Double emploi : on n’entendra plus chanter Philippe Meyer sur les ondes de France Inter

Bonjour

Les pages tournent à une vitesse sans cesse accélérée. C’est une information du Monde où, jadis, il aurait pu entrer. Le Monde d’avant, dans cette petite rue des Italiens qui donnait sur les grands boulevards d’alors. Le Monde d’aujourd’hui, celui de Blanqui et de la Glacière nous apprend que cette figure s’apprête à quitter France Inter. Nous parlons ici de Philippe Meyer né le jour de Noël 1947 à Germersheim (Allemagne).

Après mille et une aventures culturelles, politiques et journalistiques l’homme animait chaque semaine La prochaine fois je vous le chanterai sur France Inter ainsi que, pendant la messe, le dominical et réjouissant L’Esprit public sur France Culture.

Prié de quitter l’antenne

« On me prie de quitter l’antenne de France Inter », a expliqué au Monde, lundi 6 juin, M. Meyer, qui présente son émission chantante depuis maintenant quatorze années. La raison invoquée par Radio France ? Elle est classique et de circonstance : la direction « souhaite cantonner les producteurs d’émissions à une seule chaîne ». En 2015, Frédéric Lodéon, 64 ans, présent sur France Inter et France Musique, avait été limité à cette dernière. Aujourd’hui, ce sont Laure Adler, 66 ans, (par ailleurs membre du conseil de surveillance du Monde) et Philippe Meyer, tous deux présents sur Culture et Inter, qui sont concernés.

C’est ainsi que Mme Adler restera présente sur France Inter (où elle héritera de l’émission quotidienne de Kathleen Evin, en soirée). Pour sa part M. Meyer conserverait la charge de « L’Esprit public », sur France Culture – mais il se plaint de ne pas encore savoir à quelles conditions. « C’est un choix éditorial », assume le directeur délégué aux antennes et aux programmes, Frédéric Schlesinger, 63 ans, qui promet au producteur « un rôle élargi » sur France Culture. Elargir le rôle en fermant le micro ?

Crocodile antique

Entré à Radio France en 1982 Philippe Meyer demeure contre vents et marées, à 68 ans, ce que Le Monde appelle « une figure des mondes culturel et politique ». On se souvient peut-être qu’en mars 2015, lors d’une violente crise à Radio France, l’homme avait publié une tribune dans Le Monde – un texte à l’ancienne aux allures de réquisitoire envers la direction de l’entreprise publique et son président controversé : Mathieu Gallet. Son texte était titré : « Il faut stopper la dérive de Radio France ».

Nous avions pour notre part alors évoqué, sur ce blog, cette initiative : « Radio France est en colère : dans Le Monde lire la tribune, au vitriol, de  Philippe Meyer ». Evoquant l’affaire avec un confrère (passé par Le Monde) nous nous entendîmes répondre qu’il s’agissait là de bien vieilles guerres. Et encore que Philippe Meyer était, tout bien pesé un antique crocodile. Est-ce dire qu’il n’a pas le droit, lui aussi, d’essuyer une larme ?

Errante hirondelle

Ecossant des petits pois, samedi dernier, nous écoutions d’un tympan amusé  les vinyles diffusés sur France Inter par M. Meyer. Il continuait de dérouler, de faire la part belle à l’intelligence, à la langue française et aux poètes qui la chantent. Colette Magny et Victor Hugo. Ferré sans cesse revisité. C’était presque trop beau. Combien étions-nous à partager ce festin ? Quand, sur quelles ondes et en quel pays pourrons-nous encore entendre, grâce à Lamartine et Brassens, l’enfant des chaumières glaner sur les bruyères le bois tombé des forêts ?

A demain

« Simili-bikinigate » : SOS Racisme fait le choix du mea culpa mais s’en prend aux médias

Bonjour

Il n’est jamais trop tard pour passer à confesse. Chacun se souvient du « Simili-bikinigate », cette boursouflure médiatique qui n’aurait jamais dû voir le jour ; ce fait divers mal raconté et qui donna lieu à quelques interprétations spontanées d’autant plus passionnées que les faits n’étaient pas prouvés (1).  Un crêpage de chignon à l’ombre de la cathédrale de Reims devenu affaire médiatique, politique, religieuse. Mais une affaire, finalement, où il n’était question ni de morale ni de religion. Elle donna pourtant lieu à un appel à manifester – puis à une manifestation- bikini qui avait tourné au ridicule médiatique : fin de canicule et sept personnes sous un ciel gris et pluvieux.

Nous avons donné la version de L’Union de Reims. Aujourd’hui c’est Dominique Sopo,président de SOS Racisme qui, sur son site, revient sur le sujet . Voici son texte (nous avons ajouté les inters):

« Lorsque le journal L’Union de Reims relata ce samedi un lynchage envers une jeune fille portant un maillot de bain au parc Léo-Lagrange de Reims, en évoquant comme un fait établi l’aspect moral de l’agression, de jeunes militantes rémoises de SOS Racisme ont décidé d’organiser un rassemblement dès le lendemain en forme de pied de nez à ce qui semblait relever d’une logique contraire à la liberté de choix des femmes.

Mauvaise séquence

Sans jamais évoquer le potentiel aspect religieux de l’affaire – puisque cela relevait clairement d‘une interprétation de l’auteur de l’article -, l’association s’est donc trouvée entraînée dans une très mauvaise séquence qui s’explique par trois éléments :

– La reprise par maints médias de cette histoire de lynchage, qui n’est pas sans rappeler « l’affaire du RER D » de 2004 (je me souviens à cet égard d’une station de Radio France qui avait appelé maints responsables associatifs en assurant qu’une vérification auprès du ministère de l’Intérieur leur permettait d’affirmer la réalité de cette affaire pour, quelques jours plus tard, interroger les mêmes responsables sur l’ « emballement des associations et des politiques »).

– L’exploitation immédiate de cette histoire par l’extrême-droite qui ne défendait évidemment pas là une quelconque liberté de choix mais, comme à son habitude, une stigmatisation immédiate et massive des musulmans, alors même que les très imprudents articles de presse ne citaient jamais une quelconque confession.

– Bien évidemment, le fait que l’aspect moral ait fini par être écarté, malgré ce qui était écrit telle une certitude dans l’article de l’Union de Reims.

Mauvaise conseillère

La précipitation est mauvaise conseillère et un appel au rassemblement, qui aurait pu avoir sa légitimité sur des faits solidement étayés, n’aurait pas dû être prévu pour le lendemain, quelles qu’aient pu être la frénésie des réseaux sociaux et l’emballement médiatique. Par ailleurs, une fois que les autorités judiciaires ont démenti tout aspect moral dans cette bagarre, le rassemblement prévu aurait dû être annulé.

Sans que cela remette en cause les motivations des militantes rémoises accusées par certains habitués de ces diatribes de vouloir s’en prendre aux musulmans (je répugne à détailler les origines et les confessions des militantes rémoises afin de montrer l’inanité d’une telle pensée), cette séquence était une erreur à laquelle nous aurions dû avoir, au niveau national, la réactivité suffisante afin d’y mettre un terme

Certains comportements

Par ailleurs, car cette affaire devient malheureusement typique de certains comportements, je me permets de clore cette mise au point par trois remarques :

– Première remarque : pour répondre à l’étonnement de certains face au lancement par SOS Racisme d’une mobilisation davantage féministe qu’antiraciste, je rappelle que l’association mène les combats qu’elle entend et qui, bien souvent, débordent le champ de l’antiracisme pour s’étendre à celui de la défense de la liberté et de l’égalité (combats féministes, soutien aux révolutions dans le monde arabe, lutte contre l’homophobie, défense de la démocratie…).

– Deuxième remarque pour certains politiques qui sous-entendent contre toute évidence que SOS Racisme s’en prendrait aux musulmans : le temps des colonies est fini et il leur est loisible de laisser leurs éventuels mandats à des musulmans, ce qui serait la plus forte preuve d’amour et contribuerait à remédier à la dramatique sous-représentation de plusieurs catégories de la population dans nos assemblées.

– Troisième remarque à l’adresse de nombre de médias : après avoir abondamment relayé les informations de l’Union de Reims toute la soirée du samedi et une bonne partie de la journée de dimanche, certains médias ont eu la délicatesse de mettre une fois de plus la frénésie au débit des politiques, des associatifs et des réseaux sociaux. Où l’on apprend qu’une profusion d’articles qui ont entraîné un rassemblement trop rapidement décidé est due à ce rassemblement. Où l’on apprend donc que la conséquence serait la cause de la cause… »

Contrition

Passer à confesse impose le plus souvent un acte de contrition. Le Monde (Pascale Robert-Diard) observe que  l’affaire a  conduit SOS Racisme « à faire disparaître de l’organigramme de son site le nom de Daniel Dhombres qui en assurait la coordination éditoriale ». Celui-ci avait publié dimanche sur Twitter, un tweet dans lequel il invoquait « l’origine » des jeunes filles pour accréditer l’hypothèse d’un « motif religieux » à l’agression.

A demain

(1) Au chapitre des « certitudes sans preuves » une lecture d’été (et de rentrée) vivement conseillée : « Croyance » de Jean-Claude Carrière. Editions Odile Jacob. Par  l’inégalable auteur de  la « Controverse de Valladolid ».

Le tiers payant généralisé est voté. Marisol Touraine nous donne rendez-vous dans dix ans

Bonjour

Marisol Touraine a-t-elle véritablement gagné ? C’est dans un hémicycle pratiquement vide (trente-cinq députés) qu’a été votée (en première lecture et dans la matinée du jeudi 9 avril)  la « généralisation progressive du tiers payant », l’une des « mesures phares » (article 18) du projet de loi de modernisation du système de santé, l’une des mesures les plus combattues par la droite politique comme par le corps médical libéral. Vingt-trois voix contre douze : on aurait pu rêver d’une plus grande énergie démocratique.

Droite extrême

« Je suis certaine que, dans dix ans, on ne parlera plus du tiers payant parce qu’il sera devenu une banalité, une norme, une simplicité, a lancé la ministre de la Santé. Beaucoup des réticences [des médecins libéraux] viennent de leur inquiétude quant à la mise en œuvre technique et concrète du système. » Dans dix ans nous serons en 2015. Où en sera la médecine libérale ? Où en serons les déserts médicaux ? Où en sera la Sécurité sociale ? Où en seront les renoncements aux soins pour raisons financières ? Où en seront les prises en charge des connections dentaires et oculaires ?

2015… Où en sera l’extrême droite qui dénonce (avec une fraction de la droite) une « déresponsabilisation des patients » et « une bureaucratisation des médecins », qui seront confrontés selon eux à « un décuplement de la paperasserie au détriment du temps consacré aux soins ». « Il n’y a pas de problème d’accès aux soins en France en dehors des prothèses dentaires, auditives et des lunettes », a d’ailleurs protesté l’ancien président (UMP) de l’Assemblée nationale Bernard Accoyer (ORL de profession, précise l’Agence France Presse).

Cigarette électronique

« Rappelant que « les médecins sont allés dans la rue », ce qui est « rare », son collègue Bernard Debré (UMP), chirurgien de profession, a affirmé qu’ils voulaient s’opposer à un mécanisme qui va rendre « leur métier plus difficile » » dit encore l’AFP. Bernard Debré a de la mémoire : il était déjà dans la rue quand les soviétiques étaient aux portes de Paris, et Jack Ralite avenue de Ségur. François Mitterrand venait de remonter la rue Soufflot, une rose à la main (1) bien des magots étaient, dit-on, en Suisse. Déjà. On fumait dans les salles de cinéma et personne n’imaginait qu’un jour le successeur de Jack Ralite serait furieusement contre la cigarette électronique.

C’était il y a trente-quatre ans. Et puis nous voici en 2015. Radio-France est en grève comme elle ne l’a jamais été. Mais, heureusement pour la démocratie nous avons l’AFP. « Quasi généralisée à l’hôpital, la dispense d’avance de frais ne concerne actuellement que 30% des consultations dans les cabinets médicaux de ville, essentiellement pour les patients bénéficiaires de la CMU-C (couverture maladie universelle complémentaire) et de l’aide médicale d’État, nous rappelle-t-elle. Le budget 2015 de la Sécurité sociale prévoit son extension aux bénéficiaires de l’ACS (aide à l’acquisition d’une complémentaire santé) à partir du 1er juillet. »

Vérité

Le projet de loi Santé va plus loin: les patients pris en charge à 100% par l’Assurance maladie (maladies de longue durée type diabète, femmes enceintes…) pourront prétendre au tiers payant à partir de juillet 2016. Le dispositif doit ensuite être testé pour tous les assurés à partir de janvier 2017, pour devenir « un droit » à la fin novembre 2017.

Fin 2017. Il ne nous restera plus que huit années à patienter pour savoir si, le 9 avril 2015, Marisol Touraine disait la vérité.

A demain

 (1) Sur ce thème on peut lire la remarquable biographie « François Mitterrand » de Michel Winock. Collection NRF Biographies, Gallimard

Urgences. Affaire de la femme morte de Cochin. Ne saura-t-on vraiment plus jamais rien ?

Bonjour

Lundi 6 avril 2015. Grand calme sur la France. Kiosques et marchands de journaux aux abonnés absents. L’ énorme abcès-silence de Radio France enfle. Des quotidiens jadis laborieux font désormais relâche le lundi de Pâques ; Libération par exemple. La Toile est là pour calmer les citoyens devenus dépendants au craving médiatique (1).

Depardieu et Birenbaum

On reprend le Journal du Dimanche de Pâques (où figure un fort intéressant entretien avec Alain Depardieu le grand frère de Gérard)  – sur abonnement  – qui signe un livre « Mon frère (éditions de l’Archipel) ». On tourne les pages et on tombe sur cet indiscret qui n’en est pas un :

« Hirsch pense aux urgences

Soucieux de diminuer les attentes aux urgences, le patron des hôpitaux parisiens et du Samu, Martin Hirsch, vient de signer un accord avec le préfet de police de Paris, Bernard Boucault (aussi patron des pompiers). Il s’agit de trouver une meilleure coopération entre le Samu et les pompiers notamment grâce à la connexion des systèmes d’information et de communication par radio. »

Retrouvée morte, six heures plus tard

Martin Hirsch, directeur général de l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris… le préfet de police de Paris… les urgences…

On repense immanquablement à cette affaire jamais close de cette femme morte il y a un peu plus d’un an aux urgences de Cochin. Les pompiers avaient bien travaillé.Une femme âgée de 61 ans venue après une chute à son domicile pour une petite blessure au pied. Elle y a été retrouvée morte six heures plus tard dans la salle d’attente. L’article 74 du code de procédure pénale n’avait pas été respecté. Aucune autopsie n’avait été pratiquée. Nul ne connaît avec certitude les causes de la mort. Personne n’a voulu savoir. Ou personne n’a voulu parler.

Questions sans réponses

Nous avons longuement, ici et sur Slate.fr,  tenu la chronique de l’affaire. Autant que faire se peut. Le dernier papier date du 12 mars 2014. Morte de quoi ? Et au final, des questions sans réponses, un mystère qui demeure. Médias ou pas.

A demain

(1) Sur ce thème, et sous l’angle psychiatrique de l’addiction au Web un livre commence à faire un certain bruit dans les médias « Vous m’avez manqué : histoire d’une dépression française » Les Arènes, 416 pages, 19,90 euros) de Guy Birenbaum chroniqueur à France Info. Nous n’avons pas (encore) reçu l’ouvrage mais nous avons écouté l’auteur, omniprésent sur les ondes :

« Je ne suis ni médecin, ni psychiatre ou addictologue. Mais je pense que deux ou trois heures passées chaque jour sur la Toile, ça commence déjà à être compliqué. Or un journaliste ne peut pas y rester seulement deux ou trois heures, explique l’auteur. Suivre l’actualité sur toutes les plates-formes sans en tomber malade ? C’est compliqué. C’est pour ça que j’ai décidé de me retirer du temps réel, parce que j’ai fini par être fracassé par la succession de l’information, du démenti, de l’information du démenti… Le cerveau n’est pas fait pour ça ; c’est peut–être seulement le mien, parce que je suis niais, mais je pense que c’est mieux de pas s’imposer ça. »

Quand on lui demande si c’était mieux « à l’ancien temps de l’information » il répond : « Au moins, on écrivait moins de bêtises. Il y a tout un tas d’informations où je me demande toujours pourquoi il faut être le premier. Annoncer un décès, par exemple. En quoi c’est urgent ? Si on prend l’exemple du crash de l’avion de la compagnie allemande Germanwings, il est normal d’annoncer l’accident au moment où on l’apprend. Sauf qu’avant on aurait attendu cinq ou six heures pour savoir ce qui s’était passé. Maintenant, vous savez que c’est arrivé ; puis on vous explique aussitôt que, probablement, c’est le mauvais temps ou une erreur de pilotage ; puis on découvre l’histoire du pilote et on apprend que des complotistes pensent qu’il était djihadiste… Du calme ! »

Du calme ? Nous verrons ça plus tard.

Radio France est en colère : dans « Le Monde » lire la tribune, au vitriol, de Philippe Meyer

Bonjour

Philippe Meyer est l’une des plumes de Radio France : une voix qui, dans la nuit noire des ondes privées, parvient à nous éclairer. Il fait parler, chanter, réfléchir. Grâce à lui nous avons lu Alexandre Vialatte. C’est dire. Les plumes de Radio France tombent les unes après les autres. Aujourd’hui toutes ses voix se sont tues : la Maison Ronde est en grève. C’est une affaire complexe, envenimée par du bois de palissandre et le fiel bien senti du Canard enchaîné. Manuel Valls, Premier ministre vient, à la veille des Rameaux, de dire que cette grève devait cesser. Ne sait pas qui veut arrêter une grève.

Lire Meyer

Si on n’entend plus Philippe Meyer on peut le lire. Dans Le Monde, daté du 28 mars. Avec quelques annonces de « cessation de garanties » il remplit la page n°15. On y découvre une voix différente. Celle que ne peuvent tenir le quelques journalistes qui couvrent ce conflit, parfois même de l’intérieur, au risque de la consanguinité et du conflit d’intérêts. Page 15 c’est le même phrasé, la même élégance impertinente, la même petite musique vitriolisante.

Il faut ici lire Le Monde, bien évidemment (sur abonnement). Philippe Meyer : « Il faut stopper la dérive de Radio France ». Reprendre la barre, si l’on comprend bien. Et changer au plus vite de capitaine, puisque le greffon n’a pas pris.  Nous ne résistons pas à donner ici quelques extraits :

« Les informations publiées semaine après semaine par Le Canard enchaîné ne sont pas pour rien dans la grève de Radio France, mais on aurait tort de croire qu’elles en sont la cause unique ou même principale. D’ailleurs, lorsque, il y a un an, le même hebdomadaire révéla que le premier geste du PDG fraîchement nommé à l’unanimité par le CSA avait été de réclamer à sa tutelle une substantielle augmentation de salaire, aucune vague d’indignation, de réprobation ou même de simple déception ne parcourut la Maison ronde.

C’est qu’en 2014, après cinq ans d’une gouvernance médiocre, à la fois indolente et brutale, confiée par Nicolas Sarkozy à des amis ou à des complaisants, les personnels de Radio France n’accordaient d’importance qu’à une chose : avoir enfin un projet et un patron. Lors de l’arrivée de leur nouveau président, la plupart des collaborateurs avaient, comme ils l’ont aujourd’hui, conscience de l’importance des défis à relever.

 Le premier de tous est de demeurer un service public dans un monde où l’on fait bon marché de l’intérêt général, dans un domaine, celui de l’audiovisuel, où la spécificité des programmes proposés par les sociétés nationales n’a fait qu’aller en s’érodant, et dans un secteur d’activité, celui de la culture, d’autant plus difficile à faire vivre qu’il est devenu une auberge espagnole en même temps qu’une variable d’ajustement budgétaire.

 Révélation de talents

 A ceux qui doutent de la nécessité d’un service public, il faut rappeler que, tout au long de son histoire, Radio France a justifié son existence en inventant des émissions et en révélant des talents. Pour les talents, il suffit de parcourir les grilles des radios commerciales : on y verra défiler des noms d’animateurs ou de producteurs dont les premiers pas ont été faits sur les antennes du service public, alors que la situation inverse est inexistante ou exceptionnelle.

 Quant aux programmes, où, ailleurs que sur nos antennes, aurait pu trouver place Pierre Desproges, où pourrait-on entendre aujourd’hui les feuilletons de France Culture, les comparaisons en aveugle de « La Tribune des critiques de disques », tant de programmes de reportage, tant d’entretiens préparés, tant de portraits fouillés? Maintenir et orienter cette spécificité en période d’austérité demande plus que jamais une vision, une volonté et le sens du risque. Ce sont cette vision, cette volonté, ce sens du risque qui ont été si fortement attendus et dont le défaut, pour l’essentiel, explique la grève.

Indigne du service public

Non qu’il n’y ait pas de raisons matérielles à ce mouvement : d’abord parce que les personnels ont le droit de savoir quel avenir leur est réservé, plutôt que d’en être réduits depuis un an à interpréter des bruits de couloir, des déclarations dans des antichambres, des confidences à des journalistes médias, démenties dès qu’elles soulèvent une difficulté. Ensuite parce que la « gestion des ressources humaines » de Radio France n’est pas digne d’un service public.

Certaines méthodes couramment utilisées feraient même rougir dans des entreprises dont le profit est le seul but affiché. Certains manquements, s’ils n’étaient pas le fait d’une société dont l’Etat est l’actionnaire principal, conduiraient leurs responsables devant les tribunaux (…).

Bruits de bouche relayés

En matière d’affaires publiques, nos antennes généralistes se perdent dans la multiplication d’émissions de plateau bavardes, dont les invités sont en général vus et entendus dans tous les médias, alors que notre force est de pouvoir produire des émissions de reportages et d’enquêtes approfondis, susceptibles d’informer intelligemment nos auditeurs sur le monde dans lequel ils vivent, de les aider à le connaître et à le comprendre.

Ces émissions sont dans notre ADN. Cela est vrai pour toutes les chaînes. Elles ont émaillé aussi bien les productions des rédactions que celles, plus légères, diffusées sous l’étiquette des « programmes ». On les a évoquées glorieusement lors du cinquantenaire, tout en continuant à en contredire ou même à en fouler aux pieds l’esprit et les ambitions.

 Nous disposons, pour relancer de telles émissions, d’un personnel capable, tant à l’antenne que dans les services techniques ; j’ajouterai même que le savoir-faire de cette dernière catégorie de collaborateurs, véritables travailleurs du son, est gravement sous-employé, et qu’on les cantonne à relayer des bruits de bouche alors qu’ils sauraient saisir et retransmettre les rumeurs du monde et en permettre l’analyse.

Absurdités

Les dernières années ont vu les chaînes, et notamment France Inter et France Culture, se livrer à une concurrence absurde, exacerbée par des rivalités et des ambitions subalternes. Faute de pouvoir justifier cette rivalité par une politique de programmes, chaque direction s’est arc-boutée sur des sondages dont la moindre variation à la hausse, le plus souvent inférieure à la marge d’erreur de ce type de mesure, est célébrée comme un Austerlitz, à grand renfort de trompette.

Radio France ne peut pas se payer de cette fausse monnaie, ni se complaire dans cette autosatisfaction ampoulée, ni se replier dans une crainte frileuse. Son mérite a toujours été de proposer à ses publics – je tiens au pluriel – des émissions dont ils ne savaient pas encore avoir envie. C’est ce qui a toujours donné une saveur particulière à son succès. Nous sommes une radio d’offre, avec les risques que cela comporte, pas une radio de marketing, même si le savoir-faire de ceux qui étudient les audiences peut nous aider à placer au mieux nos propositions dans la grille des programmes (…).

Amuseur-vedette

Interrogé sur son projet lors d’une récente assemblée générale, le président de Radio France a répondu que, faute de moyens, il lui était impossible de présenter une ambition. Je crains que ce ne soit là que l’on doit trouver la raison la plus forte d’une déception devenue désarroi avant de tourner à la colère. »

On se prenait à espérer. Puis nous apprenons qu’au moment précis où Le Monde sortait en kiosque et sur la Toile l’amuseur-vedette (Europe 1 et D8) Cyril Hanouna confirmait une rumeur: il entend devenir patron de France Télévisions.

A demain

Palais de l’Elysée : François Hollande parle de «la mort qui habite la fonction présidentielle»

Bonjour

La Mort et le Pouvoir. Jadis un Président se taisait.Du moins jusqu’au moment où, libéré de ses fonctions, il pouvait coucher ses souvenirs et ses angoisses – sur papier-bible et pour l’Histoire. C’était jadis, et Marguerite Yourcenar.

Est-ce la loi sur la sédation profonde et terminale qu’il a voulue et que les députés viennent de voter ?  Est-ce la lecture de la – remarquable –  biographie de François Mitterrand par Michel Winock  (1) ? Michel Winock qui, après d’autres, évoquait il y a quelques jours sur France Culture les liens entre la formidable résistance au cancer de la prostate et l’exercice acharné du pouvoir suprême – sans parler des forces de l’Esprit. Sont-ce les mânes de l’Elysée ou l’approche des très grandes marées ? Ou, plus tristement,une nouvelle et banale opération de communication ?

 Dès l’aube

Radio France et en grève, mais l’AFP le dit dès l’aube de ce 19 mars : François Hollande « se livre longuement dans une interview-confession au nouveau magazine Society (2) à paraître vendredi 20 mars ». Et, déjà, RMC-BFMTV. Le président de la République française évoque « la mort qui habite la fonction présidentielle ».

Il parle aussi de tout et de rien, de Vladimir Poutine, de ses espoirs de reprise économique. Il parle de la mort et du Front National, et des élections départementales. Ce Front National qui progresse depuis 1981 en France, et qui a « continué de progresser » depuis qu’il est au Palais de l’Elysée. « L’extrême droite est une zone d’ombre au niveau international, qui nous ramène à une réalité interne difficile » confie François Hollande.

Classe ouvrière

La mort dans, et entre les lignes. Celle de la gauche, évoquée de manière récurrente (comme une hypothèse) par son Premier ministre ? La gauche a-t-elle abandonné la classe ouvrière au parti de Marine Le Pen ?  François Hollande reconnaît qu’elle est effectivement « la catégorie qui a le plus souffert des mutations économiques et des suppressions d’emplois ». « Il est donc commode pour les populistes de laisser croire que c’est à cause des étrangers, de la mondialisation et de l’Europe que les difficultés sont venues et que la France pourrait se murer, se barricader ou se replier pour échapper aux grands vents de l’Histoire » dit-il.

Le Palais de l’Elysée ? L’exercice de la fonction suprême ? « Voilà ce qui vous change, la mort habite la fonction présidentielle ». « Le président est le chef de la famille française. Il doit partager les douleurs » mais aussi « maîtriser ses émotions au nom de la raison d’État » poursuit le chef des armées. François Hollande s’allonge et parle. Il se souvient du premier soldat français « mort en héros » au Mali, de l’angoisse des familles d’otages, de Hervé Gourdel décapité en Algérie ou de l’agent français tué par ses ravisseurs en Somalie. « Cette nuit-là, je n’ai pas dormi, je suis resté en relation constante avec nos services » confie-t-il aux lecteurs de Society.

Au fond des yeux

Il n’oublie pas Charlie Hebdo. Et revient aussi longuement sur l’attentat du 7 janvier. Sur la « voix déchirée par les sanglots » du médecin urgentiste Patrick Pelloux lui disant: « Ils sont morts, ils sont tous morts, viens vite. » Charlie Hebdo qui, dans son dernier numéro moque (gentiment) le chef de l’Etat et son premier ministre (couverture de Riss). Charlie Hebdo qui vante (Patrick Pelloux) la sédation profonde, le dormir avant que de mourir. Et qui revient précieusement (Philippe Lançon) sur l’éternelle question de la mort au fond des yeux.

Retour à l’Elysée. Les moqueries ou les railleries à son égard ? François Hollande : « Je ne suis ni insensible aux bassesses, ni indifférent aux outrances mais je ne montre rien, car le chef de l’État doit mettre ses sentiments personnels de côté. » Rien n’interdit aussi de voir, ici, une forme d’humour présidentiel.

A demain

 (1) « Francois Mitterrand » de Michel Winock. Collection NRF Biographies, Gallimard

(2) On peut voir ici, grâce à Libération, la Une assez étrange, du numéro 2 de Society. Society se présente comme un « quinzomadaire en liberté ». Il est édité par So Press. « La société So Press, éditrice du magazine So Foot, a annoncé avoir trouvé le nom de son futur quinzomadaire, pouvait-on lire fin 2014 dans Le Figaro. Baptisé Society, ce nouveau titre évoquera des thèmes tels que l’économie, les faits divers, les sciences et la politique.  Suite au lancement de Society, le groupe So Press a décidé de doubler la taille de ses effectifs avec l’arrivée d’une vingtaine de personnes au sein de la rédaction. Un emprunt de 700.000 euros a été effectué auprès de la Banque publique d’investissement ainsi qu’une levée de fonds auprès d’actionnaires privés.  Le groupe fondé par Franck Annese compte actuellement cinq magazines (So FilmPédaleDoolittle etc.) ainsi qu’une société de production et un label de musique. Society paraîtra deux fois par mois le vendredi au prix de 3,90 euros. Les dirigeants envisagent 60.000 ventes en kiosque. Le groupe So Press a acquis une forte notoriété à travers la réussite de son titre So Foot. »