Généralistes décimés et avancée des déserts médicaux : où est passée l’intelligence politique ?

Bonjour

Il faut vivre à la campagne avec des personnes âgées souffrantes pour bien saisir l’affaire. Et point n’est besoin de chercher une campagne reculée. Le boulanger peut être remplacé par un distributeur de baguette, pour l’école le car ou les parents feront le nécessaire. La poste, n’en parlons plus.

Mais le médecin. C’est là où on lui donne encore du docteur qu’il se fait rare, qu’il se fait vieux, qu’il s’évanouit, qu’il dévisse, qu’il n’est plus. C’est, un siècle plus tard,  Knock à tête renversée, c’est le désastre d’une médecine qui allait triompher, c’est la condamnation aux urgences, l’abonnement aux régulateurs du Samu.

Soignants exemplaires

C’est aussi, ici et là, des soignants exemplaires, de la bienveillance récurrente avec ou sans tiers-payant, des services hospitaliers (non universitaires) admirables. Nous venons, pour notre part, d’en faire la roborative expérience.

Aujourd’hui 29 juin 2016 Marisol Touraine Ministre des Affaires sociales et de la Santé visitait le CHRU de Brest-Carhaix. Un établissement de longue mémoire. Que serait une visite de ministre sans discours ? Que serait un discours sans extraits ?

« Je dis souvent que la santé, c’est l’affaire de tous. La Bretagne a toujours été attachée à la réduction des inégalités de santé. (…)Me rendre ici, à Carhaix, a donc un sens particulier pour moi. Le faire à cette date l’est tout autant. Vous le savez, dans deux jours, les périmètres des futurs groupements hospitaliers de territoire (GHT) seront rendus publics. C’est une véritable révolution pour nos hôpitaux. En matière d’offre de soins, de présence hospitalière sur le territoire, il y aura un avant et un après. (…) »

Après l’avant

Les politiques en place devraient, à l’avenir, éviter de prononcer au futur l’arrivée d’un avant et d’un après. La formule suit généralement la découverte d’un scandale et qui coïncide avec l’annonce des moyens pour en éviter la répétition (on se souvient de Xavier Bertand et du Mediator®). C’est là une formule qui conviendrait mieux, et de loin, à l’historien. En l’espèce la présence hospitalière, même territorialement groupée, n’est pas une thérapeutique spécifique des avancées désertiques.

Au moment où la ministre de la Santé annonçait « l’installation à Carhaix d’un équipement d’IRM mobile à l’échelle du Nord-Finistère et des Côtes d’Armor »  l’UFC-Que choisir publiait sa dernière étude en date « sur l’offre médicale et l’accès aux soins en France ». « Habitez-vous un désert médical- carte interactive ». Le Monde en donnait les grandes lignes et éditorialisait sur ce marronnier, sur ce « cri d’alarme tellement répété qu’ils semble ne plus être entendu ».

La plaque de Knock

Cri d’alarme ? Entre 2012 et 2016, l’accès à un médecin généraliste est devenu de plus en plus difficile pour plus d’un quart de la population. Selon les calculs de l’association de consommateurs, 14,6  millions de personnes vivent dans un territoire où l’offre de soins libérale est notoirement insuffisante. Le nombre de médecins généralistes a diminué de 8,4  % entre 2007 et 2016. Et l’Ordre annonce « la perte d’un médecin généraliste sur quatre pour la période 2007-2025 ». 

Tout a été dit, et tout progresse comme annoncé. Apparus là ou Knock avait vissé sa plaque, les déserts médicaux n’ont, depuis vingt ans, cessé de progresser. Les banlieues, les cœurs de ville sont touchés. Les nuits sont terribles et les urgences asphyxiées. Tout a été décrypté, depuis l’absurdité des numerus clausus jusqu’à la faible appétence de l’épouse du médecin pour le si joli chef-lieu de canton. Et force et bien de constater que les quelques thérapeutiques proposées ne sont que symptomatiques.

Deux euros pour le service

Les « négociations conventionnelles » entre Assurance-maladie et les syndicats de médecins libéraux ? Passer de 23 à 25 euros la consultation ? Qui ne voit le dérisoire du différentiel ?  Changer de braquet ? Contraindre plutôt que tenter de séduire ? Imposer aux médecins formés gratuitement (ou presque) le lieu de leur (première) installation ? En finir avec le paiement à l’acte de préférence au tiers payant généralisé ? Inventer un mi-chemin entre le libéral qui n’est plus et la soviétisation-faillite. Où sont passées les phosphorescences, le pouvoir, du politique ? Pèse-t-il encore sur ce réel ?

« Depuis des années, tous les gouvernements, de droite comme de gauche, semblent tétanisés par les médecins et leur pouvoir d’influence, écrit Le Monde. Les uns après les autres, ils ont renoncé à obliger les praticiens à exercer là où on a le plus besoin d’eux. Et ils s’en sont tenus à de timides incitations financières. Face à un système à bout de souffle, alors que la France fait de plus en plus appel à des médecins étrangers, que la population vieillit et que la demande de soins ne sera pas amenée à diminuer, il est grand temps que politiques et médecins reconnaissent l’insuffisance des outils mis en œuvre. Si la cœrcition n’est pas la solution pour la médecine libérale, la responsabilité de tous est de chercher, d’imaginer et de proposer d’autres solutions. Maintenant. Bientôt, il sera trop tard. »

Bientôt il y aura eu un avant. Il n’est pas encore trop tard pour inventer l’après.

A demain

Tabac : « 60 Millions de Consommateurs » ou les astuces du balayeur

On le redoutait. Le magazine de l’INC a jeté l’opprobre sur la cigarette électronique. Buzz médiatique : elle est « potentiellement cancérigène ». Le mal est fait. En toute impunité.

L’astuce du balayeur ? Elle réside dans l’aisance avec laquelle on parvient à cacher sous le tapis ce que l’on est rémunéré pour éliminer. Un peu de métier est ici demandé. C’est précisément le cas de l’Institut National de la Consommation (INC). Abandonnant pour un temps l’analyse comparative des aspirateurs, 60 Millions de Consommateurs » nous a démontré qu’il ne manquait pas d’air. Hier la revue de l’INC a pris les habits du contre-révolutionnaire, ce même INC qui a pour objet, sur deniers publics, de suivre l’évolution de la législation française et d’aider les consommateurs dans leur vie quotidienne en les informant. 

 Le pire est parfois toujours sûr

Les dépendants tabagiques entendent se libérer de leur chaînes ? Une  « Révolution des volutes »® serait en marche ? Rétablissons sur le champ l’ordre souverain. Démontrons que le pire est toujours le plus sûr et que l’outil libérateur n’est certainement pas le miracle annoncé. Mais sans prendre de risque inconsidéré : expliquer qu’il ne faut pas interdire, simplement se méfier. Allumer la mèche de la rumeur. Laisser planer le doute.

L’astuce du balayeur ? On plaisante bien sûr. On force plutôt un peu le trait. Pour tenter de se faire mieux entendre. Reste que ce que nous redoutions, ici-même, s’est bien réalisé. Hier objet encore étrange, outil au statut indéterminé la cigarette électronique, cette sans-culotte sanitaire, est devenue sinon une menace du moins un objet suspect. Un objet dont doivent désormais se méfier celles et ceux qui seraient tentés de sortir, grâce à elle, de leur servitude pulmonaire et neurologique quotidienne. Pas aussi dangereuse que le tabac, certes. Mais comme lui potentiellement cancérogène. Et tous ceux qui ont connu les affres indicibles de la dépendance savent qu’il en faut bien peu pour y demeurer quand la conscience et la raison vous pousseraient potentiellement à en sortir.

Le mauvais exemple

Les religions et leurs guerres réclament le binaire. Sur BFM TV M. Joseph Osman (directeur général de l’Office français de prévention du tabagisme) vient de plaider pour que la cigarette électronique soit vendue exclusivement en pharmacie. Ce qui n’est pas possible en l’état. Dans le journal de mi-journée de France 2  deux tabacologues : « pour » la cigarette électronique, Michel Reynaud (Institut Gustave Roussy-Villejuif) et « contre » : Michel Henry Delcroix (centre anti-tabac de Lille). Le premier : « C’est moins dangereux et cela peut aider des fumeurs à freiner ou à arrêter ». Le second : « Cela donne le mauvais exemple de fumer quand même … ». Tout est dit : le pragmatisme versus l’apparence. Et si les volutes de la cigarette électronique étaient, précisément le bon exemple, l’exemple libérateur pour les asservis aux multinationales du tabac et aux taxations étatiques ?

Une nouvelle lecture erronée du principe de précaution

L’astuce du balayeur ? Avec elle nul ne voit plus l’erreur. Plus grave : sur RMC, Yves Bur (UMP, ancien député du Bas-Rhin et président d’Alliance contre le tabac) : « On dit depuis longtemps qu’il faut être prudent … La cigarette électronique est effectivement moins dangereuse, mais cependant,  elle n’est pas inoffensive. Et c’est pourquoi nous avons demandé, au ministère, d’appliquer le principe de précaution : pas de publicité, pas de vente aux mineurs et interdiction d’usage dans les lieux où est interdite la cigarette. Il faut des études complémentaires ». Militant tenace, mais saisissant encore mal la révolution en marche, Yves Bur a été entendu par Marisol Touraine, ministre de la Santé. Mme Touraine avait demandé une expertise sur le sujet à Bertrand Dautzenberg qui préside l’Office français de prévention du tabagisme.

 « Les cigarettes électroniques sont loin d’être des gadgets inoffensifs qu’on nous présente. Ce n’est pas une raison pour les interdire. C’est une raison pour mieux les contrôler » avait expliqué Thomas Laurenceau, rédacteur en chef du magazine de l’Institut national de la Consommation (INC). La belle affaire quand on ajoute que l’on a décelé grâce à une méthode inédite, des « molécules cancérigènes en quantité significative » dans les volutes d’e-cigarettes. Des molécules qui n’auraient jamais été mises en évidence : « dans trois cas sur dix, pour des produits avec ou sans nicotine, les teneurs en formaldéhyde (couramment dénommé formol) relevées flirtent avec celles observées dans certaines cigarettes conventionnelles ». (1)

UFC-Que Choisir battue à l’irrégulière

 L’astuce du balayeur ? Elle permet d’aller nettement plus vite que les aspirateurs. Le concurrent UFC- Que choisir (accès payant) est à la traîne. Après sa « Caméra cachée » sur les méthodes de vente dans les boutiques de cigarettes électroniques il publie dans son édition de septembre son premier dossier complet sur cette « nouvelle tendance de consommation ». C’est le pointilleux site lemondedutabac.com qui nous le dit et qui fait ici la leçon (2)

Et puis il y a toujours un invité qui (pourquoi ?) soulève le tapis. Dominique Dupagne, sur son site atoute.org :

« Avant toute chose, il y a un problème de liens d’intérêts. L’INC qui édite la revue 60 Millions, est subventionné majoritairement par le Ministère des finances qui nomme également ses administrateurs. Le Ministère des finances perçoit les taxes sur les ventes de tabac, en baisse en 2013 pour la première fois. Je n’accuse pas les journalistes d’avoir orienté leur travail, je constate simplement un conflit d’intérêt majeur et inacceptable, surtout pour un dossier qui a engagé des dépenses de recherche conséquentes

Qu’apporte l’INC pour inquiéter ainsi des centaines de milliers d’utilisateurs français et pour contredire la publication scientifique ci-dessus ? Rien. Aucun détail du protocole n’est accessible, pas plus que les résultats bruts de leurs mesures. Tout au plus apprend-on dans l’article que le laboratoire a utilisé un « protocole original ».

Nous sommes donc confrontés à bricolo et bricolette qui jettent le doute sur un progrès de santé publique majeur et qui oublient de signaler que les principaux cancérigènes sont les goudrons et les oxydes de carbone, absents de la cigarette électronique. C’est un peu comme si l’INC tirait à boulets rouges sur la bière sans alcool en expliquant que le sucre peut être « potentiellement » mauvais pour les futurs diabétiques (…)  Cette charge de l’INC contre la e-cigarette est idiote dans sa forme, infondée jusqu’à preuve du contraire et dangereuse pour la santé publique. L’Institut ne rend pas service aux consommateurs et aurait mieux fait de concentrer son travail sur le contrôle des teneurs alléguées dans le liquide des cartouches ou recharges. »

Bières sans alcool

L’astuce du balayeur impose de se méfier de tout. Et peut-être surtout de la bière sans alcool qui est relancée depuis peu sous nos latitudes par Kronenbourg et qui connaît un succès croissant dans les pays musulmans comme le révélait  The Economist (daté du 3 août). (Brewers in the Middle East, Sin-free ale. Non-alcoholic beer is taking off among Muslims consumers). En dépit de Louis Pasteur le diable se cache toujours dans les fermentations. Et les spécialistes religieux débattent encore de savoir s’il n’y aurait pas, ici ou là des traces de la molécule alcool.

(A suivre)

(1) Pourquoi s’asseoir sur cette étude remarquablement documentée et (que nous a fort obligeamment transmise notre confrère Jean-Daniel Flaysakier) ? Une étude publiée en mars dernier dans Tobacco Control et qui aboutit à des conclusions radicalement opposées.

(2) Présentation faite par lemondedutabac.com : « Un horizon encore vaporeux » ne court pas, malgré son titre, après la polémique. Mais le dossier cherche à montrer que les adeptes de ce produit de consommation « atypique » qu’est la cigarette électronique ont besoin d’un « encadrement ». Suivant la méthode d’analyse du magazine et de l’Union Fédérale des Consommateurs (UFC), le phénomène  de la cigarette électronique est « scanné » en quatre parties.

• Le contexte : le boom du phénomène ; « la frilosité des autorités sanitaires à travers le monde » ; la prise en compte du développement d’une communauté (avec une citation de l’Aiduce, l’Association indépendante des Utilisateurs ) ; la prise de conscience de la nécessité d’ un certain encadrement, confirmée par Mickaël Hammoudi, président du CACE (Collectif des Acteurs de la Cigarette électronique).

• Pourquoi réglementer ? Parce que le « Test labo », réalisé par l’association, démontre un certain décalage entre étiquetage, analyse et résultats. Pas forcément trompeur, ni dangereux. Mais pas toujours fiable.
Par exemple , sur 14 e-liquides testés (Alphaliquid, Cigarettec, Cigway, Conceptarôme, D’Ilice, FUU, Tag Replay pour nommer ces exemples )   neuf sont appréciés comme « bon », deux comme « médiocre » et trois comme « très mauvais », concernant le comparatif « taux déclaré/taux mesuré » sur la nicotine.

• Autre source de décryptage : « le faux du vrai » à l’usage du consommateur. Qu’il s’agisse des effets sur la santé des ingrédients, de la présence de substances toxiques, de l’efficacité en terme de sevrage tabagique ou encore de « vapotage passif » … les réponses des experts de la consommation se montrent plutôt ,« réservés » en défendant autant le pour que le contre.

• Enfin, l’avis des experts. Contradictoire, bien sûr. Entre Luc Dussart, consultant en tabagisme, qui défend la liberté de vapoter « parce que plus la cigarette électronique sera visible, plus le tabagisme reculera ». Et le pneumologue Michel Underner (qui a participé au groupe de travail sur le rapport remis à Marisol Touraine le 28 mai dernier) qui craint « le danger de l’imitation auprès des jeunes ».

 NB : Nous traversons des temps qui réclament la transparence absolue. Aussi précisons-nous ne pas être intéressé (autrement que du point de vue des idées et de la santé) par le marché des cigarettes électroniques, celui des produits dérivés du tabac et/ou des substituts nicotiniques.

 

 

 

 

 

Scandales médicamenteux: profitons du délitement présent

Espérer ou déprimer ? Agir ou se morfondre ? Progresser ou régresser ? L’enchaînement des « scandales » médicamenteux hexagonaux associé à l’actuelle fébrilité des responsables sanitaires français pourrait bien, au final, ne pas être sans vertus. A une condition sine qua non:  que cette série mortifère puisse être utilisée comme un levier pour soulever le couvercle d’un système clos et bouillonnant, celui du médicament.

Avancer en faisant sinon la « transparence » du moins une plus grande lumière. La transparence sur les estimations comparées des calculs efficacité-sécurité. Sur les chiffres exacts  et les évolutions des prescriptions. Sur les pesants mystères des fixations de prix de spécialités prises en charge par la solidarité nationale. Sur les raisons qui font que l’enseignement de la thérapeutique dans les facultés de médecine ne se fait pas, d’abord,  sous dénomination commune internationale mais sous nom de  marques commerciales. Sur les évolutions possibles du métier de pharmacien d’officine. Sur les possibilité d’amélioration des  mécanismes actuels de contrôle,  par la puissance publique, du pouvoir des multinationales pharmaceutiques. Entre autres exemples 

Plus largement l’éditorial du Monde daté du 31 janvier plaidait clairement (avec une inhabituelle et rafraîchissante fermeté) en faveur d’une transparence accrue sur les « données de santé ». A commencer par celles que détient, grâce à la collectivité,  l’assurance maladie. Une mobilisation est en marche, facilitée par les incalculables conséquences de la technique l’informatique.  On n’imagine pas qu’elle puisse conduire au miracle. Mais ne pas s’y associer c’est de facto accepter les scandales à venir. Ou, déjà, s’en délecter. 

Ce billet reprend le texte d’une chronique parue sur le site pure player Slate.fr

 De mal en pis. Les autorités sanitaires administratives et politiques sont aujourd’hui dépassées, incapables de gérer sereinement la crise des pilules contraceptives. Dernier épisode en date: la décision de l’Agence nationale de sécurité sanitaire des médicaments (ANSM) de faire une croix sur Diane® 35 et ses copies génériques[1].

Ce médicament est commercialisé en France depuis un quart de siècle. Il ne devait, en théorie, être utilisé que dans le traitement de l’acné. Mais cette spécialité pharmaceutique a également des effets équivalents à ceux des autres contraceptifs oraux. Aussi Diane® 35 a-t-elle toujours été fréquemment prescrite comme une pilule parmi les autres. La règle n’était certes pas respectée, mais elle était devenue l’usage.

Or voici que dans trois mois, toute prescription et toute délivrance de ces médicaments seront interdites. L’ensemble des lots présents sur le marché sera retiré. En France, plus de 300.000 femmes prennent ce médicament quotidiennement; pour traiter une acné, comme contraceptif oral; ou pour ces deux raisons. Elles ne pourront plus le faire dans trois mois.

Ce n’est pas tout. A compter du 1er avril, les pilules contraceptives dite de troisième génération, tenues pour potentiellement dangereuses, ne seront plus remboursées tout en étant maintenues sur le marché français. Ce sera le cas des pilules qui pourront se substituer à Diane® 35. L’annonce du retrait de Diane® 35 par l’ANSM a suivi de peu un article du Figaro faisant état de quatre morts en vingt-cinq  ans, et ce sur la base de données nationales (secrètes) de pharmacovigilance. L’anticipation du déremboursement a été décidée par Marisol Touraine après le dépôt hautement médiatisé d’une plainte au pénal pour un cas d’accident vasculaire cérébral.

Pourquoi maintenant, dans la précipitation

L’affaire des pilules change aujourd’hui de dynamique et de dimension. Au départ, il apparut clairement que cette crise sanitaire était fort mal géréeDe nouvelles mesures confirmèrent cette impression. Les incohérences concernant Diane® 35 ne laissent plus de doute. L’explication officielle est que «le rapport bénéfice/risque de Diane 35 et de ses génériques est défavorable dans le traitement de l’acné, au regard notamment du risque thromboembolique veineux et artériel auxquels ils exposent les femmes traitées». L’ANSM précise que«l’usage important de ces médicaments en tant que contraceptifs n’est pas conforme et leur efficacité comme contraceptif n’a pas été démontrée par des études cliniques appropriées».

Ce qui n’est pas faux. Mais pourquoi maintenant, dans une telle précipitation et en appelant les femmes concernées «à ne pas paniquer»? L’ANSM ne répond à aucune des questions de fond qui sont soulevées. L’Agence «considère que ces médicaments ne doivent plus être employés comme contraceptifs: ils n’ont pas d’AMM dans cette indication». Certes, mais depuis un quart de siècle, ils n’en ont jamais eu, Bayer, qui la commercialise, n’ayant jamais souhaité demander cette indication préférant positionner sa spécialité comme un médicament anti-acné, tout en étant parfaitement informé de l’usage qui en était fait. Et rien ne permet de conclure à une soudaine dangerosité.

La multinationale allemande dit ainsi «prendre acte avec surprise» de la décision de l’ANSM concernant un médicament «commercialisé dans 116 pays depuis plus de 25 ans pour le traitement de l’acné chez la femme» et qui n’a jamais fait l’objet de retrait d’autorisation de mise sur le marché pour des raisons de sécurité. «A notre connaissance, il n’existe pas de nouvelles preuves scientifiques susceptibles de conduire à une modification de l’évaluation bénéfice/risque positive de Diane® 35», observe Bayer.

Dès lors pourquoi cette alerte rouge? Pourquoi cette décision unilatérale de retrait total du marché qui –sauf information confidentielle– semble hors de proportion avec ce qui la motive? Le tempo est mauvais, les responsables sanitaires fébriles. L’hyperréactivité de l’ANSM vient ici gravement brouiller les repères. Au point que les critiques indépendants les plus justement sévères sur le système actuel, comme le Dr Dominique Dupagne, estiment qu’avec Diane un seuil a été franchi et que l’emballement actuel risque fort d’avoir en cascade des effets négatifs.

La France n’est pas seule. Parallèlement à sa décision de retrait sur le sol français, l’ANSM a initié une procédure d’arbitrage au niveau communautaire. La France entend ainsi que ces médicaments, autorisés dans la plupart des autres Etats membres européens, y soient retirés, suspendus ou modifiés. C’est peu dire que cette initiative irrite les autorités concernées dans ces différents pays. Elles estiment généralement qu’il existe une problématique médicamenteuse spécifiquement française qui ne les concerne pas et qui ne saurait justifier des modifications d’ordre communautaire.

Résumons. Nous sommes avec Diane® 35 devant un cas assez exemplaire de non-respect massif des indications officielles d’un médicament, situation tolérée sinon collectivement acceptée par les autorités sanitaires, les fabricants et les prescripteurs. Ce n’est pas, loin s’en faut, le premier cas de cette nature. Il en fut ainsi, durant près de deux décennies, du Médiator. Et il en va de même, aujourd’hui du Baclofène,  médicament prescrit sans autorisation chez environ 30.000 personnes souffrant de dépendance à l’alcool. Que se passera-t-il quant un cabinet d’avocat spécialisé prendra médiatiquement en charge la victime d’un accident grave pouvant être imputé à ce médicament?

Pourquoi pas d’alerte sur le paracétamol?

La situation actuelle rappelle qu’une politique de santé publique réclame avant tout de ne pas céder aux  paniques, de hiérarchiser les priorités sur la base des éléments objectifs disponibles. Or c’est précisément là que le bât blesse. Car ces éléments ne sont pas disponibles.

Un exemple: il est aujourd’hui impossible de consulter les registres nationaux de pharmacovigilance. Ne serait-ce, par exemple, que pour comparer les chiffres de mortalité-morbidité de Diane® 35 à ceux des différentes présentations de médicaments à base de paracétamol (responsable, dit-on, de 60 fois plus de décès).

L’ANSM répond en substance que ces données sont nominatives (et qu’il faudrait alors les rendre anonymes). Et  qu’elles sont brutes, nécessitant des explications de texte. C’est très précisément ce qu’il serait nécessaire de réaliser.

Plus généralement, on observe une revendication croissante visant à obtenir une transparence sur les données de santé publique; données aujourd’hui pour l’essentiel propriété de l’assurance maladie et des agences sanitaires parmi lesquelles l’ANSM. C’est le sens de l’appel «Liberté pour les données de santé» lancée par l’UFC Que Choisir-60 millions de consommateurs et le Collectif Inter-associatif sur la santé(CISS).

Rien ne permet bien sûr d’affirmer que les actuels dysfonctionnements médiatisés du système de pharmacovigilance auraient pu être toujours prévenus par un accès facilité à ces données. Mais tout laisse en revanche penser que si cette transparence n’est pas au plus vite organisée, de nouvelles affaires-sandales émergeront sous peu. Et chacune réactivera un peu plus la défiance grandissante des patients vis-à-vis des pouvoirs publics et des prescripteurs.

Cette transparence devra aussi s’étendre au système (aujourd’hui totalement secret) de fixation des prix de ces substances prises en charge par la solidarité nationale. Elle ne fera pas l’économie d’une révolution dans l’enseignement de la thérapeutique dans les études médicales.

Si les scandales actuels ont un mérite, ce sera d’aider à la constitution d’un contre-pouvoir aux effets régulateurs et préventifs. «Il y aura un avant et un après Médiator», avait cru pouvoir affirmer au plus fort de la crise Xavier Bertrand alors ministre de la Santé. En dépit du nouveau cadre législatif qu’il a fait mettre en place, on sait désormais que rien n’a changé.

Les pesanteurs sont trop lourdes, le système trop féodal, les responsabilités par trop éparpillées et les réformes entreprises trop cosmétiques. Personne ne peut imaginer aujourd’hui qu’il y aura «un avant et un après la Diane ® 35 et les pilules 3 G». Une libération des données de santé pourrait permettre de l’espérer. Et rien n’interdit d’imaginer que le sujet puisse, un jour prochain, capter l’attention de l’actuelle ministre de la Santé.

[1] Pour consulter le dossier consacré à la réévaluation de Diane 35 et de ses génériques on peut se connecter sur ce site de l’ANSM.Retourner à l’article

Vache folle (2): à propos de l’appétit médiatique pour les catastrophes

Après la mort par les abats, la mort via le sang ? Il y a quinze ans l’opinion découvrait, via la presse d’information générale, l’encéphalopathie spongiforme bovine (ESB) le prion pathologique et l’angoisse collective de sa transmission par voie alimentaire conduisant à  une nouvelle forme de la maladie, incurable, de Creutzfeldt-Jakob (vMCJ). Ce fut une crise européenne majeure. Quinze ans plus tard certains agitent à nouveau le spectre en soulevant la question de l’innocuité d’un médicament anticoagulant : l’héparine. Une priorité médiatique ou de santé publique ? Comment savoir ?

La presse ne se repaît pas par plaisir des trains qui déraillent. Si elle se désintéresse ostensiblement de ceux qui arrivent à l’heure c’est pour une autre raison, plus profonde : elle ne se nourrit que d’insolite, d’étrange, de baroques. Il lui faut  des histoires. Mais ce n’est pas tout :  des histoires joliment racontées.

L‘insolite? C’est par exemple ce que range aujourd’hui sous cette étiquette l’Agence France Presse. Extraits:

« Françoise Tenenbaum, adjointe à la santé au maire (PS) de Dijon, propose de faire appel aux vétérinaires dans les déserts médicaux pour faire face à la pénurie de praticiens en France, une proposition prise avec « humour » par les médecins et jugée « irréaliste » par les vétérinaires.
« J’ai réfléchi à la problématique dans laquelle nous sommes, notamment en Bourgogne où il y a des déserts médicaux, et je me suis rendue compte qu’il y avait des vrais médecins dans les territoires, ce sont les vétérinaires, qui peuvent intervenir en urgence », a déclaré l’élue à l’
AFP.
« Je pense qu’il y a un champ de travail, mais il faudrait définir une passerelle de formation et cadrer la mission de ces vétérinaires. Surtout, ce ne serait pas à la place du médecin mais en l’attendant », a ajouté Françoise Tenenbaum, qui a formulé cette proposition dans
Les Echos. (…) « C’est totalement irréaliste et dangereux ! On n’est pas du tout compétents pour faire une médecine humaine », a jugé Gérard Vignault, président du Conseil régional de l’ordre des vétérinaires de Bourgogne.
« Ce serait un recul des soins apportés aux gens. On reviendrait au XIXe siècle, alors que l’on est dans une politique de médecine de pointe: le médecin généraliste est devenu un aiguilleur vers les spécialistes », a-t-il analysé.
Jean-Pierre Mouraux, président du Conseil de l’ordre des médecins de Côte-d’Or, préfère prendre la chose « avec humour ». « C’est un pavé dans la marre et ça fait bouger les canards. On en retiendra les bonnes intentions », a-t-il poursuivi.
Pour Monique Cavalier, directrice de l’Agence régionale de santé de Bourgogne, « aujourd’hui, ce n’est absolument pas pensable ». »

Avec la presse, peu importe la nature – heureuse ou malheureuse – du sujet traité. L’important, l’essentiel, c’est qu’il y ait rupture du quotidien. A cette aune une naissance dans un aéronef vaut les inquiétudes née du comportement a priori menaçant d’un passager. Mais tous les antiques reporters, passés maîtres dans la narration des faits divers, vous confieront (s’ils le veulent bien, plutôt en fin de repas) qu’il est incroyablement plus facile d’écrire (de tenir en haleine) à partir du malheur. Pour eux cela commence localement avec un chien écrasé pour finir, au mieux,  sur un pilier parisien du pont de l’Alma.    

C’est dans ce contexte que s’inscrit une autre forme de rupture, non pas passée mais potentiellement à venir. L’activité journalistique bascule alors du narratif vers le prédictif, domaine hautement plus risqué mais sacrément plus enivrant. On se souvient sans mal  sur ce thème des deux épisodes viraux associés  l’un au A(H5N1), l’autre au A(H1N1). L’ épizootie de la vache folle et son émergence en tant que zoonose furent également à l’origine de nombreuses prédictions médiatiquement transmises. Il y eut ainsi les propos apocalyptiques des premiers prophètes britanniques de malheurs ; vite suivis par les premiers travaux -également britanniques – de modélisation mathématique; des travaux beaucoup trop précoces dont les conclusions laissèrent  redouter des dizaines (voire plus) de milliers de victimes humaines.

Le temps passa et d’autres travaux prédictifs (français) corrigèrent heureusement le tir. On recense aujourd’hui un peu plus de 200 victimes, la plupart en Grande Bretagne. Faut-il espérer que le plus dramatique de cette affaire sasn précédent est désormais derrière nous ? Doit-on au contraire encore redouter de futures  conséquences mortifères associées à la dissémination de cet agent pathogène  transmissible non conventionnel qu’est le prion pathologique responsable de l’ESB et de la vMCJ ? Au-delà des impondérables liés aux inconnues scientifiques peut-on redouter que des fautes politiques ont été (sont actuellement) commises ?     

C’est ce que laisse indirectement penser la revue mensuelle Que Choisir dans un dossier qu’elle vient de consacrer à la sécurité sanitaire de l’héparine, une molécule aux puissantes propriétés anticoagulantes, très largement utilisée à travers le monde à des fins thérapeutiques.    

« Va-t-on vers un nouveau scandale sanitaire ? En 2008 environ quatre-vingt décès et des effets indésirables graves avaient été observés aux Etats-Unis et en Allemagne à la suite de l’administration d’héparine sodique, fabriquée à partir de matière première d’origine chinoise . En France, 34 millions de doses de cet anticoagulant sont administrées chaque année mais quels contrôles réels sur l’héparine importée ? Quelle sécurité sanitaire de l’héparine et du Lovenox, l’héparine leader de Sanofi ? C’est la question posée par l’UFC – Que Choisir qui saisit au 16 novembre le ministre de la Santé, pour demander une évaluation afin de garantir la sécurité des consommateurs français » précise le mensuel de l’association de consommateurs.

Ce mensuel rappelle d’autre part que bien qu’aucun effet grave n’ait été détecté en France, en 2008 l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) avait agi. Elle avait alors notamment demandé par mesure de précaution, le retrait de deux lots d’héparine sodique et avait recommandé aux professionnels de santé de restreindre leur utilisation à la voie d’administration sous-cutanée (pour laquelle aucune augmentation des effets indésirables n’avait été rapportée dans les deux pays touchés). En octobre 2011, l’Afssaps avait également revu ses recommandations de surveillance biologique d’un traitement par l’héparine.

« C’est de Chine que provient aujourd’hui une grande partie de l’héparine. Mais si la législation a été durcie aux Etats-Unis pour l’importation de l’héparine, elle reste plus souple en Europe. La France qui n’accepte que l’héparine de porc, pratique des tests sur l’héparine importée depuis la Chine pour vérifier sa pureté et son origine exclusivement porcine, observe encore l’UFC-Que Choisir.  Le Lovenox, le médicament de Sanofi, représente plus des deux tiers du marché mondial représentant un chiffre d’affaires de près de trois milliards d’euros. Sanofi appliquerait, selon le rapport de l’UFC, des mesures moins strictes de fabrication, pour l’Europe, que pour les Etats-Unis. Si les autorités sanitaires françaises et européennes considèrent ces procédures de contrôles comme suffisantes, ce n’est pas l’avis de certains scientifiques qui pointent l’insuffisance des tests pour garantir l’origine d’espèce de l’héparine consommée en France. »

On en serait là, sur ce fond interrogatif et préventif rationnel pimenté de l’avis de certains scientifiques s’il n’y avait cette chute :  

« Et s’il y avait de l’héparine de bœuf ? Un  mélange d’héparine de bœuf à de l’héparine de porc,  ferait effectivement courir le risque d’une transmission de l’Encéphalopathie Spongiforme Bovine (ESB), aussi appelée maladie de la « vache folle », si l’animal en était atteint. Or les tests actuels, selon l’UFC, pourraient ne pas détecter cette manipulation… » Pourquoi cette extrapolation, cet élargissement du champ des possibles pathogènes ? Sans doute pour mieux attirer l’attention du plus grand nombre. Sans doute aussi pour, corollaire, pousser Xavier Bertrand,  ministre de la Santé (son cabinet et ses services) à prendre des initiatives politiques et des mesures sanitaires.

Des mesures? Faut-il en prendre? Si oui lesquelles ? Si non pourquoi ? Voici un nouvel exercice d’évaluation et de gestion du risque qui est réclamé par voie de presse. Il ne sera pas inintéressant d’observer comment les responsables politiques traiteront (ou pas) de cette question. Et il ne sera pas moins inintéressant de relater de quelle manière les médias d’information générale traiteront (ou pas) de ce traitement.   

 

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