Bonjour
« Figure historique » est une bien vieille formule. Elle peut encore être d’actualité. Comme aujourd’hui où l’on apprend la mort d’Antoinette Fouque. On peut dire d’elle qu’elle fut une « figure historique du féminisme français ». On peut le dire et sans doute le doit-on.
Les « figures historiques » laissent généralement des héritages difficiles. Pas de notaires à l’horizon mais un certain nombre de dépositaires uniques des morceaux de la véritable croix du MLF. Et Antoinette Fouque savait que les dépositaires-femmes ne manquèrent pas – elle qui batailla ferme et longtemps pour ôter le maquillage historique dont certaines usèrent. Et abusèrent.
Cicatrices
A l’heure de la mort, les cicatrices et les tensions demeurent perceptibles dans certains hommages diffusés par voie radiophonique. Restent les faits, tels que rapportés au lendemain de sa mort- mort dont l’Agence France Presse nous dit qu’elle est survenue à Paris dans la nuit du 19 au 20 février 2014. A Paris.
Barthes et Lacan
Les faits ? Antoinette Fouque était née Grugnardi, le 1er octobre 1936. A Marseille. Etudes supérieures de lettres puis de sciences politiques. D’abord enseignante puis, à compter de 1964, critique littéraire et traductrice. La France bouillonnait et, on le sait maintenant, s’ennuyait.
Antoinette Fouque ne fonde pas mais cofonde le Mouvement de libération des femmes (MLF) – et ce avec Monique Wittig et Josiane Chanel. Le MLF naît « en réaction contre le virilisme du mouvement étudiant ». Pour elle ce fut aussi et surtout, sous les pavés, « une libération joyeuse ». La démonstration que l’on peut se libérer d’un Roland Barthes professeur et d’une analyse sous Lacan.
Honneurs et théories
Création de la maison d’édition des Femmes. Ouverture des librairies du même nom. Publications diverses. Puis viennent les années 1990, cette théoricienne du féminisme, aux positions souvent controversées, s’engage nettement sur le terrain politique. Pas forcément à gauche. Certaines aujourd’hui s’en souviennent et leur gorge gouvernementale est comme nouée. Cela fait peine à entendre.
Dimension internationale, Parlement européen, Conférence mondiale des femmes à Pékin. Puis les honneurs auxquels ils et elles ne résistent guère. Commandeur de la Légion d’honneur, grand officier de l’ordre national du Mérite, commandeur des arts et des lettres.
Nous l’avions ici et là croisée. Souvenir d’une femme et d’une combattante. Une femme bien, comme on le dit d’un homme.
Elle, ou la servitude
Antoinette Fouque avait dirigé Le Dictionnaire universel des créatrices. Il faut écouter son entretien sur le site Internet Au féminin, à l’occasion de la publication. « Notre révolution était démocratique, pacifique, anthropologique, la plus longue des révolutions, puisqu’elle est toujours en cours » expliquait – elle. Elle ne craignait pas de dire avoir politiquement souffert « de la misogynie, mais aussi de l’incompréhension du milieu féministe universaliste ». Elle rejetait le qualificatif de féministe. Elle y voyait une « servitude volontaire que font certaines pour s’adapter au journal Elle ou à d’autres ».
Antoinette Fouque vient de mourir. Elle maquera dans le combat contre la GPA qui déchire les féministes d’aujourd’hui. Une GPA qui avance en France à petit pas via, dit-on, une circulaire dite Taubira.
Cuisses feminines
Antoinette Fouque vient de mourir. Hasard ou pas Antoine Mercier vient, sur France Culture, de consacrer sa chronique des mots à Femen. On l’écoutera avec plaisir ici-même. On la lira ci-dessous (1). Un demi siècle ou presque; homme comme femme on n’évitera pas une question. D’Antoinette Fouque à Femen : régression ou filiation ?
A demain
(1) « Elles disent avoir choisi le mot « Femen » parce que « cela sonnait bien ».
Sans savoir sans doute qu’en latin, il signifie une « cuisse ».
En français le terme Femen a d’ailleurs été conservé pour désigner en anatomie la zone allant de la hanche au genou. Par métonymie, il peut évoquer les organes génitaux.
Pourtant ce n’est pas d’abord leurs cuisses que les Femen exposent mais leur poitrine. Leur logo : la lettre cyrillique qui correspond au F dont la forme évoque une poitrine féminine.
Mais leurs corps dénudés n’est pas une fin en soi. Il est utilisé comme support à un mot d’ordre : en grosses lettres noires, les Femen inscrivent sur leur poitrine un slogan bien frappé qui varie en fonction de l’action conduite.
D’où la devise des Femen : mon corps, mon arme.
En avril dernier cinq activistes manifestèrent devant la grande mosquée de Bruxelles avec sur le corps l’inscription « fuck your morals ».
En juin, devant l’ambassade d’Arabie saoudite à Kiev, elles dénonçaient l’interdiction de conduire faites aux femmes dans ce pays avec le slogan : « cars for women, camels for men » (des voitures pour les femmes, des chameaux pour les hommes)
Neuf d’entre elles sont jugées ce mois-ci en France pour des dégradations sur une cloche de la cathédrale Notre-Dame de Paris, alors qu’elles avaient pénétré seins nus dans l’édifice le jour de la démission de Benoit 16 avec sur le torse l’inscription « Bye Bye Benoit » et « no more pope ».
Il y a quelques jours, des élus, des citoyens et des responsables religieux ont lancé une pétition contre le fait qu’un timbre s’inspire des traits d’une Femen.
Fondée en 2008, par un groupe de quatre ukrainienne, les Femen affirment incarner un nouveau féminisme nouveau, radical et spectaculaire.
Elles ont depuis fait des émules dans de nombreux pays.
Voici comment elles définissent leur idéologie : « Nous vivons dans un monde d’occupation masculine dans lequel la femme est une esclave privée de tout droit de propriété et, en particulier, du droit de propriété sur son propre corps (…)
Le contrôle total du corps de la femme est le principal instrument de son oppression. La nudité féminine, libérée du système patriarcal, devient fossoyeuse de ce système. »
Elles ont baptisé leur action : « le sextrémisme ».
Une arme supposée saper les fondements de la culture patriarcale.
Quoiqu’on puisse trouver le procédé grossier, il recèle une certaine efficacité.
En faisant parler leur corps, les Femen prennent en défaut le regard des hommes qui voudraient n’y voir qu’un objet. »