« Affaire » ou « scandale » ? Les autorités sanitaires françaises sont profondément embarrassées par ce dossier hors du commun. Y aura-t-il des « responsables », sinon des « coupables » ? En toute hypothèse une mesure semble s’imposer : organiser au plus vite la traçabilité de ces implants.
A quoi tiennent donc l’activité et la dynamique journalistiques ? Pour une large part, nous venons de le voir, à l’insolite. Et pour une part au moins égale à l’émotion – celle qui parfois parcourt les foules, quelque qu’en soit la nature profonde. De ce point de vue toutes les affaires qui concernent l’intégrité des corps humains (aujourd’hui les crises sanitaires) tiennent régulièrement le haut du pavé. A fortiori –et c’est presque toujours le cas- quand elles se structurent en feuilleton et qu’il faut trouver –avant la justice, si possible- un coupable nommément désigné qui tiendra le rôle –assez peu enviable, dit-on – du bouc émissaire.
La dernière affaire en date nous fait quitter les univers du médicament (Médiator) et des hypothétiques polluants environnementaux (bisphénols) pour le monde des prothèses et autres dispositifs médicaux implantables, en l’occurence les implants mammaires. Mais à la différence des affaires similaires passées (concernant des pacemakers ou des prothèses de hanches) celle-ci se complique d’une dimension nouvelle : l’émergence des premiers cas d’affections de nature cancéreuse chez des femmes porteuses de tels dispositifs. On estime (faute, précisément, de pouvoir être affirmatif) à environ 500.000 le nombre de femmes chez lesquelles de tels dispositifs ont été implantés ; toujours pour des raisons esthétiques- après ou non chirurgie thérapeutique mutilatrice. Et l’on recense huit (ou neuf) cas de cancers dont cinq cas de cancers du sein (de type adénocarcinome) et deux lymphomes. Sur son Blog notre confrère Jean-Daniel Flaysakier (spécialiste des questions médicales à France Télévisions) analyse plusieurs aspects de cette question concernant les lymphomes.
Pour notre part nous venons, sur Slate.fr, de rapporter les principales données de ce dossier ; un dossier bien embarrassant pour les autorités sanitaires. Ces dernières semblent être dans une impasse paradoxale pour ne pas écrire schizophrénique. D’une part elles sont contraintes de donner en temps et en heure à la presse les informations dont elles disposent ; faute de quoi elles seraient accusées de cacher la vérité. De l’autre elles ne peuvent pas ne pas redire à chaque échéance que rien ne permet d’affirmer que ces cas de cancers trouvent leur origine dans la présence d’une prothèse fabriquée par une firme (Poly Implant Prothese ou PIP) par ailleurs accusée de malfaçon par l’autorité de sécurité sanitaire en charge de sa surveillance (l’Afssaps).
Dans un tel contexte la raison voudrait que la puissance publique cherche (et trouve) dans le (riche) vivier des épidémiologistes français quelques experts traducteurs de talent capables d’expliquer au plus grand nombre ce qui distingue le simple effet du hasard du lien de causalité. Mais la raison tarde, l’émotion grandit et la presse s’en fait immanquablement l’écho, amplifiant du même coup le phénomène. Prophétie auto-réalisatrice? Les associations revendiquent. Les malades avérées estiment être des victimes et les femmes qui ne sont pas malades redoutent de le devenir.
Le parquet de Marseille (siège de la société PIP) aurait en quelque ssemaines reçu plus de 2.000 plaintes de porteuses de prothèses mammaires; il a ouvert une information judiciaire pour «blessures et homicide involontaire» et les avocats spécialisés travaillent la question. «Nous n’avons pas d’a priori sur le lien de cause à effet. Nous savons que ce sont des prothèses frelatées», a précisé le Pr Dominique Maraninchi, aujourd’hui directeur général de l’Afssaps (Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé), ancien responsable de l’Institut national du cancer (Inca). Le Pr Maraninchi a rappelé qu’en France «une femme sur dix a, a eu ou aura un cancer du sein».
Selon l’Afssaps, les implants tenus pour frauduleux auraient, dans 80% des cas, été posés à des fins esthétiques et dans 20% des cas pour reconstruction. Un « comité de suivi » recense actuellement tous les cas de cancers survenus chez les femmes potentiellement concernées et l’Inca émettra dans quelques jours une série de recommandations aux professionnels de santé sur la meilleure conduite à tenir, notamment au plan chirurgical (retrait ou pas). Un numéro vert (0800 636 636) a été mis en place et plus de 5.000 appels auraient été reçus en deux semaines.
La direction générale de la santé a demandé à tous les chirurgiens et médecins concernés de contacter leurs patientes porteuses qui ont de prothèses PIP, ce qui ne semble pas avoir été toujours effectué. L’association PPP (de défense des porteuses de prothèses de la marque PIP) et l’association du Mouvement de défense des femmes porteuses d’implants et de prothèses (MDFPIP), réclament la prise en charge du remplacement des prothèses posées pour raisons esthétiques.
A ce stade on voit mal comment la situation pourrait se débloquer, et retomber l’émotion des femmes (et de leurs proches) estimant être les plus directement concernées. C’est dans ce contexte qu’un site d’information pour les professionnels de santé (www.santelog.com) précise que des sénateurs américains viennent de déposer au Congrès un nouveau projet de loi pour la Sécurité des patients ; un projet exigeant des fabricants d’implants de communiquer aux pouvoirs publics l’ensemble de leurs données afin d’assurer une traçabilité de toutes les prothèses et donc de pouvoir suivre les éventuels effets indésirables sur le long terme.
Ce site ajoute que la France et les Etats-Unis font partie des pays qui ne disposent pas encore de tels registres alors que d’autres (la Suède, la Nouvelle-Zélande, l’Australie, l’Angleterre, l’Allemagne, la Finlande, la Slovaquie, le Danemark et le Canada) s’en sont dotés ce qui est de nature à constituer un outil précieux de veille sanitaire. En l’espèce cet outil permettrait d’avoir des données identificatrices concernant les 30 000 femmes porteuses d’une prothèse PIP. On pourrait aussi imaginer alors croiser ces données avec celles issues des registres des cancers où des données de la Cnam. Et en savoir (et en dire) plus, d’un point de vue statistique et épidémiologique, sur ce dossier.
Sur le fond le sujet avait été abordé en 2003 dans le cadre du Parlement européen. Sans véritable suites concrètes, les décisions en la matière incombant aux Etats membres. Au vu du développement actuel de l’affaire des prothèses mammaires on peut raisonnablement penser que ce nouvel angle devrait, sous peu, alimenter de nouveaux débats sinon de nouvelles polémiques. Le thème principal en est déjà connu : pourquoi avoir laissé en jachère ce pan essentiel de la veille sanitaire ? Avec son corollaire : la recherche, par des moyens multiples, des principaux responsables.