Bonjour
C’est un événement que l’on pourra tenir pour inquiétant 1. La FDA américaine a, le 6 mars, donné son feu vert à la commercialisation des kits de la société californienne 23andMe pour trois mutations des gènes BRCA1 et BRCA2 associées à un risque élevé de cancer du sein. (Voir The New York Times) Ces kits seront accessibles sans ordonnance, contrairement aux tests génétiques déjà sur le marché. « Il suffira aux Américaines de cracher dans un petit tube et de le poster pour savoir si elles sont porteuses de certaines mutations des gènes BRCA1 et BRCA2 associées à un risque élevé de cancer du sein, résume Le Monde (Chloé Hecketsweiler). Les altérations recherchées par 23andMe – 3 sur plus de 1000 identifiées pour les gènes BRCA – sont le plus souvent retrouvées chez les femmes d’origine ashkénaze (juifs d’Europe orientale et centrale). »
C’est un événement qui s’inscrit pleinement dans le contexte américain du développement commercial de la génétique. Ce feu vert marque ainsi un tournant dans la position de la FDA qui, en 2013, avait ordonné à 23andMe de retirer ces tests du marché – du fait des risques encourus par les acheteuses en cas d’erreur ou de mauvaise interprétation. Elle estime aujourd’hui que les données communiquées par 23andMe sont suffisantes pour garantir la fiabilité des tests, et que la décision doit revenir au « consommateur ».
Assurances et phosphorescences
C’est un événement qui consolide 23andMe dans sa position de géant dominant, possesseur de l’une des plus grandes bases mondiales de données génétiques avec plus de 2 millions de profils – une mine d’or pour les géants pharmaceutiques. « Profils génétiques, informations médicales, et bientôt séquence d’ADN (obtenue dans le cadre des contrats passés avec Genentech, Pfizer ou d’autres), tout cela intéresse beaucoup de monde, assurances, marketing pharmaceutique, qui peuvent, au vu de ces informations, vous cibler pour vous vendre tel ou tel produit, ou éventuellement pour vous refuser telle ou telle assurance, écrivait déjà Bertrand Jordan dans la revue Médecine/Sciences en 2015. Il ajoutait :
« Les garanties que donne l’entreprise ne peuvent être totalement rassurantes: on a vu avec Google et Facebook comment ces promesses pouvaient se diluer au fil du temps, ou même être carrément oubliées, et on sait aussi qu’une séquence d’ADN “anonyme” peut assez facilement être rattachée à une personne précise. Notre “intimité génétique’” est en danger (…), le problème est général, mais particulièrement aigu pour ce qui concerne notre santé et notre génome. Oui, décidément, nous risquons bien d’assister à la fin de la vie privée, ou tout au moins d’une certaine idée de l’intimité.»
Trois ans plus tard, la menace ne cesse de croître. Et le citoyen français informé des menaces et des enjeux, ne peut que regretter que le sujet soit étrangement absent de l’agenda de ses États généraux de la bioéthique –une entreprise pourtant démocratique qui nous interroge officiellement sur «le monde que nous voulons pour demain» (sic).
C’est un événement qui fera phosphorer les assureurs 1. En France, les tests génétiques de prédisposition ne sont accessibles que sur prescription médicale et strictement encadrés. Mais, en pratique rien n’interdit à une Française « de cracher dans un petit tube et de le poster pour savoir si elles sont porteuses de certaines mutations des gènes BRCA1 et BRCA2 ».
A demain
1 « Les assureurs veulent à tout prix mettre la main sur votre profil génétique » Slate.fr, 3 mars 2018