L’affaire Thill : où l’on voit les dangers, pour une députée macroniste, d’user de la métaphore 

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Députée macroniste (Oise) Agnès Thill n’apprécie guère son collègue macronien Aurélien Taché (Val d’Oise). Au point de le qualifier de « Fouquier-Tinville d’opérette).  AntoineQuentin Fouquiet de Tinvill(1746-1995) célèbre accusateur public du Tribunal révolutionnaire qui vécut et mourut avant l’existence de l’opérette.

Le torchon brûle entre les deux députés depuis que la première a osé exprimer certains désacoords sur quelques questions éthiques sensibles – au premier rang desquelles l’ouverture à « toutes les femmes » de la « procréation médicalement assistée ». Oser parler de « mascarade de démocratie ».

Aurélien Taché n’est pas le seuls dans son cas. Il en va de même avec Benjamin Griveaux, porte-parole du gouvernement a jugé « inacceptables et méprisantes » certaines des paroles d’Agnès Thill. Et de menacer. La veille, dans une interview vidéo à Oise Hebdoelle avait  comparé « la souffrance des femmes seules » qui souhaitent une PMA à celle des « drogués ». ». « Si un drogué souffre, on lui donne la drogue? Si la femme souffre, est-ce que je lui donne un enfant pour ne plus souffrir? Un enfant n’est pas un médicament ».

« Ça suffit », a tonné M. Griveaux, soulignant que « ces mots blessent des familles et viennent nourrir tous les préjugés ignobles ».

Comment traiter le « cas Agnès Thill » ? Une nouvelle fois, la question se pose à la majorité et embarrasse les dirigeants de La République en marche (LRM), tant le feuilleton semble récurrent. Opposée à l’extension de la procréation médicalement assistée (PMA) à toutes les femmes, la députée macroniste de l’Oise multiplie, depuis plusieurs mois, les prises de positions polémiques pour exprimer son désaccord avec cette mesure soutenue par Emmanuel Macron durant la campagne. Au point de s’attirer les foudres de plusieurs députés LRM, qui exigent son exclusion du groupe majoritaire à l’Assemblée nationale, et de certains ministres.

Ponce Pilate et Gilles Le Gendre

Interrogée par Le Monde (Alexandre Lemarié) Agnès Thill ne se montre aucunement impressionnée par la condamnation du porte-parole du gouvernement. « Ce que j’ai fait est une métaphore. C’est courant. Tous ceux qui s’expriment ont eu des métaphores ou des propos maladroits, lui le premier », rétorque-t-elle, en s’étonnant de n’avoir eu« aucune réponse » sur le fond de ses propos. Avant d’affirmer : « Je défie quiconque de montrer que mes propos sont homophobes, islamophobes, xénophobes ou je ne sais quoi. Tout ce dont on m’accuse est faux. »

Gilles Le Gendre, patron du groupe macroniste à l’Assemblée nationale a annoncé que le « cas d’Agnès Thill » sera examiné jeudi 24 janvier par le bureau du groupe LRM à l’Assemblée. « Ses  propos m’horrifient et m’indignent autant que vous » a-t-il dit à ses collègues. Pour autant, le patron des députés macronistes n’entend pas trancher seul ce cas sensible. Ponce Pilate, en somme. « Toute décision sera prise en commun entre le mouvement et le groupe », a-t-il précisé. « Gilles Le Gendre ne veut pas pratiquer la police de la pensée, explique son entourage. Le fait de ne pas penser comme la majorité du groupe ne peut être un motif d’exclusion. En revanche, cela peut l’être si le groupe et le parti estiment de manière conjointe que la prise de position d’Agnès Thill est contraire aux valeurs du mouvement. »

Interrogé à son sujet lundi sur France Inter, M. Le Gendre avait estimé qu’Agnès Thill avait « toujours sa place dans le groupe ». Qu’en sera-t-il jeudi ? « Dans les rangs macronistes, certains craignent que des élus LRM choisissent, par solidarité avec Agnès Thill, de quitter le groupe si celle-ci était poussée vers la sortie, observe Le Monde.  Un scénario catastrophe pour ce collectif de 307 membres, alors que six élus ont déjà quitté le groupe ces derniers mois : Jean-Michel Clément en avril 2018, Frédérique Dumas en septembre, Paul Molac et François-Michel Lambert en octobre. Sébastien Nadot a été exclu en décembre, après avoir voté contre le projet de budget 2019, tandis que Joachim Son-Forget est lui-même parti après avoir fait polémique sur les réseaux sociaux. »

Il y a quelques jours lors de l’Acte I du « Grand Débat » le chef de l’Etat a souhaité que la « PMA pour toutes »  soit « un sujet sur lequel la France ne se déchire pas ». Métaphore, humour ou euphémisme ?

A demain

@jynau

 

Liberté de la presse : à Beauvais, la justice l’avait saigné ; à Amiens «Oise Hebdo» est sauvé

Bonjour

Les médias nationaux se sont généralement pincé le nez. Le Syndicat national de journalistes (SNJ) a tenu son rang. Oise Hebdo va pouvoir diffuser à nouveau son édition du 12 août dans les kiosques. Vendredi 21 mai la cour d’appel d’Amiens a donné raison a cassé le référé du tribunal de grande instance de Beauvais (voir « Suicide et scandale : « Oise hebdo » condamné à détruire les 20 000 exemplaires de son dernier numéro »).

Lieutenant-colonel

Rappel de l’affaire : au début du mois d’août, un habitant bien connu de Therdonne meurt sous les roues d’un camion qui circule à grande vitesse sur l’autoroute. Dans son édition du 12 août, Oise Hebdo (hebdomadaire régional tiré à 27 000 exemplaires dans la région de Picardie) relate l’accident et ses conséquences.

Dans l’article, le lieutenant-colonel Robert Clech y est interrogé et affirme : « il ne s’agit pas d’un accident mais d’un suicide ». L’hebdomadaire cite également des témoins de la scène, évoque quelques éléments biographiques de ce commerçant – son cursus scolaire ou encore son parcours professionnel, familial et conjugal. Le travail assez classique de la presse régionale.

Urgence.

Jugeant être atteintes dans leur intimité, la mère et l’ex-compagne du défunt saisissent la justice en référé.  L’audience se tient au tribunal de Beauvais le vendredi 14 août. Climat tendu. Apparemment irritée par la médiatisation de l’affaire  la présidente du tribunal interdit aux journalistes le suivi en direct de l’audience via les médias sociaux. La presse rapportera qu’elle fait confisquer en début d’audience les téléphones des journalistes présents dans la salle.

Une décision « totalement incompréhensible », explique Pierre-Antoine Souchard, président de l’association de la presse judiciaire, à Libération. M. Souchard ignore-t-il que la présidente a tous les droits qu’elle s’autorise à avoir ?

Faire son boulot

Me Catherine Baclet-Mellon est l’avocate de la famille du défunt. Elle soutient que l’article constitue « une atteinte à sa vie privée, à son deuil » rapportera Le Parisien. Pour sa part Oise hebdo se défend d’avoir  juste fait son boulot . « On informe seulement que le commerçant décédé a deux enfants, en quoi cela porte-t-il atteinte à la vie privée ? », demandera Vincent Gérard, fondateur de l’hebdomadaire. Il ajoute notamment que l’homme décédé est « très connu » dans la région, que les faits sont intervenus sur la voie publique, ce qui donne aux citoyens le droit d’être informés.

L’avocate de la Société de presse de l’Oise, dresse, quant à elle, un parallèle entre l’histoire du commerçant et un fait divers qui avait retenu l’attention des journaux du monde entier, rapportera France 3  : « On est en train de dire qu’on n’aurait rien dû écrire sur le pilote de la Lufthansa Andreas Lubitz et que tous les juges auraient dû interdire la publication d’informations sur sa vie. » Ce n’est pas tout à fait vrai : la famille d’Andreas Lubitz n’avait rien demandé.

Ancienne compagne

La présidente du tribunal de grande instance de Beauvais n’avait rien voulu entendre ni savoir. Elle avait estimé que l’article crée bien un « trouble manifeste illicite » par « la mise en exergue de divers éléments relatifs à l’intimité de la vie privée, non seulement du défunt, mais aussi et surtout de (…) son ancienne compagne ».

Oise hebdo était condamné à retirer de 500 points de vente l’édition du 12 août avant le lendemain, 18 heures. À défaut, la société éditrice devrait  acquitter une astreinte de 500 euros par heure de retard, ainsi qu’une peine d’amende de 500 euros par infraction constatée.

L’Oise chinoise

« C’est la liberté d’informer dans les faits qui est atteinte. On a l’impression qu’on est en Chine, qu’il faut faire croire que tout va bien, alors que pas du tout », avait commenté Vincent Gérard, le fondateur de l’hebdomadaire, interrogé par Les Inrocks. Pourquoi un journal local ne devrait pas s’occuper du principal sujet qui occupe les pouvoirs publics locaux : préfecture, police, pompiers, juges… On fait un vrai travail d’investigation et c’est un travail compliqué d’exercer en province parce que la proximité implique une certaine pression des autorités. »

 La cour d’appel d’Amiens a donné raison à l’hebdomadaire en cassant le référé du tribunal de grande instance de Beauvais, vendredi 21 août. La cour a rappelé que « la liberté de la presse est un principe fondamental inscrit dans la Constitution ». Voilà qui est clair et tranchant. Comment expliquer que la juge de Beauvais ait pu l’oublier ? Il est probable qu’on ne le saura jamais.

A demain

Suicide et scandale : «Oise hebdo» condamné à détruire les 20 000 exemplaires de son dernier numéro

Bonjour

C’est un symptôme. Le tribunal de Beauvais vient d’interdire la diffusion du dernier numéro de l’hebdomadaire Oise Hebdo. Ce journal régional parlait, dans sa dernière livraison, de la mort d’un ancien commerçant de Beauvais, mort après avoir été fauché par un camion dans les premiers jours du mois d’août. Publié mercredi 12 août, le journal cite des éléments de l’enquête menée par la gendarmerie locale.

Georges Simenon

« Ce qui est sûr, c’est qu’il ne s’agit pas d’un accident mais d’un suicide », indique le lieutenant-colonel Robert Clech dans les colonnes du journal. L’hebdomadaire donne également la parole à des témoins de la scène. Il évoque aussi des éléments biographiques concernant l’ancien commerçant : son état civil, son cursus scolaire, sa carrière professionnelle, sa vie familiale et conjugale. On imagine le malheur qu’aurait fait Simenon.

Deux membres de la famille de la victime  (sa mère et son ancienne compagne) assignent Oise Hebdo en procédure de référé d’urgence. Invoquant « une atteinte intolérable à leur vie privée », elles ont obtenu gain de cause : datée du 14 août, une ordonnance du tribunal de grande instance de Beauvais a jugé que l’article cause un « trouble manifeste illicite » par « la mise en exergue de divers éléments relatifs à l’intimité de la vie privée, non seulement du défunt, mais aussi et surtout de (…) son ancienne compagne ».

500 euros par infraction constatée

Le tribunal de Beauvais  condamne l’hebdomadaire à retirer de la vente les 20.000 exemplaires de son dernier numéro. Soit retirer de tous les points de vente son journal avant samedi 15 août, 18h. À défaut, la société éditrice devra acquitter une astreinte de 500 euros par heure de retard, ainsi qu’une peine d’amende de 500 euros par infraction constatée. Il y a près de 500 points de vente, avec des cafés, des boulangeries, des grandes surfaces…

L’affaire commence seulement à faire un certain bruit, comme vient de le rapporter, sur son site, Le Journal du Dimanche (Axel Roux) Il y a d’abord eu l’indignation de Vincent Gérard, fondateur et directeur du journal régional qui clame son indignation. Puis, à l’unisson, syndicat, juristes et spécialistes des médias dénoncent une condamnation qui porte atteinte à la liberté de la presse. Une décision « rarissime dans la presse » dénonce, dans un communiqué, le Syndicat National des Journalistes qui voit là une « atteinte grave à la liberté d’informer ».

L’ancien poissonnier

Le communiqué, exemplaire, du SNJ :

« « Ordonnons à la Société de Presse de l’Oise de cesser de diffuser et publier l’article intitulé « Cyrille Hodent, 41 ans, frappé par un camion mercredi. L’ancien poissonnier de la place des halles met fin à ses jours sur la RN 31″, paru dans l’hebdomadaire Oise Hebdo, daté du 12 août 2015 N•1119, sous quelque forme que ce soit et qu’elle que soit l’édition locale. »

Voici la stupéfiante décision rendue ce 14 août par le tribunal de Grande Instance de Beauvais. La procédure en référé était intentée par la famille pour assurer la protection de son image et de sa vie privée.  L’article paru dans Oise Hebdo concerne la mort d’un personnage bien connu dans la région. Une mort intervenue le 5 août dernier sur la RN 31 où cet homme a été frappé de plein fouet par un camion. Selon l’enquête des gendarmes, il s’agirait d’un suicide. L’article reprend sobrement ces divers éléments et dresse un portrait de l’ancien poissonnier. La dignité des personnes y a été préservée, comme il se doit.

Le Syndicat National des Journalistes (SNJ), première organisation de la profession, tient à s’élever contre cette décision de justice aussi brutale qu’injustifiée. Une décision rarissime dans la presse. Si le SNJ comprend la douleur d’une famille, il rappelle que le personnage décédé est très connu dans sa région et que les faits sont intervenus sur la voie publique, deux éléments qui donnent aux citoyens le droit d’être informés et, donc aux journalistes, le devoir d’informer. Le SNJ assure la rédaction de son soutien. La société de Presse de l’Oise, éditant Oise Hebdo  a décidé de faire appel de cette lourde et inexplicable condamnation. Très attentif à cette atteinte grave à la liberté d’Informer, le SNJ sera présent à Beauvais. »

« Nez pincés »

L’affaire arrivera devant la cour d’Appel d’Amiens le mercredi 19 août à 9 heures. « Logiquement, la cour d’appel devrait infirmer, estime Isabelle Béal, ancienne avocate et juriste spécialisée en droit des médias. Sinon ce serait un précédent très inquiétant pour l’ensemble de la presse. » Mme Béal regrette que certains médias se soient « pincé le nez » devant l’affaire, ne mesurant pas l’importance de la décision de justice et préférant revenir sur les unes à scandale de l’hebdomadaire. Voir ici quelques exemplaires de ces unes.

« Sur le moment, il n’y a eu aucun sursaut des médias nationaux. Alors que ça devrait être viscéral » estime Mme Béal.  Son avis est partagé par Patrick Eveno, historien des médias et président de l’Observatoire de la déontologie de l’information, Il estime que la presse devrait ici faire preuve de plus d’unité. On pourrait aussi parler de confraternité. Si la cour d’appel d’Amiens confirme la décision du tribunal de Beauvais il y aura renvoi devant la Cour de cassation, voire devant la Cour européenne des droits de l’homme.

Closer et Julie Gayet

« Ce sont des procédures longues et coûteuses. Il y aurait tout intérêt à ce que la presse soutienne ses confrères » observe M. Eveno.  « En matière de presse, la liberté est la règle » rappelle M. Eveno. Il estime que la décision du tribunal de Beauvais constitue un « excès de pouvoir ». « Imaginez, dit-il au JDD, c’est comme si François Hollande avait interdit de kiosque la célèbre une de Closer évoquant l’existence de Julie Gayet. » Précisément, on n’ose l’imaginer.

A demain