Conflits électroniques: la ministre Agnès Buzyn va-t-elle lire le dernier «Que Choisir» ?

Bonjour

Le temps passe vite avec la cigarette électronique. Prenez le dernier dossier de Que Choisir et jetez un œil sur la mémoire archivée du magazine. Prenons 2011. Il y a précisément six ans. On pouvait lire ceci :

« L’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) a profité de la Journée mondiale sans tabac, le 31 mai dernier, pour déconseiller les cigarettes électroniques. Dans le cadre d’un sevrage tabagique, elles ne respectent pas la réglementation. De plus, la nicotine qu’elles contiennent parfois expose à des risques… de dépendance.

 Et encore:

« L’Afssaps recommande de s’abstenir de les consommer. D’abord parce que les cigarettes électroniques contiennent parfois de la nicotine (dans les cartouches de recharge), une substance classée « très dangereuse » par l’Organisation mondiale de la santé. ‘’Même lorsqu’ils sont limités à 2 %, les e-liquides peuvent contenir des quantités de nicotine susceptibles d’entraîner une exposition cutanée ou orale accidentelle, avec des effets indésirables graves, notamment chez les enfants’’, explique l’agence. La simple présence de nicotine risque même de créer une dépendance chez des utilisateurs qui n’étaient même pas fumeurs ! »

« Envie d’arrêter »

L’Afssaps n’est plus. Un quinquennat a passé avec, au chapitre tabac, l’incurie que l’on sait. Et la cigarette électronique est bel et bien là. Que Choisir aussi qui consacre un dossier-sondage à cet objet devenu emblématique du moindre risque. Un dossier repris par vapingpost.com (Natalie Dunand).  Le média de « défense du consommateur » a interrogé ses lecteurs sur le vapotage, en proposant en décembre 2016 un questionnaire aux abonnés de sa newsletter. Et 3 488 retours lui sont parvenus.

Les vapoteurs répondants (64 % d’hommes et 36 % de femmes) sont pour pour 80%  des vapoteurs depuis plus d’un an. Et 82 % des utilisateurs de cigarette électronique de l’enquête ne fument plus du tout de cigarettes. Quant aux 18 % qui « s’accordent de temps en temps une cigarette », leur consommation de tabac a nettement chuté.

Trois motivations avouées : l’envie d’arrêter de fumer (79 %), le souhait de ne plus gêner son entourage avec la fumée de cigarette (72 %) et les économies réalisées (88 %). Pour autant la cigarette électronique n’est pas gratuite : plus d’un vapoteur sur 8 (14 %) y consacre plus de cent euros par mois. Ils sont 40% à y consacrer entre 20 et 49 euros par mois et 34% entre 50 à 100 euros.

Hasard et fatalité

Au chapitre « liquides » 80 % des vapoteurs ont diminué progressivement leur dosage en nicotine pour aboutir à un dosage inférieur à 10 mg/ml. Ces lecteurs de Que Choisir achètent leur e-liquide en boutique spécialisée (53 %), sur internet (42 %) et chez les buralistes (3 %). Enfin 9 % des personnes qui ont répondu au questionnaire se disent « anciens adeptes de la cigarette électronique ». La moitié ne l’utilise plus parce qu’elles ont « tout arrêté » ; les autres les autres sont retournés à une consommation exclusive de cigarettes à forte nocivité.

Commentant les données, les journalistes du mensuel expliquent que « l’arrêt a été facile dans la très grande majorité des cas » et soulignent que ceci « tranche avec toutes les autres méthodes, qui demandent abnégation et volonté de fer ».

 Hasard ou fatalité, cette publication coïncide avec le départ de Marisol Touraine (qui aura tout fait pour ne rien comprendre au sujet) et à l’arrivée d’Agnès Buzyn comme ministre de la Santé. On sait l’intérêt que cette ancienne responsable de la lutte nationale contre le cancer porte à la lutte contre le tabac. On espère donc que ces frais conseillers lui livreront sous peu un exemplaire de Que Choisir. Et que plus généralement la politique sanitaire va enfin traiter de la cigarette électronique comme elle se devrait, en toute logique, de le faire.

On aurait aussi pu espérer que la nouvelle ministre use de ses nouvelles fonctions pour que l’Institut national de la santé et de la recherche médicale commence (enfin) à s’intéresser à cet outil de lutte contre la première cause de morts évitables. Or voici que le hasard fait, à cause d’une peu banale situation de conflit d’intérêts, que cela ne sera pas possible. Le hasard ou la fatalité ?

A demain

Tabac : la « Révolution des volutes »® est en marche

La dernière sortie de « 60 Millions de Consommateurs » sur la cigarette électronique « cancérogène » est difficilement  justifiable. Les réactions qu’elle suscite sont remarquables. Il y a là comme un parfum de poudre citoyenne. Les pouvoirs publics en prendront-ils de la graine ? En songeant, par exemple, à l’antique politique de « réduction des risques ».

Feint ou pas l’étonnement est là. Au lendemain de son exploit la rédaction de 60 Millions a rectifié le tir (apporté des précisions, complété son propos, répondu aux questions légitimes des lecteurs, etc.). On verra ici de quoi il retourne. « Les vapoteurs doivent-ils s’inquiéter ? Nos révélations sur la présence de composés indésirables dans les vapeurs de certaines cigarettes électroniques interpellent les utilisateurs. Retour sur les objectifs et les résultats de notre étude. » En clair ce retour montre que l’aller n’était pas très clair.

Nous ne demandons pas l’interdiction

 « Certaines e-cigarettes peuvent émettre des composés potentiellement cancérogènes,  nous redit la revue de l’Institut national de la consommation (INC). Les résultats de notre test sur les cigarettes électroniques, publiés lundi 26 août, ont suscité de nombreuses questions ou critiques de la part des internautes, utilisateurs ou revendeurs de ces appareils. D’emblée, disons-le clairement : nous ne demandons pas l’interdiction de la cigarette électronique. Nos résultats ne le justifient pas. » C’est donc redit. Pourquoi, dès lors cette vendeuse mise en scène ? Pourquoi cette potentielle perversité du « potentiellement cancérigène » ? Pourquoi cet oubli de la bibliographie, cette onction que confère la dramatisation,  ce surf sur la vague créée de l’émotion collective ?

Rassurons-nous : cela ne peut pas être le fruit d’une confraternelle compétition : « Comme nous, nos confrères de Que Choisir ont analysé, en laboratoire, la teneur en nicotine des liquides pour cigarettes électroniques. Comme nous, ils ont constaté de fréquents écarts avec le taux annoncé, écrit Benjamin Douriez. En revanche, Que Choisir n’a pas analysé les vapeurs issues des cigarettes électroniques. C’est bien dans les vapeurs que nous avons décelé des composés potentiellement cancérogènes. » Cherchez l’erreur, elle est dans la vapeur.

Faire flipper les futurs vapoteurs

 Le plus intéressant aujourd’hui est moins dans les réponses apportées en urgence à des internautes (utilisateurs ou revendeurs) férus de cigarette électronique. Elle est dans le nombre considérable et le contenu des messages suscités par la publication du dossier « potentiellement cancérigène ». Deux exemples « bravo , depuis hier tous le monde me conseille de reprendre la clope , juger bien moins cancérigène que la E cig , bravo pour le travail fait » ; « maintenant que le mal et fait , ben bravo , pourquoi n’allez vous pas sur les chaines info pour dire que vous êtes allez très vite en besogne , et que votre discours à bien fait flipper tout les futur vapoteurs. » Il y a aussi plus violent.

S’étonner  de la réactivité immédiate et de la virulence des commentaires? Sans doute pas. Nous savons que c’est là une caractéristique  essentielle de l’expression sur la Toile. Incidemment on observera que la revue de l’INC n’a visiblement pas « modéré/censuré » les réactions qu’elle a suscitées. Ce qui mérite d’être souligné. On observera aussi le formidable réservoir d’énergies, d’intérêts et de savoirs que sous-tend désormais l’affaire de la cigarette électronique, ce potentiel scandale de santé publique.

La volonté d’en découdre

 Ces remarques valent également pour les commentaires suscités par le billet  (pour partie cité ici) de Dominique Dupagne qui autopsie à vif cette affaire débutante. Mêmes énergies, mêmes intérêts, mêmes savoirs. Et même volonté de témoigner, d’expliquer, de se justifier, de revendiquer, d’accuser. Même volonté d’en découdre. Avec cette réflexion montante concernant la gabelle du tabac, les prébendes de Bercy, la brioche des Douanes. On pressent comme un parfum de poudre. D’autant que les buralistes-distributeurs de la drogue manifestent eux aussi, à leur manière, leur mécontentement ; mécontentement récurrent certes mais aujourd’hui grandissant.

La e-cigarette occupe bel et bien désormais une place inhabituelle dans le paysage des addictions. Un rôle à part  dans les différentes propositions collectives (médicales, sociétales et politiques) de lutter pour une vie meilleure, sans esclavage ni droit de cuissage. En dépit (ou plus précisément à cause) de son succès les pouvoirs publics (les autorités sanitaires) sont vite apparus comme dépassés. Ni « produit de santé » ni « produit dérivé du tabac » la e-cigarette est exclue des pharmacies et des bureaux de tabac. Disponibles dans des échoppes créées à cet effet, achetées par les citoyens sans aide de l’Etat elle échappe pour une large part aux herses réglementaires des autorités de tutelle de la Santé et de l’Economie.

De la gestuelle du fumeur

Ce n’est pas tout. La cigarette électronique échappe aussi au pouvoir médical. Du moins au pouvoir traditionnel réduit à celui du prescripteur. Par définition absente de l’espace médecin-malade elle est ailleurs. Le docteur peut la condamner ou la conseiller. Son patient fera comme il l’entendra. Ce qui est déjà une forme de liberté doublée, comme toujours, d’une responsabilité retrouvée : conserver la fameuse « gestuelle » (contagieuse ?) du fumeur tout en maîtrisant  seul(e) sa décroissance nicotinique ? Faillir et repartir au combat contre soi-même. En parler. Sur la Toile ou au café. C’est là un ensemble assez neuf, une dimension autogestionnaire inédite dans le monde de l’addictologie.

e-Electre

C’est là un cocktail que l’on pourrait qualifier d’explosif si l’expression n’était pas rongée ; ou de Molotov si l’appétit soviétique n’était pas passé de mode. Disons un beau ferment qui laisse songer à une révolte d’un nouveau genre, l’expérience individuelle de la libération des chaînes de l’addiction tabagique. Une expérience qui pourrait préfigurer d’autres libérations;  par exemple vis-à-vis de substances ou d’objets psycho-actifs fiscalisés.

Pour l’heure la cigarette électronique rougeoie. Comme l’aurore dans Electre ; Electre la lumineuse. Jean Giraudoux nous a dit que tout cela pouvait avoir un très beau nom (1). Proposition: la révolution des volutes.

(1)  La Femme Narsès : Que disent-elles ? Elles sont méchantes ! Où en sommes-nous, ma pauvre Électre, où en sommes-nous !

Électre : Où nous en sommes ?

La Femme Narsès : Oui, explique ! Je ne saisis jamais bien vite. Je sens évidemment qu’il se passe quelque chose, mais je me rends mal compte. Comment cela s’appelle-t-il, quand le jour se lève, comme aujourd’hui, et que tout est gâché, que tout est saccagé, et que l’air pourtant se respire, et qu’on a tout perdu, que la ville brûle, que les innocents s’entre-tuent, mais que les coupables agonisent, dans un coin du jour qui se lève ?

Électre : Demande au mendiant. Il le sait.

Le mendiant : Cela a un très beau nom, femme Narsès. Cela s’appelle l’aurore.

Jean Giraudoux (29/10/1882-31/01/1944) – Électre (dernières répliques, acte II, sc. 10) (éd. Gallimard, 1937)