Bonjour
On assiste en France, depuis plusieurs années déjà, à une médiatisation-émotion massive autour de la maladie-borréliose de Lyme. C’est un phénomène sans réel précédent qui, pour l’essentiel, trouve son origine et sa dynamique dans des incertitudes physiopathologiques. Le précédent gouvernement n’est pas resté insensible au sujet qui a mis en place, en septembre 2016, un « Plan national de lutte contre la maladie de Lyme et les maladies transmissibles par les tiques » – une opération menée sous l’égide de Marisol Touraine, alors ministre de la Santé. Il s’agissait notamment de « répondre concrètement aux inquiétudes légitimes exprimées par les citoyens ». Agnès Buzyn, nouvelle ministre, sait-elle qu’elle devra gérer un dossier polémique qui ne cesse de gagner en complexité ?
Virulence
Dernier élément à verser à ce dossier : la prise de position virulente de l’Association française pour l’information scientifique (AFIS) qui estime que l’on fait la part trop belle, ici, à la « société civile » :
« Un groupe de concertation a été mis en place. Sa composition n’est pas communiquée. D’après les comptes rendus publiés par certaines parties prenantes, la « société civile » serait représentée par une dizaine de personnes. Quasiment toutes sont issues d’associations revendiquant le remplacement des recommandations actuelles de prises en charge médicales, pourtant issues d’un consensus scientifique à l’échelle internationale. (…)
« Il est demandé par certaines parties un protocole de prise en charge issue d’une association américaine positionnée sur le sujet de la maladie de Lyme, l’ILADS, qui affirme l’existence d’une forme chronique de la maladie, rebelle aux traitements recommandés, (une antibiothérapie de quelques semaines). Contrairement à ce qui est allégué, cette prétendue forme chronique n’est en fait reconnue par aucune agence sanitaire, ni en Europe, ni aux États-Unis, ni au Canada. De plus, les traitements proposés ont été jugés sans intérêt, voire risqués (en particulier, une antibiothérapie longue), tant en Europe qu’aux États-Unis ou au Canada. »
Si elle lit ce document Agnès Buzyn verra que le réquisitoire se poursuit ainsi :
« De fausses informations teintées de complotisme circulent sur la maladie de Lyme. Il est affirmé, à tort, que les tests de dépistage seraient sans valeur, que s’ils sont négatifs, c’est qu’ils auraient été calibrés pour faire en sorte que la maladie reste une maladie rare, que la maladie toucherait en fait plusieurs centaines de milliers, voire des millions de personnes, que même les États-Unis auraient adopté ces recommandations alternatives.
Les décideurs politiques sont sommés de prendre en compte ces allégations et les revendications qui les accompagnent, au risque de se voir accusés de manquer de courage face aux lobbies. »
Charlatanisme
Pour l’AFIS, loin d’aider les victimes, cette situation ne fait qu’ajouter à leurs souffrances. « Des patients en errance, à la recherche d’un diagnostic, se voient convaincre que la cause de leurs troubles est due à une forme de la maladie de Lyme résistante à tout traitement et que leur situation de souffrance, réelle, serait due au déni des autorités médicales, affirme-t-elle. Des traitements parfois charlatanesques et coûteux leur sont proposés, des cliniques à l’étranger sont recommandées… Outre le danger d’adopter un traitement sans fondement scientifique, le fait d’attribuer à tort des symptômes à la maladie de Lyme risque de détourner des patients d’une prise en charge adaptée à leur pathologie. »
Et de poser la question du caractère, légitime ou non, de la « concertation » mise en place par Marisol Touraine. Tout en reconnaissant que les associations de malades ont un rôle à jouer (en termes d’accompagnement des patients, d’éducation thérapeutique, de reconsidération de la relation de la société à la maladie ou encore de la relation médecin-malade) elle estime dangereux et préjudiciable de « les inviter à peser sur l’expertise scientifique dans le domaine de la recherche ou celui des soins ».
« Les recommandations médicales ne peuvent être le fruit d’une négociation entre des associations et des représentants politiques, ni être dictées sous le feu de la pression médiatique » souligne l’AFIS.
Appel au gouvernement
C’est là aborder une question fondamentale de notre époque qui dépasse de loin la maladie de Lyme. Les bonnes pratiques en médecine et les protocoles de prise en charge relèvent-elles de l’opinion, du rapport de force et de l’émotion ou d’une « approche scientifique validée » sur laquelle se fonde la pratique médicale ?
Et de manière très politique, au-delà de Lyme, l’AFIS en appelle au gouvernement pour qu’il s’appuie sur les institutions, Académie de médecine, Haute autorité de santé, Haut conseil de la santé publique, sociétés savantes, pour définir la politique de santé publique, et non sur des « concertations citoyennes » qui, selon elle, n’ont aucun sens sur des sujets de cette nature. C’est là un sujet politique que Marisol Touraine n’avait jamais voulu aborder de face. Il est difficile d’imaginer qu’il puisse en être de même pour celle qui vient de prendre sa place.
A demain
1 Les références détaillées (publications scientifiques, avis des agences sanitaires, communiqués d’associations, etc.) peuvent être retrouvées dans le dossier que Science et pseudo-sciences, la revue de l’AFIS, consacre à ce sujet (numéro 321 de juillet 2017 – http://www.pseudo-sciences.org/spip.php?article2840).