Incroyable mais vrai : le gouvernement veut créer un Conseil de l’Ordre des journalistes

Bonjour

Grâce aux « fausses nouvelles » la novlangue d’Orwell a de formidables beaux jours devant elle 1. Le secrétaire d’Etat français au numérique, Cédric O, vient d’inviter les journalistes à s’organiser pour lutter contre la désinformation (sic) – faute de quoi c’est l’Etat qui s’en chargera.

« Cedric O » ? « Emmanuel Macron a choisi de promouvoir l’un de ses plus fidèles conseillers au poste de secrétaire d’Etat chargé du numérique, expliquait Le Monde (Cédric Pietralunga) en mars dernier. Agé de 36 ans, Cédric O travaille depuis longtemps dans l’ombre des politiques. Avec Stanislas Guerini, Ismaël Emelien ou encore Benjamin Griveaux, il fut l’un des jeunes animateurs de ce qu’on a appelé « la rue de la Planche », du nom du siège de campagne de Dominique Strauss-Kahn lors de la primaire socialiste de 2006. Après l’échec du cacique socialiste, Cédric O rejoint Pierre Moscovici, dont il devient le conseiller parlementaire en 2010. Deux ans plus tard, après la victoire de François Hollande à l’élection présidentielle, il suit le député du Doubs au ministère de l’économie. (…) Après le départ de M. Moscovici pour Bruxelles, Cédric O travaille chez le motoriste Safran, où il parfait sa connaissance de l’industrie. C’est naturellement qu’il donne un coup de main aux anciens de la rue de la Planche, lors du lancement de la campagne d’Emmanuel Macron pour l’élection présidentielle de 2017. Il devient le trésorier d’En marche ! et participe même à la commission d’investiture chargée de désigner les candidats du mouvement pour les législatives. »

« Le choix de Cédric O comme secrétaire d’Etat au numérique n’a pour autant rien d’incongru : conseiller chargé des participations publiques et de l’économie numérique d’Emmanuel Macron, c’est lui qui était chargé de suivre les dossiers liés aux entreprises du Web, poursuivait Le Monde. On lui doit aussi la préparation du sommet Tech for Good, en mai 2018, lors duquel Mark Zuckerberg, le patron et fondateur de Facebook, ou Satya Nadella, le PDG de Microsoft, avaient été reçus par le chef de l’Etat. ’Cette nomination est une forme de continuité de l’action menée depuis 2017 puisque je suivais les dossiers du numérique à l’Elysée’’ a réagi Cédric O dimanche soir auprès de l’AFP. »

Trois mois plus tard, Cedric O « détaille sa vision » dans une interview accordée mardi 25 juin à l’agence de presse Reuters :

 « Je considère qu’il doit y avoir un Conseil de l’Ordre des journalistes, des journalistes entre eux, qui prennent des décisions et qui disent à l’Etat : Vous devez retirer l’agrément de tel ou tel canard, mettre des avertissements.” »

Une vieille histoire que ce Conseil de l’Ordre des journalistes – comme il en est un des médecins créé, on s’en souvient, dans la douleur. Un rapport commandé par le gouvernement prône la création d’un Conseil de déontologie qui « serait toutefois dépourvu de pouvoir de sanction » (re-sic). Il propose que, face à un contenu journalistique qu’il juge critiquable, un citoyen ait un autre recours que la saisine du juge ou de l’éditeur. Ce document propose aussi qu’en cas de manquement éthique ou déontologique, le même Conseil puisse émettre « des avis qui pourraient être rendus publics ».

Nouvelle traduction de 1984

Cédric O considère que des médias comme Russia Today (RT) ou l’agence Sputnik, qui sont sous influence russe, fragilisent volontairement la démocratie « pour aboutir à l’arrivée au pouvoir de tel ou tel parti politique ». « Et cela marche. Aujourd’hui, sur YouTube, la chaîne qui a le plus de visibilité ce n’est pas BFM, ce n’est pas CNews, c’est RT, affirme le secrétaire d’Etat.  Les “gilets jaunes” ne s’informent que par RT. « Moi, je considère qu’il y a un risque monstrueux. Et donc il y a une obligation de résultats de la société. C’est aux journalistes de le faire, ce n’est pas à l’Etat de le faire. S’ils ne le font pas, ce sera l’Etat qui le fera, au bout du bout. »

Novlangue. Aux yeux de Cédric O, il ne revient pas à l’exécutif de sanctionner les médias diffusant de fausses nouvelles. « Mais à un moment, devant la menace contre la démocratie, on le fera. Ce sera le CSA [Conseil supérieur de l’audiovisuel] ou une autorité indépendante qui va décider ce qu’est une infox ou pas. » Novlangue. Big Brother et police de la pensée.

A demain @jynau

1 A lire, dans le dernier Monde Diplomatique (juillet 2019): « L’art de détourner Georges Orwell » de Thierry Discepelo, fondateur des éditions Argone qui annoncent la parution en France d’une nouvelle et très attendue nouvelle traduction (Celia Izoard) de 1984 (lire ici un entretien avec la traductrice).

Etrange : Jean-Luc Hees (ex- Radio-France) entre au comité d’éthique de radio Kremlin-France

Bonjour

Veille de Noël. C’est une information développée par Le Monde (Alexandre Piquard) : Jean-Luc Hees au comité d’éthique de RT (ex-RussiaToday). Plus que bizarre : étrange.  Jean-Luc Hees : un monument sonore sculpté par Wikipédia :

« Après des débuts en 1972 à l’ORTF, il est correspondant de France Inter à Washington dans les années 1980. À son retour en France, il présente le journal de 13h00 de France Inter en direct et en public, et le magazine Synergie de 1990 à 1999.

Il est nommé directeur de France Inter en 1999 par le PDG de Radio-France Jean-Marie Cavada. En 2003, il supprime brutalement de la matinale de France Inter la chronique scientifique Odyssée du médecin et romancier Martin Winckler, à la suite de pressions de l’industrie pharmaceutique. En tant que directeur de France Inter, Jean-Luc Hees a mis (ou remis) à l’antenne Pascale ClarkFrédéric BonnaudStéphane BernGérard LefortPhilippe Val et Michel Polac. En 2004, à l’arrivée de Jean-Paul Cluzel à la tête de Radio France, il est remplacé par Gilles Schneider.

En 2006, Jean-Luc Hees revient à l’antenne sur Radio Classique. En 2007, il est chargé sur cette antenne de l’émission culturelle « Hees bien raisonnable « de 18 à 20 heures. À la rentrée 2008, il est à la tranche matinale de 8 à 10 heures. En 2008, il tient une chronique dans Charlie Hebdo sur la campagne présidentielle américaine. Nommé président de Radio France en mai 2009 par Nicolas Sarkozy en mai 2009, Puis le CSA nomme Mathieu Gallet PDG de Radio France pour lui succéder à compter du 8 mai 2014.

Gracieusement, coups et rage

24 décembre 2017 : la chaîne russe RT, plus que controversée 1, vient de commencer à émettre. Elle dévoile la composition de son comité d’éthique. Notamment : Anne Gazeau, ancienne ambassadrice, le journaliste Jacques-Marie Bourget, l’ancien ministre des transports de François Fillon Thierry Mariani, aujourd’hui membre du bureau politique des Républicains, le journaliste Majed Nehmé et Jean-Luc Hees, ancien président de Radio France (2009-2014).

S’émouvoir ? S’indigner ? Ignorer ? Contacté par Le Monde, Jean-Luc Hees précise que sa fonction au comité d’éthique est exercée à titre gracieux. Il se défend d’être « acheté par une présence étrangère ». Il ajoute : « Je suis journaliste depuis près de cinquante ans. Je ne crois pas avoir jamais failli à l’honneur de notre métier. »

« Si j’étais dans une école de journalisme, je dirais que si on veut tuer son chien, on dit qu’il a la rage, mais si on est journaliste, on doit attendre qu’il ait réellement la rage pour le tuer”. » (sic)

Ce sont là des propos qui, au pays de Pasteur et des obligations vaccinales, peuvent être diversement interprétés. Pour ce qui est des critiques formulées sur « RT » dans la presse, le journaliste déclare en avoir « marre du chœur des vierges »« Je me suis dit : “Sois courageux”. Ce serait plus simple de ne pas être dans ce comité d’éthique. Il n’y a que des coups à prendre. Mais je m’en fous. » Même commentaire.

Selon lui : « Il vaut mieux regarder de l’intérieur que de constater de l’extérieur que quelque chose ne va pas. C’est une affaire de principes. » Il assure que « si un truc [le] dérange, [il partira] dans l’instant. Et alors, une preuve sera faite. » Idem.

 A demain

1 Déjà diffusée en langue arabe, espagnole et anglaise cette chaîne est régulièrement accusée de propagande pro-Kremlin. Au Royaume-Uni, l’organe de réglementation de l’audiovisuel a déjà émis quatorze mises en demeure et l’a menacée de sanction, pour des sujets notamment sur la Syrie et l’Ukraine, où l’armée russe est présente. Twitter est allé jusqu’à interdire les publicités provenant de RT et d’autres organes de presse financés par le gouvernement russe.