Bonjour
Non, le débat ne « s’apaise pas ». En marge de la
polémique sur la destruction des stocks de gamètes et
d’embryons, un
collectif de responsables associatifs, dans une tribune militante publiée par Le
Monde 1, juge injustifiable que la « déclaration anticipée de
volonté », prévue par le projet de loi bioéthique, ne soit pas étendue « à
tous les enfants conçus par don » de cellules sexuelles ou d’embryon. A
quel titre ? De quel droit ?
A priori l’apaisement était là : le projet de loi ouvre la pratique de l’insémination artificielle avec sperme de donneur « à toutes les femmes » et il propose un dispositif permettant aux couples de femmes d’établir la filiation à l’égard des enfants conçus par don de gamètes – et ce via une « déclaration anticipée de volonté » signée par le couple dès le consentement au don de sperme. Objectif : sécuriser la double filiation avant même la naissance de l’enfant, ne pas établir de hiérarchie entre la mère qui accouche et la femme qui n’accouche pas.
Refaire l’histoire
« Appelée de nos vœux, cette déclaration commune de volonté permettra de reconnaître l’engagement parental comme fondement commun de la filiation des deux mères, écrivent les signataires. En portant la mention sur l’acte intégral de naissance de l’enfant, l’Etat signifie à celui-ci qu’aux yeux de notre droit ses deux mères sont parfaitement à égalité de statut et de droits. »
Dès lors pourquoi cette tribune ? Tout simplement parce que le gouvernement n’a pas « étendu ce dispositif aux couples de sexe différent » ? Pour ne pas « toucher au dispositif actuel pour les parents hétérosexuels ». Et les signataires de refaire l’histoire de leur grief :
« On se souvient que, en cas de recours au don, la
filiation a été instaurée en 1994 selon les modalités de la filiation dite
« charnelle », dans le but avoué de permettre aux parents de se faire
passer pour les géniteurs de l’enfant. Le recours au don de gamètes était alors
marqué du sceau du secret médical, considéré comme relevant de la vie privée
des parents. Mais, aujourd’hui, la société a évolué et chacun reconnaît que
l’enfant a droit à la vérité de son histoire et de son identité personnelle. »
Ils ajoutent que « certains poussent des cris d’orfraie » en affirmant que les enfants conçus par don seraient « stigmatisés » si la mention de cette déclaration était portée sur l’acte intégral de naissance. Ces militants visent notamment, sans les nommer, les médecins, pharmacien·es, psychologues et spécialistes des métiers de la santé des Centres d’étude et de conservation des œufs et du sperme humains (Cecos) 1.
Ces soignants ont d’ores et déjà exprimé avec force leur «opposition à toute proposition de loi» qui les «rendrait complices d’une discrimination et d’une stigmatisation des enfants conçus par don au travers de l’inscription sur l’acte de naissance intégral du mode de conception».Estimant qu’une telle disposition les rendrait «complices de discrimination» et de «stigmatisation» des enfants conçu·es à partir d’un don de cellules sexuelles, ces spécialistes ont saisi le Conseil national de l’Ordre des médecins.
Au départ le gouvernement hésitait entre deux scénarios. Le premier prévoyait une mention à l’état civil de la manière dont la filiation de l’enfant a été établie pour tous les couples ayant recours à une procréation médicalement assistée avec tiers donneur de cellules sexuelles. Il s’agissait d’établir une «déclaration commune anticipée de filiation» devant un notaire. Le document était ensuite transmis à l’officier d’état civil et mentionné sur la copie intégrale de l’acte de naissance – et ce qu’il s’agisse d’enfants né·es au sein de couples homosexuels ou hétérosexuels.
Secret, mensonge, sentiment factice de honte
Le second scénario prévoyait que ce dispositif ne concernerait que les couples de femmes, afin de laisser la possibilité ultérieure aux couples hétérosexuels de dévoiler (ou non) son mode de conception à l’enfant. Après passage de l’avant-projet de loi devant le Conseil d’Etat c’est cette dernière option qui a été retenue et qui sera proposée au vote du Parlement. Et c’est ce qui a déclenché l’ire des signataires de la tribune:
« La réalité est que le stigmate a été entièrement
construit, artificiellement, par la logique toujours en place du secret et du
mensonge. Voilà comment créer un sentiment factice de honte. Il est temps de
sortir de cet héritage d’allégeance au modèle ‘’biologique ‘’ qui n’a fait
que du mal [sic], et
de revendiquer que les familles issues de don sont des familles tout aussi
dignes que les autres.
« Aujourd’hui, les personnes conçues par don sortent de l’ombre où elles étaient maintenues. Lorsqu’une centaine d’entre elles témoignent nominativement dans une tribune publiée dans Le Monde daté du 5 juin, soutenues par leurs proches et par 150 personnalités, elles disent haut et fort qu’elles ne portent aucun stigmate et qu’elles veulent connaître leurs origines. Un point c’est tout. »
Il est injustifiable que le dispositif de « déclaration
anticipée de volonté » ne soit pas étendu à tous : pour le même geste
médical, le dispositif de filiation variera en fonction de l’orientation
sexuelle des parents ! Seuls les enfants des familles composées de deux
mères auront une garantie d’accès à leur histoire et à leurs origines. Le
maintien du dispositif d’établissement de la filiation à l’égard des parents
hétérosexuels a pour but, de l’aveu même du Conseil d’Etat, de permettre de ne
pas révéler le recours au don à l’enfant, pourtant premier concerné.
C’est là faire bien peu de cas des arguments des professionnels des Cecos – arguments développés auprès de Slate.fr 2 par la Pr Nathalie Rives, présidente de leur Fédération. Por elle il s’agit d’une opposition essentielle, fondamentale, de nature éthique et démocratique:
«Comment peut-on imaginer faire figurer, sans grands dangers, un mode spécifique de conception d’une personne sur les registres d’état civil, demande-t-elle. Si le recours à un donneur de sperme est implicite pour les couples de femmes, il en va différemment pour les PMA réalisées pour les couples hétérosexuels –des PMA qui sont pratiquées pour des raisons médicales ayant à voir avec la stérilité, l’hypofertilité ou la transmission d’une pathologie génétique.»
Le Conseil d’Etat use quant à lui d’autres
mots : « La solution, qui fait coexister deux modes d’établissement
de la filiation distincts, traduit deux philosophies différentes selon que le
couple ayant recours au don est de même sexe ou non, la première reposant sur
le rôle accru de la volonté, la seconde sur le mimétisme avec la procréation
charnelle.»
Les signataires militants de la tribune ne veulent rien entendre : « Quand on défend un projet de loi qui maintient une filiation pseudo-charnelle pour les parents hétérosexuels qui recourent au don, on commet une double faute : on traite à part les mères lesbiennes et leur famille au risque de les montrer du doigt, on discrimine les enfants de parents hétérosexuels en leur refusant une garantie d’accès à leurs origines ». Il faut donc, selon eux, impérativement amender ce projet de loi et étendre la « déclaration anticipée de volonté » à tous les enfants conçus par don.
On pourrait aussi abandonner toute forme de déclaration anticipée... Non, et contrairement aux souhaits réitérés d’Emmanuel Macron, le débat n’est pas « apaisé ».
A demain @jynau
1 « Bioéthique et filiation : ‘’Ne montrons pas du doigt les mères lesbiennes’’ » Signataires : Anne Abrard, présidente de Les Cigognes de l’espoir ; Vincent Brès, président de PMAnonyme ; Jean-Bernard Geoffroy, président du Ravad ; Frédérick Getton, président de Centr’égaux ; Valérie Leux, présidente de Stop homophobie ; Larissa Meyer, présidente du Réseau Fertilité France ; Sandrine Ngatchou, présidente de l’Utasa ; Lennie Nicollet, président d’Homosexualités et socialisme ; Laëtitia Poisson-Deleglise, présidente de l’association MAIA ; Denis Quinqueton, codirecteur de l’Observatoire LGBT+, de la Fondation Jean-Jaurès ; Alexandre Urwicz, président de l’Association des familles homoparentales.
2 Lire : « Loi ‘’PMA pour toutes’’, les mesures à l’origine de la colère du corps médical ». Le volet «De la filiation par déclaration anticipée de volonté» est vivement remis en cause par les membres des centres d’étude et de conservation des œufs et du sperme humains (Cecos). Slate.fr 25 juillet 2019