néanmoins, en pratique, les fumeurs rapportent plutôt un sevrage progressif. Une revue Cochrane a, quant à elle, montré peu de différences entre les deux approches. D’où l’idée de chercheurs anglais, spécialistes de la question, de conduire une étude dont le protocole permettrait de s’affranchir des biais et de discriminer entre les deux options afin de déterminer la plus efficace. »

Brutal ou progressif

Nicola Lindson-Hawley (Oxford University, United Kingdom Centre for Tobacco and Alcohol Studies) et ses collègues ont recruté des fumeurs consommant soit au moins 15 cigarettes par jour, soit 12,5 grammes de tabac à rouler quotidiennement ou bien présentant des taux de monoxyde de carbone (NO) expiré supérieur à 15 ppm. Tirage au sort et deux groupes : arrêt brutal de l’intoxication  15 jours après l’entrée dans l’étude ; sevrage progressif (diminution de moitié au cours de la 1èresemaine, puis d’un quart lors de la seconde etc.). Pendant les deux semaines précédant l’arrêt, le groupe « progressif » avait droit à des traitements nicotiniques substitutifs. Le groupe « arrêt brutal » pouvait continuer à fumer jusqu’à la date fixée (timbres proposés juste avant l’arrêt).

Travail de grande ampleur : 23 infirmier/ères répartis sur 31 centres de soins de premier recours, volontaires des deux sexes âgés de 49 ans en moyenne, vingt cigarettes quotidiennes, score de 6 au test de Fagerström,  94% étaient d’origine caucasienne. A 4 semaines le critère primaire d’abstinence a été atteint par 39,2% des volontaires du groupe « arrêt progressif » et 49,0% de ceux du groupe « arrêt brutal ». Le critère secondaire à 6 mois indique lui aussi une supériorité du groupe « arrêt brutal » versus « progressif », avec respectivement, 22,0% versus 15,5% de sevrage.

« Nous avons clairement montré que l’arrêt brutal était supérieur en termes d’efficacité de sevrage tabagique à moyen et court terme. L’adhésion aux instructions sur les modifications de comportements et aux TSN a été bonne et les médicaments bien tolérés » concluent les auteurs. Ils ajoutent que les participants qui préfèrent l’arrêt progressif sont moins susceptibles de réussir leur sevrage, quelle que soit la méthode qui leur a été assignée ». La motivation guiderait-elle le mode d’arrêt ? Et que penser, dans ce paysage enfumé, des vapeurs d’eau de la cigarette électronique ?

Politique shizophrénique

On retrouve cette dernière dans Le Figaro qui vient d’offrir ses colonnes au Pr Gérard Dubois, membre de l’Académie de médecine bien connu de celles et ceux qui ne sont pas indifférents aux questions de santé publique – spécialité dont il est professeur émérite : « La cigarette électronique: où en est-on ? ». On y retrouve une forme de logique que l’on pourrait, si la chose était encore permise aux journalistes, qualifier de schizophrénique – la conclusion (ci-dessous) n’étant pas associée à une action politique d’envergure.

« La cigarette électronique a été mise au point au début par des amateurs talentueux et l’engouement des fumeurs a rendu tout retour en arrière impossible. Elle s’est imposée sur un marché qui s’est rapidement développé. À l’évidence, malgré des remises en cause médiatisées mais mal fondées, la toxicité de l’e-cigarette est bien plus faible que celle de la fumée de tabac.

« Elle ne participe pas à une initiation au tabagisme des enfants et adolescents. Elle est quasiment exclusivement utilisée par des fumeurs ou anciens fumeurs qui craignent de récidiver. Son efficacité dans l’arrêt du tabac semble s’affirmer et elle a contribué, au moins en France et en Angleterre, à une baisse des ventes de tabac. Une législation et une réglementation en cours de mise en place sont cependant nécessaires pour garantir la sécurité d’un produit plébiscité par les fumeurs et moduler son utilisation. La cigarette électronique est donc un outil utile à la réduction de la mortalité et de la morbidité dues au tabac. »

Premier sommet

On retrouvera la politique, la santé publique et la cigarette électronique au « Premier sommet de la vape ». Ce sera le 9 mai à Paris (Conservatoire national des Arts et Métiers).

« Le 1er Sommet de la vape souhaite rassembler l’ensemble des parties prenantes (scientifiques, politiques, associations, autorités de santé, utilisateurs) afin de débattre ensemble du meilleur moyen de favoriser l’essor de l’utilisation de la cigarette électronique en tant qu’alternative au tabac chez les fumeurs et de minimiser les potentiels effets négatifs. »

A demain

 

 

Zika et échographies : le temps venu de la grande cacophonie au sujet des «microcéphalies»

 

Bonjour

Signé du Dr Isabelle Catala, un papier du site Medscape consacré à Zika  résume le mieux la désagréable impression de grand flottement qui prévaut aujourd’hui. Flottement au carré pourrait-on dire. Il concerne tout d’abord le lien de causalité (toujours évoqué, jamais démontré) entre l’infection de la femme enceinte et la microcéphalie foetale. Il concerne ensuite la conduite à tenir (selon les autorités sanitaires) face à ce risque hypothétique. On a, ici, l’impression d’avancer dans le brouillard médical et scientifique.

Revenons au 3 févier 2016 et à la conférence de presse  au cours de laquelle Marisol Touraine, ministre de la Santé et des Droits de la Femme, a, concernant Zika, souhaité « faire un point très précis sur la situation épidémiologique en France ». La ministre a alors indiqué que depuis le début de l’épidémie, dans les départements français d’Amérique, vingt femmes enceintes ont été détectées positives au virus Zika. Ces femmes font l’objet d’un suivi renforcé, aucune malformation n’a été détectée à ce jour.

Le 22 janvier 2016, le Haut Comité de la Santé Publique (HCSP)  avait actualisé ses recommandations de 2015. Il estimait nécessaireen cas d’infection confirmée chez la mère, « de réaliser une surveillance échographique mensuelle avec recherches d’anomalies morphologiques orientées sur les signes infectieux et les malformations neurologiques, de préférence dans un centre de diagnostic anténatal surtout en cas de RT-PCR positive dans le liquide amniotique ».

Femme enceinte, conduite à tenir en cas d’infection confirmée :

«  Information de la patiente sur les risques supposés liés à une infection Zika et les risques connus pouvant résulter des investigations cliniques et paracliniques, (notamment si elles sont menées sans bénéfice direct pour la patiente ou le fœtus) ; il n’y a pas lieu de pratiquer d’amniocentèse systématique après confirmation d’une infection par le virus Zika ; surveillance échographique mensuelle avec recherche d’anomalies morphologiques orientées sur les signes infectieux et les malformations neurologiques de préférence dans un centre de diagnostic anténatal surtout en cas de RT-PCR positive dans le liquide amniotique (…)

« A la naissance : RT-PCR Zika sur le sang du cordon et les urines ainsi que dans le placenta ; sérologie dengue (en zone épidémique ou au retour de zone épidémique) et Zika chez l’enfant ; surveillance et suivi pédiatrique adaptés.

Conduite à tenir en cas de découverte d’anomalies à l’échographie :

« Une échographie par trimestre est normalement proposée à toute femme enceinte. En cas de découverte de microcéphalie, d’anomalies cérébrales ou de signes de dysfonctionnement du tronc cérébral (hydramnios avec troubles de la déglutition) ou de retard de croissance intra-utérin (non vasculaire, non syndromique) : information de la patiente ; bilan étiologique adapté selon l’anomalie : recherche de causes infectieuses (CMV, toxoplasmose, rubéole, herpès…) ou toxiques (alcool, drogues) ou génétiques ; sérologie et séroneutralisation Zika chez la mère.

« Adresser la patiente à un Centre pluridisciplinaire de diagnostic prénatal (CPDPN) pour une évaluation étiologique et pronostique de l’affection fœtale dont les conséquences possibles seront expliquées à la mère. »

Le Conseil national professionnel de gynécologie et obstétrique (CNPGO  recommande pour sa part une surveillance échographique mensuelle des biométries céphaliques fœtales « pour les femmes enceintes qui ont récemment voyagé en zone d’endémie, notamment dans la zone s’étendant du Paraguay jusqu’au Mexique y compris les Antilles, en élargissant au Cap Vert et au Pacifique à une période où elles auraient p être exposées au risque ».

Préservatifs recommandés

Par ailleurs, le CNPGO précise que du fait de la possibilité de transmission par voie sexuelle, « l’emploi du préservatif est recommandé pour les femmes enceintes dont le compagnon est suspect d’être infecté ». « Le Ministère de la santé va devoir trancher rapidement sur cette question du nombre d’échographies chez les femmes potentiellement exposées en raison des conséquences en termes de remboursement de ces actes » estime Medscape.

On pourrait certes soutenir que ces échographies de précaution permettront de documenter la question du lien de causalité… Une question qui, en dépit des nombreux raccourcis médiatiques et politiques n’a toujours pas de réponse assurée.  « On sait déjà que le virus peut passer la barrière hémato-placentaire et infecter le fœtus, résume Medscape. Par deux fois, du virus a été détecté dans le liquide amniotique et des séquences ARN ont aussi été retrouvées chez un enfant mort-né infecté. Pour autant, le Zika suffit-il à lui seul à créer des microcéphales ? Existe-t-il un co-facteur comme le suggère le Dr Anne Schuchat du CDC américain ? »

Données imparfaites

Il faut aussi tenir compte de la récente publication signée de notre confrère Declan Butler qui, dans  Nature  cite Jorge Lopez-Camelo et Ieda Maria Orioli du Latin American Collaborative Study on Congenital Malformations(ECLAMC). Ces derniers soulignent que les données épidémiologiques dont on disposait jusque là – et qui servent désormais à calculer la progression du nombre des cas – étaient imparfaites. Une donnée confirmée en coulisse par plusieurs spécialistes français.

Les chercheurs sud-américains précisent, en outre, que les critères diagnostiques de microcéphalie sont très peu spécifiques, et que certains enfants rattraperont les courbes normales en grandissant (en termes de périmètre crânien) ; sans pour autant que cela augure de l’absence de séquelles. Le brouillard ne se lève pas.

A demain

 

Lucentis® : la gabegie a progressé de 10% (soit 428,6 millions d’euros remboursés en 2013)

Bonjour

Que font  les responsables politiques et sanitaires français face aux cas les plus criants de gabegies médicamenteuses  organisées ? Rien.

L’explication la plus simple est peut-être qu’ils ne peuvent rien y faire. Ce n’est pas l’explication la plus rassurante. A fortiori lorsque que des économies sont nécessaires dans le vaste champ de la « santé ». Et que ces économies sont annoncées dans le secteur du médicament.

Un cas d’école

De ce point de vue l’affaire Lucentis® est un formidable révélateur des contradictions majeures de la politique française dans ce domaine. C’est aujourd’hui un vrai cas d’école. Que fera (ou que ne fera pas) le gouvernement Valls sur ce poste de dépenses indues qui bafoue jusqu’aux règles les plus élémentaires de la concurrence

Le site Medscape revenait il y a quelques jours sur les dernières données de l’assurance maladie . En 2013, les remboursements de médicaments en ville ont, pour la deuxième année consécutive, baissé pour s’établir à 22,6 milliards d’euros contre 22,7 milliards en 2012. Soit un (léger) tassement de 0,4%. La substitution générique pour sa part a permis d’engendrer des économies de l’ordre de 2,2%, soit 1,6 milliard d’euros.

Lucentis® en tête

Dans le même temps les médicaments de la dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA) continuent à constituer le gros des dépenses, Lucentis® en tête. Ces médicaments « continuent à être l’une des principales classes de médicaments qui affichent une croissance importante de leurs dépenses (+12,9% soit 51 M€ de plus par rapport à 2012)».

Le Lucentis® reste ainsi le médicament le plus remboursés en 2013 (comme il l’était en 2012) ;  il « concentre » 428,6 millions d’euros des sommes remboursées, soit une augmentation de +10,2% en un an. Eylea® (aflibercept), qui vient d’être autorisé dans l’indication DMLA (en vente depuis novembre 2013) a représenté 12 millions d’euros de remboursement en seulement deux mois.

Une fortune

On connaît l’essentiel de l’histoire, celle, à peine croyable de deux médicaments quasi identique : le Lucentis® et l’Avastin®. Les deux peuvent également soigner la DMLA. Le premier vaut une fortune et il est autorisé. Le second vaut beaucoup moins cher mais il n’est autorisé que dans le traitement d’une maladie cancéreuse. Les deux sont remboursés par notre collectivité.

Des médecins ophtalmologistes, soucieux des deniers publics, osèrent utiliser le second à la place du premier. La puissance publique les menaça de poursuites. Alertés par des médecins-citoyens quelques rares médias s’intéressèrent au sujet. ( «Traitement contre la cécité ou traitement contre l’absurdité »  Slate.fr, 7 août 2012). Rien ne se passa. Où est passé le pouvoir de la presse ?

 Gouffre financier

Un an plus tard le  Syndicat de la médecine générale dénonça, chiffres à l’appui, la situation et le gouffre financier  qu’elle constituait. Il le fit  de manière lumineuse et imparable dans une lettre ouverte adressée à Marisol Touraine, ministre de la Santé  comme on peut le lire ici. Où est passé le pouvoir des syndicats ?

Puis le Pr. François Chast chef du service de pharmacie clinique (groupe hospitalier hôpitaux universitaires Paris Centre / Cochin – Hôtel-Dieu – Broca) revenait à la charge sur la Toile. Il citait le Washington Post indiquant qu’aux Etats-Unis 55% des malades sont traités par Avastin®, 34% par Lucentis® et 11% par Eylea®. Où est passé le pouvoir des mandarins ?

Trop beau scoop

Le dernier rebondissement dans l’affaire , Lucentis® datait de mars dernier (« Lucentis® / Avastin® : quand l’incroyable gabegie prendra-t-elle fin ? »).  Le Parisien révélait alors que l’anticancéreux Avastin® pourrait à terme être autorisé comme traitement alternatif pour la maladie ophtalmologique, actuellement en remplacement du  Lucentis®. Un projet de décret du ministère de la Santé était en cours d’élaboration. Et Marisol Touraine, ministre des Affaires sociales et de la Santé, venait de transmettre au Conseil d’Etat un texte qui permettrait, à terme, aux ophtalmologistes d’utiliser Avastin®  dans le traitement de la DMLA (3. 000 nouveaux cas par an).

Le scoop était trop beau. Le projet de décret en lui-même « n’autorise pas l’utilisation Avastin®  ni d’aucun autre médicament en particulier » avait aussitôt précisé le ministère de la Santé à l’AFP. Ce décret d’application de la LFSS (loi de financement   de la sécurité sociale) pour 2013 viendrait «  préciser les conditions dans lesquelles l’Agence nationale de sécurité du médicament et la Haute autorité de santé pourront autoriser l’utilisation de certains médicaments dans le cadre de RTU (recommandations temporaires d’utilisation) pour motif économique. »

Sanctions en Italie

Cette procédure qui pourrait ensuite permettre à l’Agence du médicament d’autoriser les prescriptions d’Avastin®. On apprenait alors que  l’autorité italienne de la concurrence venait d’infliger une amende d’un total de 182,5 millions d’euros aux deux groupes pharmaceutiques suisses impliqués dans cette affaire (Novartis et Roche) en estimant qu’ils avaient « conclu un accord illicite pour empêcher l’utilisation » de l’Avastin®  dans les pathologies oculaires. Les services de Marisol  Touraine indiquaient alors  avoir « adressé fin 2012 un courrier » au ministre de l’Economie de l’époque (Pierre Moscovici) afin que l’Autorité de la concurrence enquête sur une « éventuelle entente » entre les deux géants Roche et Novartis.

« Une enquête est actuellement en cours » indiquait-on  au ministère de la Santé. Sans doute l’est-elle toujours.

A demain

(1)  Le deuxième médicament le plus remboursé en 2013 est l’adalimumab, Humira® (382,8 millions d’euros, en hausse de 10,6%), Suivent la rosuvastatine, Crestor® (342,8 millions d’euros, +1,4%), et le Doliprane® (315 millions d’euros, +14,1%). La croissance des volumes de vente du Doliprane® serait due au contexte épidémique hivernal de l’année 2013.

Par classe thérapeutique, les traitements du cancer sont ceux qui augmentent le plus en 2013, en hausse de 8,1%, soit 135 millions d’euros, suivie par les médicaments antirhumatismaux (+11,2%) qui augmentent de 79 millions d’euros. En troisième position les médicaments antidiabétiques sont en hausse de 6%, soit 78 millions d’euros. Victoza® (liraglutide GLP1) et Lantus® (insuline glargine) enregistrent les plus fortes hausses. Les remboursements des antiagrégants, antithrombotiques connaissent eux-aussi une progression (+8,7% soit 75 millions d’euros), tout comme les traitements de la sclérose en plaques (+19,4% soit 66 millions d’euros).

 

Les cœurs Carmat® battront-ils encore, après la mort ?

On a beau réfléchir avec le cerveau, nos grandes affaires sont des affaires de cœur. Cette pompe n’a plus rien à voir avec la mort, certes, mais son battement à toujours quelque chose de rassurant. Ou pas.  Notamment quand l’heure vient où il faut prendre certaines décisions. Comme ci-dessous.  

Conférence de rédaction au sous-sol de la rue Sainte-Anne, siège de Slate.fr. Jeunes talents et vieux briscards. La conversation roule. Médecine. Sharon, Schumacher, les nouveau-nés de Chambéry.  Puis un esprit rédactionnel toujours affûté nous interpelle : « Ton cœur Carmat®, battra-t-il encore après la mort ? ». A question précise, réponse embarrassée. Genre politique. Rappel des grands principes. Retour rapide sur la séparation il y a un demi-siècle de l’Eglise-cœur et de l’Etat-cerveau. Et assurance que l’on reviendra un jour prochain sur le sujet.

On quitte la rue Sainte-Anne et sa civilisation japonaise. Troublé. Irrité de n’y avoir point songé le premier. Questions à quelques confrères médecins. Embarras contagieux.

Puis, fatalité, de précieuses  informations collatérales apportées par le site Medscape depuis Rochester et le temple de la Mayo Clinic. On n’y parle pas de  Carmat®, bien sûr. Mais on s’en rapproche. Question (jamais posée dans les médias français) : à partir de quand le maintien en fonction d’un défibrillateur (DAI) ou d’un pacemaker (PM) traitant la bradycardie, peut-il être assimilé à de l’acharnement thérapeutique ?

« Désactivations » et « rétractations »

Questions jamais posée non plus dans les instances professionnelles ou au sein de nos instances dirigeantes. « Difficile question, dont ni les cardiologues implanteurs, ni les autorités de santé, ni les patients eux-mêmes, ne se sont encore pleinement saisis » assure Vincent Bargoin (1). Or, avec quelques 110 000 DAI implantés chaque année aux Etats-Unis, on ne peut plus parler de question marginale. Dans le Journal de l’American Medical Association – Internal Medicine, une équipe de la Mayo Clinic (Rochester, Etats-Unis), publie quelques chiffres éloquents (2).

On y apprend que sur une période de près de quatre ans (novembre 2008 – septembre 2012), durant laquelle 4496 PM ou DAI ont été implantés à la Mayo Clinic, 159 demandes de désactivation de l’appareil ont été enregistrées. Dans 150 cas, la désactivation a effectivement été opérée. On note, parmi les neuf cas restant, deux refus des médecins chez des patients dépendants de leur PM, et une rétractation d’un patient. Chez les 150 patients dont l’appareil a été désactivé (79 ans, 67% d’hommes),  57% avaient formulé leurs volontés quant à leur fin de vie. Mais la désactivation de l’appareil n’était explicitement mentionnée que dans un seul cas.

Le pire

« On note par ailleurs que 23 patients sont décédés dans les 24 heures suivant la désactivation. Dans ce cas, la demande a probablement été formulée après des chocs de l’appareil, écrit notre confrère. Enfin, le plus surprenant, peut-être : les auteurs soulignent que dans une majorité de cas (55%), c’est une infirmière qui a été chargée de la désactivation et non pas le chef d’équipe. » Est-ce bien surprenant ou n’est-ce pas plutôt profondément choquant ? On pourrait ajouter scandaleux ou, plus précisément, indigne.

« Ces chiffres n’ont évidemment qu’une valeur indicative – on peut seulement les supposer plutôt favorables, la Mayo Clinic n’étant pas ce qui se fait de pire aux Etats-Unis et dans le monde, euphémise Vincent Bargouin.
Les questions qu’ils soulèvent sont développées dans un éditorial, cosigné par Sunita Puri, médecin en soins palliatifs (Palo-Alto), et Katy Butler, journaliste indépendante, très engagée sur la question (3).

Médecine à la Ford

 Pour les spécialistes américains le diagnostic tient en un mot : la « fragmentation » des soins. Fragmentations dans le temps, dans l’espace et entre spécialités. Cette parcellisation des tâches, cette médecine à la Ford,  permet aux cardiologues implanteurs d’ignorer les préoccupations de leurs collègues des soins intensifs. D’ailleurs ces derniers  pas toujours les compétences pour intervenir sur des appareils qu’ils n’ont pas implantés. Ce n’est pas le moindre des charmes de la modernité médicale américaine : travaillant à la chaîne on ne s’embarrasse guère d’une déontologie rangée au sous-sol de l’Overlook hospital. On imagine qu’il n’en va pas de même dans les centres hospitaliers français.
Chocs terminaux

« Alors que le débranchement d’appareils externes tels que les respirateurs, est et reste une question débattue publiquement, le cas des appareils implantés, « invisibles », tels que les DAI, semble susciter beaucoup plus de réticences, poursuit Vincent Bargoin. Les éditorialistes pointent ainsi une première apparition de la question des chocs délivrés par les DAI en phase terminale, en 2007 – dans une revue spécialisée en soins intensifs mais destinée aux infirmières, d’ailleurs – puis un très timide consensus de la Heart Rythm Society américaine en 2010, qui ne mentionne la désactivation d’un appareil implanté, à la demande du patient, que comme une possibilité éthique. »

« Les recommandations cliniques en cardiologie ne suggèrent pas encore une responsabilité éthique dans l’information des patients sur la possibilité d’une désactivation sans douleur de l’appareil quand, de l’avis du patient, les inconvénients excèdent les bénéfices », estiment les éditorialistes. Selon eux c’est en fait dès l’implantation que l’information ad hoc devrait être délivrée. Or certains cardiologues se sentent mal préparés pour parler avec les patients de la préparation d’une bonne mort, ou au moins d’une mort sans souffrance inutile

« Le consentement éclairé devrait aller au-delà d’une check-list portant sur des risques chirurgicaux mineurs, pour inclure, formulée en langage simple, la notion d’une désactivation possible lorsque les attentes du patient se tournent vers la qualité de vie, et non plus vers la durée de vie », soulignent-ils, en ajoutant que « des patients suffisamment malades pour se voir implantés un PM ou un DAI , sont généralement aussi suffisamment malades pour accepter de telles discussions ». Ces éditorialistes ont sans aucun doute raison.
Mourir implanté mais sans souffrir

Et s’agissant des médecins, ces deux éditorialistes reconnaissent parfaitement la difficulté du discours. « Il n’est pas facile de communiquer sur un espoir réaliste, tout en discourant sur un futur qui renvoie aux limites de l’existence et de la médecine, notent-ils. Certains cardiologues se sentent mal préparés pour parler avec les patients de la préparation d’une bonne mort, ou au moins d’une mort sans souffrance inutile ».

Qu’en est-il en France?

Une sage observation  pour finir : « on ne peut attendre des cardiologues qu’ils sachent implanter ou prescrire un DAI sans formation ; de la même manière, on ne peut attendre d’eux qu’ils sachent mener une discussion sur la fin de vie sans formation adéquate ». C’est ainsi. Pour ne plus être le siège des passions le cœur des passions le cœur ne saurait être réduit à une pompe biologique plus ou moins sophistiquée. Le cœur Carmat® vaudra, nous disent les marchands environ 150 000 euros. Soit environ le même prix qu’un cœur vivant encore battant. Qui, le moment venu, les débranchera ? L’implanteur ou l’infirmière ? Seront-ils réutilisés ? La transparence doit-elle ou non être faites sur le sujet ?

(1) Vincent Bargoin a couvert pendant une douzaine d’années l’actualité médicale au sein de la rédaction du Quotidien du Médecin. Sa formation de biologiste (Université d’Orsay) l’a conduit à s’intéresser plus particulièrement à l’émergence de la biologie moléculaire et de la génétique en médecine dans les années 90. Depuis 2005, Vincent participe à l’équipe éditoriale de theheart.org, édition française, et assure la fonction de rédacteur en chef adjoint depuis 2011.

(2) Buchhalter LC, Ottenberg AL, Webster TL et coll. Features and Outcomes of Patients Who Underwent Cardiac Device Deactivation. JAMA Intern Med.  doi:10.1001/jamainternmed.2013.11564.

(3) Butler K, Puri S. Deathbed Shock : Causes and Cures. JAMA Intern Med. doi:10.1001/jamainternmed.2013.11125.