Le Monde publie une prestigieuse supplique savante pour que Science & Vie ne meure pas

Bonjour

Tempêtes capitalistiques continuelles sur la presse écrite. Aujourd’hui les nuages noirs foncent sur  Télé StarScience & VieAuto PlusGraziaCloserLe Chasseur français et Pleine Vie. Ces magazines, édités par Mondadori France, seraient sur le point d’être repris par le groupe Reworld Media. Et c’est peu dire que cette perspective inquiète fortement les salariés de ces titres. « Les syndicats de Mondadori France en appellent aux pouvoirs publics pour la gestion de ce dossier » précise 20 Minutes.  « Reworld Media, n’est pas vraiment un éditeur de presse. Ce qui l’intéresse, c’est de transformer les lecteurs en contacts pour les annonceurs, en priorité sur les supports numériques » l’intersyndicale CFDT-CGC-CGT-FO-SNJ. 700 emplois CDI ainsi que ceux de centaines de pigistes et précaires seront directement menacés. (…) Au-delà, compte tenu du poids de Mondadori dans la presse écrite, c’est toute la filière, déjà très ébranlée, qui en subirait les effets, des imprimeurs aux kiosquiers. »

Fin septembre, Reworld avançait dans un communiqué que cette éventuelle acquisition « vise à développer un groupe média international majeur, détenteur de solutions média et de marques média qualitatives à fort potentiel, ainsi qu’à associer des compétences complémentaires, des capacités et savoir-faire, afin de faire face aux défis du nouvel environnement de marché. »

 

Il y a peu la rédaction de Grazia s’est adressée dans une lettre ouverte à Pascal Chevalier, le président de Reworld Media. « Vos méthodes et la raison d’être de votre entreprise, décrites dans tous les articles qui vous sont consacrés depuis peu, sont aux antipodes des nôtres et de ce que nous sommes. Les simples mots « presse » et « journalisme » semblent absents de vos sites comme de vos déclarations », écrivaient les signataires.

« Passeur de science depuis plus de cent ans »

 C’est dans ce contexte que l’on découvre, dans Le Monde de ce jour une peu banale tribune : « Nous veillerons à ce que “Science & Vie” ne soit pas dénaturé ». Un prestigieux collectif de scientifiques et de médecins s’inquiète d’un éventuel changement de propriétaire du magazine, « relais d’informations précieux pour la diffusion des connaissances scientifiques et contre les ‘’fake news’’ ». C’est un texte d’une touchant et naïf, rempli de bonnes intentions, un texte sans précédent  qui rappelle que Science & Vie est un passeur de science essentiel depuis plus de cent ans. Extraits :

« Nous, chercheurs et personnalités du monde scientifique, avons tous lu un magazine Science & vie. En faisant émerger et en nourrissant la soif de comprendre et d’apprendre, il a même pu jouer un rôle dans la vocation de certains d’entre nous. Nos étudiants le lisent. Nos enfants, nos petits-enfants y sont abonnés… Chaque mois, ce sont des centaines de milliers de lecteurs à travers le monde, petits et grands, qui se plongent dans les pages de ces magazines.

« Les journalistes des magazines Science & vie nous ont fait part de leurs inquiétudes dans la perspective d’un changement de propriétaire de leur groupe de presse. Ils craignent que leur indépendance éditoriale soit remise en cause, que des groupes d’intérêt et des industriels peu scrupuleux puissent, à l’avenir, imposer leurs vues dans leurs magazines. Les premiers à en pâtir seraient évidemment les lecteurs, qui se retrouveraient, bien malgré eux, face à des articles biaisés, plus intéressés qu’intéressants.

« Dans une démocratie, c’est aux citoyens et à leurs représentants qu’il revient de décider de la manière dont les nouvelles connaissances et technologies doivent être mises en œuvre, dans l’intérêt de tous. Pour cela, il est nécessaire que le public le plus large dispose de sources d’information scientifique grand public objectives, pertinentes et exemptes de tout parti pris, traitant avec la même rigueur les progrès de la science et les éventuels dangers de ses applications.

« A défaut de culture scientifique partagée, comment parvenir collectivement à des choix éclairés sur des sujets aussi importants que la transition énergétique ou l’avenir de la thérapie génique ? Sans parler des « fake news » se propageant aussi vite que la lumière, ou des pseudosciences toujours plus séduisantes… »

Pour l’heure aucun collectif pour veiller à l’intégrité de Télé Star (1976) d’Auto Plus (1988)de Grazia (2009) ou de Closer (2005). Sans parler de l’antique Chasseur français (1885) et de ses célèbres annonces matrimoniales.

A demain

@jynau

1 Signataires : Isabelle Arnulf, neurologue, IHU@ICM – Faculté de médecine-Sorbonne Université ; Alain Aspect, professeur à l’Institut d’optique et à l’Ecole polytechnique ; Anouk Barberousse, philosophe des sciences à l’université de Lille ; Eric Buffetaut, paléontologue, directeur de recherche émérite au CNRS ; Georges Chapouthier, directeur de recherche émérite au CNRS ; Gilles Cohen-Tannoudji, physicien et philosophe des sciences, chercheur émérite au Laboratoire de recherches sur les sciences de la matière (Larsim CEA-université Paris-Saclay), conseiller scientifique auprès du directeur de la recherche fondamentale du CEA ; Claude Cohen-Tannoudji, Prix Nobel de physique, professeur émérite au Collège de France, Laboratoire Kastler Brossel, département de physique de l’ENS ; Françoise Combes, astrophysicienne, Observatoire de Paris, professeure au Collège de France, chaire galaxies et cosmologie, et membre de l’Académie des sciences ; Alain Connes, mathématicien, médaille Fields, professeur au Collège de France, à l’IHES et à l’université OSU, Columbus, aux Etats-Unis, membre de l’Académie des sciences ; Pierre Corvol, professeur émérite au Collège de France, membre de l’Académie des sciences ; Pascale Cossart, secrétaire perpétuelle de l’Académie des sciences, professeure de classe exceptionnelle à l’Institut Pasteur ; Hélène Courtois, astrophysicienne, université Lyon-I ; Frédéric Dardel, professeur de biologie moléculaire, président de l’université Paris-Descartes ; Jean-Paul Delahaye, mathématicien et informaticien, professeur émérite à l’université de Lille ; Jean-Paul Demoule, professeur émérite d’archéologie à l’université de Paris-I (Panthéon-Sorbonne) ; Francesco D’Errico, directeur de recherche au CNRS ; Jean Eisenstaedt, directeur de recherche émérite au CNRS ; Francis Eustache, directeur de l’unité Inserm-EPHE-UNICAEN, U1077, « Neuropsychologie et imagerie de la mémoire humaine » (NIMH), pôle des formations et de recherche en santé (PFRS) ; Pierre Fayet, directeur de recherche émérite, CNRS-Ecole normale supérieure, Académie des sciences ; Albert Fert, Prix Nobel de physique 2007 ; Marc Fontecave, professeur au Collège de France, membre de l’Académie des sciences, président de la Fondation du Collège de France ; François Forget, planétologue, directeur de recherche CNRS, membre de l’Académie des sciences ; Nicolas Gisin, physicien, département de physique, université de Genève, Suisse ; Pierre-Henri Gouyon, professeur au Muséum national d’histoire naturelle, à l’AgroParisTech, à l’ENS et à Sciences Po ; Jean Guilaine, professeur au Collège de France, membre de l’Institut ; Serge Haroche, Prix Nobel de physique, professeur émérite au laboratoire Kastler Brossel ; Fabrice Herpin, président de la Société française d’astronomie et d’astrophysique (SF2A) ; Jean-Jacques Hublin, director department of human evolution. Max Planck Institute for Evolutionary Anthropology ; Jean Jouzel, climatologue ; Sabrina Kriefprimatologue ; Roland Lehoucqastrophysicien ; Henri Leridon, démographe, membre de l’Académie des sciences ; Thierry Lhermitte, comédien, parrain de la Fondation pour la recherche médicale ; Valérie Masson-Delmotte, CEA/LSCE, coprésidente groupe 1 du GIEC ; Michel Mayor, professeur honoraire d’astrophysique à l’université de Genève ; Alessandro Morbidelli, astrophysicien à l’Observatoire de la Côte d’Azur ; Marylène Patou-Mathis, directrice de recherche au CNRS ; Antoine Petit, professeur des universités de classe exceptionnelle, PDG du CNRS ; Thierry Philip, président de l’Institut Curie ; Martin Pickford, paléoanthropologue au Collège de France ; Gilles Pison, généticien et démographe, professeur au Muséum national d’histoire naturelle et chercheur associé à l’INED ; Francis Rocard, CNES, responsable des programmes d’exploration du Système solaire ; Carlo Rovelli, astrophysicien et physicien ; Alain Schuhl, directeur général délégué à la science du CNRS ; Marc-André Selosse, professeur au Muséum national d’histoire naturelle et à l’université de Gdansk (Pologne), président de la Société botanique de France, membre de l’Académie d’agriculture de France ; Michel Spiro, vice-président de la Société française de physique ; Philippe Starck, designer ; Dominique Stoppa-Lyonnet, Institut Curie, université Paris-Descartes ; Patrick Tort, directeur de l’Institut Charles Darwin International, lauréat de l’Académie des sciences ; Cédric Villani, mathématicien, médaille Fields, député LRM.

 

La liste intégrale des signataires.

 

L’esprit c’est « Science & Vie ». La peur c’est « Le Nouvel Observateur »

Ces deux gazettes labourent aujourd’hui deux champs radicalement différents. Deux accroches que l’on peut tenir pour également vendeuses.

 L’information positive d’une part. De l’autre la veine du scandale médical d’origine environnementale. Dérangeant et éclairant.


Il y a un an L’Obs  faisait fort en lançant, sans précaution aucune, l’affaire Séralini dans la grande mare au scandale. On s’en souvient. Monsanto, les souris, les monstrueuses tumeurs cancéreuses, les OGM, toutes les OGM, dénoncées en Une comme étant des poisons. Et un livre du Pr Séralini à paraître en librairie.

C’était sans doute un peu trop fort. La grande mare médiatique s’agita, le gouvernement français monta en ligne. Bruxelles, une nouvelle fois, s’irrita. De part et d’autres les lobbies firent le travail pour lesquels ils sont là, rémunérés ou pas. Les écologistes dénoncèrent les experts vendus au grand capital de la chimie et des manipulations génétiques. Les experts, vendus, loués ou libres comme l’air dénoncèrent les failles d’une expérience ni faite ni à faire.

Que font l’Inserm et l’Inra ?

Il fut dit en très haut lieu que cette expérience serait refaite. Un an plus tard de l’argent (européen et français) a été débloqué mais rien n’a encore bougé. Aucun des organismes français publics de recherche (on songe notamment à l’Inserm et à l’Inra) ne semble intéressé par ce sujet. Pas plus que le ministère de la Recherche. Reste dans la mémoire collective les images des souris cancéreuses du Pr Séralini. Beaucoup de bruit pour, au final, ne pas progresser collectivement dans la compréhension des modifications génétiques induites par l’homme des vivants végétaux et animaux.

Mandarins et mandarin

Quelques mois plus tard L’Obs récidivait. Il s’agissait cette fois du cholestérol et des médicaments (très largement prescrits et consommés en France et dans le monde) destinés à faire baisser ses concentrations sanguines (voir le dossier de Slate.fr). Le livre à vendre était celui du Pr Philippe Even. Bronca dans les sociétés savantes et dénonciations mandarinales  des outrances proférées par ce mandarin hors norme. Avec le recul, aucune évaluation de l’impact de cette Une sur le marché (les chiffres sont tenus secrets) des représentants de la famille des statines.

Une du Nouvel Observateur. N° du 3 au 9 octobre 2013. « Comment l’environnement influe sur notre santé. Les maladies région par région. Cancer, diabète, AVC, infertilité … ». Le lien de causalité n’est plus a démontré : il est asséné. Le dossier (onze pages) s’ouvre après une publicité incitant à faire un don à la la Fondation Recherche Médicale (54, rue de Varennes, 75 007 Paris – frm.org). Dérangeant publicité : elle laisse entendre que ne pas donner de l’argent à une autre association caritative concurrente ce serait de facto, « choisir entre des malades ». Les visages de ces malades sont là : « Carole, en lutte contre le cancer » ; « Paul, malade d’Alzheimer » ; « Jean, victime d’un AVC ». La Fondation Recherche Médicale, elle, ne choisit pas. Comprenne qui voudra.

Spermatozoïdes en chute libre

Le livre à vendre (ne paraîtra que le 10 octobre) est celui de André Cicolella (« Toxique Planète » Editions du Seuil). Longes « bonnes feuilles ». Et long entretien avec l’auteur. Où l’on apprend que les spermatozoïdes sont « en chute libre » et les malformations (génitales) en « progression constante ». Et que « les cancers liés au tabac et à l’alcool sont en constante diminution ».

Quant à l’originalité du dossier elle est constituée d’un tableau coloré rapportant le du nombre, département par département, des personnes déclarées en affection de longue durée (ALD). Soit  au total 9 millions de personnes – 15,5% de la population française couverte par l’assurance maladie. Les taux sont ceux « calculés pour 1000 personnes ayant les mêmes caractéristiques démographiques ». Colonnes : AVC, artériopathies, insuffisance cardiaque, hypertension artérielle, maladie coronaire, diabète, cancer.

La frustration d’un journaliste

Le tableau est intitulé « L’emprise locale des grandes maladies chroniques ». Si l’on comprend bien il est signé  André Cicocella et les interprétations que l’on peut en faire sont également de son fait. Entretien également avec le le Dr Gérard Bapt, cardiologue, député (PS) et rapporteur du budget de la Sécurité Sociale. Il demande, via L’Obs, à la Caisse nationale d’Assurance maladie « de préciser les chiffres avancés par André  Cicolella ».

M. Cicolella ne dit rien d’autre.  Interrogé par un journaliste qui est tenté par l’hypothèse causale environnementale l’auteur répond : « Je comprends la frustration mais je me gardera bien d’émettre des hypothèses et encore plus de tirer des conclusions qui ne seraient pas scientifiquement étayées ». Le Pr Séralini prenait, nous semble-t-il, moins de précaution mais en appelait, lui aussi, à la Science. On voit ce qu’il en est un an après. M. Cicolella, plus modeste, en appelle au ministère de la Santé et à l’InVS. On verra, dans un an et un jour, ce qu’il en sera de ce nouvel appel à l’Open data (1).

Le scandale placebo

Ambiance un peu moins crispante, nettement plus d’espérance, dans le dernier opus (octobre 2013, n° 1153) de Science & Vie (cent ans cette année) qui en appelle aux forces de l’esprit. A des fins thérapeutiques. On retrouve ce dossier (« Guérir par la pensée, la preuve en 15 expériences, Méditation, Neurofeedback ») traité dans l’émission « Science Publique » de France Culture produite par Michel Alberganti et diffusée le 4 octobre.  Minutes remarquables (entre la 37ème et la 41ème ) sur l’effet placebo qui continue à faire la démonstration des immenses et coupables carences de la formation médicale initiale et continue françaises. Sans parler, une fois encore, de l’Inserm.

L’un des invités – le Dr Patrick Lemoine, psychiatre et auteur de « Mystère du placebo » (Editions Odile Jacob) : « Un bon médecin est un médecin capable d’induire un bon effet placebo, c’est-à-dire de démultiplier l’efficacité de ce qu’il prescrit.  »

D’Arvor, Apathie et le cancer

Et encore: « Un bon médecin est un médecin qui prend son temps, qui est enthousiaste et optimiste (…)  qui contrôle le stress induit par la maladie ». Propos suivi d’une bien méchante attaque contre les journalistes et les tocsins qu’ils font désormais sonner plusieurs fois par jour, par heure parfois.

Le tout avec, en souriant, la proposition (métaphorique) selon laquelle Patrick Poivre d’Arvor et Jean-Michel Apathie favorisaient le cancer. Ce qui pourrait bien, ma foi, faire demain la Une d’un grand hebdomadaire.

 

(1) Du nouveau dans l’Open data ?

Le service de presse de Marisol Touraine, ministre de la Santé a publié le 3 octobre le communiqué suivant ;

« Pierre-Louis Bras, inspecteur  général des affaires sociales (IGAS), récemment nommé secrétaire général des ministères chargés des affaires sociales, a remis ce jeudi 3 octobre 2013 à Marisol Touraine, Ministre des Affaires sociales et de la Santé, le rapport sur « la gouvernance et l’utilisation des données de santé » [document disponible sur le site du ministère] La ministre avait demandé en avril dernier des propositions pour mettre en place un dispositif d’accès et d’utilisation des bases de données médico-administratives, adapté aux besoins de santé publique et de sécurité sanitaire, dans des conditions fiables et sécurisées, respectant notamment le strict anonymat des patients.

Le rapport remis ce jour s’inscrit dans le cadre plus général de la réflexion menée sur l’ouverture de l’accès aux données de santé : il  complète ainsi le  rapport sur la pharmaco-surveillance remis le 15 septembre à la ministre par  les Professeurs Bégaud et Costagliola – qui recommandait la création d’une structure regroupant et analysant l’ensemble des données de santé sur l’utilisation des médicaments et produits de santé. Il  s’articule avec la mission « Open data » sur la politique d’ouverture des données publiques.

A l’issue de la remise du rapport, et pour mettre en œuvre concrètement ses recommandations, Marisol Touraine demande à Franck Von Lennep,  directeur de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), de diligenter : une expertise technique sur la sécurité des données concernant le risque de ré-identification des personnes à partir de données anonymes ; une analyse de faisabilité juridique et pratique des propositions sur le contrôle d’accès aux données d’une part et sur les modalités de gestion des bases de données ainsi constituées d’autre part.

Lors de la présentation de la stratégie nationale de santé, Marisol Touraine a réaffirmé sa volonté de créer les conditions d’un accès plus ouvert, mais aussi sécurisé, aux données de santé. Ces dernières ne sont pas des informations comme les autres, leur protection étant notamment assurée par le secret médical. Dans le même temps, elles présentent un intérêt collectif important : pour que le grand public soit informé sur le système de santé, mais également pour que les autorités sanitaires, les chercheurs et les industriels puissent réaliser des études et suivre l’impact des comportements sanitaires en termes de santé publiqueC’est à une ouverture maitrisée des données de santé qu’appelle ainsi le gouvernement. »