« Affaires » et Levothyrox : piquée au vif, voici l’Agence nationale du médicament qui se rebiffe

Bonjour

Du journalisme et de l’industrie pharmaceutique. C’est une sous-affaire éclairante dans une vaste affaire sur laquelle on peine durablement à faire la lumière. Résumons. Une pétition « contre le secret des affaires » dans le champ de la santé publique vient d’être lancée par une association de malades de la thyroïde : « Contre le « secret des affaires » en matière de santé publique. Pour la transparence et la traçabilité des médicaments ». Où l’on retrouve le Dr Philippe Sopena, conseiller médical de l’Association française des malades de la thyroïde (AFMT). Cette dernière regroupe des patients qui se plaignent des effets secondaires de la nouvelle formule du Levothyrox de la firme pharmaceutique Merck.

A l’heure où nous écrivons ces lignes (le 29 septembre) cette pétition (adressée à Agnès Buzyn) a recueilli plus de 23 000 signatures. Les auteurs exigent, au nom de la sécurité sanitaire « une totale transparence sur l’origine de tous les composants de nos médicaments et la traçabilité de leur fabrication ». Ils ne « comprennent pas que l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) puisse faire prévaloir les intérêts commerciaux d’une firme sur la protection de la santé de tous ». Ils entendent que, chaque fois que nécessaire, en application du « Droit à la protection de la santé » garanti par le Préambule de la Constitution, « la protection du ‘’secret des affaires’’  au profit de quelques-uns ne puisse pas prévaloir sur des exigences de sécurité sanitaire qui bénéficient à tous ».

Secrets légalement protégés

Comment en est-on arrivé là ? Voici la version de l’AFMT :

« L’histoire commence le 23 avril dernier, quand Me Emmanuel Ludot, avocat rémois qui défend plusieurs malades avec son confrère Gauthier Lefèvre (lire [sur le site Les Jours]  l’épisode 10, « Levothyrox : et maintenant, une plainte pour “trafic d’influence” »), demande, pour le compte d’une plaignante, une copie de l’autorisation de mise sur le marché (AMM) du Levothyrox, étape nécessaire au lancement d’un nouveau médicament et délivrée après des essais cliniques. L’Agence du médicament (ANSM) ne lui répond que le 4 septembre en lui envoyant une copie tronquée du documentoù, à la page 8, invoquant le secret des affaires, l’agence a effacé des informations essentielles, en particulier le lieu de production et le nom de l’entreprise qui fabrique le principe actif de la nouvelle formule. Impossible donc d’établir la traçabilité du Levothyrox actuellement en pharmacie, celui qui génère tant d’effets indésirables au point que nombre de malades se fournissent en ancienne formule à l’étranger ou se sont reportés sur de nouveaux remèdes introduits à la hâte depuis quelques mois en France, mettant fin au monopole de Merck auprès de… 3 millions de patients. »

De fait, dans une lettre datée du 4  septembre, dont l’Agence France-Presse a obtenu une copie, signée de son service juridique et adressée à l’avocat, l’ANSM précise que cette transmission du document se fait « sous réserve de l’occultation préalable des mentions susceptibles de porter atteinte aux secrets légalement protégés, et notamment à la protection du secret des affaires ». L’association dénonce cette protection du secret industriel et commercial, en faisant référence à la loi « très récente et très controversée » du 30 juillet, dite « loi du secret des affaires ».

Journalisme et relations publiques

C’est euphémiser que de dire que la direction de l’ANSM n’a guère apprécié cette attaque. Elle vient de le faire savoir par un communiqué dans lequel elle « dément dissimuler des informations ».

« Suite au courrier de Maitre Ludot (28/09/2018)  (218 ko) adressé à l’ANSM en date du 23 avril 2018, l’ANSM lui a transmis le 4 septembre 2018 la décision du 8 juin 2018 (28/09/2018)  (1339 ko) compilant toutes les modifications intervenues sur les annexes de l’AMM de Levothyrox depuis la première décision d’AMM en 1982.

Dans l’annexe II de la décision du 8 juin 2018  figure notamment la rubrique Nom et adresse du (des) fabricant(s) de la (des) substance(s) active(s) d’origine biologique lorsque le médicament est un médicament biologique. La lévothyroxine n’étant pas une substance active d’origine biologique, la rubrique Nom et adresse du (des) fabricant(s) de la (des) substance(s) active(s) d’origine biologique  qui figure page 8 de cette décision est « sans objet ». Le contenu n’a donc pas été occulté puisque non applicable.

 Les accusations d’avoir attendu l’entrée en vigueur de la loi du 30 juillet 2018 relative à la protection du secret des affaires pour dissimuler des informations sont infondées. Les obligations légales que doit respecter l’ANSM en la matière sont en vigueur depuis la loi du 17 juillet 1978. La loi du 30 juillet 2018  a uniquement remplacé les mots « en matière commerciale et industrielle » par les mots « des affaires » qui figurait au 1° de l’article L. 311-6 du Codes des relations entre le public et les administrations (CRPA). » 

Et c’est dans ce contexte, précise l’AFP, qu’un « collectif de journalistes » 1, vient de lancer la  pétition  Informer n’est pas un délit, (et de publier un livre) « Bientôt, les journalistes et leurs sources pourraient être attaqués en justice par les entreprises s’ils révèlent ce que ces mêmes entreprises veulent garder secret » écrivent-ils. George Orwell, avant eux, avait déjà tout dit :

« Le journalisme consiste à publier ce que d’autres ne voudraient pas voir publier. Tout le reste n’est que relation publique ».

Orwell ne connaissait pas l’ANSM.

A demain

1 Elise LUCET, France 2, Fabrice ARFI, Mediapart, Gérard DAVET, Le Monde, Fabrice LHOMME, Le Monde, Denis ROBERT, écrivain & documentariste, Mathilde MATHIEU, Mediapart, Hélène CONSTANTY, L’Express & Mediapart, Benoît COLLOMBAT, France Inter, Laurent RICHARD, Premières lignes, Caroline MONNOT, Le Monde, Marine TURCHI, Mediapart, Christophe LABBÉ, Le Point, Olivia RECASENS, Le Point, Jacques-Olivier TEYSSIER, Montpellier Journal, Martine ORANGE, Mediapart, Paul MOREIRA, Premières Lignes.

 

 

Douze morts après une fusillade à Charlie Hebdo. Cabu, Charb, Tignous, Wolinski et Oncle Bernard ont été assassinés

Bonjour

7 janvier 2015. Journée tragique. Journée noire. Avec une cible médiatique sanglante et sans précédent. En fin de matinée une fusillade au siège de l’hebdomadaire satirique Charlie Hebdo  a fait douze morts (dont deux policiers) et cinq blessés, selon la préfecture de police de Paris et le parquet de Paris. Cabu, Charb, Tignous, Wolinski et  Oncle Bernard (Bernard Maris) ont été assassinés. Une rédaction décimée. Sidération.

« Vers 11 h 30, deux hommes armés d’une kalachnikov et d’un lance-roquettes ont fait irruption au siège de Charlie Hebdo dans le 11e arrondissement de Paris. Un échange de coups de feu a eu lieu avec les forces de l’ordre », a expliqué une source policière à l’Agence France Presse. Un salarié joint par 20 Minutes évoque quant à lui « un véritable massacre ».

François Hollande, président de la République s’est rendu sur les lieux et parlera ce soir aux Français. L’émotion est palpable sur les ondes. L’émotion gagne.

Commando

Selon l’agence de presse Reuters, une trentaine de coups de feu auraient été tirés, deux hommes seraient en fuite. Sur France Info, un témoin évoque la présence de « deux hommes qui auraient lancé : On va venger le Prophète ». Le commando aurait commencé à tirer dans le hall puis serait monté dans les étages

Le journaliste Martin Boudot a publié sur Twitter une photo de journalistes réfugiés sur le toit : « Attaque en cours de deux hommes en cagoule dans les locaux de Charlie Hebdo. On est réfugié sur le toit. » Déjà les premiers sons, quelques images. (Premières lignes) – Voir le sujet traité par la BBC

Cyclone terroriste

Le plan Vigipirate vient d’être relevé au « niveau alerte-attentats » à Paris et en Ile-de-France. Les forces de police vont protéger les principaux espaces publics (et les médias). Les déclarations politiques se multiplient. Le concept de liberté de la presse (presse satirique comprise) est défendu par la quasi-totalité de celles et ceux qui prennent publiquement  la parole.

On ne sait encore rien des criminels et de leurs motivations. Aucune revendication. Il n’en reste pas moins que la presse redevient, une nouvelle fois, la cible et l’œil du cyclone terroriste qui, en France et dans le monde menace les démocraties.

Drapeau

Bientôt (si ce n’est déjà fait) certains établiront des liens avec Michel Houellebecq et sa mise en abyme de la profession journalistique. Houellebecq dont le dernier roman « Soumission » paraît aujourd’hui même. Houellebecq qui (voir Slate.fr) est (à son tour) tristement caricaturé à la Une du dernier numéro de Charlie Hebdo « journal irresponsable ».

Journée tragique. Avec une cible médiatique sanglante et sans précédent. Journée noire. Et derrière le sang versé pour la  liberté de la presse on distingue, dans la nuit tombante du 7 janvier 2015,  un drapeau. Celui de la liberté.

A demain