«Maladie sans nom» et cigarette électronique : la huileuse métaphore du Pr Dautzenberg

Bonjour

L’inquiétude monte outre-Atlantique sur les « cas possibles d’atteintes pulmonaires sévères potentiellement liés à l’utilisation de cigarettes électroniques». Pour l’heure les grands médias généralistes français n’ont pas jugé utile de se pencher sur le sujet. Pourquoi ? Peut-être parce qu’à la différence des CDC, rien ne bouge du côté de la Direction Générale de la Santé. Que penser ?

 « Cette enquête américaine est strictement obligatoire, indispensable, car il s’agit d’un mésusage massif qui semble être dû à l’utilisation d’huile de cannabis ou d’autres substances huileuses pas du tout adaptées à la vaporisation, avec des effets secondaires qui semblent bien réels, a pour sa part déclaré à Santé Magazine le Pr Bertrand Dautzenberg, tabacologue historique et ancien pneumologue à La Pitié-Salpêtrière (AP-HP).  L’enquête dira exactement ce qu’il s’est produit, mais au vu de ce que rapportent les médias américains, les premiers cas seraient tous dus à des produits ‘trafiqués’, à l’huile de cannabis notamment. A priori il s’agit de produits qui ne sont pas commercialisés aux États-Unis mais qui circulent sous le manteau. »

Huiles frelatées (Espagne, 1981)

La dangerosité de tels produits ? Il use ici d’une métaphore qui n’est pas sans rappeler le « syndrome toxique espagnol » (30 000 victimes, plusieurs centaines de morts en 1981) : « c’est un peu comme le fait de remplacer l’huile de friture par de l’huile de vidange: le fait de mettre de l’huile dans une cigarette électronique à la place d’un produit adapté peut, dans certains conditions, transporter des gouttelettes dans les poumons, et les poumons ont horreur des lipides ».

Pour ce pneumologue, il n’existe pas à ce jour de cas en France d’atteintes pulmonaires dues à ce type de produit à base d’huile. Pourquoi ? Peut-être à cause de la grande régulation des produits pour cigarette électronique et du grand panel de produits disponibles pour les vapoteurs. Pour autant l’auteur d’un opuscule sur la chicha 1 « déconseille fermement d’utiliser des huiles avec du THC ou du CBD dans une cigarette électronique » : ces produits ne sont pas conçus pour être vaporisés. Incorporer ces huiles à des « gâteaux » ou à du tabac est dangereux (en plus d’être illégal). En user pour vapoter ? Ce serait faire preuve d’une très grande inconscience.

A demain @jynau

1 Dautzenberg B, Nau J-Y, dessins de Charb (1967-2015 ) « Tout ce que vous ne savez pas sur la chicha » éditions Margaux-Orange, 2007,

Comment la sublimation de la fonction intestinale se transforme en un succès mondial de librairie

Bonjour

« Cul par-dessus tête ». L’expression exprime assez bien ce qu’est en train de vivre le monde de l’édition  avec « Darm mit Charm ».Un ouvrage écrit par un futur médecin a-t-il jamais connu un tel succès international ? On joue ici dans la cour des grands Même le Dr Frédéric Saldman (« Prenez votre santé en main !» après « Le meilleur médicament c’est vous ») semble définitivement distancé.

 Tête de veau

Nous avions évoqué cet ouvrage avant l’été : « Intestins humains, passion allemande ». Soit un livre inattendu, déroutant, qui nous venait d’Allemagne. Son éditeur français, Actes Sud assurait qu’il s’était déjà vendu, outre-Rhin, «à plus d’un million d’exemplaires». Une auteure (Giulia Enders) qui était le charme même, vive, jeune, blonde, enjouée, bientôt docteure en médecine. Elle était la nouvelle star de la médecine et des médias allemands. Giulia Enders, 24 ans, nourrissait depuis longtemps un solide appétit pour les profondeurs intestinales humaines. Les siennes comme celles de ses prochains. Entendons-nous : un appétit sublimé, un appétit nourri de pédagogie, d’envie de faire comprendre pour mieux aider. L’inverse de l’horreur du Dr Knock et de ses gammes sur la chatouillis, le gratouillis et la tête de veau.

Journalisme et obésité

En Allemagne : Darm mit Charm. Dans l’espace francophone, cela a donné Le charme discret de l’intestin– clin d’œil au troublant chef-d’œuvre de Luis Buñuel millésimé 1972, Stéphane Audran et un repas sans cesse différé ? Il semble que non : plus simplement les hasards du journalisme et du savoir-faire de l’édition.

L’obésité, on le sait, menace le globe, et avec elle une épidémie d’anorexie-boulimie. Voilà qui peut justifier la passion contemporaine pour tout ce qui touche à la digestion et, au-delà, à l’ensemble des tissus et organes qui assurent cette fonction. Darm mit Charm s’emploie à nourrir cette passion. Il le fait en dépassant de beaucoup le seul organe qui en fait à la fois le titre et son charme. Que seraient les intestins sans ce qui les précède et les prolongent? Au-delà du titre, c’est du tout-digestif qu’il s’agit. Et, dans une démarche holistique, du contenant comme du contenu.

Tripes et boyaux

La future docteure Enders embrasse large, englobe le tube et sa fonction dans un grand voyage de la nourriture qui englobe les yeux, le nez, la bouche et le pharynx. Elle n’évite pas les sous-chapitres des vomissements (rendre tripes et boyaux) et des laxatifs. Et encore ne s’agit-il là que de la forme. Le cœur de ce propos digestif porte sur la «planète microbienne», la flore intestinale, les gènes de nos bactéries, les antibiotiques, les probiotiques et les prébiotiques.

Nous sommes sans doute encore bien loin d’avoir pris la mesure de ce qui se joue actuellement dans la découverte moléculaire de ces continents intestinaux, ce microbiote en cours de déchiffrement avec lequel nous vivons, le plus souvent, en symbiose. C’est là une forme de révolution copernicienne corporelle, le passage d’un univers clos (le cérébral) à une infinité de mondes possibles. La découverte, aussi, de nouveaux chemins qui conduisent de la tête au ventre et réciproquement. L’auteure en vient à anthropomorphiser ce sous-continent interne. Elle nous parle du sien et nous nous surprenons à penser au nôtre; et on le fait d’autant plus volontiers que le pli est vite pris de le considérer comme un second cerveau, en prise directe avec le cortex central, l’ordinateur neuronal intracrânien.

Transit (troubles du)

On en viendrait presque, au fil des pages, à redistribuer les places attribuées, depuis Vienne, au ça et au surmoi. Une longue analyse cérébro-digestive en somme, que rebattraient les cartes et les stades de l’oralité. La suite des mouvements tectoniques qui déplacèrent les centres de gravité depuis les humeurs jusqu’au au foie, puis du foie au cœur, et du cœur au cerveau. Giulia Enders témoigne dans le même temps de la puissance des apports de la génétique et de la microbiologie revisitée: nous ne vivons qu’en symbiose avec une gigantesque flore bactérienne qui se repaît de nous et que nous domestiquons (ou pas) tout au long de notre vie.

C’est une flore interne qui dit tout de nos embarras gastriques et de nos mille et un troubles du transit. Le parti pris de l’auteure est qu’il vaut mieux le savoir que faire semblant de l’ignorer. Cela se tient et c’est ainsi que tout fait ventre. Y compris la France et François Rabelasi. Au-delà du digestif, un véritable message géopolitique:

«Les humeurs moroses, la joie, le doute, le bien-être ou l’inquiétude ne sont pas le produit de notre seul crâneNous sommes des êtres de chair, avec des bras, des jambes, des organes sexuels, un cœur, des poumons et un intestin. L’intellectualisation de la science nous a longtemps empêchés de voir que notre « moi » était plus que notre seul cerveau. Pourquoi ne pas ajouter notre grain de sel aux paroles de Descartes et déclarer: « Je ressens, de sorte que je pense, donc je suis ».»

« Top ten » des Etats-Unis

Depuis l’été le succès n’a cessé d’enfler.  Les chiffres de vente en France de puis sa sortie en avril dernier : 300 000 exemplaires … en Allemagne : 1,5 million….  Un livre publié dans trente-quatre pays où il se situe entre la 1ère et la 10ème place des meilleures ventes…. Il vient d’entrer dans le « top 10 » des meilleures ventes aux Etats-Unis.

Comment les choses se sont-elles passées en France ? « D’emblée une grande curiosité pour le livre (la personnalité de l’auteure… le ton… l’objet … les dessins….) confie-t-on chez Actes Sud. Une vidéo et Slate.fr (1) puis  c’est la presse généraliste (L’Obs, L’Express, Libération, Le Figaro, Le Canard enchaîné, Version Femina, Psychologie Magazine, Glamour…) qui s’est emparé de ce livre ; puis un phénomène d’emballement…  Grande couverture dans tous types de médias : presse écrite (surtout nationale  – peu dans la presse régionale), radio, TV –  un sujet aux journaux de 20h de TF1 en plein été, idem sur France 2… ».

Grosses Têtes

Il faudra bien, un jour, reprendre tout cela et disséquer ce phénomène de contagion intestine. Il faudra aussi comprendre pourquoi la presse médicale a le plus souvent fait une allergie marquée. Pourquoi les médecins, auteurs de livres, ont boudé le livre quand les magazines grand public spécialisés (Santé magazine, Top santé…) s’y sont intéressés. Jusque, dit-on aux Grosses Têtes de RTL qui en parle régulièrement depuis quelques semaines sous forme de questions posées aux invités – ce qui alimente le buzz et ravit l’auteure et l’éditeur français.

Et ainsi, au final, cette morale qui veut que cette sublimation allemande de la fonction digestive soit portée par un immense bouche-à-oreille.

A demain

(1) Slate.froù l’on peut aussi découvrir une rencontre vidéo avec Giulia Enders réalisée par Michel Alberganti et Rachel Huet.

Droits de la femme : 3000 euros la congélation de ses ovocytes en Espagne. Interdite en France.

Bonjour

Les hommes lisent-ils la presse féminine ? Question d’actualité : aujourd’hui 8 mars la France célèbre en grandes pompes la Journée internationale de la femme 2015. Parité à tous les étages élyséens. Déclinaisons médiatiques sans fin. Aucune critique en vue.

Le mensuel Santé Magazine se présente comme « Le féminin qui fait du bien ». Le numéro de mars (nouvelle formule) a pour thème « Rester jeune & tonique plus longtemps » – ce qui, à la réflexion, n’a rien de spécifiquement féminin. Au chapitre « Paroles de femmes » l’homme n’a plus voix au chapitre : il s’agit de la question de la congélation des ovocytes. Trois témoignages de trois femmes qui sont allées en Espagne pour saisir cette opportunité (anglicisme européen).

Mélanie, Garance et Nathalie. Le fil rouge est connu : se donner du temps pour fonder un foyer. Et, au passage, une nouvelle publicité pour le groupe IVI, « leader européen en procréation assistée, traitements comme la fécondation in vitro, l’insémination artificielle etc. ».

Photos des œufs

« On m’a remis une carte avec la photo de mes petits œufs que je garde toujours sur moi » confie Nathalie, 39 ans, qui dit avoir été « un peu glacée » quand elle a appris que la technique était interdite en France.  Pour l’heure, avec ses photos sur elle (seize ovocytes matures), elle attend l’âme sœur. Plus tard des sociologues, des psychanalystes peut-être, nous diront ce que signifie ce nouveau rapport de la femme à son corps. « Se libérer de la pression de l’horloge biologique » résume Santé Magazine (Emmanuelle Blanc).

Le Dr Joëlle Belaïsch-Allart, vice-présidente du Collège national des gynécologues et obstétriciens français explique pourquoi ce qui est possible (via les employeurs) aux Etats-Unis ne l’est pas en France. Le magazine précise qu’outre l’Espagne, la Belgique l’Italie et la Grande Bretagne sont des pays qui autorisent « l’autoconservation ovocytaire de convenance. Tout simplement parce qu’il n’y a pas d’argument médical qui justifie de l’interdire » fait valoir le Dr Cécile Gallo (centre IVI de Valence). Autre bénéfice : une solution à la pénurie des dons d’ovocytes, chronique en France.

Trocs ovocytaires

Les chiffres du marché ? Environ 3000 euros pour commencer. Un peu plus de cent-vingt femmes à la clinique Eugin de Barcelone, une dizaine au Centre interhospitalier Edith Cavell de Bruxelles, une vingtaine par an sur l’ensemble des 17 centres espagnols du groupe IVI. Et rien en France pour ce qui est des demandes « de convenance ». Une certaine éthique y est respectée: elle réserve cette pratique à des indications médicales (fertilité menacée, parcours de procréation médicalement assistée). A cette petite nuance près : le troc avec un don d’ovocyte effectué par une femme n’ayant pas encore eu d’enfants : « une partie des ovocytes donnés pouvant alors être congelés en vue d’une éventuelle utilisation ultérieure à leur bénéfice », explique Santé Magazine.

Etrange proposition éthique. D’autant plus étrange que le paysage est aujourd’hui bouleversé par la technique de la vitrification. Nous y reviendrons.

A demain

Maigrir sous Baclofène ®, un remake du Mediator® ? Que va faire la police ?

Bonjour

Deux commentaires, troublants, à notre texte concernant l’alerte lancée par les autorités sanitaires quant à l’usage « amaigrissant » qui commence à être fait, en France, du Baclofène ®  (voir ici la mise en garde de l’Ansm) :

Le premier :

«  A l’évidence, le baclofène n’est pas « la dernière pilule qui fait maigrir » ! C’est le traitement qui permet, en se débarrassant de l’addiction à la « bouffe », de retrouver une alimentation normale, et de perdre, naturellement du poids, sans restriction ni régime.

Rien n’à voir, donc, avec les innombrables produits « testés cliniquement », à l’efficacité douteuse, en vente libre et à marge confortable, en pharmacie ! Rien à voir, non plus, avec les interventions chirurgicales « agressives » préconisées en cas d’obésité morbide (sleeve, by-pass, anneau gastrique).

Ce traitement au baclofène, j’en ai fait l’expérience, m’a délivré de mon addiction sans drogue : mes pulsions alimentaires. Et je ne me suis pas sentie plus en danger, au niveau des effets indésirables, qu’une personne prenant le traitement pour son alcoolo-dépendance… !!!

Sans doute trop simple pour être crédible ? Pourtant, j’ai vécu ce traitement, j’existe et je vis tous les jours le plaisir de manger pour vivre et non vivre pour manger. A côté de ce « bonheur simple », maigrir m’importe peu : je perds du poids parce que, simplement, j’ai retrouvé le sens d’une alimentation qui n’est plus une addiction. »

Le second :

« La même histoire se répète … Des personnes atteintes de troubles du comportement alimentaire, troubles dont la composante addictive est assez similaire à l’alcoolo-dépendance (en majorité des femmes) se disent « alcooliques de la bouffe »), ont cherché à se faire prescrire du baclofène ; pour certaines avec succès.

Là encore médecins et pharmaciens sont complices. Après vouloir maigrir et rentrer dans son maillot en été à coup de comprimés est illusoire, le baclofène marche sur la compulsion, pas sur les kilos en trop. Il fait même grossir 10% des personnes qui le prennent. Des thèses de médecine commencent à couvrir le sujet, mais comme pour l’alcool, les malades ne veulent pas attendre … »

La longue chaîne

Un rapide voyage sur la Toile montre vite que la question soulevée par le communiqué de « mise en garde » de l’Ansm est bien réelle et quelle ne date pas d’hier. (Doctissimo, juin 2012).t on peut raisonnablement supposer qu’elle dépasse le  Liorésal® 10 mg (Novartis Pharma) et le  Baclofène Zentiva® 10 mg (Novartis Pharma, Sanofi Aventis, les deux seules spécialités citées par l’Ansm.

Le Baclofène ®  aurait donc des effets « amaigrissants » ? Ce ne serait certes pas le premier médicament utilisé à d’autres fins qui en aurait. Ni le premier à être (plus ou moins massivement) détourné à d’autres fins. Une lecture ouverte, sans œillères,  de l’affaire du Mediator®  montre à quel point de tels détournements peuvent être possibles sur de longues durées et avec l’accord (actif ou tacite) de l’ensemble de la longue chaîne qui va du fabricant au patient.

Une affaire est là

Une question, dès lors, se pose : l’action des autorités sanitaires françaises se résumera-t-elle au  communiqué de l’Ansm sur le Baclofène ® ? La mise en garde adressée aux prescripteurs est déjà  reprise par les « sites santé » : « Top Santé » ; « Psychomédia » ; « Pourquoi docteur ? » ; « Santé Magazine ». Elle le sera demain par les médias généralistes.

Mais généralistes ou pas, tous les ingrédients d’une affaire sont réunis. «  Notre expérience montre que ça marche. D’ailleurs, 5 à 10 % des consultations pour une demande de baclofène concernent aujourd’hui un trouble du comportement alimentaire. C’est peu, mais significatif, a déclaré le Dr Patrick de la Selle, président du Resab (Réseau Addictions Baclofène) à Santé Magazine

Syndrome du parapluie

La mise en garde de l’Ansm ? « Pour moi, il s’agit d’une annonce classique d’ouverture de parapluie. L’Agence est traumatisée par l’affaire du Mediator®, dit ce médecin généraliste. Pourtant, il n’y a pas de raison qu’il y ait plus d’effets secondaires chez les patients boulimiques que chez les patients alcooliques. »

« Les médecins qui prescrivent du baclofène dans les troubles du comportement alimentaire suivent le même protocole que pour l’alcool, avec une augmentation progressive des doses, précise le site (Sylvie Dellus). Les effets secondaires du baclofène sont, aujourd’hui, bien identifiés : somnolence, vertiges, avec un risque de confusion et de chute à forte dose. Le Resab envisage de lancer une étude scientifique sur l’intérêt du baclofène dans la boulimie. Mais, celle-ci reste, pour l’instant à l’état de projet, faute de financement. »

Maigrir sous Baclofène ® », la version millésimée 2015 du Mediator® ? Menacer ? Interdire (en vain) ? Comprendre (chercher à) ? Que va faire la police du médicament ? Et pourquoi, comme toujours, ce silence des fabricants ?

A demain