Bonjour
C’est une affaire exemplaire et paradoxale. Une tragédie où un pacemaker miniaturisé réveille des angoisses éternelles. Nous sommes là aux frontières du progrès thérapeutique et de l’absurde administratif. Un dossier qui voit une famille respecter les règles, dire la vérité, et un procureur de la République s’obstiner à maintenir cette même famille dans la souffrance.
Nous avons révélé cette affaire sur Slate.fr 1. Elle commence à prendre une dimension nationale et pourrait, à terme, conduire à une réflexion sur l’évolution nécessaire des pratiques funéraires. Au départ c’est l’appel désespéré d’une famille, la découverte d’une situation kafkaïenne, une attente insupportable. Voici le témoignage qui nous avait été adressé et que nous avons rapporté sur le site pure player :
Corps en « cellule négative »
« Nous sommes dans une situation impossible. Notre sœur, notre mère, est décédée le 22 novembre dernier et ses obsèques ne peuvent être organisées. On lui avait implanté il y a peu, au CHU de Tours, un nouveau modèle miniature de pacemaker au sein même de son cœur. Le fabricant dit que son matériel est compatible avec l’incinération ou l’inhumation. Or, à Bourges, les différentes autorités nous affirment le contraire.
« C’est une somme de difficultés chaotiques, une forme de manque de respect. Les différentes parties concernées (le fabricant, les pompes funèbres, les services de l’Etat) nous annoncent tour à tour : l’impossibilité technique (puis légale) du retrait du pacemaker par un chirurgien ; le refus réitéré du procureur de la République de mandater un médecin légiste pour ce cas de mort naturelle reconnue par le SAMU 18 ; l’impossibilité légale de faire ce geste par un thanatopracteur ; le refus de la mairie d’autoriser la fermeture du cercueil et donc tout déplacement permettant éventuellement de faire cette crémation dans un autre crématorium…
« Notre mère, notre sœur se trouve face à un trou noir, véritable vide juridique sans solution aucune. Son corps doit être conservé sine fine en chambre funéraire puis prochainement en “cellule négative”…. Notre famille, effondrée et meurtrie, se voit ainsi refuser : toutes obsèques, et cérémonie religieuse catholique ; tout adieu digne de la société; tout travail de deuil face à l’inconnu… ».
Marché en expansion
Tout résulte ici des progrès accomplis par Medtronic® firme internationale spécialisée dans les stimulateurs cardiaques. Cette firme commercialise depuis peu son modèle Micra Medtronic®. Il s’agit d’un pacemaker spectaculairement miniaturisé, sans sonde, qui peut être implanté au sein des cavités cardiaque via la veine fémorale. Un dispositif particulièrement innovant dont on retrouve la trace officielle le 18 octobre sur le site de la Haute Autorité de Santé.
« Les systèmes sans sonde, c’est le futur. Le jour où ce sera remboursé, je ne mettrai plus que ça (sic). Cela va extrêmement vite: dans les cinq ou dix ans, on ne mettra plus que ça » expliquait en janvier dernier le Dr Philippe Ritter (CHU de Bordeaux), lors d’une conférence de presse de Medtronic. L’appareil a obtenu le marquage CE en avril 2015. Une vingtaine de centres français ont été formés à l’implantation de ce matériel qui entend occuper une place importante dans un marché important : tous stimulateurs confondus, environ 66.000 implantations sont réalisées chaque année en France y compris les remplacements.
Aujourd’hui deux mille exemplaires de Micra Medtronic® ont déjà été implantés dans l’Union européenne. Mais la progression de la diffusion se heurte, en France, à un problème de taille qui n’avait pas été prévu par la firme : l’explantation du matériel en cas de décès du malade – avant inhumation ou incinération. Cette explantation est imposée par deux articles du code général des collectivités territoriales 2.
Explosions des piles au lithium
La difficulté tient, ici, paradoxalement, à la miniaturisation du nouveau pacemaker et à sa situation au sein du corps. Jusqu’ici le retrait du dispositif, placé en sous-cutané, ne posait aucun problème pour le thanatopracteur. Il en va tout différemment avec le Micra Medtronic® dont l’explantation réclame un geste chirurgical invasif que personne ne semble, en pratique, disposé à pratiquer.
« Nous sommes totalement opposé à inhumer ou à incinérer des corps sans respecter scrupuleusement la réglementation en vigueur, nous a expliqué un responsable de la société OGF, leader français des services funéraires et gestionnaire de l’unique crématorium de Bourges. Il s’agit ici de répondre à des impératifs de sécurité des personnes et de l’environnement. Pour ce qui est des crémations le risque, bien connu, est celui des explosions dès lors que le corps reste porteur de stimulateur équipé de piles au lithium. Nous avons déjà dû déplorer six explosions de ce type depuis le début de l’année, à cause d’un non-respect des dispositions en vigueur. Ces événements rendent inutilisables pendant de longues périodes les crématoriums, posant alors d’importantes difficultés pratiques aux familles concernées. »
Au siège de Medtronic France® on ne nie pas qu’il existe là un problème émergent – un problème que l’on pensait avoir prévenu. « Notre société a fait faire des expérimentations aux Etats-Unis démontrant que, du fait même de ses caractéristiques techniques, le nouveau dispositif ne présentait aucun risque lors de crémation du corps. Il ne nous semblait donc pas que nous pourrions rencontrer des difficultés. » Tel n’est pas le cas et plusieurs impasses similaires à celle de Bourges sont apparues ces derniers jours.
Créon de Bourges
« Dans certains cas des dérogations ont pu être obtenues. Mais, plus généralement, la Direction Générale de la Santé a souhaité reprendre l’expertise réalisée aux Etats-Unis et la faire expérimenter par un laboratoire spécialisé, nous a-t-on expliqué chez Medtronic France. Cela prendra du temps, peut-être quelques mois, avant de modifier la réglementation. » Dans l’attente aucune disposition dérogaroire ne semble prévue à court terme. Et la famille de Bourges est au désespoir.
Depuis la publication de Slate.fr des éléments complémentaires sont apparus. « La miniaturisation des dispositifs médicaux implantables actifs (DMIA) cardiaques pose effectivement des problèmes de respect de la réglementation relative à la crémation, nous a explique le Pr Benoît Vallet, Directeur Général de la Santé. L’article R2213-15 du CGCT dispose en effet qu’en cas de port d’un DMIA, le médecin ou le thanatopracteur en assure le retrait. Une commande a été passée à l’INERIS afin de connaître le comportement de ces DMIA miniatures dans le cas d’une incinération. Les résultats de cette étude sont attendus prochainement. »
Reste le cas de Bourges – et plus particulièrement celui du rôle joué par le procureur de la République de la préfecture du Cher. La Nouvelle République du Centre-Ouest (François Bluteau) rapporte, dans son édition d’Indre-et-Loire, que le cardiologue du CHU de Tours qui avait pratiqué l’intervention n’avait pas pu, pour des raisons pratiques et réglementaires, pratiquer l’explantation du stimulateur. Mais il précise également que le procureur de la République de Bourges « a refusé par deux fois de désigner un médecin légiste pour effectuer l’opération ». Un procureur inaccessible, dans sa tour d’ivoire républicaine.
On a connu « L’Apollon de Bellac ». Faudra-t-il écrire « Le Créon de Bourges » ?
A demain
1 « Le casse-tête tragique du nouveau pacemaker miniature qui interdit d’organiser des obsèques » Slate.fr 1er décembre 2016. Le sujet a, depuis, été repris par de nombreux médias. Certains (dont RTL – Maxime Magnier et Pourquoi Docteur – Audrey Vaugrente ) ont eu l’élégance confraternelle de citer leur source.
2 Article 2213-15 : « Avant son inhumation ou sa crémation, le corps d’une personne décédée est mis en bière.
« La housse imperméable éventuellement utilisée pour envelopper le corps avant sa mise en bière est fabriquée dans un matériau biodégradable. Elle doit répondre à des caractéristiques de composition, de résistance et d’étanchéité fixées par arrêté du ministre chargé de la santé après avis de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail et du Conseil national des opérations funéraires.
« Si la personne décédée était porteuse d’une prothèse fonctionnant au moyen d’une pile, un médecin ou un thanatopracteur atteste de la récupération de l’appareil avant la mise en bière. »
Article 2213-34 : « La crémation est autorisée par le maire de la commune de décès ou, s’il y a eu transport du corps avant mise en bière, du lieu de fermeture du cercueil.
Cette autorisation est accordée sur les justifications suivantes :
1° L’expression écrite des dernières volontés du défunt ou, à défaut, la demande de toute personne qui a qualité pour pourvoir aux funérailles et justifie de son état civil et de son domicile ;
2° Un certificat de décès établi par le médecin ayant constaté le décès, affirmant que celui-ci ne pose pas de problème médico-légal ;
3° Le cas échéant, l’attestation du médecin ou du thanatopracteur prévue au troisième alinéa de l’article R. 2213-15. (…) ».