Bonjour
Qui aurait imaginé que la prise de position éthique de l’Académie nationale de médecine puisse être suivie d’une telle couverture médiatique ? Tel est pourtant bien le cas. Et à deux jours de l’ouverture du débat sur le projet de loi de bioéthique à l’Assemblée nationale un différend sans précédent vient d’apparaître entre le gouvernement et l’Académie nationale de médecine. Différend édifiant. Nous venons de voir que cette dernière estime que « la conception délibérée d’un enfant privé de père constitue une rupture anthropologique majeure » et n’est « pas sans risques » pour son « développement psychologique » et son « épanouissement ».
L’Académie « reconnaît la légitimité du désir de maternité chez toute femme quelle que soit sa situation », mais juge qu’« il faut aussi au titre de la même égalité des droits tenir compte du droit de tout enfant à avoir un père et une mère dans la mesure du possible ».
« L’argument
régulièrement avancé pour rejeter le risque pour l’enfant se fonde sur
certaines évaluations, essentiellement dans quelques pays anglo-saxons et
européens, faisant état de l’absence d’impact avéré sur le devenir de l’enfant.
[Elle] ne juge pas très convaincantes ces données au plan méthodologique, en
nombre de cas et en durée d’observation sur des enfants n’ayant pas toujours
atteint l’âge des questions existentielles ».
Qui plus est l’Académie « estime que, de plus en plus malmenée par les évolutions sociétales, la figure du père reste pourtant fondatrice pour la personnalité de l’enfant comme le rappellent des pédopsychiatres, pédiatres et psychologues ». Elle reconnaît que son rôle n’est pas de « donner un avis » sur une « mesure sociétale », mais « estime de son devoir de soulever un certain nombre de réserves liées à de possibles conséquences médicales ». 1.
« Ne me dites pas qu’un quart des enfants français … »
Interrogée dimanche 22 septembre lors du « Grand Jury RTL-LCI–Le Figaro », sur cette prise de position solennelle autant que claire, Agnès Buzyn aurait pu se taire. Ou faire un long développement argumenté, anthropologique et politique. Rien de tout cela. Ce fut bref, bien trop bref.
« Considérer qu’il y a un lien direct entre défaut de construction de l’enfant et famille monoparentale est faux », a déclaré la ministre des Solidarités et de la Santé.
« Aujourd’hui, nous avons un quart des familles françaises
qui sont des familles monoparentales (…) Ne me dites pas qu’un quart des
enfants français qui vivent et qui naissent dans ces familles ont des
difficultés de construction. Les études que nous avons à notre disposition sur
les enfants qui sont élevés dans des familles monoparentales ne sont pas des
études inquiétantes. »
Où l’on entend une ministre se situer, volontairement, hors sujet. Avant d’ajouter que la prise de position de l’Académie nationale de médecine est « en tous les cas peut-être datée » (sic). Ceci ne manquera pas de faire rire, ou d’irriter, rue Bonaparte, siège de l’illustre Académie – on rappellera que cette dernière peut être saisie d’une demande d’avis par le gouvernement et peut aussi s’auto-saisir sur toute question concernant les domaines de la santé et de l’éthique médicale. Et dire son fait à l’exécutif.
Agnès Buzyn, docteur en médecine et, en même temps, membre du
gouvernement se devra de s’expliquer un peu plus longtemps sur ce « datée ».
A demain @jynau
1 Le rapport de l’Académie nationale de médecine est signé: Jean-François Mattei (rapporteur) au nom du Comité d’éthique de l’Académie nationale de médecine. Comité d’éthique de l’Académie nationale de médecine: Catherine Barthélémy, Marie-Germaine Bousser, Jacques Bringer, Jean Dubousset, Gilles Crépin, Elisabeth Eléfant, Claudine Esper, Jean-Noël Fiessinger, Dominique Lecomte, Yves Le Bouc, Jean-Roger Le Gall, Jean-François Mattei, Dominique Poitout, Paul Vert.
L’Académie dans sa séance du mardi 18 septembre 2019, a adopté le texte de ce rapport par 69 voix pour, 11 voix contre et 5 abstentions.