Comme chaque semaine Gérard Lefort (de Libération) nous dit tout (ou presque) à partir d’une photographie. Aujourd’hui il évoque non sans brio ce qui se trame sur nos frontières du normal et du pathologique. Avec, en toile de fond, la vieille psychanalyse sur les braises des neurosciences.
L’autisme fait grassement la Une, ces jours-ci, dans le paysage médiatique français. Sur la table un rapport de la Haute Autorité de santé. (HAS). Comme toujours ou presque le jargon consensuel : « Recommandations de bonne pratique sur les interventions éducatives et thérapeutiques coordonnées chez l’enfant et l’adolescent avec autisme ou autres troubles envahissants du développement (TED) ». La plupart des titres de la presse d’information générale ont fait de ce sujet médical spécialisé d’importance un match de boxe anglaise. La vieille psychanalyse va-t-elle encore résister au punch ravageur du jeune neurobiologiste coaché par le cognitivo-comportementaliste formé outre-Atlantique ? Ce qui restait du château-fort tiendrait-il face à l’énergie nucléaire ?
Sur le papier bientôt obsolète les colonnes « santé » avaient soudain cette fragrance d’embrocation qui colle aux semelles des journalistes que l’on dit sportifs. Et point n’était besoin d’être futé pour saisir que les dés étaient pipés. La psychanalyse ? Le grand Stade de Reims condamné à ne plus jamais faire les beaux jours de nos soirées de football. Pire : Angoulême, Pamiers, Foix et Gaillac disparus à tout jamais des premières pages du Midol. Allons, se faire une raison. Tout ça avait assez vécu. Et bien vécu.
Gros pardessus et cigares à tout va. Machisme, paternalisme et mandarinats en tous genres. Artifices sans feu. Exploitation des inférieurs, du souffrant avec foie gras et brioches chaudes chez Lasserre. Sans oublier les étroits copinages avec les médias, les ronds de jambe dans les fenestrons, l’occupation tyrannique des pages littéraires. S’indigner ? Mais non : le conflit d’intérêt, alors, n’était pas né. Et tout cela faisait aussi d’excellents spectacles. Une école de la vie, en somme; et qui en valait d’autres.
Ainsi donc, au planchot de la semaine : l’antique thermodynamique freudienne avec barres en caoutchouc opposée aux drones virevoltants de la neurobiologie moléculaire. L’affiche n’était pas vraiement nouvelle mais on sentait bien, dans les gradins, que c’était la dernière représentation. Ou presque. Les derniers supporters de la vieille dame avaient une fois de plus fait le voyage depuis Vienne et Zurich pour occuper les tribunes jadis prestigieuses. Ils avaient aussi tâté de la Toile, pure player ou pas. C’est le cas avec ce qui (en terme de débat et de pédagogie citoyenne peut ne pas être perçu comme une avancée) est publié depuis le 11 mars sur le Huffington Post 1.
Oui la psychanalyse est pleinement légitime pour traiter (de) l’autisme ! Le rouleau compresseur et le marteau-piqueur de la médecine fondée sur les preuves ? Ils devront nous passer sur le corps ! Taïaut, taïaut. A moi ! Oui, bien sûr. Mais à dire le vrai l’enthousiasme n’y était plus vraiment. L’énergie non plus. On avait mis d’eau dans son vin cuit. En retraite dans le Lubéron ou le Berry les amis des médias n’étaient plus à la manœuvre. Il fallait s’y résoudre : on allait perdre la bataille de l’autisme. Se replier sur les seules névroses dans les rares quartiers parisiens encore épargnés par la crise ? Accepter, pour la première fois des délais de paiement ? La carte bleue ? Discuter le bout de gras ?
On tenta un dernier tour de passe-passe. Un coup vraiment téléphoné comme on disait du temps de la bakélite. Schématiquement : faire fuiter un pré-rapport de la HAS à un des rares journaux qui s’intéresse à la maladie mentale. Laisser pousser des cris d’orfraies en accusant l’institution bastion des molécularistes de vouloir la mort de la psychanalyse. Laisser entendre aussi (coup à triple bande) que le cabinet de Xavier Bertrand, ministre (de droite) de la Santé auraient peu apprécié que l’on exclut les analystes de ce marché. Et prier pour que la copie initiale soit revue.
Ce qui fut dit fut fait. Au final la grande question était de savoir si les approches psychanalytiques et la psychothérapie institutionnelle seraient classées dans les interventions « non recommandées » ou dans les interventions « non consensuelles». Résultat : «interventions non consensuelles». Traduction médiatique : la psychanalyse a seulement été désavouée. Ses servants ont encore une petite voix au chapitre, y compris dans la prise en charge des personnes et de leurs proches souffrant de l’autisme.
On schématise quelque peu, ici. On semble prendre à la légère ce qui a priori ne saurait l’être. On tente surtout d’éclairer un échange confus et jamais traduit de salves codées. De nobles oppositions et, aussi, de vraies méchancetés renvoyant à (au moins) deux conceptions radicalement opposées des origines d’une entité pathologique aujourd’hui en miette. Et, corollaire, à deux approches (au moins) de ce que doit être la meilleure conduite thérapeutique à tenir face à ces maux. Le blanc et le noir. Pas de salut au-delà. Le débat sur l’autisme n’est pas sans point commun avec les débats nourris par l’actuelle campagne pour la prochaine élection présidentielle
On peut aussi tenter d’apporter un autre regard. C’est ce que fait aujourd’hui (comme il le fait avec délice chaque semaine) Gérard Lefort dans les colonnes de Libération. Il reprend la photographie publiée deux jours auparavant et qui éclairait un entretien avec Franck Ramus, directeur de recherches au Laboratoire de sciences cognitives et psycholinguistiques de l’Ecole normale supérieure. Sans doute inquiet que l’on ne comprenne pas ce qu’il dit dans l’entretien le journal surligne : « l’homme a bien du mal à cacher son mépris vis-à-vis des psys ». Mépris ? Lui se borne à nous dire : « Je en suis pas contre les psys. Mais je dénonce la psychiatrie quand elle n’est pas évaluée, quand elle ne s’appuie pas sur les connaissances. » Et il dénonce aujourd’hui ce qu’on lui a fait dire. Lire ici.
En concluant :
« Je ne peux que constater que cette manière peu rigoureuse de travailler est malheureusement majoritaire parmi les journalistes que j’ai pu rencontrer, et je le déplore. Si dans la recherche scientifique, nous traitions les données que nous collectons avec autant de légèreté et aussi peu de scrupules, nous ne saurions pas grand-chose de solide. »
La photographie, superbe, était ainsi légendée : « Antonin, autiste, 26 ans, à l’hôpital Sainte-Maris du Puy-en-Velay (Haute-Loire), le 4 février Elle était signée de Olivier Coulange de l’agence Vu . Sous le titre Antonin le beau Elle a inspiré ces mots à Gérard Lefort :
« Il s’appelle Antonin. C’est un prénom très ancien, antique même, puisqu’il serait un mélange du latin antonius («inestimable») et du grec anthos («fleur»). Une fleur inestimable, une espèce rare. Ce premier tour de piste permet de s’approcher à pas de loup de notre Antonin du jour. Dans l’histoire, Antonin fut empereur romain au deuxième siècle de notre ère, un bon empereur, dit Marc Aurèle, surnommé le pieux par allusion à la piété filiale qu’il manifesta pour son père adoptif, l’empereur Hadrien. Dans l’histoire littéraire il y a aussi Artaud. En France, Antonin était un prénom très peu fréquenté jusqu’au début des années 1980, où il connu un regain jamais démenti. Donc depuis une trentaine d’années. Ce qui est à peu près l’âge de notre Antonin, qui a 26 ans. (…)
On pourrait estimer que s’il n’était pas malade, Antonin pourrait être beau avec son faux air de jeune premier entre Pierre Clémenti dans La Cicatrice intérieure de Philippe Garrel, et Pierre Blaise, le gars qui joua le Lacombe Lucien de Louis Malle (…)
Ce qui est franchement bouleversant c’est la main posée sur l’épaule d’Antonin. La main de qui ? De sa maman, d’un soignant ? Peu importe son sexe, c’est une main d’humain. Qui ne signifie pas qu’Antonin lui appartient, qu’il est une chose, médicale ou affective. C’est une main de tendresse humaine. Car enfin, Antonin, ce n’est pas moi, c’est nous, nous de traviole. Nous quand ça ne va pas et qu’on a envie de jeter au beau monde qui nous cherche des crosses le même regard de froideur enragée, le même regard de « merde à celui qui le croisera ».
Nous en malade ? Pas si sûr si tant est qu’on puisse préférer la maladie de nos dépressions, de nos vices, de nos folies, aux santés obligatoires qu’on nous propose, et aux raisons qui nous tirent vers le plus bas du troupeau, au lieu de nous exaucer dans la singularité intempestive. A ce titre, si l’ami Antonin est notre frère de larmes, il est aussi notre soleil radieux. Notre Prince noir. Antonin le beau, beau comme un astre. »
Que pourrait-on ajouter ? Le 21 mars prochain verra la première journée mondiale consacrée à la trisomie 21 et aux pathologies chromosomiques apparentées. Des maladies qui font aujourd’hui l’objet d’un dépistage prénatal quasi-systématique. Pour annoncer cette journée des enfants ont été photographiés. Ils ont entre trois et cinq ans. Ils se prénomment Marie, Alice, Sarah, Virgile et Sixtine. Ce qui, on en conviendra, n’est pas très éloigné d’Antonin.
Un entretien à voix unique
1 A l’occasion de la publication du rapport de la HAS Martin Quenehen, producteur et auteur publie un billet intitulé « Exclure les psys pour mieux engraisser les labos ? » Il s’agit en fait d’un anetretien avec la psychiatre et psychanalyste Agnes Aflalo qui « éclaire certains enjeux et non-dits du récent rapport de sur l’autisme ». C’est un assez bon exemple d’entretien à voix unique.
Extraits:
« Le chien de Pavlov «
AA : Le modèle des TCC [thérapies cognitives et comportementales] , c’est le chien de Pavlov, conditionné par un dressage à répondre aux ordres. D’où l’idée des TCC de faire pareil avec des humains… et en particulier avec les autistes, comme le fait la méthode ABA. Et aujourd’hui, ils veulent imposer ces méthodes à tous !
Les psychanalystes, quant à eux, ne proposent pas de dressage. Ils parient sur la dignité de l’humain. Ils partent de ce qui existe et inventent avec chaque patient la réponse qui lui convient, à lui et à lui seul. Y compris avec les autistes. Attention, les psys ne sont pas contre les médicaments, mais seulement au moment où c’est nécessaire et pour ceux à qui c’est utile. Donc, pas tout le « spectre autistique » tel qu’il est fabriqué aujourd’hui. Le sur-mesure va contre l’approche prétendument scientifique que promeuvent les TCC… À propos de l’approche psychanalytique de l’autisme, je renvoie d’ailleurs nos lecteurs à l’éclairante conférence de presse de l’Ecole de la Cause freudienne, publiée sur le site de La Règle du Jeu.
MQ : Après le scandaleux film documentaire Le Mur, récemment condamné en justice, haro, donc (une fois de plus), sur la psychanalyse. Mais pourquoi tant d’acharnement ?
AA : Tout simplement parce que la psychanalyse dérange les bonnes affaires de certains… ou du moins ne les favorise pas. Depuis 30 ans, la santé publique se réduit en effet, de plus en plus, à un marché où règne la logique du profit, et non plus un domaine orienté par la logique du bien commun. Et les grands artisans de cette dérive ne sont autres que les laboratoires pharmaceutiques et leurs « amis » dans le champs psy : les TCC, qui « découpent » les maladies avec des questionnaires, où à chaque symptôme correspond un médicament…
« Un marché juteux »
MQ : Pouvez-vous illustrer cette dérive ?
AA : En 1980, quand paraît aux Etats-Unis le DSM-III (la 3e édition du Manuel diagnostique des troubles mentaux, qui sert de référence à l’échelle mondiale sur ces questions), l’autisme est jugé très rare : il concernerait seulement 2 à 4 personnes sur 10 000. Mais, dans le DSM-V (pas encore publié, mais dont la version préliminaire a « fuité » en 2010), le champ de l’autisme est considérablement élargi, sous le nom de Spectre du trouble autistique (STA), et concernerait désormais plus de 2% des enfants d’âge scolaire… On est donc passé de 0,02% à 2% des enfants !
MQ : Et à qui ce gonflement des effectifs profite-t-il ?
AA : On sait en tout cas que pour lutter contre l’autisme, la HAS préconise aujourd’hui des TCC associées à des stratégies médicamenteuses diversifiées, « utiles pour diminuer ou supprimer des comportements inadaptés » à base de neuroleptiques, d’opiacés, de carbonate de lithium, de bétabloquants, d’antidépresseurs, de « pilules de l’obéissance », d’antifongiques, de traitements hormonaux, de vitamines, de calcium… Bref, un marché juteux pour les fabricants de médicaments. (…) Je l’ai dit, les psychanalystes ne sont pas opposés à l’usage de médicaments pour accompagner le traitement de l’autisme, seulement, en élargissant considérablement le champ de l’autisme, on élargit opportunément le marché… Mais il y a plus. En assurant aujourd’hui la promotion d’un « autisme génétique », le DSM crée un nouveau marché : celui des tests génétiques – facturés quelques milliers d’euros et, parions-le, bientôt proposés par ces mêmes labos…
« Rappelez-vous le Médiator »
MQ : Quid de l’indépendance de la HAS et les médecins « experts » de France et de Navarre qui viennent de rendre ce rapport ? Cette vertu n’est-elle pas pour eux un principe cardinal ? Celui qui prête le Serment d’Hippocrate ne déclare-t-il pas : « Je préserverai l’indépendance nécessaire à l’accomplissement de ma mission » ?
AA : Rappelez-vous le scandale du Médiator… Cette affaire qui révéla les conflits d’intérêts entre les experts « indépendants » et les firmes du type Servier (…) rappelez-vous quand le directeur de la HAS, le Pr Jean-Luc Harousseau lui-même, dût reconnaître (après avoir signé une première déclaration publique d’intérêts vierge de liens avec l’industrie pharmaceutique) qu’il avait reçu plus de 200 000 euros à titre personnel de la part de diverses firmes pharmaceutiques, durant les trois années précédant son arrivée à la tête de la Haute autorité… Sans parler des sommes perçues par les structures de recherche qu’il pilotait.
MQ : Ce Pr Harousseau, qui déclare vouloir à tout crin « évaluer » la psychanalyse, mériterait donc d’être lui-même évalué quant à son indépendance ! Cela dit, quand il dit aujourd’hui que ce rapport sur l’autisme « marque une étape » et qu’en matière de prise en charge de l’autisme « rien ne sera plus comme avant », on est porté à le croire… Tout comme on peut croire le député Daniel Fasquelle – auteur en janvier d’une proposition de loi visant « l’arrêt des pratiques psychanalytiques dans l’accompagnement des personnes autistes » (au profit exclusif des méthodes TCC…) – quand il dit refuser de baisser les armes contre les psys, lui qui serait membre du Club Hippocrate, un club de parlementaires (dont le site n’est bizarrement plus accessible) notamment soutenu par le laboratoire GlaxoSmithKline, un labo qui fabrique – entres autres – des antidépresseurs…recommandés pour traiter l’autisme !
http://www.huffingtonpost.fr/martin-quenehen/rapport-sur-lautisme-excl_b_1334702.html?ref=france