Bonjour
Elle voulait, d’un mouvement du menton, « changer la donne », elle est parvenue à liguer contre elle tous les pédopsychiatres et psychiatres du service public. Sophie Cluzel, 58 ans, est depuis près de deux ans, secrétaire d’Etat chargée des Personnes handicapées. Elle s’exprimait le 1er avril dernier, sur les ondes de RMC (1er avril). Et elle a très volontiers succombé à l’invitation « anti-psy » de Jean-Jacques Bourdin :
« J-J B : Il va falloir que l’on arrête une fois pour toutes de placer ces enfants autistes devant des psychiatres …
S.C. : Complètement d’accord avec vous ! C’est bien pour ça qu’on change la donne, qu’on arrête de parler de psychiatrie, qu’on parle vraiment d’une très bonne prise en charge, très très précoce
– Ce n’est pas un enfant qui a perdu la raison … ! Certainement pas !
– Non, il des troubles de la communication…
– Voilà …
– Des troubles d’interactions avec ses pairs, et donc c’est comme ça qu’on change la donne (…) »
‘‘Nous sommes atterrés »
Depuis l’ire couvait dans l’ensemble de la communauté psychiatrique française 1. Et voici, dix jours plus tard, ce communiqué : « Pédopsychiatres et psychiatres du service public exigent des excuses à la suite des propos outranciers de Sophie Cluzel, Secrétaire d’Etat au Handicap ». Un texte adressé à Sophie Cluzel avec copie « à Monsieur le président de la République à Madame la ministre des Solidarités et de la Santé ». Extraits :
« Psychiatres et pédopsychiatres du service public, nous sommes atterrés par votre sortie médiatique sur les ondes de RMC. Vous y avez affirmé votre volonté ‘’de ne plus placer les enfants autistes devant un psychiatre’’, en dénonçant une ‘’prise en charge inadéquate dans les hôpitaux psychiatriques où ils n’ont rien à faire’’. Vous avez même souhaité ‘’que l’on arrête de parler de psychiatrie’’.
« Nous vous demandons des excuses. Nous ne pouvons accepter la violence de vos propos et nous nous interrogeons sur les enjeux de votre intervention. Il ne peut s’agir d’erreurs à répétition. Après Marie-Arlette Carlotti, Ségolène de Neuville, les gouvernements se suivent, mais les secrétaires d’État au handicap lancent leurs bombes les unes après les autres à l’encontre du travail effectué par les psychiatres et les équipes hospitalières. Ils annulent ainsi les constats de notre ministre de tutelle réaffirmant la nécessité d’allouer plus de moyens à l’hôpital public. (…)»
« Nous ne rencontrons que très rarement ces enfants Asperger pour lesquels le plan de stratégie nationale contre l’autisme a d’ailleurs été fait, et donc ne s’adressant pas aux problématiques de la grande majorité des enfants et adultes ‘’TSA’’. Aussi nous ne pouvons accepter vos propos aussi grotesques que calomnieux. Nous tenons encore et encore à réaffirmer nos positions éthiques : Non, L’annonce du diagnostic TSA ne peut le plus souvent se suffire à lui-même (…) Non, nous ne pouvons pas abandonner les enfants ‘’TSA’’ et leurs familles alors que les risques d’exclusion sociale sont inhérents à ces troubles (…) Non, les services hospitaliers ne discriminent pas les patients. Ils accueillent tout type de troubles, y compris ceux qui sont à risque de faire exploser les institutions. (…) Non, nous ne réclamons pas le monopole (…) »
Emmanuel et Brigitte
« En nous désignant comme bouc émissaire de l’incurie de l’Etat, peut être retardez-vous le moment où les familles de vous demanderont des comptes ! Aux côtés des familles, nous souhaitons connaître vos propositions face au manque de places adaptées au sein des institutions médico-sociales, en particulier en ESAT et en foyer occupationnel. En interdisant ‘’le passage devant un psychiatre’’, vous évitez ainsi que des médecins ne se fassent les porte-voix des épreuves vécues par la majorité des TSA ‘’non haut niveau’’, présentant un retard global, sans accès langage, avec des comorbidités (auto-et/ou d’hétéro-agressivité).
« En vous exprimant ainsi, vous effectuez un clivage dramatique entre les missions de la solidarité et de la santé et celles du handicap. Vous dissociez de façon toute à fait archaïque la souffrance physique, la souffrance psychique et la souffrance sociale. Vous apparaissez ainsi hors de la réalité vécue des humains présentant des handicaps et de leurs familles placés sous votre responsabilité (…)
«Aussi nous exigeons des excuses publiques pour vos propos disqualifiant nos compétences et notre engagement professionnel. Face à votre discours discriminant et glaçant, nous opposons nos inventions thérapeutiques ‘’ sur mesure ‘’ et notre détermination éthique qui sont des graines semées auprès des enfants les plus vulnérables et leurs familles et qui nous permettent de rêver en ce printemps nouveau. »
Sophie Cluzel s’excusera-t-elle ? Agnès Buzyn le fera-t-elle à sa place ? On peut imaginer qu’Emmanuel Macron (qui avec son épouse Brigitte avait, il y a un an, exprimé publiquement son engagement personnel concernant la prise en charge de l’autisme) aura à cœur de retisser le lien rompu entre son gouvernement et ces professionnels.
A demain
1 Le Conseil national professionnel de psychiatrie (qui regroupe l’ensemble des sociétés savantes et syndicats de psychiatrie) « condamne à l’unanimité et avec la plus grande fermeté les propos irresponsables et scandaleux de la secrétaire d’Etat aux personnes handicapées prononcés le 1er avril 2019.»
Quant au Syndicat national des psychiatres privés il écrit : «Face aux mensonges, à l’ignorance totale, au mépris et au déni pour le travail fourni et difficile des psychiatres, affichés par les représentants du peuple et certains médias qui les relaient nous sommes scandalisés et exigeons qu’un débat soit organisé avec des représentants de la psychiatrie. Le sujet de l’Autisme est tristement devenu un enjeu politique ».