Prothèses mammaires : qui savait quoi et depuis quand ?

L’affaire aura bientôt un mois. Les enquêtes journalistiques foisonnent. Le ministre s’est tu. La justice est saisie. L’OMS se réveille. Les questions demeurent. Pas de données nouvelles sur le risque cancéreux

La presse vit de plumes et goûte les miroirs. Rien de nouveau depuis les premières livraisons de la Gazette (1631-1915) du Dr Théophraste Renaudot. (1586-1653). Elle ne déteste pas non plus la mise en abyme, la presse citant la presse. Ainsi en ce 14 janvier cette dépêche de l’AFP. Elle traite d’un témoignage « simultanément diffusé » le même jour sous couvert d’anonymat par France 2 et Le Monde ; le témoignage d’un décidemment bien mystérieux inspecteur de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps). C’est cet « anonyme »  qui aurait découvert l’existence de matières premières suspectes dans les prothèses PIP. Et l’agent inspecteur de raconter derrière son masque les  circonstances rocambolesque de sa découverte. Une affaire bien banale au fond mais qui prend ici des allures de secret d’Etat.  

 C’était le 17 mars 2010 au deuxième jour de sa mission dans la désormais célèbre entreprise de la Seyne-sur-Mer (Var).  « Selon Le Monde daté dimanche-lundi, les étiquettes placées sur les fûts suspects portaient la mention « SILOP pour silopren, une huile de silicone non autorisée pour un usage médical » et dont il n’était nulle part fait mention dans les documents examinés la veille, nous raconte l’AFP. Sur France 2, l’inspecteur, dont seules les mains apparaissent à l’écran, poursuit le récit: « Les personnels de production me disent qu’ils ne savent pas ce que sont ces étiquettes, je demande les factures et on ne les sort pas ». « Je monte voir M. Mas [le directeur]et je lui demande ce que sont ces matières premières. Il me dit:

 – On avait prévu de faire du développement+.
– Quel développement?
– Je ne sais plus.
Selon Le Monde – qui précise que « l’épisode est aussi résumé dans le rapport d’inspection que l’agence a remis à la justice et dont il a pris connaissance » – c’est en retournant sans prévenir sur un site déjà visité la veille et où il n’était plus attendu, que cet inspecteur a mis au jour la supercherie.
Le premier jour, le contrôle n’a dévoilé aucune anomalie, écrit le journal.
Mais la deuxième fois, « à travers la clôture, j’ai vu des fûts avec des étiquettes qui faisaient référence à un nom qu’on n’avait jamais vu. On a eu du mal à se faire ouvrir la porte. Et cinq minutes après, on rentre sur le site et les étiquettes avaient disparu… Stupeur », reprend l’inspecteur sur France 2 (…)
Il est décidé de prolonger la mission de l’agence: « On n’a plus confiance du tout. Notre crainte c’est que les stocks disparaissent et soient remis sur le marché dès qu’on aura le dos tourné », se souvient l’inspecteur cité par Le Monde. M. Mas a reconnu ultérieurement devant les enquêteurs que la fraude était organisée depuis des années.
La découverte de l’Afssaps a provoqué l’ouverture d’une enquête judiciaire pour « tromperie aggravée » et devrait donner lieu à un premier procès d’ici la fin 2012. Dans l’intervalle, le scandale s’est étendu au monde entier et concerne des dizaines de milliers de femmes. »

Le Monde a titré cet interminable témoignage : «Prothèses PIP : l’incroyable récit d’une supercherie » et explique que pendant près de vingt ans, Jean-Claude Mas a déjoué tous les contrôles en s’assurant de la complicité de ses salariés. « Déjouer tous le contrôles » ? Certes. On pourrait tout aussi bien expliquer que pendant vingt ans les contrôles et les contrôleurs n’ont pas été suffisamment efficaces pour mettre en évidence ce pourquoi ils étaient les premiers faits, les seconds rémunérés. Faire de M. Mas un lointain cousin de Lupin Arsène n’est pas sans risque. C’est pourtant ce qui est fait : « Il faut au moins lui reconnaître cela, à Jean-Claude Mas, l’ex-patron de Poly implant prothèse (PIP), prince déchu des prothèses mammaires. Un talent de persuasion, un art de la supercherie à rendre jaloux les rois du boniment. Pendant plus de vingt ans, cet ancien visiteur médical passé par le négoce en vin et l’assurance avant de se reconvertir dans les seins en silicone a réussi à embobiner ses salariés en leur faisant croire que son gel maison, non agréé, était « le meilleur » pour doper les poitrines de ces dames, et surtout de « bien meilleure qualité » que le Nusil, le gel médical des Américains. Avec le même aplomb, il a juré durant des années aux inspecteurs venus le contrôler qu’il n’utilisait que du silicone homologué. »

Or voici qu’il parle à la presse le roi des boniments, le prince déchu des prothèses issu du bas-fond des vins négociés. Il vient d’accorder un entretien téléphonique à la chaîne M6 qui l’a diffusé le 17 janvier et dont l’AFP nous donne la quintessence : « ‘’Jamais je n’ai nié que j’ai utilisé un gel non homologué », dit-il joint au téléphone, affirmant par la même occasion que son gel « était meilleur que les autres ». L’entrepreneur réaffirme que son gel n’a pas d’effet néfaste sur la santé: « Il y a l’Afssaps qui a fait un rapport, tous les experts sont unanimes, il n’y a aucun lien possible entre ce gel et des patientes… le cancer, le machin, pourquoi pas les maladies auto-immunes, hein… », poursuit-il. L’homme s’énerve aussi quand il est interrogé sur la décision du gouvernement de recommander aux porteuses de PIP en France de se les faire retirer, s’en prenant au ministre de la Santé Xavier Bertrand. « Qui c’est qui a demandé d’explanter les patientes, et pourquoi? Parce que les experts étaient absents. Parce que M. Bertrand n’est pas, que je sache, un scientifique (…) c’est pas croyable alors qu’il savait que ce gel n’est pas toxique. Vous savez qu’il y a 500.000 patientes maintenant qui se posent des questions! », semble s’étrangler Jean-Claude Mas. »

Faut-il rappeler que M. Mas (« qui n’a pas fait d’apparition publique depuis que le scandale a éclaté » souligne l’AFP) a déjà déclaré avoir trompé de manière délibérée (et pendant des années) TÜV Rheinland (l’organisme allemand certificateur de ses prothèses) sur le contenu du gel de silicone ? « Je savais que ce gel n’était pas homologué, mais je l’ai sciemment fait car le gel PIP était moins cher » avait-il dit aux gendarmes chargés de l’enquête pour « tromperie aggravée ».. Faut-il également rappeler qu’aucun lien n’a été établi à ce stade entre ces implants et la vingtaine de cas de cancer diagnostiqués chez les femmes porteuses de prothèses PIP ? Et faut-il enfin rappeler que la recommandation d’explanter de manière systématique les 30 000 femmes concernées a été formulée par Xavier Bertrand ministre de la santé contre l’avis du collège d’experts constitué pour évaluer au mieux le risque carcinogène.

« L’imposture aurait encore pu durer si les prothèses n’avaient commencé à rompre par dizaines. En 2007, PIP reçoit des appels d’Angleterre, des fax de Colombie, ajoute Le Monde. L’année suivante, trois chirurgiens marseillais s’inquiètent à leur tour d’une recrudescence d’incidents et se retournent vers le fabricant. Nous avons déjà évoqué sur ce blog la situation marseillaise et l’alerte (précoce ? tardive ?) lancée auprès de l’Afssaps par des chirurgiens de la bientôt célèbre clinique Phénicia.

Ce que nous ne savions pas c’est qu’après les premières récriminations la société de M. Mas « s’était contenté -comme dit Le Monde– d’envoyer  une nouvelle paire de seins à la patiente, deux autres au chirurgien, ainsi que  1000 euros ’en dédommagement des frais d’explantation et d’implantation’’ ». Ce que nous ne savons pas (et que la presse tarde à découvrir) c’est la nature exacte des relations commerciales et monétaires entre l’ensemble des chirurgiens esthétiques et l’ensemble des firmes productrices ainsi que les conséquences précises de la concurrence (semble-t-il assez vive) qui règne au sein des deux groupes.  

Dans sa livraison datée du 5 janvier Le Nouvel Observateur  fournit quelques lumières. Sous le titre « Dans la jungle des prothèses mammaires » Jacqueline de Linares et Bérénice Rocfort-Giovanni soulignent qu’un détail rassurait les femmes : les prothèses PIP étaient made in France, low cost certes mais tentantes car certifiées CE. Pas question d’implants chinois ou de matériel de contrebande.  

Pour le reste les enquêtes journalistiques piétinent. Elles moulinent le grain désormais offert. Après les procès verbaux de l’enquête de gendarmerie, l’inspecteur de l’Afssaps parlant sous un masque ce sont les anciens employés de M. Mas qui racontent à qui mieux-mieux (toujours sous couvert de l’anonymat) ce à quoi ils ont participé durant des années. Libération (sous la signature d’Olivier Bertrand) y revient longuement le 16 janvier ; avec force détails. Il est vrai que l’auteur a eu l’opportunité de pouvoir « consulter en intégralité » leurs auditions par  les gendarmes de la section de recherche de Marseille ainsi que « les trois interrogatoires de Jean-Claude Mas ». Le journalisme d’investigation (ici sanitaire) réclame toujours un peu de chance. On y découvre bien des secrets partagés entre patron et salariés avant une (tardive) rébellion des seconds.

Libération toujours complète (le 17 janvier) son dossier. Après s’être procuré (c’est l’une des formules en usage) le rapport de l’inspection de l’Afssaps menée chez PIP en mars 2010. Rien de véritablement nouveau. Dix jours seulement après cette inspection (en avril) les prothèses PIP sont interdites. Certes, mais pourquoi pas plus tôt ? Il faudra encore attendre pour le savoir. Enfin Le Figaro (du 18 janvier) croit savoir que l’éventail des poursuites va s’élargir : des avocats de plaignantes visent désormais TÜV Rheinland.

« Dans un dossier où l’aspect financier est très présent, TÜV est en ligne de mire, écrit Marie-Amélie Lombard-Latune.  ‘’On va là où les poches sont profondes…’’ , résume un avocat. Jean-Claude Mas apparemment insolvable, PIP déclaré en faillite, son assureur Allianz tentant de se dégager de sa garantie, les «poches» ne sont pas si nombreuses. TÜV, solide groupe allemand, en fait partie. D’où les différentes procédures civiles ou pénales qui le visent aujourd’hui. Silencieux jusqu’à présent, l’organisme de certification n’a pourtant pas l’intention de porter la responsabilité du scandale PIP, société contre laquelle il a lui-même porté plainte. Selon les auditeurs de TÜV – qui venaient en principe à deux lors de la visite du site à La Seyne-sur-Mer (Var) pendant un ou deux jours.  PIP était passé maître dans l’art de la dissimulation: le personnel était ‘’briefé’’, le système informatique truqué, les documents papier soigneusement triés. Le contrôle se limitait à vérifier le process qualité au regard des normes européennes, assure-t-on chez TÜV, où l’on répète que l’objectif d’un tel audit n’est pas de rechercher une fraude. Une faille évidente dans la surveillance sanitaire des prothèses, de vastes débats en perspective devant les tribunaux. Dès les auditeurs de TÜV tournaient les talons, le patron de PIP fêtait, dit-on, l’événement au restaurant. »

A restaurant ! Ainsi, après s’être longtemps tu, on dit décidemment bien des choses. C’est aussi le cas de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) qui depuis son siège de Genève vient pour la première fois de s’exprimer sur le sujet. L’institution onusienne conseille désormais officiellement à toutes les femmes qui dans le monde portent des prothèses mammaires PIP (elles ont entre 300 000 et 400 000 dit-on) de consulter leur médecin ou chirurgien si elles suspectent une rupture, éprouvent une douleur ou bien pour « tout autre souci ». Un bien large spectre.

« Des informations supplémentaires sont nécessaires sur les risques associés à ces implants et sur la comparaison avec les autres implants disponibles sur le marché, sur la distribution, l’utilisation et la surveillance » estime d’autre part l’OMS qui découvre cette pratique. La pose chirurgicale des implants mammaires a commencé à se développer à l’échelon international au lendemain de la seconde guerre mondiale. L’OMS é été crée en avril 1948.