Capitalisme et bioéthique : vente libre d’un test génétique prédictif du cancer du sein

Bonjour

C’est un événement que l’on pourra tenir pour inquiétant 1.  La FDA américaine a, le 6  mars, donné son feu vert à la commercialisation des kits de la société californienne 23andMe pour trois mutations des gènes BRCA1 et BRCA2 associées à un risque élevé de cancer du sein. (Voir The New York Times) Ces kits seront accessibles sans ordonnance, contrairement aux tests génétiques déjà sur le marché. « Il suffira aux Américaines de cracher dans un petit tube et de le poster pour savoir si elles sont porteuses de certaines mutations des gènes BRCA1 et BRCA2 associées à un risque élevé de cancer du sein, résume Le Monde (Chloé Hecketsweiler). Les altérations recherchées par 23andMe – 3 sur plus de 1000 identifiées pour les gènes BRCA – sont le plus souvent retrouvées chez les femmes d’origine ashkénaze (juifs d’Europe orientale et centrale). »

C’est un événement qui s’inscrit pleinement dans le contexte américain du développement commercial de la génétique. Ce feu vert marque ainsi un tournant dans la position de la FDA qui, en  2013, avait ordonné à 23andMe de  retirer ces tests du marché – du fait des risques encourus par les acheteuses en cas d’erreur ou de mauvaise interprétation. Elle estime aujourd’hui que les données communiquées par 23andMe sont suffisantes pour garantir la fiabilité des tests, et que la décision doit revenir au « consommateur ».

Assurances et phosphorescences

C’est un événement qui consolide 23andMe dans sa position de géant dominant, possesseur de l’une des plus grandes bases mondiales de données génétiques avec plus de 2  millions de profils – une mine d’or pour les géants  pharmaceutiques. «  Profils génétiques, informations médicales, et bientôt séquence d’ADN (obtenue dans le cadre des contrats passés avec Genentech, Pfizer ou d’autres), tout cela intéresse beaucoup de monde, assurances, marketing pharmaceutique, qui peuvent, au vu de ces informations, vous cibler pour vous vendre tel ou tel produit, ou éventuellement pour vous refuser telle ou telle assurance, écrivait déjà Bertrand Jordan dans la revue Médecine/Sciences en 2015. Il ajoutait :

« Les garanties que donne l’entreprise ne peuvent être totalement rassurantes: on a vu avec Google et Facebook comment ces promesses pouvaient se diluer au fil du temps, ou même être carrément oubliées, et on sait aussi qu’une séquence d’ADN “anonyme” peut assez facilement être rattachée à une personne précise. Notre “intimité génétique’” est en danger (…), le problème est général, mais particulièrement aigu pour ce qui concerne notre santé et notre génome. Oui, décidément, nous risquons bien d’assister à la fin de la vie privée, ou tout au moins d’une certaine idée de l’intimité.»

Trois ans plus tard, la menace ne cesse de croître. Et le citoyen français informé des menaces et des enjeux, ne peut que regretter que le sujet soit étrangement absent de l’agenda de ses États généraux de la bioéthique –une entreprise pourtant démocratique qui nous interroge officiellement sur «le monde que nous voulons pour demain» (sic).

C’est un événement qui fera phosphorer les assureurs 1. En France, les tests génétiques de prédisposition ne sont accessibles que sur prescription médicale et strictement encadrés. Mais, en pratique rien n’interdit à une Française « de cracher dans un petit tube et de le poster pour savoir si elles sont porteuses de certaines mutations des gènes BRCA1 et BRCA2 ».

A demain

1 « Les assureurs veulent à tout prix mettre la main sur votre profil génétique » Slate.fr, 3 mars 2018

 

Première : un traitement permet à une femme transgenre d’allaiter l’enfant de sa compagne 

Bonjour

C’est, officiellement, une première mondiale. C’est aussi un dossier médical et sociétal à lire dans  The New York Times (Ceylan Yeginsu) : « Transgender Woman Breast-Feeds Baby After Hospital Induces Lactation », dans The Washington Post (Lindsey Bever) « How a transgender woman breast-fed her baby » ou dans  Le Monde (Paul Benkimoun). Une affaire qui voit « une femme transgenre allaiter un enfant ». Tous les détails sont à lire dans le numéro de janvier de Transgender Health :  « Case Report: Induced Lactation in a Transgender Woman ».

La publication est signée depuis New York par la Dr Tamar Reisman (Department of Endocrinology, Icahn School of Medicine at Mount Sinai) et Zil Goldstein (Center for Transgender Medicine and Surgery). Les deux auteurs expliquent longuement, et avec de très nombreux détails, comment ils sont parvenu à induire une lactation chez une femme transgenre âgée de 30 ans qui n’avait pas subi de chirurgie de réattribution sexuelle (plastie mammaire, ablations testiculaires ou vaginoplastie).

Spironolactone – estradiol – progestérone-dompéridone

Elle suivait depuis 2011 un traitement médicamenteux hormonal féminisant (spironolactone – estradiol – progestérone). Elle prenait occasionnellement du clonazépam (contre des épisodes de « panic disorder ») et du zolpidem (contre des insomnies). Elle était par ailleurs en bonne santé, ne fumait pas et ne présentait pas de risque cardiovasculaire – avec une poitrine similaire à celle d’une femme adulte.

Cette patiente souhaitait ardemment pouvoir allaiter le futur nouveau-né auquel sa compagne allait donner naissance – cette dernière ne souhaitant pas nourrir  elle-même son enfant. La lactation a été induite par un traitement commencé trois mois avant la naissance : doses croissantes d’estradiol et de progestérone ; ­prise de dompéridone favorisant la sécrétion ; utilisation d’un tire-lait, susceptible d’élever les niveaux des hormones favorisant la lactation ; réduction des doses d’estradiol et de progestérone simulant la dynamique hormonale de l’après-accouchement.

Après trois mois de traitement (deux semaines avant la naissance de l’enfant)  elle emme produisait 227 g de lait par jour – une quantité relativement faible mais qui a permis d’assurer un allaitement au sein exclusif durant six semaines, avant de l’associer à un allaitement artificiel. Parfait développement du bébé aujourd’hui âgé de six mois.   A New York les deux auteurs expliquent qu’ils vont chercher, autant que faire se pourra, à optimiser leur protocole.

A demain

Tabac et conflit d’intérêts : deux journalistes poussent la patronne des CDC vers la sortie

Bonjour

On peine à imaginer l’équivalent en France. Soit l’histoire américaine, aux frontières du vraisemblable, de Brenda Fitzgerald , 71 ans. Dr Fitzgerald, bardée de diplômes, ayant gravi tous les échelons, que l’on croyait au dessus de tout soupçon. Et qui ne l’était pas. Brenda Fitzgerald qui ne sera restée que sept mois à la tête des puissants Centers for Disease Control and Prevention (CDC) avant d’être démasquée. On lira tous les détails de cette  invraisemblable affaire dans The New York Times : « Dr. Brenda Fitzgerald, C.D.C. Director, Resigns Over Tobacco and Other Investments ». On les retrouve aussi, résumés, sur le site de Medscape (Aude Lecrubier, Alicia Ault) : « La directrice des CDC, prise la main dans le sac, démissionne ». Un sac, en l’espèce, cousu d’or et rempli de tabac et d’actions de toutes sortes.

On lit. On réfléchit. Imaginer l’équivalent en France?  Outre-Atlantique ce scandale est la conséquence des  révélations du magazine Politico sur les liens d’intérêt récurrents de Mme Fitzgerald avec les industries du tabac, de la pharmacie  et de l’industrie agroalimentaire : « Trump’s top health official traded tobacco stock while leading anti-smoking efforts ».

« Brenda Fitzgerald aurait acheté, pendant son mandat, pour des dizaines de milliers de dollars d’actions de Japan Tobacco, Merck &Co, Bayer, Humana et US Food Holding Co. Les journalistes Sarah Karlin-Smith et Brianna Ehley précisent qu’au moment de sa nomination par l’administration Trump, le Dr Fitzgerald détenait déjà des actions de cinq grands cigarettiers Reynolds American, British American Tobacco, Imperial Brands, Philip Morris International et Altria Group Inc. »

 Esprit de lucre

Où situer la frontière qui sépare l’acceptable de ce qui ne l’est plus ? Quand commence ce qui deviendra l’irréparable ? Comment en vient-on à ne plus saisir que l’on marche en dehors des clous de la morale ?

« Il s’agit d’une certaine forme d’inconscience pour un directeur des Centers for Disease Control and Prevention d’acheter des actions à un industriel du tabac un mois après être entré en fonction comme haut représentant de la santé public de la nation », explique le Dr Peter G Lurie, Président du Center for Science in the Public Interest : « CSPI Welcomes Resignation of CDC Director Brenda Fitzgerald ». Inconscience ou esprit de lucre ?

S’interroger sur le psychisme de Mme Fitzgerald ? Sur la levée du surmoi qui aux Etats-Unis conduit à de telles situations ?  « Il y a un conflit intenable entre chercher à faire des profits personnels avec l’industrie du tabac et être un porte-parole crédible sur le tabac et d’autres questions de santé publique », a déclaré à Medscape édition internationale Vince Willmore, vice-président de la « Campagne sans-tabac pour les enfants ».

On réfléchit encore. Un équivalent exister en France ? Vraiment ?

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Vices et vertus de la cigarette électronique : vérité en deçà de l’Atlantique, erreur au-delà ?

 

Bonjour

Nouvelles tempêtes sur les volutes : commandé par le Congrès en 2016 et financé par la FDA, un rapport des Académies américaines des sciences et de médecine daté du 23 janvier laisse entendre que le cigarette électronique pourrait favoriser l’entrée des jeunes dans le tabagisme – et qu’elle aiderait les fumeurs adultes à cesser la consommation de tabac.

L’affaire trouve un large écho dans les médias. On la retrouvera depuis les colonnes du New York Times : « Vaping Can Be Addictive and May Lure Teenagers to Smoking, Science Panel Concludes » jusqu’à celles du Figaro : « Cigarette électronique : une porte d’entrée dans le tabagisme pour les jeunes ».

Après avoir analysé « plus de 800 études scientifiques », le panel d’experts conclut que la nicotine contenue dans les cigarettes électroniques pouvait créer une accoutumance chez les jeunes – ce qui pourrait les prédisposer à fumer du tabac. Une donnée par ailleurs très largement contestée et souvent démentie dans les faits. Les mêmes experts soulignent toutefois que la e-cigarette est bien moins nocive que la cigarette de tabac et qu’elle constitue un outil efficace de sevrage tabagique. Un forme de Janus moderne en somme.

Inquiétudes justifiées ?

 Face à ce paradoxe, le panel américain se refuse à trancher :« à ce stade, on ignore si la cigarette électronique a un impact positif ou négatif sur la santé publique». «La cigarette électronique ne peut pas simplement être jugée bénéfique ou nocive, a déclaré David Eaton, doyen de l’université de Washington et président du comité de rédaction du rapport commandé en 2016 par le Congrès. Dans certaines circonstances, les effets néfastes des cigarettes électroniques sur la santé des adolescents et des jeunes adultes ne fumant pas de tabac justifient sans aucun doute des inquiétudes».

Pour les experts, de nouvelles études sont nécessaires pour évaluer la balance bénéfices/risques de la cigarette électronique, mais aussi définir les effets à plus ou moins long terme de son usage. Ils estiment que certains effets néfastes pourraient être observés dans plus de vingt ans. Où l’on en revient, face au tabac, à l’équation de la réduction des risques et au choix pragmatique effectué par les autorités sanitaires britanniques pro-cigarette électronique.

Les experts américains considèrent aujourd’hui qu’il faudrait décourager l’usage de l’e-cigarette chez les jeunes et mettre en place des restrictions plus fortes. Faut-il rappeler qu’en France un adolescent sur trois est déjà entré, directement, dans le monde du tabac ?

A demain

 

 

Les jeunes américains délaissent les cigarettes de tabac. Par quoi les remplacent-ils ? 

Bonjour

Réduire les risques. C’est une information américaine importante reprise par Slate.fr puis par le site des buralistes français. Les dernières données issues de l’étude Monitoring the Future, pilotée par l’Institut national sur l’abus de drogues, ne laissent guère de place au doute : aux États-Unis, les jeunes délaissent de plus en plus la cigarette de tabac au profit du vapotage.

« Monitoring the Future » ? Depuis 1975, cette enquête mesure et analyse la consommation de drogues chez près de 45 000 adolescents scolarisés dans 360 établissements publics et privés. Il apparait aujourd’hui que seuls 4,2% des élèves en dernière année de lycée fumaient quotidiennement du tabac au quotidien – ils étaient 24,6% il y a vingt ans. Faut-il rappeler qu’ils sont 30 % ou plus, aujourd’hui, en France.

Brouillard tricolore

« Beaucoup de ces jeunes se tournent en revanche vers le vapotage, résume Slate.fr. En 2017, 28,2% d’entre eux l’avaient testé. Et nombreux sont ceux qui utilisent ce nouvel outil pour goûter au cannabis. Interrogés sur le contenu de leur vapoteuse la dernière fois qu’ils l’ont sortie, 11,1% des élèves de terminale reconnaissent y avoir mis de la marijuana. Plus de la moitié en revanche affirment avoir vapoté ’juste des arômes’’, et 32,8% de la nicotine. »

Les élèves de terminale seraient environ 6% à fumer quotidiennement du cannabis contre 4,2% du tabac, substance désormais en voie de « ringardisation ». A l’évidence ces résultats constituent un progrès majeur pour ce qui est de l’addiction et de l’intoxication tabagique que penser de l’appétence pour le cannabis ? Tne New York Times a interrogé des spécialistes : « Marijuana and Vaping Are More Popular Than Cigarettes Among Teenagers ».

«Nous ne connaissons pas encore les effets du vapotage sur la santé. […] Nos inquiétudes portent sur la manière dont celui-ci peut devenir un nouvel outil offrant [aux jeunes] de nouvelles façons de s’exposer à la nicotine et à la marijuana» estime, prudent, le Dr Wilson M. Compton, à la tête du National Institute on Drug Abuse. Certes, mais l’évolution observée outre-Atlantique n’est-elle pas, in fine, un progrès sanitaire par rapport à l’ancienne intoxication tabagique ? Comment trancher ?

Où l’on revient à l’une des équations sanitaires majeures quant à la réduction du risque et aux choix politiques devant être effectués dans ce domaine. Et force est bien une nouvelle fois de constater que, faute de chiffres fiables et de volonté affichée de l’exécutif, la France demeure, ici, dans un épais brouillard.

 A demain

 

Le premier médicament «avalé-connecté» bientôt sur le marché. Applaudir ou s’inquiéter ? 

 

Bonjour

Mi-novembre 2017. Gel sur la France et réveil avec George Orwell. De ce côté-ci de l’Atlantique l’information vient d’être donnée par la BBC « FDA approves ‘trackable’ pill » et par Les Echos : « Les Etats-Unis autorisent le premier médicament connecté ». « Les médicaments seront bientôt plus intelligents que les malades » croient savoir Les Echos. Avec toutes les conséquences que l’on peut, désormais, redouter. The New York Times ne s’y est pas trompé : « First Digital Pill Approved to Worries About Biomedical ‘Big Brother’ »

Résumons. La  Food and Drug administration (FDA), l’agence américaine du médicament , vient d’approuver la mise sur le marché de la première « pilule connectée ». Il s’agit d’une spécialité à visée psychiatrique : un « antipsychotique » auquel on a associé un capteur assurant une traçabilité sans faille. capable de tracer la régularité à laquelle il est absorbé. Abilify MyCite (aripiprazole) est plus précisément un traitement destiné aux personnes souffrant de schizophrénie et de troubles bipolaires. « Il sera proposé à certains assureurs à partir de l’an prochain » annoncent Les Echos qui ne dit rien sur les intentions de notre Assurance maladie.

Rien de sorcier : le capteur, de la taille d’une puce, génère un signal électrique dès qu’il entre en contact avec les sucs gastriques – signal aussitôt détecté par un patch collé sur le corps. Un tiers peut ainsi, via un signal Bluetooth et une application smartphone, avoir accès à une série de précieuses informations (comme la date et l’heure d’ingestion du médicament). Le capteur peut aussi collecter des éléments sur le rythme de vie (heures de sommeil, niveau d’activité…). « Les patients peuvent autoriser jusqu’à cinq personnes à recevoir ces informations » nous explique-t-on. A commencer par le médecin prescripteur – sans oublier l’assureur.

Appétits des assureurs

Ce premier « médicament électronique » est le fruit d’une collaboration entre le laboratoire japonais Otsuka Pharmaceutical (producteur d’Abilify MyCite), et l’entreprise californienne Proteus Digital Health, qui a conçu le capteur. « Profitant de l’appétit des investisseurs pour le secteur de la santé, cette dernière a levé 400 millions de dollars auprès de fonds et d’autres laboratoires, dont Novartis, pour financer ses travaux sur les capteurs » précise Les Echos.

Pour l’heure la plupart des médias applaudissent : voilà le remède tant attendu pour améliorer le respect des prescriptions médicales. Et de se lamenter sur les coûts faramineux des failles dans l’observance : 9 milliards d’euros par an en France assurent Les Echos.

Le prix d’Abilify MyCite électronique qui n’a pas encore été fixé. Il dépendra de l’accueil que lui réserveront les bienveillants assureurs santé qui verront là une source d’importantes économies. Bien évidemment, en retour, ils consentiront de conséquentes réductions tarifaires aux patients-clients acceptant d’être connectés.

Outre-Atlantique certains médecins s’élèvent toutefois déjà contre l’utilisation potentiellement intrusive et coercitive de cette technologie. Et pour tenter de répondre à ces interrogations, Otsuka Pharmaceutical a embauché plusieurs spécialistes de bioéthique. Gel sur la France et réveil avec George Orwell.

A demain

Subsys® (fentanyl en spray) : le trop beau succès financier d’un dealer pharmaceutique

Bonjour

« Ils ne valent pas mieux que des dealers de rue ». Formule lapidaire, citée dans Le Monde (Chloé Hecketsweiler), un agent du FBI membre de l’enquête ayant conduit aux accusations contre John Kapoor, cofondateur du laboratoire pharmaceutique Insys. Une belle affaire, avec vices et sans vertus, qui s’inscrit dans le cadre général de la dépendance massive aux opiacés dont les Etats-Unis, grande victime, commencent à prendre publiquement conscience.

La grande trouvaille de la firme Insys Therapeutics c’était Subsys®, son spray au fentanyl dont la publicité était plus que parfaite : « The First and Only Sublingual Spray for Breakthrough Cancer Pain ». Les souffrances les plus rebelles évaporées en cinq minutes.

L’histoire, édifiante, du fentanyl reste à écrire. Elle dira comment cet  analgésique opioïde, synthétisé il y a plus d’un demi-siècle, près de cent fois plus puissant que la morphine, est progressivement sorti de ses indications médicales; comment il a commencé à tuer faute de soigner. Le phénomène a pris une ampleur d’une particulière gravité en Amérique du nord où l’épidémie de l’addiction aux opiacés est devenue une affaire de santé publique de première grandeur (voir la vidéo du New York Times). Une affaire commerciale aussi tant il est vrai que les substances addictives ne sont jamais éloignées des marchands et des marchés.

Corruptions généralisées

« La justice américaine accuse John Kapoor, d’avoir corrompu médecins, pharmaciens et infirmières » raconte Le Monde ; une corruption larga manu pour doper les ventes de son spray sublingual miracle. « Très addictif, il est en principe réservé aux patients atteints d’un cancer dont la douleur n’a pas pu être soulagée avec un autre traitement, ajoute le dernier quotidien vespéral. Mais des professionnels de santé, avec l’aide du laboratoire, sont parvenus à contourner cette restriction pour le prescrire bien plus largement. Des patients à qui il aurait dû être totalement contre-indiqué en ont consommé. Certains sont morts d’une overdose, comme l’a révélé un rapport de la sénatrice démocrate du Missouri, Claire McCaskill. »

Insys a été l’un des premiers acteurs bénéficiaires de cette épidémie. Son Subsys® a été autorisé par la FDA, l’agence de santé américaine, en 2012. Un coût ahurissant (un mois de traitement allant jusqu’à 20 000 dollars)  et un succès massif immédiat : un pic à 330 millions dollars en 2015, avec une marge supérieure à 90 %. Le vent a commencé à tourner en 2016, avec les premières révélations sur les conditions de prescription du Subsys : les ventes ont chuté de 26 % et l’année s’est achevée par une première arrestation, à Boston, de six dirigeants de l’entreprise.

L’enquête menée par les autorités a révélé que la majorité des prescriptions concernaient des personnes qui ne souffraient pas de cancer. Sans parler du reste, air connu. « Pour convaincre les médecins d’inscrire ce médicament sur leurs ordonnances, les employés d’Insys leur versaient des dessous-de-table ou les rémunéraient généreusement pour des interventions dans des conférences, résume Le Monde. Les pharmacies agréées pour distribuer le Subsys étaient elles aussi incitées financièrement à fermer les yeux sur les pratiques douteuses du laboratoire. Derniers maillons de la chaîne, les assureurs étaient délibérément induits en erreur par les commerciaux d’Insys qui leur faisaient croire qu’ils avaient affaire à des patients souffrant de cancer quand il n’en était rien. »

Pavé capitalistique

Et ensuite ? Arrêté à Phoenix et entendu par une cour fédérale, John Kapoor a pu repartir libre moyennant une caution d’un million de dollars. Son passeport a été confisqué. Plusieurs Etats ont engagé des poursuites contre des fabricants de médicaments à base d’opiacés.

« Dans leur ligne de mire, on trouve notamment Purdue Pharmaceutical, qui commercialise l’OxyContin, Endo Pharmaceuticals qui vend le Percocet, et Johnson & Johnson, le producteur du Duragesic, souligne Le Monde. En 2007, Purdue avait mis fin à une première série de poursuites en transigeant avec le département de la justice moyennant une somme de 634 millions de dollars. Insys serait en discussion pour parvenir à un arrangement financier comparable. »

Où l’on voit, in fine, que loin d’être de pauvres dealers de rue, les labos pharmaceutiques tiennent toujours, outre-Atlantique, le haut du pavé capitaliste 1. Avec le soutien, actif ou tacite, des responsables politiques.

A demain

1 « En France, la majorité des problème d’addiction au fentanyl sont majoritairement  observés (2/3) chez des patients traités hors cancer (donc hors AMM) avec ces fentanyls transmuqueux – qui plus est prescrits seuls dans 15% de ces cas, c’est à dire sans forme à libération prolongée » nous a précisé le Pr Nicolas Authier (Observatoire français des médicaments antalgiques;  UMR INSERM 1107, Université Clermont Auvergne, CHU Clermont-Ferrand)

 

Iceberg : progression des morts par overdose d’opiacés sur le Vieux Continent

 

Bonjour

Dans un monde idéal ce sont des choses qui n’existeraient pas. Dans un autre on n’en parlerait pas. Tel n’est pas le monde dans lequel nous vivons. Aussi ce choses-là sont dites, aujourd’hui, dans le rapport de l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies (OEDT) – l’agence de l’Union européenne chargée de collecter les données communautaires sur le sujet. Elles sont pour partie reprises par The New York Times : « Powerful New Opioids, Overdose Deaths Worry EU Drug Agency » – et ce alors que le même quotidien fait état d’un constat voisin sur son propre sol 1.

Parmi tous les signaux plus qu’inquiétants en provenance du front international de la guerre aux drogues retenons celui qui constitue un symptôme à bien des égards préoccupant : l’augmentation du nombre de décès par surdose en Europe, en hausse pour la troisième année consécutive. Au total, on estime (officiellement) à 8 441 le nombre de morts prématurées par surdose (principalement associés à l’héroïne et à d’autres opiacés) survenus en Europe en 2015 (28 états membre de l’UE, la Turquie et la Norvège). C’est là une augmentation de 6 % par rapport à 2014 et ces morts concernent presque toutes les tranches d’âge.  En 2015, le nombre de décès par surdose a notamment augmenté en Allemagne, en Lituanie, aux Pays-Bas, en Suède, au Royaume-Uni et en Turquie.

Méthadone mortelle

Sur le Vieux Continent ainsi défini le nombre des « usagers problématiques » d’opiacés en Europe sont estimés à 1,3 million. Les spécialistes savent que cette population dépendante constitue l’un des groupes les plus vulnérables.

Tout aussi inquiétant encore, en périphérie, « les opiacés utilisés dans les traitements de substitution – principalement la méthadone et la buprénorphine haut dosage – sont également couramment mentionnés dans les rapports toxicologiques ». « Selon les dernières données disponibles, le nombre de décès enregistrés liés à la méthadone a dépassé celui des décès liés à l’héroïne au Danemark, en Irlande, en France et en Croatie, ce qui montre qu’il est nécessaire de mettre en place de bonnes pratiques cliniques afin de prévenir le détournement de ces substances » observe l’OEDT. Comment s’assurer que seules les bonnes pratiques cliniques sont mises en œuvre ?

C’est, simplement, dire toute l’importance qu’il faut accorder à la mise à disposition de salles de consommation de drogue à moindre risque (SCMR) et à la délivrance de naloxone (un antidote qui permet de stopper les surdoses dues aux opiacés) destinée à une administration à domicile pour les consommateurs d’opiacés, leurs pairs et les membres de leur famille. Or de telles SCMR ne sont actuellement opérationnelles dans six pays de l’UE (Danemark, Allemagne, Espagne, France, Luxembourg et Pays-Bas) et en Norvège – soit un total de 78 structures dans ces sept pays (dont une seule en France). Quant aux programmes de distribution de naloxone destinée à une administration à domicile ils n’existent actuellement que dans neuf pays de l’UE : Danemark, Allemagne, Estonie, Irlande, Espagne, France, Italie, Lituanie et Royaume-Uni) ainsi qu’en Norvège.

Alerte sur les fentanyls

Pour l’OEDT, au-delà des morts connues par overdose, les nouveaux opiacés de synthèse (à forte teneur en principe actif) représentent clairement une menace croissante pour la santé publique tant en Europe qu’en Amérique du nord.  Ces opiacés synthétiques imitent les effets de l’héroïne et de la morphine. « Si elles occupent une faible part du marché, les signalements relatifs à leur apparition et aux problèmes qu’elles causent sont de plus en plus nombreux, notamment leur implication dans des intoxications mortelles ou non » souligne l’Observatoire européen. Il ajoute :

« Entre 2009 et 2016, vingt-cinq nouveaux opiacés de synthèse (dont dix-huit fentanyls) ont été détectés en Europe.  Comme de faibles volumes suffisent à la fabrication de milliers de doses vendues dans la rue, les nouveaux  opiacés de synthèse sont faciles à dissimuler et à transporter, ce qui représente un défi pour les services de lutte antidrogue, alors que les acteurs de la criminalité organisée peuvent y voir  une source intéressante de revenus. Ces substances revêtent différentes formes. Il s’agit essentiellement de poudres, de comprimés et de gélules et certains de ces produits sont désormais vendus sous forme de liquides et de pulvérisateurs nasaux.

 « Les fentanyls font l’objet d’une surveillance spécifique. Ces substances, dont la teneur en principe actif est exceptionnellement élevée (parfois beaucoup plus que l’héroïne), représentaient plus de 60 % des 600 saisies  de nouveaux opiacés de synthèse signalées en 2015.  Huit nouveaux fentanyls ont été signalés via l’EWS pour la première fois pour la seule année 2016. Ces substances entraînent de graves risques d’intoxication, non seulement pour leurs consommateurs, mais aussi pour les personnes pouvant y être exposées accidentellement (par exemple en cas de contact avec la peau ou d’inhalation), comme les travailleurs des services postaux, les agents des douanes et le personnel des services d’urgence. »

 Dans un monde idéal ce sont des choses qui n’existeraient pas. Tel n’est pas le monde dans lequel nous vivons ; un monde caractérisé par une forme d’ubérisation des sources de modification massive des états de conscience face à laquelle le politique est, au choix, impuissant ou complice.

A demain

1 The New York Times (daté du 5 juin) traite aussi de la question de l’augmentation rapide des décès dus à des overdoses aux Etats-Unis : « Drug Deaths in America Are Rising Faster Than Ever » (Josh Katz)

 

 

Une maladie infectieuse mortelle d’origine inconnue est apparue à Monrovia (Libéria)

 

Bonjour

Les quelques informations disponibles font songer à l’attaque d’un thriller. A l’image du rocambolesque et militant « Résistants » de Thierry Crouzet.

Ainsi The New York Times : « Mystery Deaths in Liberia Linked to Funeral- WHO ». Pour l’heure l’Agence France Presse rapporte les principaux éléments disponibles. Une nouvelle maladie contagieuse vient d’apparaître dans le sud-est du Libéria et dans sa capitale, Monrovia. Principaux symptômes : fièvres et vomissements. Douze personnes sont mortes en moins de dix jours, selon le ministère libérien de la Santé. Des informations confirmées, depuis Genève, par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Les premiers cas ont été enregistrés dans la province de Sinoe, dans le sud-est du Liberia.

Des analyses sont en cours pour porter un diagnostic mais d’ores et déjà les résultats sont négatifs pour les fièvre Ebola et de Lassa. «  Le bilan global est maintenant de vingt-et-une personnes tombées malades, dont douze sont décédées depuis le dimanche 23 avril » a déclaré Tarik Jasarevic porte-parole de l’OMS. À Monrovia, Sorbor George, le porte-parole du ministère libérien de la Santé a également parlé de douze décès parmi les malades enregistrés depuis que les symptômes se sont déclarés à Greenville, chef-lieu de la province de Sinoe.

Ni Lassa ni Ebola

Il a également affirmé que la maladie avait atteint Monrovia. « Un homme est venu de Sinoe pour assister à des funérailles à Monrovia et il est tombé malade. Il a montré les mêmes symptômes que les cas enregistrés dans le comté de Sinoe, et plus tard, il est mort, sa petite amie est aussi décédée suivant le même schéma » a-t-il expliqué. L’enquête épidémiologique se poursuit.

« Tous les échantillons testés ont été négatifs aux fièvres Ebola et de Lassa et des prélèvements ont été envoyés aux Centres américains de contrôle et de prévention des maladies (CDC) à Atlanta pour des analyses toxicologiques » précise l’OMS. Des enquêteurs sanitaires ont été déployés pour déterminer un lien potentiel avec les malades dont certains ont assisté récemment aux funérailles d’un chef religieux.

On se souvient que le Liberia a fait partie (avec la Guinée et la Sierra Leone) des trois pays sévèrement affectés (28 600 cas et 11 300 morts) par une épidémie de fièvre Ebola entre 2013 et 2016.

A demain

Psychiatrie post-vérité : Donald Trump le charismatique est-il un narcisse pathologique ?

 

Bonjour

Vous vous intéressez au pouvoir, à la psychiatrie et à l’équilibre du monde ? Vous prendrez plaisir à la lecture, sur le site Slate.fr, d’ « Alors Trump, fou ? » de Moisés Naím » (traduction de Bérengère Viennot). Un texte qui, de ce côté-ci de l’Atlantique, prend une saveur toute particulière à l’heure de la dernière ligne droite chaque jour plus extravertie de notre campagne présidentielle – une dernière ligne droite où les caractéristiques de la psychologie d’Emmanuel Macron commencent à faire l’objet d’un intérêt critique de plus en plus marqué par certains médias.

« Les dirigeants charismatiques inspirent de grandes manifestations de dévouement et, inévitablement, leur orgueil ne manque pas de se laisser dilater par les applaudissements, flatteries et autres louanges dont ils sont l’objet, écrit Moisés Naím. Cette vanité poussée à l’extrême peut très facilement se transformer en narcissisme éventuellement pathologique. En fait, je suis convaincu que l’un des risques professionnels les plus courants chez les politiciens, artistes, athlètes et chefs d’entreprises qui réussissent est le narcissisme, c’est-à-dire une fascination exagérée suscitée par leur propre personne. »

Νάρκισσος. Narcisse. Narcissisme. Tout ou presque a été écrit avant même l’invention du miroir, sur les dangers de la contemplation de soi-même dans l’exercice du pouvoir. Puis vint la psychiatrie et ses frontières entre normal et pathologique. L’American Psychiatric Association a élaboré une série de critères 1 pour diagnostiquer le narcissisme pathologique (« trouble de la personnalité narcissique »). « Selon les recherches sur le sujet, les personnes qui en souffrent montrent une mégalomanie persistante, un besoin excessif d’être admiré et une absence d’empathie, résume Moisés Naím. Elles manifestent une grande arrogance, des sentiments de supériorité et des comportements ciblant la prise de pouvoir. Elles ont aussi des egos très fragiles, elles ne tolèrent pas la critique et ont tendance à rabaisser les autres pour se réaffirmer elles-mêmes. »

Déontologie bafouée

Et Donald Trump ? Point n’est besoin d’être psychiatre pour comprendre que le président américain présente (et se plait à présenter) plusieurs des symptômes caractéristiques du narcissisme. Mais cela le rend-il inapte à occuper l’un des postes les plus importants de la planète ? Certains spécialistes le pensent et l’ont écrit dans une lettre envoyée au New York Times. Un texte qui ne respecte pas la règle déontologique minimale qui veut que les psychiatres s’imposent de ne jamais porter de diagnostic – même concernant une personnalité publique– à distance.

Bien évidemment d’autres psychiatres ne sont pas du même avis et le disent également dans les colonnes du New York Times. Comme le Dr Allen Frances, qui fut le directeur du groupe de travail ayant préparé la quatrième édition du D.S.M. IV.

« Beaucoup de diagnosticiens amateurs attribuent à tort au président Trump un trouble de la personnalité narcissique. C’est moi qui ai rédigé les critères qui définissent ce trouble, et M. Trump n’y correspond pas. C’est peut-être un narcissiste de catégorie mondiale, mais cela n’en fait pas un malade mental pour autant, parce qu’il n’éprouve ni les souffrances ni les handicaps dont la manifestation est nécessaire pour poser un diagnostic de maladie mentale. M. Trump inflige de graves souffrances plutôt qu’il ne les éprouve, et sa folie des grandeurs, son égocentrisme et son absence d’empathie ont été grandement récompensés plutôt que sanctionnés.»

Moyen Âge trumpien dystopique

Et le psychiatre (qui, lui non plus n’a pas examiné le président) de laisser la place au citoyen ;

« Le recours aux insultes psychiatriques est une manière malavisée de contrer les attaques de M. Trump contre la démocratie. Son ignorance, son incompétence, son impulsivité et son désir de s’octroyer des pouvoirs dictatoriaux peuvent et doivent être dénoncés de façon appropriée. Ses motivations psychologiques sont trop évidentes pour être intéressantes, et les analyser ne mettra pas un terme à sa conquête irréfléchie du pouvoir. L’antidote à un Moyen Âge trumpien dystopique sera politique, pas psychologique.»

 Infliger des souffrances plutôt que les éprouver… Pour un peu cela serait une assez bonne définition de l’exercice du pouvoir. Reste le pouvoir exercer par Narcisse. « Le pouvoir isole, et les narcissistes en position de pouvoir ont tendance à être encore plus vulnérable à l’isolement qui accompagne les fonctions les plus puissantes, écrit Moisés Naím. (…) Au bout de trois mois de mandat, il est déjà évident que le président Trump sera obligé de renoncer à honorer de nombreuses promesses de campagne. Les frustrations se multiplient. On peut supposer sans grand risque que ses déceptions seront de plus en plus fréquentes et ses frustrations de plus en plus douloureuses. Cela ne peut pas être une bonne chose pour sa santé mentale. » Ni pour la planète.

A demain

1 Des sentiments mégalomaniaques et la conviction que leur supériorité doit être reconnue. 2) Une obsession autour de fantasmes de pouvoir, de succès, d’intelligence et de séduction physique. 3) L’impression d’être unique, supérieur et par conséquent la recherche de groupes et d’institutions prestigieux. 4) Un besoin constant d’être admiré. 5) Le sentiment d’avoir le droit d’être traité de façon spéciale, et que les autres doivent obéir. 6) Une tendance à exploiter autrui et à en tirer profit pour obtenir des bénéfices personnels. 7) L’incapacité à ressentir de l’empathie pour les sentiments, les désirs et les besoins des autres. 8) Une jalousie intense et la conviction que l’entourage éprouve forcément le même type de jalousie. 9) Une tendance à agir de façon pompeuse et arrogante.

Sur ce thème on lira aussi avec intérêt le récent  « Tous narcissiques » de Jean Cottraux (Editions Odile Jacob)