Bonjour
C’est peu dire que le chiffre a choqué les spécialistes affûtés. Il figurait en bonne place d’un communiqué officiel consacré à la luute contre les addictions et à son financement. On y découvrait le décompte effectué par les services d’Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé : 11,5 millions de Français fument quotidiennement du tabac, 10,6 millions ont une consommation de boissons alcooliques « au-delà des nouveaux repères de consommation à moindre risque » ; 25% des usagers de cannabis (substance illicite) présentent un risque élevé d’usage problématique – soit plus d’un million de personnes. Chaque année en France le tabac tue (prématurément) 75 000 personnes, l’alcool 41 000 personnes et les drogues illicites 1 600.
Mille six cents, vraiment ? « D’où sort ce chiffre ? » demanda l’un des meilleurs cliniciens chevau-léger de la lutte contre les addiction .« Quelqu’un a-t-il la référence ? ». Aucune référence donnée par un ministère en vacances post-caniculaire. Un autre spécialiste particulièreemnt au fait du sujet rencoya vers les derniers travaux de l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) : « Décès directement liés aux drogues » Tendances n° 133, OFDT, 8 p.Juillet 2019.
« Le nombre de décès directement liés aux drogues (DDLD) a été évalué en 2017 à 537 décès au minimum dont 432 en relation avec l’abus de médicaments et de substances (survenant principalement chez des usagers de drogues) et 105 décès toxiques par antalgiques, catégorie qui concerne des consommations initiées dans le cadre de traitements contre la douleur. Les usagers de drogues qui décèdent, à 85 % des hommes, sont en moyenne âgés de 38 ans. Dans le second groupe, la moyenne d’âge est de 49 ans et les femmes sont presque autant concernées que les hommes.
« Les opioïdes sont en cause dans 78 % des décès en relation avec l’abus de médicaments et de substances, principalement les médicaments de substitution aux opioïdes (45 %, dont 37 % pour la méthadone et 8 % pour la buprénorphine) et l’héroïne (25 %). Le pourcentage des décès impliquant la cocaïne est de 26 %, il s’établit à 6 % pour le cannabis, autant pour les amphétamines et la MDMA et 3 % pour les nouveaux produits de synthèse (NPS). Dans 31 % des décès, plusieurs substances sont impliquées. Les opioïdes sont en cause dans la quasi-totalité des cas de décès de la seconde catégorie. »
Les chercheurs de l’OFDT (Anne-Claire Brisacier, Christophe Palle, Michel Mallaret – Centre régional de pharmacovigilance, CEIP-A de Grenoble) soulignent que le taux de décès par DDLD en France, 4 à 6 par million d’habitants, est l’un des plus faibles de l’Union européenne. Les pays dont les taux sont les plus élevés se situent en Europe du Nord : 130 décès par million d’habitants en Estonie et 92 en Suède. À titre de comparaison, ce taux s’établit actuellement à 217 aux États-Unis et 109 au Canada. Le taux est de 74 décès au Royaume-Uni et de 21 en Allemagne, deux pays économiquement ou culturellement proches de la France.
« Cet écart très important reflète certainement la forte sous-estimation en France, observent-ils. Mais il peut aussi, jusqu’à un certain point, traduire l’effet de la politique française en matière de mise en place des traitements de substitution aux opioïdes. Leur couverture est très élevée parmi les usagers à risque en France et on note la prédominance de la buprénorphine haut dosage (BHD), molécule qui présente des risques de surdose mortelle inférieurs à ceux de la méthadone (privilégiée en Allemagne et au Royaume-Uni) ».
Reste donc, entière et pendante, la question : comment passe-t-on de 537 DDLD à 1600 ? Les services d’Agnès Buzyn ne le révèlent pas. Pas plus qu’il ne nous disent pourquoi ils procèdent à de tels jonglages. C’est bien dommage.
A demain @jynau