Dépression et pentobarbital : un cas assez peu régulier de «suicide médicalement assisté»

Bonjour

« Suicide médicalement assisté » ? Interdit en France. Regardons vers la Suisse voisine. « Une médecin âgée de 61 ans accusée de meurtre comparaît à Muttenz depuis le 3 juillet devant la cour pénale de Bâle-Campagne. Elle aurait aidé une sexagénaire dépressive et incapable de discernement à se suicider, résume Le Matin. La défense met en doute la fiabilité de l’expertise psychiatrique ». Une affaire également traitée par la RTS : « Une médecin bâloise jugée pour un cas « irrégulier » d’aide au suicide »

Pour le ministère public, l’accompagnement vers la mort de la femme de 67 ans en juin 2016 s’est déroulé de façon irrégulière. La sexagénaire vivait dans un « home médicalisé » à Bâle-Campagne. Elle s’est tournée vers l’organisation d’aide au suicide « Eternal Spirit » après le refus de l’association alémanique « Exit » de l’aider à se suicider.

Selon l’acte d’accusation, la femme souffrait de graves troubles dépressifs et du trouble de somatisation également connu sous la dénomination « syndrome de Briquet ». Ces maladies ne sont pas mortelles et la sexagénaire n’était pas capable de discernement, estime l’autorité d’enquête. Le ministère public se base sur une expertise psychiatrique du directeur de la clinique forensique des établissements psychiatriques universitaires de Bâle. Ce professeur s’appuie sur des entretiens avec la patiente et sur la documentation liée aux séjours et traitements (souvent interrompus) de la patiente en clinique.

Cité en témoin, un membre du personnel soignant du « home » a décrit, au contraire, la sexagénaire comme une personne «très autonome» et «pas dépressive». Autre témoin, un psychiatre mandaté par le home pour des troubles de l’alimentation et des angoisses de la patiente n’a quant à lui  diagnostiqué qu’une dépression de gravité moyenne en 2015. Il avait également constaté le trouble de somatisation, la femme ayant alors des difficultés à marcher et à parler.

« Idéalisme personnel » et pentobarbital

« Rebondissant sur ces témoignages, l’avocat de l’accusée s’en est pris à l’expertise psychiatrique, rapporte Le Matin. Il a évoqué les notes illisibles d’une médecin de famille, sur lesquelles l’expertise se base partiellement, ainsi que des documents manquants. Pour l’auteur de l’expertise, le dossier de la patiente était suffisamment étoffé pour aboutir à de telles conclusions. Les rapports de sortie de clinique mentionnaient à chaque fois le trouble de somatisation et les entretiens personnels étaient suffisamment évocateurs pour conclure à une lourde dépression. »

En pratique la prévenue a « accompagné la sexagénaire vers la mort » dans le local d’Eternal Spirit à Liestal – et ce sans avoir auparavant demandé un rapport psychiatrique indépendant, souligne l’accusation. La femme était visiblement malade. Elle refusait toute thérapie et répétait qu’elle voulait mourir. La médecin a elle-même élaboré un rapport destiné à l’organisation Eternal Spirit qu’elle préside. Elle a aussi demandé un court certificat médical de deux pages à un médecin de famille qu’elle connaît. Elle a ainsi pris une décision en se basant sur des informations insuffisantes pour déterminer la capacité de discernement de la sexagénaire, estime l’accusation.

« C’est ensuite la prévenue qui a donné le feu vert pour l’accompagnement vers la mort en sachant sciemment, ou tout au moins en acceptant le fait que la sexagénaire n’était pas capable de discernement, précise Le Matin. La médecin lui aurait même ‘’suggéré’’ qu’elle était capable de discernement, selon l’acte d’accusation. Et c’est la sexagénaire, dans l’ignorance de son incapacité de discernement, qui a activé la perfusion intraveineuse mortelle de pentobarbital sodique dans la main, indique le ministère public ».

L’acte d’accusation précise que la prévenue a agi par «idéalisme personnel». Elle a déjà réalisé « 400 accompagnements vers la mort » en 13 ans d’activités chez Eternal Spirit – et 600 expertises favorables au suicide assisté effectuées auparavant quant elle était consultante pour Dignitas. «Je n’ai rien fait d’illégal», a pour sa part affirmé la médecin devant les magistrats. Jugement attendu pour le 9 juillet.

A demain @jynau

aa

La démonisation de la cigarette électronique est l’une des incarnations de la «post-vérité»

 

Bonjour

Serait-ce, déjà, un « effet Trump » et son épidémie de « post-vérité »  ? Comment, sinon, expliquer que l’équivalent américain du Directeur Général de la Santé en soit arrivé là ? Nous évoquions il y a quelques jours la publication du rapport sur la cigarete électronique du Dr Vivek H. Murthy, Surgeon General des Etats-Unis.  On trouvera ce rapport à cette adresse :  https://e-cigarettes.surgeongeneral.gov/. Cet éminent responsable sanitaire y reprend les chiffres d’utilisation de cigarettes électronique chez les jeunes aux Etats-Unis. Il rappelle que les outils du vapotage ne sont pas anodins, que l’inhalation de nicotine expose à un risque de dépendance à cette substance. Il critique par ailleurs  les publicités agressives de l’industrie des cigarettes électroniques ciblant les plus jeunes.

Ce rapport est aujourd’hui devant des juges ayant autorité. Et il est dénoncé comme biaisé et partisan. On ne peut, comme il le fait, présenter  la cigarette électronique comme « un danger majeur pour la santé publique ». C’est refuser de comprendre qu’il y a là un levier puissant de réduction du risque tabagique. Ceci explique le nombre et la virulence des réactions d’experts en santé publique qui dénoncent le rapport du Dr Murthy,  réductionniste et politiquement partisan.

Rapport malhonnête

 Le paradoxe veut que, loin d’être colligées et analysées par les responsables des organismes sanitaires publics, ces réactions critiques le sont par le site des buralistes : « Cigarette électronique : un rapport américain alarmant, mais très contesté ». On y découvre, contacté par Sciences et Avenir, le Dr Lion Shabab (University College London) qui estime que le rapport adopte « une courte vue sur le potentiel de la e-cigarette en tant qu’outil de réduction des risques du tabagisme, tout en exagérant ses potentiels effets néfastes (…)  À l’inverse du tabac fumé qui utilise la combustion pour délivrer dans les poumons de la fumée contenant de la nicotine, du goudron et de nombreuses substances toxiques, les cigarettes électroniques ne brûlent pas de tabac. Il est donc trompeur de classer la e-cigarette comme un produit du tabac ».

 A ses côtés le Dr Lynne Dawkins (London South Bank University) regrette qu’« en choisissant de se concentrer sur les jeunes et d’ignorer que la e-cigarette est une alternative moins dangereuse pour les adultes fumeurs, le rapport se rend incapable de mesurer adéquatement la balance des bénéfices et des risques ». Pour le Pr Michael Siegel (Ecole de santé publique de l’université de Boston), « le rapport est scientifiquement malhonnête ». Sur son blog il souligne (une fois encore…)  que « le vapotage n’est pas une forme d’utilisation du tabac » et insiste sur la prévalence tabagique qui a atteint un niveau historiquement bas aux États-Unis.

Ces trois experts estiment que les effets de la nicotine sur le cerveau humain ne sont pas avérés, les seules données disponibles étant issues de recherches animales, essentiellement menées sur des rongeurs.

 Dans un monde idéal

 Dr Lion Shabab : « Il est clair que dans un monde idéal, les adolescents ne consommeraient ni cigarette ni e-cigarette. Mais la réalité, c’est qu’en dépit de décennies d’efforts pour réduire le tabagisme, le plus dangereux des produits du tabac – la cigarette – est encore un produit de consommation parfaitement légal ; alors même qu’il rend non seulement dépendant mais tue aussi ses consommateurs.

 « De fait, chaque année, des milliers d’adolescents commencent à fumer des cigarettes. Or, si les e-cigarettes peuvent détourner les adolescents du tabac fumé, elles auraient très probablement un effet bénéfique sur la population. Il faut savoir que l’usage quotidien de e-cigarettes chez les jeunes reste extrêmement rare, et est d’abord le fait de ceux qui fument déjà.

« En exagérant les dangers de la e-cigarette et en ignorant son potentiel d’outil de réduction du tabagisme, y compris chez les adolescents, le rapport du Surgeon General pourrait avoir des conséquences non souhaitées et conduire plus de jeunes vers des produits du tabac fumé ».

 En France le Pr Bertrand Dautzenberg ironise : Merci au Surgeon General US de suivre avec trois ans de retard l’attitude assez exemplaire qu’a eu la France en matière d’e-cigarette, malgré les tensions et les incompréhensions qui persistent ».

 Et en  Suisse, ce pays ami ? On peut ici écouter, sur la RTS, le réquisitoire calme et terrible du  Pr Jean François Etter (Université de Genève), fondateur du programme « stop tabac » en Suisse. C’est, selon lui un rapport biaisé et trompeur. Un rapport non pas scientifique mais bel et bien politique caractérisé par un refus idéologique de la politique de réduction des risques. On n’écoute jamais assez la Suisse. Pour l’heure, en France, c’est le grand silence.

A demain

Alerte rouge outre-Atlantique : émergence de la souche mutante d’Escherichia ultra-résistante

 

Bonjour

 

Les plus hautes autorités sanitaires américaines viennent d’annoncer le premier cas diagnostiqué aux Etats-Unis d’une patiente atteinte d’une infection qui « résiste à tous les antibiotiques connus ». Cette observation est publiée dans la revue « Antimicrobial Agents and Chemotherapy » : Escherichia coli Harboring mcr-1 and blaCTX-M on a Novel IncF Plasmid: First report of mcr-1 in the USA” La malade est une femme de 49 ans souffrant d’une infection urinaire provoquée par une souche mutante de la bactérie Escherichia coli qui résiste à tous les antibiotiques, y compris celui considéré comme la dernière ligne de défense.

C’est peu dire que la souche mutante sème l’inquiétude outre-Atlantique L’affaire y est reprise par de très nombreux médias, dont The New York Times : Infection Raises Specter of Superbugs Resistant to All Antibiotics”. « Nous risquons de vivre dans un monde post-antibiotique. C’est la fin des antibiotiques si on n’agit pas en urgence » a déclaré le Dr. Thomas R. Frieden,  directeur des Centres américains de contrôle et de prévention des maladies (CDC). C’est peu dire que la souche mutante sème l’inquiétude outre-Atlantique. Elle est considérée par les CDC comme l’une des plus grandes menaces de santé publique. « Cette super-bactérie avait été identifiée récemment en Europe et en Chine chez des humains et des animaux ; elle a été retrouvée pour la première fois sur le sol américain.

Déjà en Chine

En novembre 2015 c’était en Chine, puis en décembre au Royaume-Uni : « Bacteria that resist ‘last antibiotic’ in UK ».  En Chine, comme The Lancet le révélait alors,  il s’agissait de la première découverte de l’émergence de souches bactériennes devenues résistantes  à la classe antibiotiques des polymyxines (colistine, polymyxine B) –  plus précisément un plasmide porteur d’un gène de résistance aux polymyxines, baptisé mcr-1, dans un grand nombre d’entérobactéries retrouvées chez des cochons et dans des viandes de porcs  ainsi que chez des patients admis dans deux hôpitaux du sud de la République Populaire de Chine.

Le fait que ce gène de résistance se trouve sur un plasmide (et non plus à partir de mutations chromosomiques) suggère fortement qu’il pourrait se répandre géographiquement à travers un grand nombre de souches et d’espèces bactériennes. Les chercheurs chinois se disaient aussi inquiets de la forte prévalence de la résistance dans leur échantillonage – résistance retrouvée chez Escherichia coli et chez  Klebsiella pneumoniae.

Très mauvaise nouvelle

Les spécialistes du Vieux Continent se disaient alors extrêmement  inquiets. Ainsi le Pr Gunnar Kahlmeter de la Société européenne de microbiologie et des maladies infectieuses (ESCMID) estimait qu’il s’agissait d’une « très mauvaise nouvelle » :

« Nous avons abusé de l’usage des antibiotiques depuis leur découverte et avons continué à les gaspiller pour des raisons économiques dans des secteurs où ils n’avaient rien à faireNous avons cherché à savoir si l’utilisation de 600 tonnes d’antibiotiques par an pour traiter les élevages de porc n’était pas dangereux au lieu de simplement considérer que ce n’était pas la peine de prendre un tel risque. Avec ce nouveau gène mcr-1 de résistance à la colistine et à la polymyxine, il est désormais clair que l’usage fréquent de la colistine dans l’agriculture en Chine et dans l’Asie du Sud Est est à l’origine de cette catastrophe.  »

 Les autorités sanitaires britanniques pensaient alors avoir encore trois années de répit. Elles ont toutefois voulu savoir ce qu’il en était sur leur sol.  « Public Health England” et l’”Animal and Plant Health Agency” ont ainsi testé  24,000 échantillons bactériens collectés entre 2012 et 2015. Et la résistance à la colistine a été découvert dans quinze d’entre eux, parmi lesquelles des Salmonelles et des Escherichia. coli. Des souches résistantes à la colistine ont aussi été découvertes dans trois élevages de porcs.

Identifier les réservoirs

« La colistine est l’un des médicaments les plus efficaces contre les bactéries à très haute résistance. L’émergence de ce gène transférable qui leur confère une résistance à cet antibiotique vital est extrêmement préoccupante. La découverte de ce gène aux États Unis appelle à renforcer la surveillance pour en identifier les réservoirs, pour pouvoir prévenir sa propagation », alertait le Dr Patrick McGann, principal auteur de l’étude

Interrogé par la Radio Télévision Suisse  le Pr Didier Pittet, chef du service prévention et contrôle des infections des Hôpitaux Universitaires Genevois, rappelait il y a peu que « la résistance aux antibiotiques se propage » dans le monde. Celle-ci s’explique essentiellement par la sur-prescription d’antibiotiques. « Les médecins abusent, les systèmes de santé abusent et les patients ne sont pas toujours attentifs aux prescriptions » souligne-t-il.

Le Pr Pittet est ici en résonance avec le dossier à bien des égards inquiétants publié il y quelques jours par The Economist.  Savoir raison garder ? Les frayeurs américaines aujourd’hui médiatisées auront-elles un effet ? On aimerait ne pas en douter.

A demain