Bonjour
Qu’est-ce que le « socialisme » ? Un « bouffon » peut-il devenir président des Etats-Unis d’Amérique ? Quelles sont les conséquences de l’allaitement d’un enfant par sa mère « naturelle » ? Nos interrogations sur notre vocabulaire dépassent les frontières de l’Hexagone.
11 mars 2016. La question sur l’allaitement est posée par Slate.fr dans un papier habilement provocateur : « A bas l’allaitement ‘’naturel’’ »(Elissa Strauss , traduit par Bérengère Viennot):
« En matière de santé publique, de nombreux acteurs utilisent le mot naturel dans leurs campagnes de promotion de l’allaitement maternel. En tant que stratégie marketing, c’est une idée futée. La plupart des mères sentent au moins un petit aiguillon de culpabilité les piquer quand elles choisissent l’option «contre-nature» et sont bien trop fatiguées pour mettre en doute l’apparente plausibilité du sous-entendu. En revanche, en termes de stratégie de santé publique, cette utilisation du mot naturel est peut-être une très mauvaise idée. »
Effets secondaires indésirables
L’auteure cite notamment un article à paraître de Pediatrics : “Unintended Consequences of Invoking the “Natural” in Breastfeeding Promotion” (sur abonnement) signé de deux spécialistes de sociologie et d’éthique médicale (Jessica Martucci et Anne Barnhill). Mmes Martucci et Barnhill développent la thèse selon laquelle mettre l’accent sur les aspect «naturels» de l’allaitement maternel peut facilement avoir des effets secondaires néfastes.
« Les militants anti-lait en poudre renforcent l’idée qu’une pratique naturelle 1) est quelque chose qui existe réellement et 2) qu’elle est meilleure pour la santé. En établissant une telle dichotomie, ces campagnes pour l’allaitement maternel pourraient involontairement alimenter les inquiétudes à l’égard des interventions «non-naturelles» telles que la vaccination. »
«L’idée de “naturel” évoque un sentiment de pureté, de bienfait et d’innocuité, écrivent Martucci et Barnhill. Tandis que les substances et produits synthétiques et les technologies industrielles de masse (tout particulièrement les vaccins) sont considérés comme “non-naturels” et suscitent parfois soupçons et méfiance. Ce système de valeur implique la perception que ce qui est naturel est plus sûr, plus sain et moins risqué.»
Booster « naturellement » l’immunité
Sans doute ne faut-il pas trop vite extrapoler. Il n’existe aucune étude scientifique démontrant un lien direct entre la promotion de l’allaitement maternel en tant que processus naturel et l’augmentation du nombre de parents ne vaccinant pas leurs enfants. Pour autant, nous dit Mme Strauss, il n’est pas difficile de trouver des exemples en ce sens.
Elle cite une blogueuse populaire qui écrit sur la parentalité (sur son blog « Mama Natural ») qui raconte qu’en lieu et place de vaccins, elle trouve des «manières naturelles et douces pour booster l’immunité [de son fils]». C’est là une forme de logique qui autorise de multiples développements. Il faut entendre une mère expliquer dans le formidable documentaire The Vaccine War:
«En tant que parent, je préfère que mon enfant attrape une maladie naturelle et la contracte de la façon dont les maladies ont été contractées au cours des au moins 200.000 ans d’existence des Homo sapiens.»
Lait en poudre « maternisé »
Mmes Martucci et Barnhill traitent ici d’un sujet redoutable. Si l’on qualifie l’allaitement maternel de naturel que dire de deux pères gays qui ne peuvent nourrir leur nouveau-né qu’avec du lait en poudre certes maternisé mais néanmoins artificiel. Sans parler des femmes qui se refusent à donner le sein.
L’auteure de Slate.fr cite encore une récente et remarquable analyse du célèbre Nuffield Council on Bioethics de Londres. Pragmatiques comme toujours se demandent s’il ne serait pas temps de se débarrasser de ce terme et de ses cousins :
«Le concept de nature lui-même, et les perceptions du lien entre nature et valeur, changent et sont reflétés de manières différentes en philosophie, sciences sociales et littérature à différents moments de l’histoire, Associer le naturel avec ce qui est bon et le non-naturel avec ce qui est mauvais n’est par conséquent pas si simple: il est difficile de définir les choses ou les processus qui sont naturels ou qui ne le sont pas.»
Et les auteurs de Londres posent la question : le moment n’est-il pas venu, une fois pour toute, de chasser le naturel ? Ils semblent ne pas connaître la suite.
A demain