Baclofène: la vidéo du Pr Maraninchi et les chiffres de l’assurance maladie

C’est un précieux document vidéo. Il éclaire -enfin- la position de l’Agence nationale de sécurité du médicament vis-à-vis de ce médicament encore illicite de la maladie alcoolique. Et c’est une mine d’informations chiffrées sur les prescriptions de ce même médicament qui est rendue publique par l’assurance maladie (1).

Une nouvelle histoire de la thérapeutique est-elle en cours d’écriture ?  Sommes-nous, comme le dit le directeur général de l’Agence du médicament, « proches d’une découverte »?  La « vraie vie » est-elle réductible aux essais contrôlés randomisés ? Quelles leçons la puissance publique peut-elle tirer des « essais sauvages » ?

Baclofène, suite. Avec la reproduction fidèle de « choses vues » (2). Cela se passait le 3 juin à l’hôpital Cochin de Paris. Nous avons déjà ici rapporté le premier acte cette forme de grand-messe œcuménique à visée thérapeutique. Le programme comportait un moment de choix : l’intervention, prévue à 11 heures, du Pr Dominique Maraninchi, directeur général de l’Agence nationale de sécurité du médicament (Ansm). Intervention à haut risque dans une enceinte où étaient en majorité présents des militants du baclofène ; ou plus précisément des militants de la libération immédiate et officielle du possible usage cette molécule dans une indication, la dépendance aux boissons alcooliques, qu’elle n’a pas.

Cocktail médical de résignation, d’indifférence et de fatalisme

Présidence assurée par le Pr Jacques-Louis Binet, secrétaire perpétuel honoraire de l’Académie nationale de médecine. En ouverture le Pr Didier Sicard avait dit solennellement ce qui pouvait être raisonnablement dit de cet ahurissant rapport que la médecine contemporaine peut entretenir avec les malades de l’alcool, cocktail de résignation et d’indifférence, de fatalisme et de déni –  puisqu’il semble bien établi que le déni, ici, peut avoir des vertus contagieuses.  Comment comprendre autrement l’infinie lenteur prise pour que l’institution commence non plus à nier mais à bien prendre en compte le « phénomène baclofène » ?

Deux millions de malades de l’alcool en France. Plus de cent morts prématurées par jour. Pourquoi avoir rayé de plusieurs traits de plume ces « programmes hospitaliers de recherche clinique » proposés en temps et en heure par le Pr Michel Detilleux (pôle médecine interne, polyclinique Achard, groupe hospitalier Cochin Saint-Vincent de Paul) ? Pourquoi avoir laissé collectivement se développer un phénomène médiatique autour d’un ouvrage destiné au grand public – prenant ainsi le risque de couper les ponts avec le milieu hospitalo-universitaire et les milieux officiels de l’alcoologie ? Et laissé des généralistes (plus de dix mille, chiffre Cnam) confrontés à la désespérante réalité de l’alcoolisme prescrire en dehors des indications officielles et à de très fortes doses – avec tous les risques que l’on imagine ? Pris le risque de mettre en place tardivement les indispensables essais cliniques contre placebo ? Et ce alors même que plus de 50 000 personnes malades de l’alcool – chiffre Cnam – Dr Alain Weill (1) – sont aujourd’hui sous baclofène et que ce nombre augmentera avec l’annonce (fin septembre 2013) de l’ouverture officielle d’une recommandation temporaire d’utilisation ? Et ce d’autant que les généralistes pourront, officiellement désormais, prescrire.

Une histoire de santé publique à écrire

La puissance publique n’avait-elle décidément aucune prise sur cette réalité grandissante ? Et si la chose est vraie, pourquoi ? Est-elle spécifique à la maladie alcoolique? Il y a là une histoire de santé publique qui devra être écrite. Mais aujourd’hui l’heure est plus à l’action qu’aux accusations rétrospectives, cet exercice qui se révèle toujours d’une déconcertante facilité.

Après le Pr Didiet Sicard la parole fut donnée au Pr Philippe Jaury, au Pr Michel Reynaud et au Dr Renaud de Beaurepaire . Tous les trois pilotent différentes tentatives pour, autant que faire se peut, apporter les lumières de la méthodologie statistique et de la médecine dans ce domaine si particulier de l’assuétude. Bientôt l’un des organisateurs, ce sera pendant la conférence de presse, remerciera le Dr Olivier Ameisen « d’avoir eu le courage de ne pas intervenir ». Formule inhabituelle – plus qu’une formule, un hommage.

C’était l’heure de la montée en chaire du Pr Maraninchi. On trouvera ci-dessous l’enregistrement vidéo de son intervention. De l’apport pédagogique, historique peut-être, de la vidéo dans cette affaire de santé publique Elle vaut d’être écoutée, analysée, commentée. On appréciera peut-être la conclusion:   nous sommes « proches d’une découverte ». Est-ce dire qu’elle a été faite ? Qu’elle reste à faire ? Qu’est-ce que sortir « du dogme de l’étude en double aveugle randomisée » ?

La vidéo de l’intervention du Pr Dominique Maraninchi est visible ici.

Question annexe: qu’est-ce que la « vraie vie »  ? Et qu’est-ce qu’une vie qui ne l’est pas vraiment  ?

 

(1)   On trouvera ici la somme des données chiffrées sur la consommation de baclofène en France, données rendues publiques lors du colloque du 3 juin à l’hôpital Cochin par le Dr Alain Weill (Caisse nationale de l’assurance maladie – Direction de la stratégie, des études et des statistiques)

(2) Choses vues. Ce jour, conseil radiophonique de Caroline Broué (La Grande Table, France Culture) à l’occasion d’une émission fort bien troussée sur Victor Hugo.  Philippe Mangeot, Geneviève Brisac et Marin de Viry discourent savamment et en viennent à tracer de curieuses correspondances (oratoires et émotionnelles) entre le Hugo en politique et le politique Jean-Luc Mélenchon. Solides remarques sur l’affadissement  du discours politique contemporain. Mais que pèserait la voix d’Hugo aujourd’hui avec des passages hebdomadaires chez Jean-Michel Apathie, Michel Denisot, David Pujadas et/ou Michel Drucker ?

Le conseil de Mme Broué : une nouvelle édition de Choses vues (Le Livre de Poche, Classiques).

Page 345 : « Le 18 août 1850, ma femme qui était dans la journée pour voir Madame de Balzac, me dit que M. de Balzac se mourrait. J’y courus. M. de Balzac était atteint depuis dix-huit mois d’une hypertrophie du cœur. Après la révolution de Février il était allé en Russie et s’y était marié. (…) Les médecins l’ont abandonné depuis hier. Il a une plaie à la jambe gauche, la gangrène y est.

Les médecins ne savent ce qu’ils font. Ils disaient que l’hydroptisie de Monsieur était une hydroptisie couenneuse, une infiltration, c’est leur mot, que la peau et la chair étaient comme du lard et qu’il était impossible de lui faire la ponction. (…) Une odeur insupportable s’exhalait du lit. Je soulevai la couverture et je pris la main de Balzac. Elle était couverte de sueur. Je la pressai. Il ne répondit pas à ma pression ».

Balzac est mort. Il reste un quart de siècle à Hugo

 

 

 

« Mourir d’apocalypse » : et vous trouvez ça drôle ?

C’est un petit livre anonyme et donc sans prétention.[1] Destiné à faire rire. Format de poche, 126 pages. Rire ? On y parvient parfois. Sourire plutôt. C’est un petit livre inclassable et qui laisse songeur. 

«Brèves de médecine» ? C’est là un genre assez couru. En témoignent nombre de blogs accessibles via http://www.clubdesmedecinsblogueurs.com.

A dire vrai ces phrases brèves  nous en disent plus sur ceux et celles qui les rapportent que sur celles et ceux qui les prononcent et dont on rit volontiers.

C’est un petit livre qui entrouvre la porte du colloque singulier et nous dit, aussi, un petit peu de la misère du monde. L’ouvrir est bien utile: comme les voyages il fait travailler l’imagination.

Cet opuscule nous avait gentiment été adressé il y a quelque temps déjà par l’éditeur. Nous hésitions à l’ouvrir. C’est qu’il ne nous est  jamais très agréable de lire et d’imaginer ce que les médecins peuvent rapporter des incompréhensions langagières qu’ils peuvent croiser au fil du temps et de leur activité. Toujours ou presque, quoique l’on en dise, le patient est en situation d’infériorité. Il perd de sa superbe et veut bien évidemment la garder. Son inconscient est à fleur de peau. Il a peur et le dit de mille et une manières. Le verdict du diagnostic, l’annonce de la thérapeutique tant redoutée, les silences ou le regard fuyant du sachant, la délivrance d’une bonne nouvelle ; tout est prétexte à s’exprimer hors des clous du langage codé.

Le praticien arroseur arrosé

Quand il ne s’agit pas d’incompréhensions dues à l’absence de tact et de pédagogie du médecin. Auquel cas, la blague rapportée est un petit boomerang. On croit faire rire au détriment de l’autre et l’on devient soi-même l’objet du ridicule. C’est l’histoire, décidément toujours impayable, de l’arroseur arrosé ; une histoire au moins aussi vieille que l’invention du tuyau d’arrosage et du cinéma muet.

«Docteur, les médicaments génériques, c’est comme les génériques à la télé ?». Faut-il lui dire ce qu’il en est, à cette gentille dame, des différences entre le copié-collé de la pharmacopée et le déroulé des auteurs et des acteurs d’un spectacle sur écran ? La demande-t-elle vraiment, l’explication de cette différence ? N’attendrait-elle pas tout simplement d’être rassurée ?

Et si, avec ou sans elle, on creusait un instant le propos ? Si on menait un instant l’enquête dans le soubassement de nos langages ? Comment ne pas s’étonner que ce terme générique (apparu en français avec la Renaissance) donne lieu à tant et tant de quiproquos. Bien étrange paradoxe quand on se souvient (quand on apprend) qu’est générique «ce qui appartient à la compréhension logique du genre».

Le générique ça devrait être logique comme la génétique

Ainsi, Voie est-il le nom générique désignant les chemins, routes, rues, etc. Mais le médicament générique ? Notre Petit Robert dit qu’il est celui dont le brevet est tombé dans le domaine public et que, par conséquent, il est meilleur marché. C’est dire en d’autres termes que l’on peut soigner à bas coup. Ce qui est difficilement concevable dans un univers où l’argent règne et où le luxe fait office de thérapeutique. Du moins si l’on en reste à une conception individuelle de la pratique médicale, centrée sur la relation triangulaire «médecin-malade-pharmacien». L’économie, le meilleur marché, ne deviennent acceptables que lorsque le point de vue est collectif. D’où cette autre perception de l’impossible équation du générique : comment faire comprendre que l’intérêt du patient est soluble dans l’intérêt de la collectivité de ses semblables ? Comment le je peut-il, pour partie, se dissoudre sur l’ordonnance de celui qui a écouté l’exposé de ses maux ?

C’est un petit livre sans prétention sans auteur connu. «Première visite, je me renseigne sur l’antécédent médical du patient. – J’ai été opéré d’un rein. – De quel côté ? – Du côté de Dieppe.» S’esclaffer ? Ou comprendre que les questions que nous posons induisent pour partie les réponses décalées qui nous sont faites. Ce patient n’aurait pas évoqué un endroit si l’on avait précisé la latéralité.

Et puis, il y a le comique de l’inversion des rôles.

«Moi : – Vous prendrez une pilule le soir, au réveil, et une le matin, au coucher. Mon patient : – Ça va, docteur ?». Et toujours ces approximations sur les mots d’un monde qui n’est pas le vôtre. «Docteur on vient car le petit a attrapé des verrues planétaires.» «Etre devenu allergique aux granulés quand d’autres le sont aux graminées.» «Ne pas comprendre que l’on peut aisément confondre le diagnostic et la thérapeutique et s’indigner de «ne pas aller mieux après une IRM».

Ausculâtrer le ventre des femmes

A-t-il existé ce médecin qui dit expliquer à son patient que l’on doit lui faire un «cross match» avant une transplantation rénale et qui s’entend répondre : «– Vous ne pouvez pas reporter votre jogging et m’opérer aujourd’hui ?». L’a-t-on entendu cet échange dans un centre hospitalier ? Un rhumatologue explique en quoi le grand handicap chez la femme réside dans la coxarthrose au motif «qu’elle ne peut plus écarter les cuisses». Le commerce des maux et des chairs ne va pas toujours sans une certaine vulgarité. A-t-elle été rêvée (et par qui) cette interrogation féminine adressée à un médecin de sexe masculin : «– Docteur, pouvez-vous m’ausculâtrer le ventre ?». D’où vient-elle cette chimère ausculter-tâter – idolâtrer ? Et d’où vient-il se détartinage des dents réclamé au chirurgien-dentiste après (on l’imagine) bien trop de tartines ?

 C’est un petit livre qui, au fond, ne lève guère le voile sous les coulisses de colloque singulier. Et c’est sans doute mieux ainsi. On ne cherche jamais les raisons qui font que le calembour fait rire. Encore moins les raisons des effets induits de la contrepèterie. Pourquoi ?
La fiente de l’esprit qui vole
«– Il ne faut pas que trop de stupeur accueille ce calembour tombé du ciel. Tout ce qui tombe de la sorte n’est pas nécessairement digne d’enthousiasme et de respect. Le calembour est la fiente de l’esprit qui vole. Le lazzi tombe n’importe où ; et l’esprit, après la ponte d’une bêtise, s’enfonce dans l’azur. Une tache blanchâtre qui s’aplatit sur le rocher n’empêche pas le condor de planer.» Ces mots sont signé de Victor Hugo dans Les Misérables. Il poursuit : «Loin de moi l’insulte au calembour ! Je l’honore dans la proportion de ses mérites ; rien de plus. Tout ce qu’il y a de plus auguste, de plus sublime et de plus charmant dans l’humanité, et peut-être hors de l’humanité, a fait des jeux de mots. Jésus-Christ a fait un calembour sur Saint Pierre, Moïse sur Isaac, Eschyle sur Polynice, Cléopâtre sur Octave. Et notez que ce calembour de Cléopâtre a précédé la bataille d’Actium, et que, sans lui, personne ne se souviendrait de la ville de Toryne, nom grec qui signifie cuiller à pot. (…) Il faut une limite, même aux rébus. Est».

C’est un petit livre à qui on a fixé d’étroites limites et qui n’en demande pas d’autres. Mais c’est aussi un objet qui, une fois ouvert, est une petite mine interrogative. Pourquoi ces blagues, ces histoires de chasse, cet humour plus ou moins néo-carabin ? Pourquoi ces scories filantes tombées du ciel médical ? Pourquoi ces confettis glanés au fil des colloques singuliers ?  D’où vient-elle cette  affaire qui n’est certes pas nouvelle mais qui trouve sur la Toile un nouveau terreau pour s’épanouir ?
[1] «Toubib or not. Brèves de médecine». Paris : Editions Chifflet & Cie, 2013.

Ce billet reprend une chronique initialement publiée dans la Revue médicale suisse